Catégorie : Politique et société

  • « Vous n’au­rez pas le droit de refu­ser plus de deux offres d’em­ploi »

    En réalité on parle de candi­da­ter à une offre, éven­tuel­le­ment de faire un entre­tien. Ce qu’il se passe ensuite est hors de portée du Pôle Emploi.

    J’ai deux scéna­rios, celui où le candi­dat est pris, celui où il ne l’est pas.

    Le candi­dat est rejeté

    On force donc des chômeurs à candi­da­ter à des postes qu’ils ne veulent pas.

    Dans le meilleur des cas le candi­dat non motivé se conten­tera de faire perdre du temps lors des sélec­tions de CV et pendant une heure d’en­tre­tien.

    Parfois le candi­dat passera l’étape de l’en­tre­tien et devra être remer­cié pendant sa période d’es­sai. Il faut dire qu’il n’a aucun inté­rêt à faire des efforts. Au pire il est licen­cié et revient à la case chômage qu’il ne voulait pas quit­ter.

    C’est peut-être le scéna­rio du pire. L’em­ployeur doit reprendre son proces­sus à zéro après avoir perdu du temps et de l’argent, poten­tiel­le­ment des contrats ayant motivé l’ou­ver­ture de poste.

    Ne dites pas que ça n’ar­ri­vera jamais et que les non-moti­vés seront reje­tés lors des premières sélec­tions : L’objec­tif même de la mesure est que ça arrive. Sinon autant éviter de faire du perdre du temps à tout le monde avec des candi­da­tures inutiles.

    Le candi­dat est retenu

    Oh et… même si c’est peu probable, parfois l’ex-chômeur ne sera pas ne sera par remer­cié malgré son manque de moti­va­tion.

    Peut-être que l’em­ployeur n’aura pas fait suffi­sam­ment atten­tion avant la fin de la période d’es­sai. Peut-être que reprendre le proces­sus sélec­tion-inté­gra­tion de zéro lui coûte­rait trop cher.

    On a 5,8 millions de chômeurs inscrits à Pôle Emploi et personne ne doute qu’une écra­sante majo­rité ne souhaite que trou­ver un emploi. Nul doute que sinon c’est un autre chômeur – motivé – qui aurait pu prendre le poste. Le solde est donc virtuel­le­ment nul pour le Pôle Emploi… si on oublie tout l’ad­mi­nis­tra­tif pour forcer et contrô­ler les inscrits.

    Dit autre­ment on aura : une ex-chômeur pas motivé forcé à travailler, un autre qui restera au chômage alors qu’il était motivé pour travailler. L’em­ployeur aura un sala­rié non motivé plutôt qu’un motivé.

    Génial non ? On est dans le cas idéal, si jamais la mesure fonc­tionne.

    La réalité

    On est resté dans le cas idéal.

    Dans la réalité le chômeur se verra propo­ser des offres inadap­tées et devra justi­fier ses refus. Ceux qui sont le moins à l’aise risque­ront de finir radiés. Les autres vivront juste ça comme un harcè­le­ment par l’ins­ti­tu­tion même qui devrait les aider : Devoir perdre du temps à candi­da­ter à des offres inadap­tées ou s’ex­pliquer de nos refus… plutôt que de cher­cher un emploi.

    Juste une fausse bonne idée. Ce qui m’agace c’est que le système existe déjà. On sait qu’il ne fonc­tionne pas et ne produit que des effets pervers. Se trom­per une fois c’est dommage. Propo­ser en campagne quelque chose qui existe déjà et qui s’est révélé être un échec complet… là je suis moins conci­liant.

    Tout ça pour flat­ter l’idéo­lo­gie de ceux qui ne voient que des assis­tés dans tous les béné­fi­ciaires des systèmes sociaux.

  • [Poli­tique] Et si on faisait confiance aux experts ?

    Il est juste évident : Faisons confiance aux experts !

    Le diable est dans les détails.

    Qui désigne les experts ? Si on se base sur tous les gens qui ne savent rien, on tourne vite en rond et on vient juste d’ajou­ter un niveau d’in­di­rec­tion au système poli­tique actuel sans rien résoudre pour autant. Si on se base sur des méga experts qui se co-optent, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour entre­voir le risque d’une dérive voire d’une dicta­ture.

    Même en suppo­sant qu’on arrive à sélec­tion­ner des experts incon­tes­tables et que ces derniers soient tous alignés sur une même répon­se… l’enjeu est de savoir sur quels indi­ca­teurs on sélec­tionne la meilleure propo­si­tion.  Il est par exemple facile de mettre fin au chômage en suppri­mant tout le filet social et en ajou­tant des emplois à 1 €. Est-ce souhai­table pour autant ?

    Même au delà, si une solu­tion poli­tique parfaite implique la fin de la vie privée, est-ce souhai­table ? On peut choi­sir consciem­ment une solu­tion sub-opti­male mais qui respecte un peu mieux nos valeurs, nos aspi­ra­tions ou nos idéaux. Un modèle social se résume diffi­ci­le­ment à un tableau de chiffres objec­tifs.

    L’ex­pert étudie, analyse, éclaire, conseille. Choi­sir n’est pas une ques­tion d’ex­pert, c’est une ques­tion de volonté de la popu­la­tion.

  • L’ef­fi­ca­cité est-elle impor­tante ?

    Authueil a publié un très bon billet sur la profes­sion­na­li­sa­tion de la poli­tique. Je vous invite à le lire.

    Il a plei­ne­ment raison. On aura des élus d’au­tant plus effi­caces qu’ils auront une histoire derrière eux, avec un parcours, une carrière. Avoir une expé­rience d’as­sis­tant ou d’élu local est indé­nia­ble­ment un point fort.

    Il va même plus loin. Pour éviter le cumul, il faut mieux payer. Après trois mandats pour éviter des négo­cia­tions peu souhai­tables sous le manteau, il faut offi­cia­li­ser un pantou­flage contrôlé en donnant des postes aux anciens élus.

    Fran­che­ment je n’ai rien à redire à l’ar­gu­men­ta­tion. Si on veut des élus les plus effi­caces je veux bien me ranger à sa thèse.

    Le veut-on ?

    La qualité que je recherche le plus chez mes élus ce n’est pas tant d’être effi­caces, c’est de faire avan­cer mon idéal et mes choix poli­tiques. Je ne cherche pas des putains de gestion­naires.

    Si je voulais être effi­cace je pour­rais même propo­ser impo­ser un passage par Science Po ou par l’ENA, avec un examen ou un concours. Diable, on pour­rait même élever des jeunes enfants dès leurs premières années dans un objec­tif de gouver­ner. Ce serait diable­ment effi­cace.

    Puis pour éviter tout le gâchis d’ef­fi­ca­cité on pour­rait éviter trop de remises en ques­tion. On réserve la poli­tique et l’ad­mi­nis­tra­tion à une caste qui s’hé­rite de père en fils et de mère en fille. Le nouveau président pour­rait même systé­ma­tique­ment être le fils le plus doué du président sortant. La royauté et l’em­pire c’était effi­cace quelque part.

    Sauf que juste­ment, l’ef­fi­ca­cité n’est pas mon critère premier. Je suis prêt à payer une certaine effi­ca­cité contre un système qui corres­pond mieux à mes idéaux. C’est exac­te­ment pourquoi la propo­si­tion du gouver­ne­ment par ordon­nance m’avait fait horreur récem­ment.

    Je vois tous les défauts qu’il peut y avoir à créer une caste poli­tique avec un système de carrière, et je n’en veux pas. Pas insti­tu­tion­na­lisé tout du moins.

    Je ne crois d’ailleurs pas que le rôle de l’élu soit d’être le plus effi­cace ou le plus compé­tent. Dans l’idéal le rôle de l’élu est surtout de suivre des choix poli­tiques, et de s’ap­puyer pour le mettre en œuvre sur des gens qui eux savent gérer et ont l’ex­per­tise.

    Oui, je sais, je suis idéa­liste, mais juste­ment je tiens à cet idéal. Je ne veux pas le mettre au placard sur l’au­tel de l’ef­fi­ca­cité.

    Tout n’est pas à jeter pour autant dans les propos d’Au­thueil : Oui il faut proba­ble­ment payer plus certains postes poli­tiques – mais en même temps beau­coup plus contrô­ler le système des frais ou des enve­loppes publiques. Je ne trouve pas non plus idiot d’ou­vrir un poste de fonc­tion­naire à ceux qui ont eu 15 ans de mandat. J’ai juste plus de doute que ces élus soient prêts à se mettre au service de l’ad­mi­nis­tra­tion et des futurs élus plutôt qu’ex­clu­si­ve­ment à la tête d’une struc­ture.

  • Chaque fois qu’on me dit « je ne vote pas, la poli­tique ça ne sert à rien »

    Je lis une suite de tweets qui commence par « Chaque fois qu’on me dit ‘je ne vote pas, la poli­tique ça ne sert à rien’ ». C’est telle­ment évident aujourd’­hui qu’on oublie combien la poli­tique a formé notre quoti­dien.

    La poli­tique c’est – en vrac – l’abo­li­tion de l’es­cla­vage, le droit de vote des femmes, les congés payés, la sécu­rité sociale, la retraite, le temps de travail, les droits au chômage, la fin de la peine de mort, l’édu­ca­tion gratuite et obli­ga­toire, le droit à l’avor­te­ment et à la contra­cep­tion ou l’Union euro­péenne.

    Vrai­ment ? tout ça n’au­rait servi à rien ?

    C’est trop facile de se dire que tout ça est ancien et qu’aujourd’­hui c’est diffé­rent. Louis-Napo­léon Bona­parte était empe­reur de France il y a moins de 150 ans. La dernière aboli­tion de l’es­cla­vage date de 1848. Tout ce que nous tenons pour acquis est en réalité très récent, souvent nos plus anciens s’en souviennent encore.

    Nous avons fait beau­coup et pour­tant tout reste à faire. Des gens meurent de faim ou de froid en France. D’autres fuyant la guerre sont refou­lés à la fron­tière ou meurent en tentant d’y arri­ver. Les condi­tions de travail provoquent des suicides et nous avons toute une caté­go­rie de travailleurs pauvres qui ont du mal à vivre au jour le jour. Les discri­mi­na­tions sur le genre, le faciès ou la reli­gion sont telle­ment fréquentes qu’elles sont parfois portées en éten­dard par nos élus.

    Nous avons même eu des élus qui ces derniers temps montent au créneau contre l’État de droit, contre la consti­tu­tion ou contre l’obli­ga­tion de respec­ter la conven­tion euro­péenne des droits de l’hu­main.

    Diffi­cile d’ima­gi­ner plus essen­tiel comme débat.

    On peut dire que la poli­tique ne sert à rien. On peut ne pas s’im­pliquer et lais­ser faire. Effec­ti­ve­ment, ainsi nous ne réali­se­rons rien, créant une sorte de prophé­tie auto-réali­sa­trice.

    Ou alors, malgré toutes nos décep­tions, même sans croire que les choses bouge­ront de notre vivant, on peut au moins ne pas aban­don­ner, parce que c’est impor­tant de lais­ser ça survivre pour nos enfants.


    Comme l’au­teur de la série de tweets, je ne vise pas ceux qui s’abs­tiennent de voter, par convic­tion et par acti­visme poli­tique. Ceux là font de la poli­tique, la font vivre.

    Je m’adresse à tous ceux qui aban­donnent, laissent tomber, ne votent pas simple­ment parce qu’ils n’y croient plus ou que ça demande un peu d’ef­fort sans garan­tie de résul­tat, ceux qui attendent d’avoir un envi­ron­ne­ment poli­tique parfait pour pouvoir donner leur voix : Impliquez-vous.

  • Diffé­rence de rému­né­ra­tion en fonc­tion de la zone géogra­phique

    Aujourd’­hui j’ai la bonne surprise d’avoir entendu « peu importe que vous soyez sur Paris ou sur Lyon, le salaire est en fonc­tion de ce que vous appor­te­rez à la société ». J’ap­pré­cie.

    J’ai trop vu de socié­tés condi­tion­ner un muta­tion hors Île de France à une baisse de 15 ou 20 % de salaire, ou refu­ser des embauches en région parce que les préten­tions de rému­né­ra­tion étaient celles d’un employé pari­sien.

    * * *

    « c’est le marché, pourquoi paie­rai-je plus cher si je peux quelqu’un au prix local ? ».

    Il y a plein de raisons de ne pas se conten­ter du marché.

    Avec l’ar­gu­ment du marché on légi­time de payer 20% de moins les femmes, 30 % de moins les chômeurs qui ont besoin de trou­ver un emploi, 50% de moins les handi­ca­pés, et de payer au mini­mum légal tous ceux qui n’ont « pas le choix ». C’est effec­ti­ve­ment le marché, mais pas accep­table pour autant.

    À tous ceux qui se diront immé­dia­te­ment « oui mais là tu fais de la discri­mi­na­tion Éric », je rappel­le­rai qu’ar­bi­trer diffé­rem­ment en fonc­tion du lieu de rési­dence est aussi une discri­mi­na­tion simi­laire au sens de l’article 225–1 du code pénal ainsi qu’au sens de l’article 1132–1 du code du travail. C’est une discri­mi­na­tion légale vali­dée par un arrêt de la Cour de cassa­tion mais une discri­mi­na­tion quand même.

    Il y a de toutes façon le côté humain. Est-ce vrai­ment votre poli­tique RH que de tenter de rabais­ser chaque colla­bo­ra­teur jusqu’à son point de rupture finan­cier person­nel ?

    Bref, ce n’est pas moral. Ce n’est en réalité même pas ration­nel écono­mique­ment.

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    Ration­nel­le­ment, si j’ai le choix entre un sala­rié hors Paris à pour 3 000 € et un sala­rié à Paris pour 3 500 €, pourquoi pren­drais-je celui à Paris ?

    Si je n’ar­rive pas à recru­ter assez de monde hors Paris je vais devoir augmen­ter les rému­né­ra­tions. Pourquoi paie­rais-je un sala­rié en province à 3 000 € et un à Paris à 3 500 € plutôt que deux sala­riés plus compé­tents ou plus fidèles (parce que mieux payés) à 3 250 € en province ?

    Il serait irra­tion­nel d’al­ler payer plus cher des sala­riés à Paris si je n’ai pas besoin qu’ils soient à Paris. C’est encore plus vrai si on prend en compte la diffé­rence de coût des locaux de l’en­tre­prise dans l’équa­tion.

    C’est aussi une bombe à retar­de­ment pour quand un sala­rié pari­sien voudra démé­na­ger hors Paris, ou pour quand les sala­riés compa­re­ront leurs salaires et la valeurs qu’ils apportent, surtout si le télé­tra­vail se mêle à l’équa­tion. Je crois que pas mal de dépar­te­ments RH sous-estiment la valeur ajou­tée d’une grille sala­riale honnête et trans­pa­rente.

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    Il reste l’ar­gu­ment éthique et social mais ils m’in­ter­roge. Les entre­prises prêtes à payer plus cher leurs four­nis­seurs et pres­ta­taires en fonc­tion de critères sociaux et envi­ron­ne­men­taux me semblent assez rares. Celles prêtes à payer plus cher un débu­tant avec une grande famille dans une situa­tion person­nelle diffi­cile qu’un expert céli­ba­taire sans problème me semblent encore plus rares.

    Ce n’est pas non plus une ques­tion de s’adap­ter aux besoins pour vivre puisque vous ne payez proba­ble­ment pas signi­fi­ca­ti­ve­ment diffé­rem­ment celui dont le conjoint est au chômage de celui dont le conjoint a un bon boulot bien payé, celui qui a trois enfants du céli­ba­taire sans charge de famille, celui qui a un enfant handi­capé ou grave­ment malade de celui qui n’en a pas, celui qui a un gros crédit mal négo­cié de celui qui a hérité de ses parents, celui dont la maison a brûlé l’an­née dernière de celui dont la maison a pris 25% parce que la ligne de métro a été éten­due jusque chez lui, celui qui habite en zone HLM de celui qui habite dans le beau quar­tier plein de villas avec pisci­ne…

    C’est unique­ment une ques­tion de zone géogra­phique, pas une ques­tion éthique et sociale sur les besoins réels des sala­riés pour vivre.

    Ce que je ne comprends pas c’est, si vous ne négo­ciez pas à la baisse le tarif d’un four­nis­seur qui déplace son acti­vité en province, pourquoi diable trai­ter plus mal vos propres colla­bo­ra­teurs ?

    En plus de déva­lo­ri­ser les sala­riés hors de Paris, c’est un manque de respect humain tota­le­ment incom­pré­hen­sible. On est en train de dire qu’ha­bi­ter à Paris est un critère plus perti­nent pour une compen­sa­tion que tous les autres critères sociaux.

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    La seule expli­ca­tion sensée c’est le « on a toujours fait comme ça » qui peut être suivi par « chan­ger main­te­nant c’est compliqué, le budget ne permet pas de faire un rattra­page sala­rial massif ».

    Admettre que c’est irra­tion­nel est un premier pas. Ensuite, même si tout ne se change pas d’un coup, rien n’em­pêche d’y aller progres­si­ve­ment.


    Pour être plus complet, je parle de diffé­rences de rému­né­ra­tion ou condi­tions de travail en France métro­po­li­taine. Dès qu’on met l’in­ter­na­tio­nal dans la balance il y a beau­coup d’autres para­mètres sur la protec­tion sociale, la légis­la­tion, la culture, la langue, les distances, qui font que j’ai un avis poten­tiel­le­ment moins tran­ché.

  • « Les réformes par ordon­nances permettent d’ac­cé­lé­rer le débat »

    Le gouver­ne­ment par ordon­nance n’ac­cé­lère pas le débat, il le supprime, et ce n’est pas qu’un détail.

    Le système des ordon­nances c’est un mandat donné au gouver­ne­ment pour que ce dernier légi­fère à la place du parle­ment pendant une durée et sur un sujet donné. Les ordon­nances sont d’ef­fet immé­diat, sans débat ni vote. Il n’est même pas néces­saire que le parle­ment soit solli­cité pour rati­fier après-coup les ordon­nances réali­sées.

    On a déjà une procé­dure accé­lé­rée qui permet de n’avoir qu’un seul passage dans les assem­blée. On a le temps légis­la­tif programmé qui permet de limi­ter et minu­ter le débat devant chaque assem­blée. On a même la capa­cité de procé­der au vote sans débat ou d’im­po­ser le vote s’il n’y a pas une majo­rité des parle­men­taires qui s’ex­prime contre le gouver­ne­ment.

    Côté effi­ca­cité on a ce qu’il faut, jusqu’à l’ex­cès. Ici on parle d’al­ler plus loin. On parle de délé­guer une mission pour carré­ment se passer du parle­ment.

    Juste ça, se passer du parle­ment. Se passer des repré­sen­tants du peuple qui sont élus spéci­fique­ment pour débattre, amen­der et voter la loi. Ils ne pour­ront poten­tiel­le­ment faire aucune de ces trois tâches. Un petit groupe de non-élus le feront à leur place.

    L’ef­fi­ca­cité suppo­sée ne doit pas mener à oublier la démo­cra­tie. D’au­tant que légi­fé­rer devrait au contraire être lent. On devrait penser, réflé­chir, faire atten­tion, mani­pu­ler avec précau­tion, cher­cher l’adhé­sion de tous.

     

    * * *

    On me répond que c’est prévu dans la consti­tu­tion. C’est vrai aussi pour l’état d’ur­gence. Ça n’en légi­time pas les abus et les détour­ne­ments. Ça ne veut pas dire que ce sont des outils neutres à utili­ser simple­ment parce que c’est plus rapide. Ce que j’at­tends d’un président c’est qu’il défende le système, pas qu’il cherche à l’ex­ploi­ter.

    Remettre les pleins pouvoirs au président aussi est prévu dans la consti­tu­tion. Ce serait diable­ment effi­cace. Est-ce pour autant une bonne idée ?

    Les ordon­nances, bien que dange­reuses, ne sont pas illé­gi­times en soi. On les a utilisé pour des mesures néces­saires et urgentes, comme le main­tien de l’ordre en Algé­rie. Plus récem­ment on les a utilisé pour des ques­tions tech­niques, comme des trans­po­si­tions du droit Euro­péen, de la renu­mé­ro­ta­tion des codes légis­la­tifs (théo­rique­ment à droit constant), ou des simpli­fi­ca­tions du droit.

    Les employer pour juste éviter les débats et le vote des repré­sen­tants du peuple au parle­ment, c’est quand même tout autre chose. Quand bien même ce ne serait pas la première fois, ça reste inac­cep­table comme projet.

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    J’ai publié quelques minutes avant la réponse à « oui mais il aura été élu ». Ma réponse se résume assez bien dans :

    Son élec­tion ne lui donne abso­lu­ment pas un chèque en blanc.

    Son programme est connu dans les grandes lignes, mais que dans les grandes lignes. On est loin des détails d’un texte de loi.

    Quand bien même on aurait les détails, on va aussi élire toute une Assem­blée, tout aussi légi­time que lui. On l’aura élue juste­ment pour débattre et voter des lois et des déci­sions poli­tiques.

    Mais surtout, le type de scru­tin pour l’élec­tion prési­den­tielle fait qu’a­voir un élu n’im­plique abso­lu­ment pas l’ac­cord d’une majo­rité de la popu­la­tion pour son programme. Le prétendre est une impos­ture.

    Il y a 1 000 élus d’une bien plus grande diver­sité pour repré­sen­ter le peuple et débattre de la loi. Respec­tons-donc le circuit prévu pour ça.

  • Dans un système démo­cra­tique

    Je suis un peu effrayé de voir dans mes discus­sions récentes tant de gens qui sont prêt à se conten­ter d’un « il aura été élu ».

    Il m’en faut beau­coup plus que ça.

    Élire un président une fois tous les cinq ans ne suffit pas à un système démo­cra­tique, surtout avec une élec­tion au scru­tin unino­mi­nal tel qu’on l’a. Quel que soit le président qui sortira de l’élec­tion de mai cette année, il sera bien diffi­cile de prétendre que son projet est l’af­fir­ma­tion de la volonté du peuple (ou même de la majo­rité du peuple).

    La volonté du peuple elle est bien plus riche. Elle ne se résume pas en quelques points de projet sans détail précis, surtout quand le vote du second tour risque d’être surtout « est-ce que je veux Mme Le Pen au pouvoir ? ».

    Ce n’est pas pour rien qu’on a tout un parle­ment, deux assem­blées, et au total 1 000 élus pour débattre et voter. Déjà qu’eux-même sont assez peu repré­sen­ta­tifs de la propor­tion réelle des choix du peuple… n’en rajou­tons pas.

    Dans ce système chaque élu l’est pour lui délé­guer certaines charges, et celles-ci seule­ment, limi­tées dans le temps mais aussi dans leurs pouvoirs. Chacun a un rôle bien précis, qui permet de créer un ensemble avec des contre-pouvoirs, des gardes-fou, des débats. À défaut de voir le peuple déci­der direc­te­ment, on s’as­sure qu’il soit repré­senté au mieux et on limite le plus possible le risque que les pouvoirs soient concen­trés et abusés.

     

    Savoir où se situe la limite de la démo­cra­tie dans un système repré­sen­ta­tif est un débat inter­mi­nable, mais clai­re­ment « il a été élu » est tout sauf une garan­tie de démo­cra­tie. Ça n’au­to­rise pas tout. C’est à peine le début du commen­ce­ment. Ce n’est d’ailleurs même pas un passage obligé.

    Après tout, on peut très bien élire des rois ou des dicta­teurs.

  • Déman­te­ler l’idée même de l’au­to­rité

    « Sur l’en­semble du quinquen­nat je propose de réduire les effec­tifs de la fonc­tion publique de 8 %, a-t-il rappelé. C’est une néces­sité. C’est un objec­tif raison­nable ».

    Dénonçant « cet état d’es­prit qui nous a conduits à déman­te­ler l’idée même de l’au­to­rité », le candi­dat des Répu­bli­cains s’est inter­rogé :

    « A quoi sert-il de battre des records d’ef­fec­tifs, si dans les banlieues toujours plus de quar­tiers sont inac­ces­sibles aux poli­ciers et aux pompiers, si dans les tribu­naux toujours plus de jeunes délinquants ressortent libres, si dans les écoles toujours plus de profes­seurs entrent dans leurs classes avec la peur au ventre ? »

    C’est vrai, c’est logique. Pour contrer le déman­tè­le­ment de l’au­to­rité, rédui­sons donc les effec­tifs des poli­ciers, pompiers, juges et profes­seurs. Quitte à avoir de mauvais résul­tats, autant carré­ment faire chaise vide. Ce n’est même plus un aveu d’échec, c’est carré­ment un aban­don.

    – Extrait de La Tribune, cita­tions de François Fillon

  • Des trans­ports en commun gratuits

    J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi l’ac­cès aux trans­ports en commun n’est pas gratuit dans la plupart des métro­poles. J’in­clus là dedans les systèmes collec­tifs de vélos à la demande.

    Le fait de rendre le bus complè­te­ment gratuit coûtera 4,5 millions d’eu­ros à la commu­nauté urbaine [de Dunkerque], soit 10 % du budget total consa­cré aux bus — 20 Minutes

    4.5 millions d’eu­ros. C’est énorme mais… ce n’est pas la ques­tion. On parle de trans­port en commun gratuit mais en réalité il s’agit de trans­ports en commun finan­cés par la collec­ti­vité, et c’est déjà bien diffé­rent.

    Les gens paie­ront, de toutes façons. Il s’agit juste de savoir si on consi­dère que le trans­port est un enjeu collec­tif avec un béné­fice au niveau de la ville ou si c’est pure­ment indi­vi­duel. Si c’est une néces­sité pour la ville, il n’y a rien de choquant à le payer de façon collec­tive.

    Sachant ce que ça peut appor­ter comme service, comme attrait, comme flui­dité pour l’em­ploi, ou simple­ment comme réduc­tion des infra­struc­tures routières ou de leur encom­bre­ment, comme réduc­tion de pollu­tion… il y a peu de doutes pour moi.

    * * *

    Mais pour ceux qui veulent discu­ter chiffres, 4.5 millions ça repré­sente une dizaine de rond-points. Dans le budget de la ville, ils en dépensent déjà 2 millions rien que pour l’in­ves­tis­se­ment sur le station­ne­ment. Il faut 12.5 millions par an pour la voirie (10 millions annuels plus une enve­loppe d’au­tant répar­tie sur 5 ans pour l’in­ves­tis­se­ment).

    4.5 millions ça reste signi­fi­ca­tif sur un budget total de l’ordre de 190 millions, mais il y a bien des services qui ont un rapport utilité sociale / coût bien plus faible. Sans comp­ter que… « si l’on divise [ce] coût par le nombre de voya­geurs, et que ce nombre augmente forte­ment, alors on aura un service plus effi­cace »

    Ques­tion de choix poli­tique plus que de montant donc.

    * * *

    Ce n’est que le cas de Dunkerque. Ailleurs ça peut être autre­ment. Il semble que la billet­te­rie repré­sente 30% du coût à Lille. Le cas excep­tion­nel de Paris fait qu’on y monte à 52%.

    On peut déjà réduire d’un bon tiers en préle­vant direc­te­ment aux entre­prises ce qu’elles finançaient de toutes façons via le rembour­se­ment obli­ga­toire de moitié des abon­ne­ments de trans­port.

    Il reste­rait donc 20 à 35% du coût dans le cas le pire (esti­ma­tion perso au doigt mouillé). Oui c’est énorme, mais encore une fois ce n’est pas un coût à faire payer en plus mais un coût à faire payer autre­ment.

    Quand on sait que ce sont les plus pauvres qui prennent le plus les trans­ports en commun ou payent des tickets à l’unité, on voit que rendre tota­le­ment collec­tif le coût du trans­port en commun n’est pas un enjeu neutre socia­le­ment.

  • De la presse et des images

    Parce que le sujet est sensible il n’est jamais vain de rappe­ler : Ce sont mon opinion, mes pensées, mais ce ne sont que mon opinion et mes pensées, aujourd’­hui, en fonc­tion de ce en quoi je crois et avec ce que j’ai vécu.
    Je ne prétends pas avoir La Vérité. Vous avez le droit d’avoir une posi­tion diffé­rente, de l’ex­po­ser. Je ne vous demande que de m’en concé­der autant, avec respect et ouver­ture. Peut-être que nous évolue­rons en échan­geant.
    Ne venez ici que si vous êtes prêts à avoir le même état d’es­prit.


    Fallait-il la publier ? L’hor­reur de l’image d’aujourd’­hui était-elle néces­saire pour faire passer l’in­for­ma­tion et la prise de conscience ? Fran­che­ment je n’en sais rien mais mon propre avis n’a que peu d’im­por­tance dans l’his­toire.

    Ça n’a que peu d’im­por­tance parce qu’il me semble essen­tiel qu’un jour­nal d’in­for­ma­tion sérieux ait la liberté de faire ses propres juge­ments sur la ques­tion, et qu’au­cune auto­rité morale ne puisse dire que tel ou tel sujet est trop choquant pour faire partie de l’in­for­ma­tion.

    J’y tiens et ça me parait essen­tiel.

    * * *

    On m’au­rait posé la ques­tion avant publi­ca­tion, j’au­rais proba­ble­ment jugé que la photo de l’en­fant mort sur une plage il y a plusieurs mois étaient inutile et irres­pec­tueuse. Vu ce qu’a déclen­ché cette photo, j’au­rais eu tort. C’est le déclen­cheur de l’ac­cueil de dizaines ou centaines de milliers de réfu­giés et d’une prise de conscience d’une partie de l’opi­nion publique.

    Cette image a certai­ne­ment provoqué des trau­ma­tismes forts mais elle a aussi sauvé des vies. Trop peu par rapport à ce qui aurait été possible, mais des vies ont été sauvées.

    Je ne me vois pas dire que les problèmes que peu causer l’image ou sa publi­ca­tion sont insi­gni­fiant face à son rôle et son impact sur la société. Ça n’au­rait aucun sens. Les humains ne se jugent pas en compa­rant des chiffres dans un tableau. Mais juste­ment : Je me refuse aussi à dire le contraire.

    Parfois le jour­nal fait un choix de publi­ca­tion radi­cal. Des fois l’his­toire montre qu’ils ont eu raison. Des fois ce n’aura pas été le cas. Des fois les avis divergent même après coup.

    Je ne sais pas ce qu’il en sera pour l’image d’aujourd’­hui mais je défie quiconque de prétendre savoir à coup sûr. L’im­pact et la néces­sité sont bien diffi­ciles à juger, même après coup.

    * * *

    Et puisque ça a été une partie de la discus­sion : Je comprends ce que veut dire déclen­cher des angoisses ou des états impos­sibles qui peuvent durer des semaines ou amener au suicide. Je ne le nie pas, je ne le dimi­nue pas. C’est inima­gi­nable de me croire le faire pour ceux qui ont connu mon passé. C’en est même insul­tant.

    Mais en même temps je ne peux deman­der à la presse de masquer toutes les images et tous les sujets qui peuvent être un déclen­cheur chez quelqu’un. Je ne le souhaite même pas. Il ne reste­rait rien.

    * * *

    Je me rappelle qu’il y a à peine quelques années tout le monde défen­dait le droit à la publi­ca­tion de cari­ca­tures reli­gieuses.

    On ne parle pas ici de trau­ma­tismes mais ce n’est pas plus léger pour autant. Pour ces cari­ca­tures on a assumé le risques d’at­ten­tat et de morts. Plus loin, on a eu des morts à cause de ça. Des morts, et bien entendu tous les trau­ma­tismes qui vont avec pour les survi­vants.

    Publier ces cari­ca­tures n’avait aucune autre moti­va­tion que de défendre le droit de les publier. Et pour­tant, malgré les morts, malgré qu’on ne préten­dait aider à sauver personne, je n’en connais pas un qui oserait aujourd’­hui dire qu’on aurait du l’in­ter­dire.

    Alors oui, je crois que de la même façon on ne devrait pas inter­dire ou même repro­cher la publi­ca­tion d’une image d’hor­reur qui d’après leurs éditeurs ont un vrai but d’in­for­ma­tion, de prise de conscience et de mouve­ment d’opi­nion.

    * * *

    Je n’au­rais proba­ble­ment pas fait ce choix de publi­ca­tion mais je défend le droit à Libé­ra­tion de le faire. Même si ça pose plein de ques­tions toutes aussi justes les unes que les autres. Même si ça cause des trau­ma­tismes forts à des gens. Même si ça tue. Parce que s’ils jugent que ça a la moindre chance de peser dans le débat public, ça peut aussi faci­li­ter une inter­ven­tion et sauver toute une popu­la­tion, direc­te­ment aujourd’­hui ou indi­rec­te­ment demain.

    Oui c’est moche, et c’est une réflexion froide de ma part parce que juste­ment ce cas ci ne me déclenche rien moi-même, mais je n’ai pas d’autre réponse que celle-ci.