Auteur/autrice : Éric

  • [Inkto­ber] 3. rôti

    Couleur #996600 — Police Yaci­miento
  • [Inkto­ber] 2. Tranquille

    Couleur #66CCCC — Police Dream Only
  • [Inkto­ber] 1. Véné­neux

    Couleur #66900 — Police MB Think Twice
  • Une histoire de baga­gistes et de données person­nelles

    Une « étude » a été publiée, analy­sant l’ac­ti­vité Twit­ter autour de l’af­faire Benalla. L’étude tente de clas­ser et grou­per les acteurs, et donc leur attri­bue un couleur poli­tique. En fin d’étude, un peu de trans­pa­rence : Le site donne le lien vers deux fichiers avec les données quali­fiées.

    Problème : Ces fichiers sont donc des listes d’iden­ti­fiants auxquels on a asso­cié l’in­ten­sité de leur acti­vité poli­tique sur le sujet, et pour certains une quali­fi­ca­tion plus complète de proxi­mité avec certains médias ou types d’in­for­ma­tions/désin­for­ma­tions.

    Je me retrouve dans un des deux fichiers diffu­sés, évidem­ment contre mon gré. Résul­tat : Deux tweets. Un pour deman­der aux auteurs accès et infor­ma­tion sur le cadre de ce fichier. Un pour deman­der à la CNIL si tout cela est normal et quels sont mes moyens d’ac­tion (ce dernier sera doublé d’une demande papier, la CNIL ne répon­dant pas sur Twit­ter, mais ça permet de diffu­ser la demande publique­ment).

    Discus­sions

    Est-ce une donnée person­nelle ? Oui, il y a peu de doutes sur le sujet. Un iden­ti­fiant twit­ter est bien une donnée person­nelle. Il iden­ti­fie assez bien une personne, au même titre qu’un email, une adresse IP ou d’autres iden­ti­fiants de connexion. Le fait que ces iden­ti­fiants ne soient pas ratta­chés aux états civils des concer­nés ne leur retire en rien le quali­fi­ca­tif de donnée person­nelle. Voir la CNIL « qu’est-ce qu’une donnée person­nelle ».

    Sont-ce des données sensibles ? C’est moins évident pour moi. L’opi­nion poli­tique est une donnée dite « sensible » qui a un cadre parti­cu­lier et qui néces­site des consen­te­ments expli­cites. J’ai tendance à penser que l’ac­ti­vité poli­tique et son inten­sité est suffi­sam­ment lié à l’opi­nion poli­tique pour être sensibles, surtout quand c’est lié à un sujet précis, et que derrière l’étude fait des clas­se­ments où elle indique que sauf quelques rares cas, les acteurs signi­fi­ca­tifs sont tous clas­sés dans trois sphères poli­tiques d’op­po­si­tion et pas affi­liés LREM.
    On donne des indi­ca­tions poli­tiques ou de réac­tion à des infor­ma­tions poli­tiques, même si c’est en préjugé et pas exact à 100%, ça quali­fie à-priori pour être une donnée sensible.

    Mais c’est une infor­ma­tion publique, que tu diffuses volon­tai­re­ment ! Oui, et ça ne retire en rien le fait que ce soit une donnée person­nelle (Je cite la CNIL « Peu importe que ces infor­ma­tions soient confi­den­tielles ou publiques ») et le cadre qui s’y rattache.
    Pour enfon­cer l’évi­dence : Le fait que des adresses email soit publiées quelque part n’au­to­rise pas un tiers à les récol­ter pour en faire un fichier diffé­rent avec une fina­lité diffé­rente. La situa­tion est simi­laire avec d’autres iden­ti­fiants que les emails.

    Est-ce un fichier de données person­nelles ? La remarque m’a un peu abasourdi mais elle a été faite. Physique­ment il s’agit d’un fichier, qui contient des données person­nelles. Pour la défi­ni­tion légale, le CIL du CNRS répond aussi « tout ensemble struc­turé de données à carac­tère person­nel acces­sibles ». Et ici le trai­te­ment et la présen­ta­tion de données nomi­na­tives sous forme de liste pour leur accès direct est l’objet même du fichier. Si celui-ci n’en était pas un, pas grand chose serait consi­déré comme fichier.

    Les auteurs sont belges, ça ne concerne pas la CNIL française ! Peut-être. Je ne fais que deman­der à mon auto­rité locale quels sont mes moyens d’ac­tion. Une bonne partie des règle­men­ta­tions sont euro­péennes donc tout à fait appli­cables aux belges. Heureu­se­ment pour nous, les fron­tières euro­péennes ne blan­chissent pas l’uti­li­sa­tion de données person­nelles
    Je ne suis cepen­dant pas caté­go­rique. On a une étude qui concerne essen­tiel­le­ment des français, sur un sujet de poli­tique française, destiné à des français. Le fichier de données person­nelles est lui même hébergé sur un site français (dl.free.fr) avec des serveurs français et une entité légale française. Dire que la loi française est inap­pli­cable ici me semble aller un peu vite (mais quand bien même, l’au­to­rité française pourra bien me répondre sur comment exer­cer mes droits vis à vis d’au­teurs belges — la ques­tion posée est d’au­tant plus légi­time.

    Tu as aban­donné tous tes droits à Twit­ter, c’est un problème entre toi et Twit­ter ! Non. Quand bien même j’au­rais auto­risé Twit­ter à lui-même auto­ri­ser ses parte­naires à faire ça (plus sur le sujet plus bas), le droit d’ac­cès et d’in­for­ma­tion persiste pour tous ceux qui traitent mes données. J’exerce ce droit direc­te­ment vis à vis de ceux qui diffusent le fichier. Twit­ter est tota­le­ment étran­ger à la ques­tion (et pour l’avoir fait par le passé avant que ça ne devienne à la mode ou que le RGPD n’existe, Twit­ter, eux, répondent très sérieu­se­ment à ce type de requêtes).

    Ok, mais du coup les auteurs de l’étude ont bien le droit de faire ça parce que tu as tout cédé à Twit­ter ! Non. J’ai cédé certains droits. Un re-parcours récent des CGU et privacy policy de Twit­ter ne me montre rien qui auto­rise ce type de diffu­sion par les parte­naires de Twit­ter. Avec le RGPD ce devrait pour­tant être simple à trou­ver puisque les diffé­rents tiers doivent être listés avec l’in­té­gra­lité des fina­li­tés, une à une. Je ne m’avan­ce­rai pas à dire que ça n’est pas présent, mais je n’ai pas trouvé. Vous êtes les bien­ve­nus à me détrom­per (même si ça ne change rien à la légi­ti­mité de mes demandes d’in­for­ma­tion).
    À noter que l’ac­tua­lité est taquine puisque l’UFC a juste­ment gagné un procès contre Twit­ter pour faire quali­fier comme abusives certaines clauses, dont juste­ment le trai­te­ment et la diffu­sion de données person­nelles, et le fait de consi­dé­rer que ces données sont. « publiques » par défaut.
    Tout laisse à penser que les auteurs de l’étude ont juste utilisé l’API publique de recherche (ils donnent même leurs critères) et s’il n’est pas anor­mal qu’ils puissent récu­pé­rer les messages et faire des analyses statis­tiques dessus, ça ne les auto­rise pas à en tirer des fichiers de données person­nelles et encore moins à les diffu­ser.

    Mais c’est pour la recherche, l’ar­ticle 5b du RGPD auto­rise ces fina­li­tés ! J’avoue que je ne connais pas tout le cadre de cette auto­ri­sa­tion, mais le fait de trai­ter les données n’au­to­rise pas forcé­ment le fait de diffu­ser ensuite un fichier de données person­nelles alors que ce fichier ne repré­sente ni les données d’ori­gine (ie: les para­mètres de recherche, et éven­tuel­le­ment par exten­sion la sauve­garde des résul­tats de la recherche) ni les données de résul­tat (ie: les statis­tiques et éven­tuel­le­ment le nomi­na­tif des quelques comptes parti­cu­liers qui pour­raient être cités unitai­re­ment dans l’étude).
    La fina­lité de recherche est au moins enca­dré par l’ar­ticle 89 qui dit préci­sé­ment cela. Il aurait au mini­mum fallu anony­mi­ser les données (ce qui leur aurait fait perdre le quali­fi­ca­tif de données person­nelles), et ce qui n’a pas été fait.

    D’autres études font cela ! Je n’en suis pas si certain. Je suis curieux sur d’autres études euro­péennes récentes (post-RGPD) qui diffu­se­raient ainsi publique­ment des fichiers de données person­nelles (non anony­mi­sées) avec des infor­ma­tions sensibles, et ça sans l’ac­cord des concer­nés.
    Et quand bien même, si l’ar­gu­ment « d’autres le font » était légi­time, nos tribu­naux pour­raient immé­dia­te­ment fermer.

    Mais c’est une étude sérieuse ! En fait non. Au point qu’ils ont quali­fié dans leurs sources de désin­for­ma­tions une infor­ma­tion réelle et recon­nue comme telle (oui la voiture avait des giro­phares). Les critères pris et leur sélec­tion, les inter­pré­ta­tions faites, tout semble du travail rapide et sans grande valeur. Ne parlons même pas de revue par des pairs.
    Il y a surtout une « étude » qui est desti­née à faire la une pour servir de vitrine média­tique et deman­der des subven­tions, avec des choses qui buzzent un peu comme « les russes ». Mis à part pour l’uti­li­sa­tion du logi­ciel qui traite les données ensuite, il n’y a pas grand chose.
    Les études sérieuses font d’ailleurs à priori très atten­tion aux ques­tions d’ano­ny­mi­sa­tion, parce que ça fait partie du métier. Pas ici.
    Et quand bien même, ça n’au­to­rise pas tout, et ça ne délé­gi­time certai­ne­ment pas une demande d’in­for­ma­tion.

  • [Voca­bu­laire] le mentor et le …

    Comment nommer l’in­ter­lo­cu­teur du mentor ?

    Je voulais éviter les termes élève ou appre­nant qui me semblaient trop scolaires. Le mentor n’est pas un forma­teur mais un accom­pa­gna­teur. J’aime l’idée qu’on est en appren­tis­sage perma­nent mais je sais aussi bien l’image que ces termes vont donner chez des gens qui n’ont pas ce recul.

    Plus géné­ra­le­ment, je voulais éviter les termes qui laissent penser à un faible niveau de compé­tence pour la personne en face du mentor. Dans mon esprit un expert tech­nique reconnu inter­na­tio­na­le­ment peut tout à fait avoir un mentor (et pas forcé­ment un plus expert d’ailleurs). Les termes d’apprenti ou de stagiaire me gênent à ce niveau.

    Je veux aussi abso­lu­ment éviter les termes qui induisent une rela­tion de subor­di­na­tion forte. Ce n’est pas ma vision de la chose. Le terme de disciple me fait immé­dia­te­ment penser à la bande dessi­née Léor­nard avec le génie et son disciple proche de l’es­clave. Acolyte n’est que légè­re­ment mieux. 
    Protégé
    est mieux mais on risque d’en­trer dans le pater­na­lisme qui n’est pas forcé­ment de bon aloi, avec le risque de carré­ment infan­ti­li­ser sans le vouloir.


    Pour l’ins­tant il me reste pada­wan, qui doit être compris de tout le monde dans le métier mais j’avoue que j’au­rais aimé me sépa­rer des envi­ron­ne­ments de ninjas, rocks­tars et autres jedi. En être réduit à prendre un terme à partir d’une fiction de guerre des étoiles me semble hallu­ci­nant.

    On me propose mentoré, un peu par défaut. Je me vois bien utili­ser ce terme dans une thèse ou un article scien­ti­fique, proba­ble­ment moins dans le langage de tous les jours, et pas quand la personne est proche. Quitte à utili­ser ce type de formu­la­tion, on me propose accom­pa­gné qui est peut-être plus joli car plus usuel.

    Il y a aussi condis­ciple et compa­gnon. Même si on perd la notion de mento­rat, compa­gnon est encore ce que j’ai trouvé de mieux, sans que cela ne me convienne vrai­ment (et puis, ça se fémi­nise comment compa­gnon ?). Il y a une notion de commu­nauté, j’y colle (peut-être à tort) une image d’entre-aide et d’ap­pren­tis­sage perma­nent quand c’est dans un contexte profes­sion­nel arti­san.

    Quitte à rester dans cette méta­phore, affi­lié pour­rait éven­tuel­le­ment conve­nir. Dans le compa­gno­nage c’est celui qui a fini son appren­tis­sage et qui est inté­gré à la commu­nauté mais toujours consi­déré comme en perfec­tion­ne­ment. On a une proxi­mité avec la notion de filia­tion profes­sion­nelle qui ne me déplait pas. Il reste que l’affi­lié n’est pas un compa­gnon à part entière, donc je garde­rai donc proba­ble­ment compa­gnon rien que pour ça.

    Avez-vous d’autres propo­si­tions ? (je mettrai à jour le billet)

  • Fire­fox, « anonyme par défaut »

    J’ai­me­rais avoir un Fire­fox confi­guré en « anonyme par défaut ». Ça veut dire deux choses :

    1. Un site ne doit pas pouvoir parta­ger ou croi­ser les données avec un autre ;
    2. Un site ne doit pas pouvoir faire persis­ter des données plus long­temps que la session en cours.

    Si je veux garder une authen­ti­fi­ca­tion perma­nente ou auto­ri­ser des croi­se­ments (par exemple pour des SSO), c’est à moi de le deman­der expli­ci­te­ment.

    Ça pour­rait être fait par une double préfé­rence liée à chaque domaine, quelque chose du type « auto­ri­ser le domaine X à stocker des données persis­tantes dans ce contexte » et « ne pas isoler le domaine X en fonc­tion de l’ori­gine de la page prin­ci­pale ».


    Un site ne doit pas pouvoir parta­ger ou croi­ser les données avec un autre

    Ce premier point est rela­ti­ve­ment bien couvert. L’ex­ten­sion first party isola­tion fait exac­te­ment ça. En gros tout le stockage (cookies, local­sto­rage, indexeddb) est segmenté par l’ori­gine de la page prin­ci­pale dans l’on­glet.

    Le compo­sant Face­book inclut dans les pages de LeMonde ne parta­gera aucune données avec celui inclut dans les pages du Figaro. Il restera l’adresse IP et diverses tech­niques de finger­prin­ting, mais ça va un peu limi­ter.

    Je navigue avec depuis des mois, plutôt avec succès. Il y a encore du boulot. Il faut le désac­ti­ver tempo­rai­re­ment pour faire la confi­gu­ra­tion initiale de Pocket dans Fire­fox, ou pour le SSO « se connec­ter avec google » de quelques sites (pas tous, d’autres fontionnent bien) mais globa­le­ment ça passe très bien.

    Une fois corri­gées les anoma­lies et ajou­tée une façon de désac­ti­ver l’iso­la­tion site par site, ça sera parfait.


    Un site ne doit pas pouvoir faire persis­ter des données plus long­temps que la session en cours

    Ce second point est plus compliqué.

    J’ai tenté initia­le­ment d’uti­li­ser les conte­neurs de Fire­fox pour ça mais tout ce que je peux faire c’est isoler des sites les uns des autres. Au final je me retrouve avec un conte­neur par défaut qui contient la majo­rité du trafic et qui conti­nue à garder mes traces de session en session.

    Il y a peu j’ai trouvé l’ex­ten­sion tempo­rary contai­ners. L’idée c’est que, par défaut, le navi­ga­teur charge un nouveau conte­neur tempo­raire dédié à chaque fois qu’on navigue vers un nouveau domaine. Ce conte­neur et ses données sont détruits dès qu’on ferme l’on­glet.

    Globa­le­ment ça fonc­tionne mais il y a quelques soucis de perfor­mance ressen­tie (au moins des ferme­ture/réou­ver­ture visibles d’on­glet lors des navi­ga­tions) et si on affecte un site à un conte­neur fixe pour éviter de se retrou­ver à chaque fois sur une page non authen­ti­fiée, on perd la capa­cité de l’uti­li­ser en paral­lèle dans plusieurs conte­neurs diffé­rents.

    J’ai globa­le­ment l’im­pres­sion d’abu­ser des conte­neurs pour quelque chose qui n’est pas fait pour.

    L’ex­ten­sion cookie auto­de­lete a une autre approche. On garde le fonc­tion­ne­ment normal des conte­neurs mais, par défaut, l’ex­ten­sion supprime les cookies d’un site dès qu’on ferme tous les onglets qui y mènent. Charge à l’uti­li­sa­teur de faire des excep­tions expli­cites site par site. Globa­le­ment ça fait le job mais ça n’ef­face ni le local­sto­rage ni l’in­dexeddb, ne parlons même pas du tracking par cache HTTP.

    Je trouve ça dommage. Intui­ti­ve­ment j’au­rais pensé que suppri­mer des données était plus facile à faire pour le navi­ga­teur que créer une isola­tion supplé­men­taire entre les sites.

    Suis-je le seul à cher­cher un tel niveau d’iso­la­tion ?

  • Le problème c’est la direc­tion

    Chaque fois qu’on me pointe un problème sérieux d’une équipe de déve­lop­pe­ment, le problème vient de la direc­tion (*). À. Chaque. Fois.

    Il n’y a que deux alter­na­tives.

    La première alter­na­tive c’est d’avoir recruté une équipe essen­tiel­le­ment compo­sée de mauvais, au point que les quelques rares bons se retrouve tota­le­ment immo­bi­li­sés ou s’en aillent. Notez que le problème vient alors du recru­te­ment et/ou de l’in­ca­pa­cité à donner carte blanche avec un vrai mandat aux quelques rares bons dans l’équipe. Dans les deux cas c’est c’est le boulot de la direc­tion.

    La seconde alter­na­tive c’est que des forces externes à l’équipe les empêchent de travailler effi­ca­ce­ment et de faire progres­ser vers un mieux. Ce peut être une ques­tion d’au­to­no­mie, de visi­bi­lité, de confort, de confiance, d’at­tentes ou d’objec­tifs peu perti­nents, de pres­sion, de commu­ni­ca­tion, d’ani­ma­tion, de forma­tion, de valeurs ou encore d’autres choses mais c’est externe à l’équipe. Le contexte c’est là aussi la direc­tion qui en est respon­sable, soit qu’elle est elle-même direc­te­ment fautive, soit qu’elle échoue à orga­ni­ser le reste de la société pour éviter ce contexte toxique.

    À. Chaque. Fois.

    Si vos équipes travaillent mal, prépa­rez-vous à ce que le chan­ge­ment majeur soit au niveau de la direc­tion.

    La source est là, simple­ment parce que sinon de bons ingé­nieurs travaillant ensemble finissent toujours pas trou­ver un compor­te­ment rela­ti­ve­ment correct. Quand la source est interne à l’équipe, ça peut être lent mais il y aura toujours un proces­sus d’amé­lio­ra­tion conti­nue qui donnera confiance sur l’is­sue. Il ne s’agira plus de corri­ger un problème mais d’ac­com­pa­gner l’amé­lio­ra­tion pré-exis­tante.

    Un ou deux ingé­nieurs peuvent dérailler mais pas toutes les équipes, pas à la fois, pas sans qu’il y ait une personne faci­le­ment iden­ti­fiable à qui donner une carte blanche pour mettre en œuvre autre chose, pas si le contexte mis en place par la direc­tion n’y est pas propice.

    Je ne dis pas qu’il n’y a jamais de problèmes au sein des équipes, ni qu’un inter­ve­nant exté­rieur ne peut pas aider l’équipe à s’amé­lio­rer ou à se réor­ga­ni­ser. Au contraire, c’est mon métier (et globa­le­ment celui de mana­ger). Par contre, quand on en est à un problème perçu par la direc­tion et que l’équipe ne tend pas à remon­ter la pente une fois le constat fait, c’est quasi­ment toujours qu’il y a un contexte assez moche autour.

    À. Chaque. Fois.

    Et pour­tant, encore et encore, à chaque fois on tente de mettre un direc­teur en confron­ta­tion, de faire du mana­ge­ment serré, de deman­der de travailler plus inten­sé­ment, de repro­cher les objec­tifs non tenus, et globa­le­ment de faire porter la faute aux équipes.

    Certes, c’est plus simple pour le CEO que de repro­cher à ceux d’en-dessous de mal travailler, mais c’est un peu fuir ses respon­sa­bi­li­tés, non ?


    (*) Par direc­tion j’en­tends CEO, Direc­teur produit, Direc­teur commer­cial, DSI, CTO, VP Engi­nee­ring, COO et globa­le­ment la struc­ture haute du mana­ge­ment. Au pire ça veut au moins dire le président, CEO ou direc­teur géné­ral qui est nomi­na­ti­ve­ment en charge de la boite, même pour celles qui sont offi­ciel­le­ment sans hiérar­chie.

  • « tu » ou « vous »

    Jeune, on m’a appris qu’on vouvoie les gens avec qui on n’a pas de rela­tion proche, une façon de montrer le respect.

    C’est en réalité moins relui­sant. On tutoie les enfants voire les plus jeunes. À l’in­verse on doit le vouvoie­ment à quelqu’un de bien plus âgé, à un supé­rieur hiérar­chique, à un élu ou repré­sen­tant quel­conque, à un méde­cin, à un préposé admi­nis­tra­tif à qui on demande quelque chose, et globa­le­ment à quiconque a une auto­rité ou un pouvoir sur nous.

    Ce n’est pas tant du respect que de la défé­rence et de la subor­di­na­tion, voire un rapport de domi­na­tion. Si c’était simple­ment du respect, on vouvoie­rait les amis les plus proches.

    Dans un échange c’est d’ailleurs toujours celui qui a l’au­to­rité qui a le droit de propo­ser le passage au tutoie­ment, l’op­posé serait malvenu. Il s’agit un peu de dire « je t’au­to­rise à me tutoyer [pauvre manant] ».


    Le truc c’est que la hiérar­chie ce n’est pas ma tasse de thé.


    Dans certains milieux le vouvoie­ment semble la règle. J’ai par exemple cru comprendre que les équipes de restau­ra­tion et d’hô­tel­le­rie se vouvoient au travail même quand ils se connaissent person­nel­le­ment.

    Dans le milieu infor­ma­tique ça semble l’op­posé. Le tutoie­ment est plutôt la norme. Le milieu star­tup en fait une règle quasi abso­lue, même si c’est souvent pour de mauvaises raisons (l’image moderne, jeune, cool et tous copains que certains veulent se donner pour des raisons marke­ting).

    Le résul­tat c’est qu’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais vouvoyé personne dans les entre­prises où j’ai été, DG et action­naires inclus. Ça n’était juste pas un sujet. On bosse ensemble ou on est amené à le faire alors on se tutoie.

    J’ai parfois vouvoyé des clients ou des pros­pects, mais proba­ble­ment très rare­ment des gens dans les divi­sions tech­niques, direc­teurs compris. En fait même les direc­tions géné­rales se tutoient assez faci­le­ment, y compris pour des grandes entre­prises très clas­siques. Ceux que j’ai tendance à vouvoyer sont plutôt les commer­ciaux et DRH, et pour les premiers c’est proba­ble­ment une marque de défiance ou de distance de ma part.


    Bref, j’ai du rédi­ger des annonces de recru­te­ment aujourd’­hui. Le « vous » me gênait pour la distance qu’il mettait, qui me semblait fausse vis à vis de mon expé­rience. C’était un peu prendre une posi­tion d’au­to­rité et de domi­na­tion alors que je n’ai jamais conçu la colla­bo­ra­tion profes­sion­nelle ainsi. Indé­pen­dam­ment de moi, ça ne me semblait pas reflé­ter la réalité des rela­tions dans l’en­tre­prise.

    Il reste que le « tu » des star­tups m’a tué, ce « tu » qui parle de baby­foot et fait semblant qu’on soit de vieux copains de skate­board et de concerts de métal alors que c’est une personne du marke­ting qui écrit les lignes après avoir lu des livres genre « la géné­ra­tion Y » en croyant que ça attire les jeunes.

    Bref, j’ai tout sauf envie de ressem­bler à ce « tu » star­tup, et visi­ble­ment c’est aussi lui qui semble repous­soir pour une partie des déve­lop­peurs qui m’ont aidé à choi­sir la bonne tour­nure. Je suis repassé au « vous », quitte à utili­ser un style très détendu autour de ce « vous ».

    Peut-être que je deviens vieux.


    Où est-ce que vous vous situez là-dedans de votre côté ? Quelle est la tour­nure que vous utili­sez au jour le jour quand vous n’avez ni rela­tion de proxi­mité ni rela­tion hiérar­chique ou de pouvoir ?

  • [Lecture] Colo­nies et nazisme

    [C]e formi­dable déve­lop­pe­ment techno-scien­ti­fique a produit une puis­sance jusque-là incon­nue qui a permis le déchaî­ne­ment de la colo­ni­sa­tion grâce aux armes à feu, et cette domi­na­tion sur le monde s’est faite non au nom de la problé­ma­ti­sa­tion mais de la néga­tion de la culture d’au­trui, au nom de la supé­rio­rité de la race blanche euro­péenne, supé­rio­rité qui a dominé toute l’his­toire de l’Eu­rope.

    L’ur­gence et l’es­sen­tiel, Edgar Morin

    À médi­ter, à l’heure où on a trop vite l’im­pres­sion que le nazisme de la seconde guerre mondiale est une atro­cité ponc­tuelle alors que c’est un mode de fonc­tion­ne­ment continu de notre conti­nent (au moins de celui-ci) depuis bien bien long­temps.

    Je n’avais jamais envi­sagé les choses sous cet angle. Et si le capi­ta­lisme n’était qu’une suite de cette « néga­tion de la culture d’au­trui » au nom de la supé­rio­rité de la race riche ?

    Colo­nies et nazisme, David Larlet

    Réflexion avec beau­coup d’écho chez moi quand je vois le trai­te­ment de l’im­mi­gra­tion actuelle mais aussi la consi­dé­ra­tion qu’ont ces gouver­ne­ments élitistes pro-écono­mie pour les gens qui n’ap­par­tiennent pas à leur caste, et l’op­pres­sion quoti­dienne qui en découle.

  • Deux mondes du travail

    Ils évoluent dans un monde où la souf­france au travail n’existe que dans les livres d’his­toire, et ils ne manquent pas de repro­cher systé­ma­tique­ment à leurs adver­saires de « faire du Zola » quand ils évoquent les horaires déca­lés des femmes de ménage, le burn out des soignants ou le taux de morta­lité des ouvriers. Infou­tus d’ad­mettre que leur posi­tion de domi­nants leur assure, du berceau à la tombe, un rapport enchanté au travail, les macro­nistes ne comprennent pas que si eux « ne comptent pas leurs heures », l’en­semble des sala­riés français ne le fassent pas aussi.

    Leur « éman­ci­pa­tion » n’est pas la nôtre, Regards.fr

    Ailleurs, mort au travail jugée en fin d’an­née dernière

    Les condi­tions de travail sont parti­cu­liè­re­ment diffi­ciles, comme le décrit l’un de ses collègues, entendu par la police : «  Il fait très chaud, et il y a beau­coup de pous­sière. Par exemple, ce matin, j’ai mesuré la tempé­ra­ture sur le casque de mon collègue et j’ai relevé une mesure de 350 degrés, donc imagi­nez ce que nous subis­sons… Parfois, nous pouvons rester pendant trois heures expo­sés à la chaleur, puisque nous devons enchaî­ner les conver­tis­seurs les uns après les autres. »

    […]

    « Notons que sur la majo­rité des sala­riés enten­dus, très peu savent que l’azote est utilisé pour le guni­tage et très peu en connaissent les proprié­tés dange­reuses ! » Et pour cause, dans le plan de préven­tion porté à la connais­sance des ouvriers, l’em­ployeur n’avait mentionné ni l’uti­li­sa­tion de l’azote, ni les risques encou­rus, ni les moyens de s’en proté­ger. […] La machine de commande dans laquelle était penché M. R. lors de son décès présente plus de 40 non-confor­mi­tés. Au vu de ces irré­gu­la­ri­tés, l’ins­pec­teur n’ex­clut pas qu’un échap­pe­ment exces­sif d’azote ait pu provoquer l’as­phyxie brutale de la victime.

    […]

    Le 17 avril, au lende­main du décès, l’ins­pec­teur du travail alerte déjà, par mail, le parquet : « J’ai pu consta­ter que l’en­vi­ron­ne­ment du poste de travail de la victime et les tâches qu’elle exécu­tait dans la nuit de son décès présen­taient plusieurs facteurs de péni­bi­lité qui pour­raient être à l’ori­gine de son décès (…) toute­fois seule une autop­sie de la victime permet­trait de le déter­mi­ner. Je pense qu’il convien­drait de deman­der l’au­top­sie de la victime M. R. » La requête a été renou­ve­lée trois jours après et six mois plus tard. Toutes ces récla­ma­tions sont restées lettre morte.

    La justice épargne Arce­lorMit­tal, Media­part

    Même endroit, jugé il y a quelques jours

    « C’était un gars très coura­geux qui n’ar­rê­tait jamais. C’est un garçon qui a été dans la galère du marché de l’em­ploi avant d’être là. Il m’a confié qu’il ne faisait que des petites missions d’in­té­rim en alter­nance avec le chômage. Je pense qu’il voulait montrer aux respon­sables qu’il avait envie de rester »

    […]

    « Le haut-four­neau, comme nous l’ex­plique Alexandre, fondeur depuis plus de 15 ans, pour Arce­lorMit­tal, c’est comme une sorte de marmite géante de plus de 80 mètres de hauteur qui peut produire 270 000 tonnes de fonte par mois. Cette fonte est portée à une tempé­ra­ture de plus de 1 500 degrés. Des trous sont faits dans cette marmite pour lais­ser couler la fonte en fusion, qui passe par des rigoles et est ensuite récu­pé­rée pour être utili­sée. On travaille aux bords de cette rigole qui fait 1,6 mètre de large et de 1 à 1,5 mètre de profon­deur. Il y a des nuages de fumée, de pous­sière. Il faut aussi s’ha­bi­tuer au bruit. Il peut y avoir parfois de fortes déto­na­tions, semblables à des gros pétards, déclen­chées par certaines machines. Rajou­tée à cela, l’ex­trême chaleur. C’est l’un des métiers les plus pénibles et les plus dange­reux. Mais on s’y habi­tue. »

    Le 13 juillet 2015, une déto­na­tion, plus forte qu’à l’ac­cou­tu­mée, sort de l’une des machines. Surpris, Jérôme est « d’un coup poussé en arrière, il n’avait plus d’équi­libre et il est tombé dans la rigole en arrière sur son côté gauche. Je me suis immé­dia­te­ment rendu sur place, mais il était trop tard. Il a tendu son bras vers moi, mais je ne pouvais pas l’at­teindre. (…) Il y avait des flammes d’au moins cinq mètres de haut. Je me suis écroulé (…) puis j’ai été pris en charge pour aller au centre médi­cal », raconte Laurent, témoin de l’ac­ci­dent. Trau­ma­tisé, Laurent a été en arrêt mala­die pendant deux ans et vient tout juste de reprendre en mi-temps théra­peu­tique.

    Les premiers constats de l’ins­pec­tion du travail relèvent une infrac­tion flagrante de la part d’Ar­ce­lorMit­tal : aucune protec­tion n’a été instal­lée pour préve­nir le risque de chute. Les ouvriers travaillent ainsi à quelques centi­mètres d’un liquide qui coule à plus de 1 500 degrés sans qu’au­cun dispo­si­tif ne les protège de ce danger.

    Acci­dent mortel dans une usine: la justice épargne encore Arce­lorMit­tal, Media­part

    Mais « la justice épargne Arce­lorMit­tal », et la ministre du travail pavoise dans un gouver­ne­ment qui nous parle de valeur travail comme d’un accom­plis­se­ment et qui pour le valo­ri­ser ne propose que de réduire les contraintes des employeurs ou de réduire la qualité de vie de ceux qui n’ont pas d’em­ploi.