Dégres­si­vité

Je m’agace de cette dégres­si­vité des indem­ni­tés chômage pour les hauts reve­nus. Tout ça n’est que déma­go­gie, pour donner l’im­pres­sion de mettre aussi à contri­bu­tion les plus riches.

En réalité, si on vise bien les plus hauts reve­nus — pas les grands patrons hein… on parle des cadres clas­siques — on parle de mettre à contri­bu­tion ceux qui sont en rade, au chômage, pas ceux qui s’en sortent ou qui ont de l’ai­sance de patri­moine.

On parle d’un palier à 4 500 € bruts mensuels, soit 3 540 € nets. L’in­dem­ni­sa­tion chômage est à 57% soit 2 435 € bruts, 2 155 € nets. Si on applique une réduc­tion de 30 % on tombe à 1 500 €. Ce n’est pas rien mais on imagine assez aisé­ment des loyers fami­liaux à Paris qui sont de cet ordre de gran­deur, et donc des charges fixes plus impor­tantes que ça. Ça va poser problème, peut-être à des familles qui ne sont pas les plus pauvres mais ça va poser problème.

Bref, on va péna­li­ser ceux qui ont un acci­dent de vie pour favo­ri­ser le pouvoir d’achat de ceux qui n’en ont pas. On a beau parler des hauts reve­nus, cette logique me gêne toujours.

Si vrai­ment on veut faire de la redis­tri­bu­tion sociale — ce qui déjà est un chan­ge­ment de para­digme par rapport au prin­cipe de l’assu­rance chômage — on pouvait avoir une coti­sa­tion progres­sive avec les reve­nus. Ça aurait pris sur ceux qui le peuvent plutôt que sur ceux qui sont en carafe. Ça serait peut-être juste moins bien passé auprès de l’élec­to­rat de la majo­rité, taper sur les chômeurs est moins risqué.


La grande ques­tion c’est toujours pourquoi ?

Pour les inci­ter à reprendre un travail

C’est la justi­fi­ca­tion offi­cielle mais c’est de la fumis­te­rie. On peut imagi­ner que certains seraient tentés de souf­fler quelques mois après un licen­cie­ment mais la dégres­si­vité n’ap­pa­rait qu’a­près six mois. Ce n’est donc pas ça qui est visé.

Non seule­ment il y a moins de cadres au chômage mais, si on ne compte pas les séniors, ils le sont aussi moins long­temps que la moyenne.

Ceux que ça va toucher c’est ceux dans des situa­tions spéci­fiques : hors zone urbaine dans un dépar­te­ment qui ne recrute que peu, avec une quali­fi­ca­tion ou un rôle qui fait que les postes sont rares et qu’il faut attendre qu’un se libère, et ceux détruits par le licen­cie­ment qui ont besoin d’un peu de temps pour se recons­truire.

Si on parle de cadres en plein emploi, prendre un an de chômage volon­taire c’est tuer sa carrière. Je ne vois personne faire ça volon­tai­re­ment, indé­pen­dam­ment du finan­cier. Les études sur la dégres­si­vité montrent d’ailleurs que ça n’au­rait une influence qu’à la marge.

En fait la dernière chose qu’on veut socia­le­ment c’est que ces cadres prennent en urgence un emploi sous-quali­fié pour éviter la dégres­si­vité. Ils pren­draient cet emploi à une personne moins quali­fiée qui lui aura bien plus de mal à trou­ver du chômage. En paral­lèle le cadre aura plus de mal à prendre le temps de faire sa vraie recherche d’em­ploi par la suite, et l’en­tre­prise devra réem­bau­cher quelqu’un d’autre dès que le cadre aura trouvé un travail en adéqua­tion avec sa quali­fi­ca­tion. C’est perdant pour tout le monde, que ce soit humai­ne­ment ou écono­mique­ment.

Parce que c’est le plein emploi pour les cadres

C’est quoi le plein emploi ? Je vais faire concret : 4% de chômeurs c’est 1 personne sur 25. Sur une classe de collège de 35 élèves dont un quart est dans une famille mono­pa­ren­tale, ça fait 2 à 3 parents qui galèrent au chômage, et là on ne parle que des caté­go­ries A, pas de tous ceux qui cherchent un emploi ou sont en situa­tion diffi­cile

1 sur 25 au chômage, 3 parents par classe. Ça remet un peu en pers­pec­tive la notion de « plein emploi » qu’on y attache, non ?

Il se trouve qu’une société en plein emploi aura toujours un % de chômeur non nul, parce qu’il faut gérer les tran­si­tions. Main­te­nant ça ne veut pas dire qu’un % faible corres­pond à du plein emploi. Ça ne dit rien de la faci­lité de ce % à retrou­ver un emploi. Ça peut être facile (beau­coup de monde qui tourne vite) ou très diffi­cile (peu de monde qui ne tourne pas vite du tout).

Regar­der au travers des moyennes est toujours une arnaque. Ça dit qu’en moyenne, la caté­go­rie ciblée est à 4% de chômage mais ce n’est certai­ne­ment pas homo­gène. Il peut y avoir certaines caté­go­ries de postes ou d’em­plois qui sont à 2% et d’autres qui sont à 10% de chômage. On va appliquer la dégres­si­vité indis­tinc­te­ment.

Si l’ou­vrier spécia­lisé en auto­mo­bile qui voit son usine fermer aura du mal à retrou­ver un emploi parce qu’il n’y avait qu’une seule usine auto­mo­bile dans la région, ça sera pareil pour le cadre spécia­lisé en auto­mo­bile. Les deux devront cher­cher, se former. La rota­tion des postes pour le cadre sera proba­ble­ment d’au­tant plus faible.

Consi­dé­rer que parce que les plus hauts reve­nus n’ont que 4% de chômage, s’ils y restent c’est forcé­ment de leur faute, c’est juste une escroque­rie.

Parce que les hauts reve­nus coûtes cher au chômage, ça fera des écono­mies

En fait non, ou peu. Les cadres sont rentables. Vu qu’ils sont moins au chômage et moins long­temps, ils cotisent plus qu’ils ne coûtent. Ce sont eux qui financent le chômage des non-cadres. Sachant que le chômage est une assu­rance et pas une aide sociale redis­tri­bu­tive, c’est assez diffi­cile de consi­dé­rer qu’il faudrait bais­ser leurs pres­ta­tions à eux unique­ment.

On parle de 250 millions. C’est à la fois énorme en valeur abso­lue et peu signi­fi­ca­tif dans le contexte. On parle de 3,5 milliards d’éco­no­mie. 14 fois plus. L’enjeu d’éco­no­mie n’était pas là… sauf s’il s’agit d’ini­tier un mouve­ment pour ensuite appliquer la dégres­si­vité des allo­ca­tions plus large­ment.


Pourquoi alors ?

Pour dire qu’on s’at­taque aussi au plus riches, parce que sans ça les autres chan­ge­ments défa­vo­rables à tous les chômeurs et parti­cu­liè­re­ment aux plus précaires feraient l’ac­tua­lité.

Pour le faire sans pour autant rompre la logique de culpa­bi­li­sa­tion de ceux qui sont hors parcours, sans reti­rer la notion de « pouvoir d’achat de ceux qui réus­sissent », cette magni­fique idéo­lo­gique qui tue le modèle social de redis­tri­bu­tion.

Il ne s’agit pas de pleu­rer sur ceux qui gagnent le plus et de jouer Les misé­rables. Il s’agit juste de dire que si on peut faire les faire parti­ci­per à hauteur de leurs possi­bi­li­tés, si ce n’est pas un problème que ces coti­sa­tions financent majo­ri­tai­re­ment d’autres besoins que les leurs propres, ça implique quand même que dans le rare cas ou eux aussi ont un acci­dent de vie, ils aient les mêmes droits assu­ran­tiels que les autres.

Ensuite je fais des calculs, je parle à froid, ration­nel­le­ment. La réalité c’est qu’au chômage en situa­tion psycho­lo­gique diffi­cile, le ration­nel ne compte pas toujours. Cette dégres­si­vité sélec­tive peut être sacré­ment destruc­trice, parce que la psyché humaine ne dépend pas de la dernière fiche de salaire avant de passer au chômage, tout simple­ment.


Alors quoi ?

Alors on peut faire payer les entre­prises qui abusent trop du système. Il y a une amorce avec le bonus/malus des emplois précaires et je m’en réjouis.

On éven­tuel­le­ment au moins discu­ter de coti­sa­tions progres­sives avec les reve­nus, même si ça fait déjà sortir de la logique assu­ran­tielle.

On peut aussi imagi­ner un délai de carence dépen­dant des reve­nus. Je n’aime pas le prin­cipe mais il est clair que celui qui a des hauts reve­nus a moins rapi­de­ment besoin de soutien que celui qui a des bas reve­nus. Si la situa­tion dure, les indem­ni­tés pleines et entières seront par contre indis­pen­sables.

Ma dernière propo­si­tion est l’exact contraire de ce que fait le gouver­ne­ment en ce moment. Ce n’est pas un hasard, c’est savoir si on est dans l’idéo­lo­gie de culpa­bi­li­sa­tion (si tu es au chômage c’est de ta faute parce que tu ne cherches pas un emploi assez fort) ou dans l’aide (si ça devient critique, on sera là pour que tu ne coules pas plus bas). La droite appelle ça respon­sa­bi­li­sa­tion et assis­ta­nat. Ques­tion de voca­bu­laire mais je préfère ne pas oublier que le troi­sième terme de notre devise est frater­nité.


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