Catégorie : Politique et société

  • Diffé­rence de rému­né­ra­tion en fonc­tion de la zone géogra­phique

    Aujourd’­hui j’ai la bonne surprise d’avoir entendu « peu importe que vous soyez sur Paris ou sur Lyon, le salaire est en fonc­tion de ce que vous appor­te­rez à la société ». J’ap­pré­cie.

    J’ai trop vu de socié­tés condi­tion­ner un muta­tion hors Île de France à une baisse de 15 ou 20 % de salaire, ou refu­ser des embauches en région parce que les préten­tions de rému­né­ra­tion étaient celles d’un employé pari­sien.

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    « c’est le marché, pourquoi paie­rai-je plus cher si je peux quelqu’un au prix local ? ».

    Il y a plein de raisons de ne pas se conten­ter du marché.

    Avec l’ar­gu­ment du marché on légi­time de payer 20% de moins les femmes, 30 % de moins les chômeurs qui ont besoin de trou­ver un emploi, 50% de moins les handi­ca­pés, et de payer au mini­mum légal tous ceux qui n’ont « pas le choix ». C’est effec­ti­ve­ment le marché, mais pas accep­table pour autant.

    À tous ceux qui se diront immé­dia­te­ment « oui mais là tu fais de la discri­mi­na­tion Éric », je rappel­le­rai qu’ar­bi­trer diffé­rem­ment en fonc­tion du lieu de rési­dence est aussi une discri­mi­na­tion simi­laire au sens de l’article 225–1 du code pénal ainsi qu’au sens de l’article 1132–1 du code du travail. C’est une discri­mi­na­tion légale vali­dée par un arrêt de la Cour de cassa­tion mais une discri­mi­na­tion quand même.

    Il y a de toutes façon le côté humain. Est-ce vrai­ment votre poli­tique RH que de tenter de rabais­ser chaque colla­bo­ra­teur jusqu’à son point de rupture finan­cier person­nel ?

    Bref, ce n’est pas moral. Ce n’est en réalité même pas ration­nel écono­mique­ment.

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    Ration­nel­le­ment, si j’ai le choix entre un sala­rié hors Paris à pour 3 000 € et un sala­rié à Paris pour 3 500 €, pourquoi pren­drais-je celui à Paris ?

    Si je n’ar­rive pas à recru­ter assez de monde hors Paris je vais devoir augmen­ter les rému­né­ra­tions. Pourquoi paie­rais-je un sala­rié en province à 3 000 € et un à Paris à 3 500 € plutôt que deux sala­riés plus compé­tents ou plus fidèles (parce que mieux payés) à 3 250 € en province ?

    Il serait irra­tion­nel d’al­ler payer plus cher des sala­riés à Paris si je n’ai pas besoin qu’ils soient à Paris. C’est encore plus vrai si on prend en compte la diffé­rence de coût des locaux de l’en­tre­prise dans l’équa­tion.

    C’est aussi une bombe à retar­de­ment pour quand un sala­rié pari­sien voudra démé­na­ger hors Paris, ou pour quand les sala­riés compa­re­ront leurs salaires et la valeurs qu’ils apportent, surtout si le télé­tra­vail se mêle à l’équa­tion. Je crois que pas mal de dépar­te­ments RH sous-estiment la valeur ajou­tée d’une grille sala­riale honnête et trans­pa­rente.

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    Il reste l’ar­gu­ment éthique et social mais ils m’in­ter­roge. Les entre­prises prêtes à payer plus cher leurs four­nis­seurs et pres­ta­taires en fonc­tion de critères sociaux et envi­ron­ne­men­taux me semblent assez rares. Celles prêtes à payer plus cher un débu­tant avec une grande famille dans une situa­tion person­nelle diffi­cile qu’un expert céli­ba­taire sans problème me semblent encore plus rares.

    Ce n’est pas non plus une ques­tion de s’adap­ter aux besoins pour vivre puisque vous ne payez proba­ble­ment pas signi­fi­ca­ti­ve­ment diffé­rem­ment celui dont le conjoint est au chômage de celui dont le conjoint a un bon boulot bien payé, celui qui a trois enfants du céli­ba­taire sans charge de famille, celui qui a un enfant handi­capé ou grave­ment malade de celui qui n’en a pas, celui qui a un gros crédit mal négo­cié de celui qui a hérité de ses parents, celui dont la maison a brûlé l’an­née dernière de celui dont la maison a pris 25% parce que la ligne de métro a été éten­due jusque chez lui, celui qui habite en zone HLM de celui qui habite dans le beau quar­tier plein de villas avec pisci­ne…

    C’est unique­ment une ques­tion de zone géogra­phique, pas une ques­tion éthique et sociale sur les besoins réels des sala­riés pour vivre.

    Ce que je ne comprends pas c’est, si vous ne négo­ciez pas à la baisse le tarif d’un four­nis­seur qui déplace son acti­vité en province, pourquoi diable trai­ter plus mal vos propres colla­bo­ra­teurs ?

    En plus de déva­lo­ri­ser les sala­riés hors de Paris, c’est un manque de respect humain tota­le­ment incom­pré­hen­sible. On est en train de dire qu’ha­bi­ter à Paris est un critère plus perti­nent pour une compen­sa­tion que tous les autres critères sociaux.

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    La seule expli­ca­tion sensée c’est le « on a toujours fait comme ça » qui peut être suivi par « chan­ger main­te­nant c’est compliqué, le budget ne permet pas de faire un rattra­page sala­rial massif ».

    Admettre que c’est irra­tion­nel est un premier pas. Ensuite, même si tout ne se change pas d’un coup, rien n’em­pêche d’y aller progres­si­ve­ment.


    Pour être plus complet, je parle de diffé­rences de rému­né­ra­tion ou condi­tions de travail en France métro­po­li­taine. Dès qu’on met l’in­ter­na­tio­nal dans la balance il y a beau­coup d’autres para­mètres sur la protec­tion sociale, la légis­la­tion, la culture, la langue, les distances, qui font que j’ai un avis poten­tiel­le­ment moins tran­ché.

  • « Les réformes par ordon­nances permettent d’ac­cé­lé­rer le débat »

    Le gouver­ne­ment par ordon­nance n’ac­cé­lère pas le débat, il le supprime, et ce n’est pas qu’un détail.

    Le système des ordon­nances c’est un mandat donné au gouver­ne­ment pour que ce dernier légi­fère à la place du parle­ment pendant une durée et sur un sujet donné. Les ordon­nances sont d’ef­fet immé­diat, sans débat ni vote. Il n’est même pas néces­saire que le parle­ment soit solli­cité pour rati­fier après-coup les ordon­nances réali­sées.

    On a déjà une procé­dure accé­lé­rée qui permet de n’avoir qu’un seul passage dans les assem­blée. On a le temps légis­la­tif programmé qui permet de limi­ter et minu­ter le débat devant chaque assem­blée. On a même la capa­cité de procé­der au vote sans débat ou d’im­po­ser le vote s’il n’y a pas une majo­rité des parle­men­taires qui s’ex­prime contre le gouver­ne­ment.

    Côté effi­ca­cité on a ce qu’il faut, jusqu’à l’ex­cès. Ici on parle d’al­ler plus loin. On parle de délé­guer une mission pour carré­ment se passer du parle­ment.

    Juste ça, se passer du parle­ment. Se passer des repré­sen­tants du peuple qui sont élus spéci­fique­ment pour débattre, amen­der et voter la loi. Ils ne pour­ront poten­tiel­le­ment faire aucune de ces trois tâches. Un petit groupe de non-élus le feront à leur place.

    L’ef­fi­ca­cité suppo­sée ne doit pas mener à oublier la démo­cra­tie. D’au­tant que légi­fé­rer devrait au contraire être lent. On devrait penser, réflé­chir, faire atten­tion, mani­pu­ler avec précau­tion, cher­cher l’adhé­sion de tous.

     

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    On me répond que c’est prévu dans la consti­tu­tion. C’est vrai aussi pour l’état d’ur­gence. Ça n’en légi­time pas les abus et les détour­ne­ments. Ça ne veut pas dire que ce sont des outils neutres à utili­ser simple­ment parce que c’est plus rapide. Ce que j’at­tends d’un président c’est qu’il défende le système, pas qu’il cherche à l’ex­ploi­ter.

    Remettre les pleins pouvoirs au président aussi est prévu dans la consti­tu­tion. Ce serait diable­ment effi­cace. Est-ce pour autant une bonne idée ?

    Les ordon­nances, bien que dange­reuses, ne sont pas illé­gi­times en soi. On les a utilisé pour des mesures néces­saires et urgentes, comme le main­tien de l’ordre en Algé­rie. Plus récem­ment on les a utilisé pour des ques­tions tech­niques, comme des trans­po­si­tions du droit Euro­péen, de la renu­mé­ro­ta­tion des codes légis­la­tifs (théo­rique­ment à droit constant), ou des simpli­fi­ca­tions du droit.

    Les employer pour juste éviter les débats et le vote des repré­sen­tants du peuple au parle­ment, c’est quand même tout autre chose. Quand bien même ce ne serait pas la première fois, ça reste inac­cep­table comme projet.

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    J’ai publié quelques minutes avant la réponse à « oui mais il aura été élu ». Ma réponse se résume assez bien dans :

    Son élec­tion ne lui donne abso­lu­ment pas un chèque en blanc.

    Son programme est connu dans les grandes lignes, mais que dans les grandes lignes. On est loin des détails d’un texte de loi.

    Quand bien même on aurait les détails, on va aussi élire toute une Assem­blée, tout aussi légi­time que lui. On l’aura élue juste­ment pour débattre et voter des lois et des déci­sions poli­tiques.

    Mais surtout, le type de scru­tin pour l’élec­tion prési­den­tielle fait qu’a­voir un élu n’im­plique abso­lu­ment pas l’ac­cord d’une majo­rité de la popu­la­tion pour son programme. Le prétendre est une impos­ture.

    Il y a 1 000 élus d’une bien plus grande diver­sité pour repré­sen­ter le peuple et débattre de la loi. Respec­tons-donc le circuit prévu pour ça.

  • Dans un système démo­cra­tique

    Je suis un peu effrayé de voir dans mes discus­sions récentes tant de gens qui sont prêt à se conten­ter d’un « il aura été élu ».

    Il m’en faut beau­coup plus que ça.

    Élire un président une fois tous les cinq ans ne suffit pas à un système démo­cra­tique, surtout avec une élec­tion au scru­tin unino­mi­nal tel qu’on l’a. Quel que soit le président qui sortira de l’élec­tion de mai cette année, il sera bien diffi­cile de prétendre que son projet est l’af­fir­ma­tion de la volonté du peuple (ou même de la majo­rité du peuple).

    La volonté du peuple elle est bien plus riche. Elle ne se résume pas en quelques points de projet sans détail précis, surtout quand le vote du second tour risque d’être surtout « est-ce que je veux Mme Le Pen au pouvoir ? ».

    Ce n’est pas pour rien qu’on a tout un parle­ment, deux assem­blées, et au total 1 000 élus pour débattre et voter. Déjà qu’eux-même sont assez peu repré­sen­ta­tifs de la propor­tion réelle des choix du peuple… n’en rajou­tons pas.

    Dans ce système chaque élu l’est pour lui délé­guer certaines charges, et celles-ci seule­ment, limi­tées dans le temps mais aussi dans leurs pouvoirs. Chacun a un rôle bien précis, qui permet de créer un ensemble avec des contre-pouvoirs, des gardes-fou, des débats. À défaut de voir le peuple déci­der direc­te­ment, on s’as­sure qu’il soit repré­senté au mieux et on limite le plus possible le risque que les pouvoirs soient concen­trés et abusés.

     

    Savoir où se situe la limite de la démo­cra­tie dans un système repré­sen­ta­tif est un débat inter­mi­nable, mais clai­re­ment « il a été élu » est tout sauf une garan­tie de démo­cra­tie. Ça n’au­to­rise pas tout. C’est à peine le début du commen­ce­ment. Ce n’est d’ailleurs même pas un passage obligé.

    Après tout, on peut très bien élire des rois ou des dicta­teurs.

  • Déman­te­ler l’idée même de l’au­to­rité

    « Sur l’en­semble du quinquen­nat je propose de réduire les effec­tifs de la fonc­tion publique de 8 %, a-t-il rappelé. C’est une néces­sité. C’est un objec­tif raison­nable ».

    Dénonçant « cet état d’es­prit qui nous a conduits à déman­te­ler l’idée même de l’au­to­rité », le candi­dat des Répu­bli­cains s’est inter­rogé :

    « A quoi sert-il de battre des records d’ef­fec­tifs, si dans les banlieues toujours plus de quar­tiers sont inac­ces­sibles aux poli­ciers et aux pompiers, si dans les tribu­naux toujours plus de jeunes délinquants ressortent libres, si dans les écoles toujours plus de profes­seurs entrent dans leurs classes avec la peur au ventre ? »

    C’est vrai, c’est logique. Pour contrer le déman­tè­le­ment de l’au­to­rité, rédui­sons donc les effec­tifs des poli­ciers, pompiers, juges et profes­seurs. Quitte à avoir de mauvais résul­tats, autant carré­ment faire chaise vide. Ce n’est même plus un aveu d’échec, c’est carré­ment un aban­don.

    – Extrait de La Tribune, cita­tions de François Fillon

  • Des trans­ports en commun gratuits

    J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi l’ac­cès aux trans­ports en commun n’est pas gratuit dans la plupart des métro­poles. J’in­clus là dedans les systèmes collec­tifs de vélos à la demande.

    Le fait de rendre le bus complè­te­ment gratuit coûtera 4,5 millions d’eu­ros à la commu­nauté urbaine [de Dunkerque], soit 10 % du budget total consa­cré aux bus — 20 Minutes

    4.5 millions d’eu­ros. C’est énorme mais… ce n’est pas la ques­tion. On parle de trans­port en commun gratuit mais en réalité il s’agit de trans­ports en commun finan­cés par la collec­ti­vité, et c’est déjà bien diffé­rent.

    Les gens paie­ront, de toutes façons. Il s’agit juste de savoir si on consi­dère que le trans­port est un enjeu collec­tif avec un béné­fice au niveau de la ville ou si c’est pure­ment indi­vi­duel. Si c’est une néces­sité pour la ville, il n’y a rien de choquant à le payer de façon collec­tive.

    Sachant ce que ça peut appor­ter comme service, comme attrait, comme flui­dité pour l’em­ploi, ou simple­ment comme réduc­tion des infra­struc­tures routières ou de leur encom­bre­ment, comme réduc­tion de pollu­tion… il y a peu de doutes pour moi.

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    Mais pour ceux qui veulent discu­ter chiffres, 4.5 millions ça repré­sente une dizaine de rond-points. Dans le budget de la ville, ils en dépensent déjà 2 millions rien que pour l’in­ves­tis­se­ment sur le station­ne­ment. Il faut 12.5 millions par an pour la voirie (10 millions annuels plus une enve­loppe d’au­tant répar­tie sur 5 ans pour l’in­ves­tis­se­ment).

    4.5 millions ça reste signi­fi­ca­tif sur un budget total de l’ordre de 190 millions, mais il y a bien des services qui ont un rapport utilité sociale / coût bien plus faible. Sans comp­ter que… « si l’on divise [ce] coût par le nombre de voya­geurs, et que ce nombre augmente forte­ment, alors on aura un service plus effi­cace »

    Ques­tion de choix poli­tique plus que de montant donc.

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    Ce n’est que le cas de Dunkerque. Ailleurs ça peut être autre­ment. Il semble que la billet­te­rie repré­sente 30% du coût à Lille. Le cas excep­tion­nel de Paris fait qu’on y monte à 52%.

    On peut déjà réduire d’un bon tiers en préle­vant direc­te­ment aux entre­prises ce qu’elles finançaient de toutes façons via le rembour­se­ment obli­ga­toire de moitié des abon­ne­ments de trans­port.

    Il reste­rait donc 20 à 35% du coût dans le cas le pire (esti­ma­tion perso au doigt mouillé). Oui c’est énorme, mais encore une fois ce n’est pas un coût à faire payer en plus mais un coût à faire payer autre­ment.

    Quand on sait que ce sont les plus pauvres qui prennent le plus les trans­ports en commun ou payent des tickets à l’unité, on voit que rendre tota­le­ment collec­tif le coût du trans­port en commun n’est pas un enjeu neutre socia­le­ment.

  • De la presse et des images

    Parce que le sujet est sensible il n’est jamais vain de rappe­ler : Ce sont mon opinion, mes pensées, mais ce ne sont que mon opinion et mes pensées, aujourd’­hui, en fonc­tion de ce en quoi je crois et avec ce que j’ai vécu.
    Je ne prétends pas avoir La Vérité. Vous avez le droit d’avoir une posi­tion diffé­rente, de l’ex­po­ser. Je ne vous demande que de m’en concé­der autant, avec respect et ouver­ture. Peut-être que nous évolue­rons en échan­geant.
    Ne venez ici que si vous êtes prêts à avoir le même état d’es­prit.


    Fallait-il la publier ? L’hor­reur de l’image d’aujourd’­hui était-elle néces­saire pour faire passer l’in­for­ma­tion et la prise de conscience ? Fran­che­ment je n’en sais rien mais mon propre avis n’a que peu d’im­por­tance dans l’his­toire.

    Ça n’a que peu d’im­por­tance parce qu’il me semble essen­tiel qu’un jour­nal d’in­for­ma­tion sérieux ait la liberté de faire ses propres juge­ments sur la ques­tion, et qu’au­cune auto­rité morale ne puisse dire que tel ou tel sujet est trop choquant pour faire partie de l’in­for­ma­tion.

    J’y tiens et ça me parait essen­tiel.

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    On m’au­rait posé la ques­tion avant publi­ca­tion, j’au­rais proba­ble­ment jugé que la photo de l’en­fant mort sur une plage il y a plusieurs mois étaient inutile et irres­pec­tueuse. Vu ce qu’a déclen­ché cette photo, j’au­rais eu tort. C’est le déclen­cheur de l’ac­cueil de dizaines ou centaines de milliers de réfu­giés et d’une prise de conscience d’une partie de l’opi­nion publique.

    Cette image a certai­ne­ment provoqué des trau­ma­tismes forts mais elle a aussi sauvé des vies. Trop peu par rapport à ce qui aurait été possible, mais des vies ont été sauvées.

    Je ne me vois pas dire que les problèmes que peu causer l’image ou sa publi­ca­tion sont insi­gni­fiant face à son rôle et son impact sur la société. Ça n’au­rait aucun sens. Les humains ne se jugent pas en compa­rant des chiffres dans un tableau. Mais juste­ment : Je me refuse aussi à dire le contraire.

    Parfois le jour­nal fait un choix de publi­ca­tion radi­cal. Des fois l’his­toire montre qu’ils ont eu raison. Des fois ce n’aura pas été le cas. Des fois les avis divergent même après coup.

    Je ne sais pas ce qu’il en sera pour l’image d’aujourd’­hui mais je défie quiconque de prétendre savoir à coup sûr. L’im­pact et la néces­sité sont bien diffi­ciles à juger, même après coup.

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    Et puisque ça a été une partie de la discus­sion : Je comprends ce que veut dire déclen­cher des angoisses ou des états impos­sibles qui peuvent durer des semaines ou amener au suicide. Je ne le nie pas, je ne le dimi­nue pas. C’est inima­gi­nable de me croire le faire pour ceux qui ont connu mon passé. C’en est même insul­tant.

    Mais en même temps je ne peux deman­der à la presse de masquer toutes les images et tous les sujets qui peuvent être un déclen­cheur chez quelqu’un. Je ne le souhaite même pas. Il ne reste­rait rien.

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    Je me rappelle qu’il y a à peine quelques années tout le monde défen­dait le droit à la publi­ca­tion de cari­ca­tures reli­gieuses.

    On ne parle pas ici de trau­ma­tismes mais ce n’est pas plus léger pour autant. Pour ces cari­ca­tures on a assumé le risques d’at­ten­tat et de morts. Plus loin, on a eu des morts à cause de ça. Des morts, et bien entendu tous les trau­ma­tismes qui vont avec pour les survi­vants.

    Publier ces cari­ca­tures n’avait aucune autre moti­va­tion que de défendre le droit de les publier. Et pour­tant, malgré les morts, malgré qu’on ne préten­dait aider à sauver personne, je n’en connais pas un qui oserait aujourd’­hui dire qu’on aurait du l’in­ter­dire.

    Alors oui, je crois que de la même façon on ne devrait pas inter­dire ou même repro­cher la publi­ca­tion d’une image d’hor­reur qui d’après leurs éditeurs ont un vrai but d’in­for­ma­tion, de prise de conscience et de mouve­ment d’opi­nion.

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    Je n’au­rais proba­ble­ment pas fait ce choix de publi­ca­tion mais je défend le droit à Libé­ra­tion de le faire. Même si ça pose plein de ques­tions toutes aussi justes les unes que les autres. Même si ça cause des trau­ma­tismes forts à des gens. Même si ça tue. Parce que s’ils jugent que ça a la moindre chance de peser dans le débat public, ça peut aussi faci­li­ter une inter­ven­tion et sauver toute une popu­la­tion, direc­te­ment aujourd’­hui ou indi­rec­te­ment demain.

    Oui c’est moche, et c’est une réflexion froide de ma part parce que juste­ment ce cas ci ne me déclenche rien moi-même, mais je n’ai pas d’autre réponse que celle-ci.

  • Une inscrip­tion obli­ga­toire en biblio­thèque

    « Une inscrip­tion obli­ga­toire en biblio­thèque est une démarche qui s’ins­crit dans la logique de droits cultu­rels. »

    Ques­tion de vision de la culture. Moi j’at­tends le contraire, qu’il n’y ait pas besoin d’ins­crip­tion préa­lable, que quiconque puisse emprun­ter dans une biblio­thèque de passage avec une simple carte d’iden­tité.

    Qu’on ne me parle pas de vol et de contrôle. Ce n’est pas comme si les preuves de domi­cile deman­dées lors des inscrip­tions étaient fiables. Ce n’est pas comme si les biblio­thèques enclen­chaient des procé­dures judi­ciaires pour récu­pé­rer les livres. Si besoin était – ce qui n’est pas aussi évident qu’il n’y parait – il suffi­rait d’un proces­sus natio­nal pour que les biblio­thèques puissent se retour­ner contre les usagers à partir de cette carte d’iden­tité.

  • Évidem­ment, ce n’est pas la voiture qui s’est vengée

    Lot : après une dispute, une femme meurt écra­sée par la voiture de son mari
    Le Pari­sien

    Forcé­ment ça ironise. On se moque du titre avec la voiture possé­dée qui écrase seule la femme, par pure coïn­ci­dence après une dispute de couple.

    En réalité je trouve cette ironie assez moche.

    Évidem­ment, intui­ti­ve­ment on y lit qu’il y a eu une dispute et que la femme a ensuite été volon­tai­re­ment écra­sée par son mari.

    C’est intui­tif, probable, mais on n’en sait rien, pas à la simple lecture de l’ar­ticle.

    La police enquête et véri­fie. C’est son boulot de juste­ment ne pas se conten­ter de dire « c’est évident » sans savoir. Pas de fausse naïveté non plus puisqu’il est clai­re­ment dit que le mari est en garde à vue depuis hier. On peut se douter que la police a les mêmes présomp­tions intui­tives que chacun de nous.

    Entre temps, nous on ne sait rien, mais alors rien du tout. On n’a aucun témoi­gnage, aucun récit de l’évé­ne­ment. On ne sait pas comment la femme a été écra­sée. On ne sait même pas si le mari était au volant. En fait on ne sait même pas si quelqu’un était au volant ou si la voiture a été lâchée en roue libre sur une côte. C’est quand même peu pour prétendre l’évi­dence.

    Sauter aux conclu­sions c’est faire justice sur des stéréo­types ou les proba­bi­li­tés, et ça n’est à l’hon­neur de personne.

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    Pour une fois l’ar­ticle est au contraire très bien fait. On ne sait pas grand chose mais le jour­na­liste expose les faits sans détour. C’est à peu près tout ce qu’il peut faire en l’état.

    Aurait-il fallu qu’il titre « Il tue sa femme en l’écra­sant à cause d’une dispute » alors qu’il n’a aucun élément pour ça à part l’évi­dente suspi­cion que tout le monde verra de toutes façons ?

    Personne ne prétend que la voiture, possé­dée par je ne sais quel esprit, a sauté seule sur la victime. Le jour­na­liste pousse l’idée d’une culpa­bi­lité de l’homme dès la première phrase de l’ar­ticle, en hauteur double :

    Un homme d’une soixan­taine d’an­nées est en garde à vue depuis jeudi et la mort de sa femme à Prays­sac (Lot).

     

    Diffi­cile d’être plus expli­cite sur les faits sans confondre les proba­bi­li­tés avec la réalité. Pour une fois qu’un jour­na­liste présente un article comme il faut sans biais ni sur-inter­pré­ta­tion, n’al­lons pas lui repro­cher.

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    Il y a un vrai problème où la presse écarte trop souvent la respon­sa­bi­lité des atteintes aux femmes ou aux mino­ri­tés. Je fais toute­fois la diffé­rence entre celui qui excuse et celui qui ne sait pas.

    Je n’ai – malheu­reu­se­ment – pas la solu­tion au problème géné­ral mais je ne crois pas qu’ajou­ter des injus­tices en compense d’autres. Ce n’est que mon opinion, mais j’ai plutôt tendance à croire que les maux s’ajoutent entre eux.

  • Pour une sécu­rité sociale

    Je ne comprends pas comment on peut accep­ter d’in­di­vi­dua­li­ser les couver­tures santé.

    Par nature ça veut dire que certaines couver­tures ne rembour­se­ront que partiel­le­ment, ou pas tous les types de soins. Bien évidem­ment ce sont prin­ci­pa­le­ment les plus pauvres qui prennent ces couver­tures au rabais, voire qui s’en passent. Dans le meilleur des cas on augmente l’ex­po­si­tion aux risques de ceux qui pour­ront le moins en suppor­ter l’im­pact.

    Tout ce qu’on obtient c’est qu’ils renoncent aux soins :

    Ce système, à bout de souffle, conduit entre 21 et 36 % des Français à renon­cer aux soins pour des raisons finan­cières (pdf). Derrière ces statis­tiques, il y a des enfants sans lunettes alors qu’ils en auraient besoin (ce qui entraîne parfois un retard scolaire) ; des dents qu’on arrache au lieu de les soigner ; des bron­chites négli­gées qui dégé­nèrent, des personnes âgées qui s’isolent de plus en plus faute d’ap­pa­reil audi­tif …

    Le pire c’est que ça finit par coûter plus cher à la collec­ti­vité en plus d’être un désastre pour les concer­nés.

    On cherche juste à réduire les coûts, par idéo­lo­gie, ou en compa­rant les prélè­ve­ments avec des pays dont le système est payé direc­te­ment par les citoyens.

    Cela n’em­pêche ni M. Fillon ni M. Emma­nuel Macron (En marche !) de prévoir une baisse des dépenses de l’as­su­rance-mala­die : 20 milliards d’eu­ros d’éco­no­mies en cinq ans pour le premier ; 15 milliards pour le second. «  On ne peut avoir des dépenses de santé qui augmentent trois fois plus vite que la créa­tion de richesses  », professe M. Macron, pour­tant guère gêné de voir les distri­bu­tions de divi­dendes augmen­ter, elles, dix fois plus que les richesses produites.

    On a déjà réduit les crédits plus qu’il n’est possible, lais­sant les hôpi­taux dans un épui­se­ment humain et admi­nis­tra­tif, et sans aucune marge de manœuvre. La grippe annuelle arrive à épui­ser les lits dispo­nibles. Le moindre imprévu ne peut plus être géré parce que tout est fait pour suppri­mer tout ce qui semble super­flu par rapport au fonc­tion­ne­ment quoti­dien, et qu’on en a supprimé encore un peu plus pour forcer à faire des écono­mies.

    Il ne reste plus qu’à dimi­nuer les rembour­se­ments. On couvre moins de choses, ou en en rembour­sant une part plus faible. Ce faisant on en laisse plus aux mutuelles, dans un cercle vicieux qui laisse de côté les plus pauvres.

    Ce n’est même pas rentable écono­mique­ment :

    Sur 100 euros de coti­sa­tions reçues par les complé­men­taires, 15 à 19 % partent en frais de gestion (et de publi­cité) (pdf), contre 4 à 5 % pour la Sécu­rité sociale. Aucune «  ratio­na­lité écono­mique  » ne justi­fie donc que l’on préfère l’une à l’autre. Au contraire : un guichet public unique qui rembour­se­rait tout «  permet­trait de gagner 7 milliards d’eu­ros  », précise M. Noam Ambrou­rousi, spécia­liste de la santé et conseiller de M. Mélen­chon. Pour en mesu­rer l’im­por­tance, il faut se rappe­ler que le fameux «  trou  » de la Sécu­rité sociale s’élève à 4,7 milliards d’eu­ros.

    Et bien entendu, il s’agit surtout de segmen­ter. Les jeunes cadre ont beau jeu de mili­ter pour leur liberté de choix. Il s’agit surtout de segmen­ter. On segmente ceux qui peuvent payer et ceux qui ne peuvent pas, mais on segmente aussi les jeunes et les vieux, les handi­ca­pés lourds et les autres, ceux dont on sait qu’ils ont un ennui de santé sérieux et les autres.

    Forcé­ment, le jeune cadre en bonne santé paye moins cher à ce jeu… mais c’est au prix de la soli­da­rité avec les autres. C’est la logique écono­mique d’un assu­reur qui calcule le risque indi­vi­duel mais est-ce souhai­table socia­le­ment ?

    La logique de la sécu­rité sociale unique c’est juste­ment la frater­nité, et s’as­su­rer que personne ne doive renon­cer.

    Dans une tribune reten­tis­sante, ils ont réclamé une prise en charge des soins à 100 %, ainsi qu’une fusion de la Sécu­rité sociale et des complé­men­taires santé (Le Monde, 14 janvier 2017).

    C’est un des points où j’ai un problème avec Benoit Hamon et globa­le­ment le PS. On renonce à un point qui me semble essen­tiel socia­le­ment et qui a du sens même écono­mique­ment… juste parce que c’est diffi­cile poli­tique­ment.

    Oui, je veux une sécu­rité sociale univer­selle, qui rembourse tout le monde – pas que les sala­riés – à 100% pour tous les soins utiles. Ça comprend évidem­ment les trai­te­ments dentaires, ortho­don­tiques ou optiques, mais pas que. Ça comprend l’in­té­gra­lité du parcours hospi­ta­lier, repas compris.

    Oui ça coûte cher, mais pas plus que le système privé, proba­ble­ment même moins. La seule diffé­rence est de soigner aussi les pauvres. Du coup oui ça coûte plus cher que la situa­tion actuelle. Ques­tion de choix poli­tique.


    Les cita­tions viennent d’un article du Monde Diplo­ma­tique, dont je vous recom­mande très forte­ment la lecture.

  • La poli­tique ce n’est pas choi­sir le meilleur projet

    La poli­tique ce n’est pas choi­sir le meilleur projet de façon objec­tive. Un tel clas­se­ment n’a aucun sens. On n’élit pas des inten­dants, de simples gestion­naires.

    La poli­tique c’est faire des choix. Il n’y a pas de baguette magique. Il y a toujours un coût, un effort un four­nir, un pan de la popu­la­tion qui sera moins favo­risé, un risque que ça ne fonc­tionne pas…

    La poli­tique c’est faire un arbi­trage suivant ce qui nous parait le plus impor­tant en notre âme et conscience, suivant ce qu’on veut comme société. Il n’y a rien de plus subjec­tif que ça.

    Fuyez ceux qui pensent qu’il suffit d’ex­pliquer ou de se rensei­gner.

    De ceux là il y a ceux qui manquent de recul et qui ne perçoivent même pas qu’il puissent y avoir une autre vision de la société. De ceux là il y a aussi ceux dont l’idéo­lo­gie voilent toute réflexion et qui pensent avoir forcé­ment la vérité.

    Enfin de ceux là il y a aussi ceux qui n’en­vi­sagent que la vision tech­no­cra­tique du système. Ces derniers sont les plus dange­reux parce qu’ils nient le concept même de démo­cra­tie. Ils refusent la capa­cité de choi­sir en toute conscience une option moins effi­cace sur le papier mais qui parfois respecte des valeurs ou un modèle de société auquel on aspire.

    * * *

    Ne me dites pas « ceux qui sont contre n’ont pas lu le texte ou ne savent pas de quoi ils parlent ». C’est majo­ri­tai­re­ment vrai, mais ça l’est aussi de ceux qui sont pour. C’est par contre insul­tant pour ceux qui ont fait un choix conscient et informé, mais juste un choix diffé­rent du votre.

    Tout ce que ça montre c’est une absence d’ou­ver­ture ou une bien mauvaise consi­dé­ra­tion de la démo­cra­tie.

    Ça n’em­pêche bien évidem­ment pas d’in­ci­ter les gens à lire, à se rensei­gner, et d’es­sayer de convaincre, mais au moins on se posi­tionne sur le fond.