Catégorie : Vie professionnelle

  • 120 € la jour­née

    Je vais peut-être jouer le trouble fête et je vais peut-être me faire huer, mais 120€ pour un junior je trouve cela correct. Entre 0 et 2 ans, les gens sortent de l'école (Et quand je parle d'école, c'est soit des écoles d'informatiques, de design, soit des écoles via des MOOC genre OpenClassrooms en 1 an, avec au final peu de compétences dans chaque matières, je sais de quoi je parle, j'ai été mentor pour eux.). Du coup 120€ je trouve ça suffisant pour ce type de profil ! Personnellement, je vis à Québec depuis bientôt 7 mois, et j'ai commencé à faire des piges (freelance). On est payés pour des contrats à genre 25$ de l'heure, voire 35$, et j'ai 5 ans d'expérience. (En gros ça fait un taux journalier compris entre 175 et 245$). On a le même taux d'imposition (environ 25%) et on vit pourtant très bien ! Bref tout ça pour dire que personnellement je trouve les tarifs corrects. Voir un junior avec un tarif journalier à 300€ serait tellement ridicule. C'est comme si l'expérience de la personne n'avait aucune valeur, et que finalement bah "tu es développeur (ou autre), tu dois avoir un salaire élevé". #YO-LO.

    Ça revient sur le tapis trop souvent alors on va la refaire. Les plus pres­sés peuvent passer direc­te­ment à la conclu­sion.


    Mettons qu’on parte sur 217 jours de travail poten­tiels, ce qui est plus ou moins la norme Syntec. Là dessus on peut comp­ter 10% du temps en admi­nis­tra­tif, commer­cial et avant-vente.

    Mettons aussi 5% de temps non facturé, pour compen­ser une erreur, une jour­née pas effi­cace, une jour­née à vide parce qu’on attend un docu­ment ou une vali­da­tion du client…

    On arrive à 184 jours factu­rés. Bien entendu un déve­lop­peur free­lance sans aucune expé­rience et donc sans réseau n’a aucune chance de factu­rer 184 jours sa première année (même ensuite on est dans le haut de la four­chette, et il ne sera plus sans expé­rience) mais imagi­nons tout de même, pour la beauté de l’exer­cice.

    184 jours x 120 € HT = 22 080 € factu­rés par la plate­forme.

    Là dessus il faut reti­rer les frais. On part sur un auto-entre­pre­neur (les autres statuts coûte­ront plus cher). Les coti­sa­tions sociales sont de 22,2% à préle­ver sur le chiffre d’af­faire. Il reste donc 17 178 € avant les frais.

    Dans les frais il y a déjà les 12% de la plate­forme, soit 2 650 € annuels.

    À ça j’ajoute au mini­mum : 300 € de respon­sa­bi­lité civile profes­sion­nelle, 50 € de compte bancaire dédié avec moyen de paie­ment, 500 € d’amor­tis­se­ment maté­riel moyen, 100 € de consom­mables et pape­te­rie, 300 € de CFE, 200 € de licences et saas. Parce que c’est essen­tiel je compte aussi 1 000 € de mutuelle.

    Ça parait beau­coup mais c’est large­ment sous-évalué. On compte en TTC, l’auto-entre­pre­neur ne se fait pas rembour­ser la TVA.

    Comp­tons aussi que pour travailler il occupe 6 m² dédiés chez lui (une demie-pièce) qu’on peut évaluer à 13 € mensuels le m² charges comprises (oui, c’est arbi­traire, mettons qu’il a un appar­te­ment pas cher dans une grande ville) soit envi­ron 1 000 €.

    17 178 – 2 650 – 2 450 – 1 000 = 11 078 € nets annuels.


    Un free­lance à 120 € par jour c’est moins de 80% d’un SMIC (13 845 € nets).

    J’ai pris le cas vrai­ment idéal, des frais réduits et quasi­ment aucun jour non facturé. En pratique ça sera beau­coup moins.

    Bien entendu pour ça il n’a aucune garan­tie de travail, aucune assu­rance chômage, impos­si­bi­lité sérieuse d’ac­cès au crédit, une galère pour trou­ver un loge­ment à cause de tout ce qui précède, et des indem­ni­tés symbo­liques en cas d’ar­rêt de travail pour raison de santé.

    Donc non un quart de moins que le SMIC ce n’est pas « correct » pour un plein temps avec une quali­fi­ca­tion très tech­nique. C’est même assez honteux de le suggé­rer.

  • Il parait qu’on nous apprend à apprendre

    Qu’a­vez-vous appris dans vos études supé­rieures qui vous serve encore aujourd’­hui ? Moi pas grand chose, et je pense qu’il en va de même pour la plupart des infor­ma­ti­ciens qui sont passés par le circuit des écoles d’in­gé­nieur clas­siques. Pour les autres il y a proba­ble­ment plus de concret mais on regarde bien vite au-delà des acquis de la forma­tion initiale.

    Il parait qu’on nous apprend à apprendre, à réflé­chir, à trou­ver des solu­tions à des problèmes nouveaux, que c’est le cœur de notre métier.

    C’est peut-être vrai mais à ce moment là c’est ensuite que ça dérape.

    Ensuite on ne parle plus de forma­tion ni d’ap­pren­tis­sage. Même le stage de fin d’étude n’est qu’une auto­ri­sa­tion à être un peu moins produc­tif ou à passer quelques jours à lire des docu­men­ta­tions.

    « Tu es déjà bien assez cher, on ne peut pas se permettre de te former à ce que tu ne connais pas. Si tu ne sais pas c’est que tu n’es pas la personne qu’il nous faut. Nous on veut quelqu’un qui puisse nous appor­ter de l’ex­pé­rience. »

    Plus on avance, plus on exige que l’in­for­ma­ti­cien sache. Il doit savoir tout faire, tout esti­mer, faire les bons choix du premier coup, imagi­ner l’ar­chi­tec­ture pour les 2 ans à venir d’un produit dont on n’a pas encore décidé à quoi il ressem­blera le mois prochain, comme s’il avait la science infuse.

    Dans le meilleur des cas on déclen­chera une pres­ta­tion d’ac­com­pa­gne­ment dans l’an­née sur un sujet haute­ment tech­nique ou une forma­tion excep­tion­nelle de deux jours sur une techno super récente, un peu comme si le savoir pouvait s’ache­ter sur étalage.

    Ne marchons-nous pas un peu sur la tête ?

    En plus d’être inef­fi­cace, cette façon de faire rend les colla­bo­ra­teurs soit mal dans leur peau (via la pres­sion, le senti­ment de ne pas y arri­ver) soit désim­pliqués (quand ils finissent par perdre confiance ou lâcher l’en­vie d’y arri­ver). Bien entendu le donneur d’ordre finit par raffer­mir ses attentes et son contrôle, alimen­tant la pompe pour un joli cercle vicieux dont il est diffi­cile de sortir.

    * * *

    Et c’est de pire en pire au fur et à mesure des respon­sa­bi­li­tés. Quand on parle de lead, je crois que je ne connais quasi­ment personne qu’on ait formé à ce poste et aux enjeux. Tu l’es ou tu ne l’es pas. Ça s’ar­rête là. Tu coûte déjà trop cher et personne n’est là pour prendre du temps à ça.

    Quand on commence à parler de mana­ge­ment ça devient déli­rant. Personne n’ex­plique, comme si avoir été enca­dré (pour ceux qui l’ont vrai­ment été) suffi­sait à savoir répondre aux besoins d’une équipe.

    Pas très éton­nant qu’on tombe faci­le­ment dans le culte du cargo au niveau des méthodes et des croyances.

  • Faire plus de réunions

    Je vois souvent des gens mili­ter contre les réunions. Mon expé­rience est oppo­sée. Faites des réunions, souvent, autant que néces­saire.

    Faites les courtes, avec un ordre du jour précis commu­niqué à l’avance et avec un livrable en sortie : déci­sion prise, infor­ma­tion parta­gée, docu­ment édité en commun ou assi­gna­tion de tâches.


    Se réunir c’est commu­niquer et colla­bo­rer. Je suis étonné que beau­coup ne se rendent pas encore compte que c’est le cœur du travail en entre­prise.

    Je n’ai encore jamais croisé d’or­ga­ni­sa­tion malade d’un trop plein de réunions bien menées. L’op­posé est par contre assez facile à trou­ver.

    Géné­ra­le­ment ces réunions sont néces­saires.

    Le problème n’est pas dans l’exis­tence de la réunion mais dans l’ab­sence de travail réalisé avant (prépa­ra­tion, ordre du jour, envoi des docu­ments utiles pour que chacun ait le contexte et puisse l’étu­dier au préa­lable), pendant (pas de cadrage, pas de livrable, pas de fil conduc­teur, pas de suivi de l’ordre du jour, personnes qui parlent sans savoir ou qui lancent des discus­sions hors sujet, voire non construc­tives) ou après (pas de suivi, actions à faire non assi­gnées à des respon­sables, pas de commu­ni­ca­tion au reste de l’en­tre­prise, pas de prise en compte des déci­sions).

    Du coup les réunions sont longues, semblent ne servir à rien (et souvent ne servent à rien). Les suppri­mer fait dispa­raitre l’ano­ma­lie visible mais ne répond pas du tout au besoin initial. On met juste la pous­sière sous le tapis en espé­rant que ça va bien se passer. C’est rempla­cer un mauvais fonc­tion­ne­ment par un autre.


    Atten­tion toute­fois : Ne rédui­sez pas les réunions à la partie effi­cace. Quand vos réunions seront courtes et centrées sur les besoins opéra­tion­nels, quand vous aurez éliminé les temps morts et les échanges hors sujet… l’en­tre­prise va en souf­frir.

    Il y a aussi besoin de respi­ra­tion. Il y a besoin du lien social où on demande à son voisin s’il a passé de bonnes vacances. Il y a besoin que la personne en face répète une énième fois la stra­té­gie ou le problème qu’il a, parce que tout n’est pas entendu la première fois. Il y a besoin que la personne à l’autre bout de la table parte parfois en hors sujet pour faire germer une idée ou remarque plutôt que de l’ou­blier l’ins­tant d’après.

    Ceci n’est pas un plai­doyer pour un joyeux bordel, mais les temps morts et les déra­pages sont dans une certaine mesure essen­tiels à l’en­tre­prise et à son bon fonc­tion­ne­ment.

    Une façon de voir c’est que les gens soient bien à l’heure, donc souvent cinq minutes en avance là où on se dit bonjour et où on créé le lien, et que les cinq à dix minutes suivant la réunion ne soient pas occu­pées, pour permettre aux gens d’échan­ger en mode « devant la machine à café ». Vous gardez la réunion effi­cace sans pour autant confondre les colla­bo­ra­teurs avec des robots.

  • Le burn-out en mala­die profes­sion­nelle, la FAQ

    J’en ai marre du FUD sur l’ins­crip­tion du burn out au tableau des mala­dies profes­sion­nelles alors je vais faire une petite FAQ.

    Je parle dans la suite de burn out mais si vous voulez être pédant vous pouvez parler du syndrome d’épui­se­ment profes­sion­nel. Ça fait plus scien­ti­fique mais ça revient au même.

    Ce n’est pas (offi­ciel­le­ment reconnu comme) une mala­die

    Si. Ça ne prête en fait pas vrai­ment à débat.

    La France est un pays qui aime bien les listes admi­nis­tra­tives mais on n’en est heureu­se­ment pas à défi­nir exhaus­ti­ve­ment ce qui est ou pas une mala­die en fonc­tion d’une liste offi­cielle. Cette liste offi­cielle exhaus­tive n’existe pas.

    Pour être complet, il existe bien une clas­si­fi­ca­tion inter­na­tio­nale mais qui a pour objec­tif de caté­go­ri­ser puis réali­ser des statis­tiques, pas de régle­men­ter ou défi­nir ce qui doit être reconnu ou non comme une mala­die. Elle fait de plus l’objet de critiques et contro­verses juste­ment concer­nant la section sur les mala­dies mentales.

    Nous n’avons même pas de défi­ni­tion légale de ce qu’est une mala­die au regard de la loi. Il nous reste donc le diction­naire :

    Alté­ra­tion de l’état de santé se mani­fes­tant par un ensemble de signes et de symp­tômes percep­tibles direc­te­ment ou non, corres­pon­dant à des troubles géné­raux ou loca­li­sés, fonc­tion­nels ou lésion­nels, dus à des causes internes ou externes et compor­tant une évolu­tion.

    Il me parait super­flu de démon­trer que le burn out entre bien dans cette défi­ni­tion. Pour les plus récal­ci­trants, le même diction­naire parle de mala­die (noire) pour un « état patho­lo­gique carac­té­risé par un état de profonde tris­tesse » et de mala­die (mentale, nerveuse ou psychique) pour du « trouble du compor­te­ment ».

    J’ai pris la défi­ni­tion du TLFi parce que ce diction­naire fait clai­re­ment réfé­rence mais si vous préfé­rez la plus offi­cielle neuvième édition du diction­naire de l’Aca­dé­mie française, on y trouve « Alté­ra­tion plus ou moins profonde et durable de la santé ; état d’une personne malade ». Sauf à nier la notion de santé mentale et de mala­die psychique, on peut faci­le­ment dire que le burn out quali­fie là aussi.

    À ceux qui ne se suffisent pas de l’ar­gu­men­ta­tion linguis­tique, le burn-out est suivi par des méde­cins et/ou psycho­logues, parfois de façon médi­ca­men­teuse (même si ce n’est clai­re­ment pas un bon critère pour iden­ti­fier une mala­die). Il est souvent la cause racine d’in­ter­rup­tions de temps de travail données par des méde­cins et vali­dées par la sécu­rité sociale. On a des docu­ments issus d’or­ga­ni­sa­tions et d’ad­mi­nis­tra­tions de santé à propos du burn out. Il est même excep­tion­nel­le­ment reconnu pour certaines personnes comme acci­dent du travail (sisi) ou comme mala­die profes­sion­nelle (preuve s’il en est que même l’ad­mi­nis­tra­tion consi­dère que ça peut en être une, le problème n’est pas là).

    L’ins­crip­tion au tableau n’est pas néces­saire

    Elle ne l’est pas. On peut tout à fait faire recon­naitre son burn out comme mala­die profes­sion­nelle sans que cette mala­die ne soit inscrite au tableau. Il y a une procé­dure pour ça, qui juge le cas indi­vi­duel. Certains cas sont accep­tés tous les ans.

    Le para­graphe précé­dent est d’ailleurs vrai pour *tou­tes* les mala­dies inscrites au tableau. *Tou­tes* pour­raient théo­rique­ment être recon­nues comme mala­dies profes­sion­nelles même si elles n’y étaient pas inscrites. L’enjeu n’est pas là.

    Le problème c’est que la procé­dure indi­vi­duelle est complexe. Il faut prou­ver la mala­die (ça c’est l’étape simple), que la mala­die peut être provoquée par les condi­tions de travail (ça reste faisable) mais aussi que ce sont ces condi­tions de travail et *exclu­si­ve­ment* ces condi­tions de travail qui ont déclen­ché la mala­die. Et là…

    Démon­trer l’ab­sence d’autres causes possibles, même partielles, c’est carré­ment mission impos­sible. Démon­trer l’ab­sence de quelque chose, c’est déjà géné­ra­le­ment un tour de force mais alors quand on parle de déter­mi­ner objec­ti­ve­ment et exhaus­ti­ve­ment les causes d’une affec­tion menta­le… ça devient du Houdini.

    Bref, il y a évidem­ment des excep­tions, des cas qui permettent d’ap­por­ter des preuves, ou même proba­ble­ment des dossiers excep­tion­nel­le­ment étudiés avec empa­thie et bien­veillance malgré des règles théo­rique­ment très strictes, mais autant dire que la procé­dure indi­vi­duelle n’est pas la solu­tion. N’es­pé­rez pas réus­sir.

    Le problème est d’ailleurs le même pour l’es­sen­tiel des mala­dies profes­sion­nelles. Tu es soumis à un agent patho­gène pendant des années. Tu tombes malade avec la mala­die corres­pon­dante. Théo­rique­ment rien ne prouve que tu n’au­rais pas pu l’at­tra­per ailleurs, que tu ne l’au­rais pas eu quand même.

    C’est *exac­te­ment* pour ça qu’on a créé le tableau des mala­dies profes­sion­nelles. Ça dit que si les condi­tions d’ex­po­si­tion sont réunies au travail (au deman­deur de le prou­ver) et qu’il a attrapé la mala­die décrite (à prou­ver aussi) alors dans ces cas là, et unique­ment dans ces cas là, on présume que la cause est proba­ble­ment profes­sion­nelle.

    L’em­ployeur peut toujours prou­ver que les condi­tions d’ex­po­si­tion n’étaient pas si réunies que ça, notam­ment par des mesures de préven­tion et des règles internes pour éviter l’ex­po­si­tion. Il peut toujours prou­ver qu’il y a d’autres causes pour un cas précis. Bref, ce n’est qu’une présomp­tion, mais elle permet d’évi­ter une preuve impos­sible à appor­ter, ou en tout cas d’évi­ter de reje­ter un nombre exces­sif de dossiers légi­times.

    On ne parle que de ça. Prou­ver qu’il y a un envi­ron­ne­ment propre à une pres­sion exces­sive, du harcè­le­ment moral, une déres­pon­sa­bi­li­sa­tion puis­sante et une situa­tion psychique propre à créer le burn out effec­ti­ve­ment subi, ça reste diffi­cile. C’est diffi­cile, subjec­tif, fran­che­ment pas une porte ouverte à toutes les demandes farfe­lues, mais entre ça et prou­ver l’ab­sence d’autres sources possibles, c’est le jour et la nuit.

    Pensez qu’il faut de plus faire tout ça alors qu’on est juste­ment dans un état de faiblesse et d’épui­se­ment mental extrême, parti­cu­liè­re­ment vis à vis de tout ce qui vient du milieu du travail. C’est un peu comme deman­der à un amputé des deux bras de rédi­ger lui-même par écrit les circons­tances de son acci­dent.

    On peut le faire recon­naitre comme acci­dent du travail

    Pour moi c’est le plus magni­fique contre-argu­ment. L’idée c’est qu’au lieu d’at­tri­buer le burn out à une expo­si­tion globale à une situa­tion profes­sion­nelle propice, on tente d’iden­ti­fier un fait déclen­cheur unique. Ça permet de quali­fier un acci­dent et de le faire recon­naitre ainsi.

    Ça fonc­tionne parfois, pour ceux qui arrivent à iden­ti­fier un événe­ment déclen­cheur spéci­fique, mais ça n’est en rien une solu­tion géné­ra­li­sable.

    C’est surtout un contour­ne­ment. Pour quali­fier un acci­dent du travail, il faut toujours prou­ver qu’il y a mala­die (les consé­quences de l’ac­ci­dent). Il faut toujours prou­ver que la cause est profes­sion­nelle. Il faut cepen­dant en plus prou­ver que cette cause a un fait déclen­cheur soudain et unique.

    En théo­rie ce devrait être plus limité, plus diffi­cile. En pratique la procé­dure est plus simple, plus ouverte.

    L’idée c’est donc de trou­ver un fait signi­fi­ca­tif sur lequel on pour­rait tenter de raccro­cher le burn out, quitte à esca­mo­ter tout le reste. Sauf dans quelques cas excep­tion­nels, on est à la limite de la fausse décla­ra­tion.

    Que certains en soient réduits à passer par là et que ça fonc­tionne démontre plutôt juste­ment à quel point le parcours de recon­nais­sance indi­vi­duelle de burn out en mala­die profes­sion­nelle est tota­le­ment inadapté. Il y a besoin d’un allè­ge­ment des preuves, exac­te­ment dans ce que permet l’ins­crip­tion au tableau prévu à cet effet.

    Et puis merde ! présup­po­ser que le syndrome d’épui­se­ment *pro­fes­sion­nel* a a-priori une cause liée à l’en­vi­ron­ne­ment profes­sion­nel est-ce vrai­ment si déli­rant que ça ?

    On préfère agir via une poli­tique de santé publique

    Faites donc. Il y a une telle absence d’ac­tion face au problème que ça ne peut pas faire de mal. J’ima­gine qu’une simple circu­laire inci­tant les admi­nis­tra­tions concer­nées à trai­ter les dossiers avec bien­veillance et empa­thie pour­rait déjà large­ment contri­buer à une amélio­ra­tion des choses. Même ça n’a pas été fait (ce qui pour moi est la preuve qu’il y a surtout une volonté de ne *pas* ouvrir la porte à des prises en compte de mala­dies mentales, du moins pas autre­ment qu’au compte goutte).

    On pour­rait aussi impo­ser aux employeurs de grandes entre­prises d’avoir des dispo­si­tifs de préven­tion et de prise en compte du problème. L’ins­pec­tion du travail pour­rait enquê­ter dans les domaines et entre­prises qui génèrent des taux anor­maux de burn out. Elle pour­rait aussi passer à la répres­sion quand les condi­tions humaines sont destruc­trices pour l’in­di­vidu. Pour ça on pour­rait recru­ter un peu dans l’ins­pec­tion du travail qui n’ar­rive déjà pas à gérer le strict mini­mum et où imagi­ner analy­ser l’en­vi­ron­ne­ment psychique doit rele­ver de la science-fiction.

    Bref, faites donc, mais je ne vois pas en quoi ce serait exclu­sif d’une inscrip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles. Au contraire, faire les deux serait d’une superbe cohé­rence dans l’ac­tion publique.

    Ça va amener plein d’abus

    FUD (fear, uncer­tainty and doubt).

    On ne parle déjà que de gens effec­ti­ve­ment atteints par le syndrome d’épui­se­ment profes­sion­nel, qui peuvent être recon­nus comme tels et le prou­ver. Ce n’est pas un truc marrant qu’on prend par plai­sir. On ne parle pas de simple­ment réper­to­rier tous ceux qui sont fati­gués ou n’ont pas envie d’al­ler travailler le lundi matin.

    Ensuite on parle de prou­ver des condi­tions. Chaque inscrip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles est liée à des condi­tions d’ex­po­si­tion profes­sion­nelles. Il faudra donc prou­ver que l’en­vi­ron­ne­ment corres­pond à celui de nature à créer des burn out. On parlera proba­ble­ment de pres­sion, de mana­ge­ment humi­liant, de harcè­le­ment, et globa­le­ment de situa­tion psycho­lo­gique destruc­trice. Il faudra le prou­ver, et imagi­nez bien que l’em­ployeur fera tout ce qu’il peut pour ne surtout pas lais­ser acter offi­ciel­le­ment qu’il a un tel envi­ron­ne­ment.

    Bref, on va permettre de faire effec­ti­ve­ment recon­naitre des cas de burn out sans deman­der l’im­pos­sible. On ne dit pas que ça va d’un coup être facile pour autant.

    Mais surtout, aujourd’­hui on sait que cette mala­die touche du monde, et que ça augmente de plus en plus. Les dossiers accep­tés sont peu nombreux. L’abus il existe déjà, aujourd’­hui, et il est au détri­ment des gens qui souffrent.

    En déter­mi­nant de quelle côté est la présomp­tion (le seul effet de l’ins­crip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles), on peut choi­sir la situa­tion qui génè­rera le moins d’injus­tices.

    Ce serait anor­mal de consi­dé­rer que l’em­ployeur est forcé­ment en faute

    Ça tombe bien, il n’en est pas ques­tion ici. Il s’agit d’at­tri­buer une cause qui permet à la sécu­rité sociale de couvrir plus ou moins bien les consé­quences de la mala­die, pas de dire si cette cause relève ou non d’une faute de l’em­ployeur.

    Il peut y avoir une mala­die profes­sion­nelle sans faute ni indem­ni­sa­tion spéci­fique de l’em­ployeur, comme il peut y avoir recon­nais­sance d’une faute et indem­ni­sa­tion du préju­dice sans recon­nais­sance pour autant d’une mala­die profes­sion­nelle.

    Main­te­nant à titre person­nel je ne verrai pas forcé­ment d’un mauvais œil qu’on commence à inquié­ter les employeurs quand le burn out vient de condi­tions humaines inac­cep­tables ou d’un défaut de préven­tion flagrant.

  • [Lecture] The surpri­sing thing Google lear­ned about its employees

    Project Aris­totle shows that the best teams at Google exhi­bit a range of soft skills: equa­lity, gene­ro­sity, curio­sity toward the ideas of your team­mates, empa­thy, and emotio­nal intel­li­gence. And topping the list: emotio­nal safety. No bullying. To succeed, each and every team member must feel confi­dent spea­king up and making mistakes. They must know they are being heard.

    Ça devrait sembler évident à tout le monde mais ça ne l’est pas encore. Offrir un bon contexte humain où les gens se sentent en sécu­rité pour agir est plus impor­tant que tout.

    Les imbé­ci­li­tés de « si on brûle les bateaux derrière eux ils avan­ce­ront d’au­tant plus vite » n’ont jamais fonc­tionné. La défiance et la pres­sion par la peur ou la menace non plus.

    The surpri­sing thing Google lear­ned about its employees — and what it means for today’s students

  • Chacun ses comptes

    C’était en 2010. Une collègue et amie divorce. C’est malheu­reux. Ça arrive.

    Le compa­gnon de l’époque est infor­ma­ti­cien et là, les ques­tions… Puis-je contac­ter mon avocate sans qu’il sache ce que je lui dis ? Il a le mot de passe du laptop, je déclare un peu la guerre si je les change, non ? Et comment faire pour savoir s’il n’y a pas un malware qui m’es­pionne ? Et le WIFI, peut-il inter­cep­ter ce que j’y fais ? Va-t-il fouiller ma boite email person­nelle pour cher­cher des anec­dotes qui lui permet­trait de contes­ter la garde de mes enfants ? il a peut-être le mot de passe, ou peut-être a-t-il une sauve­garde. Et mon télé­phone ? à l’époque le verrouillage n’était pas si commun. Et les photos de mes enfants ?

    À l’époque j’avais déclaré forfait : Je suis inca­pable d’as­su­rer que son conjoint n’écoute pas les conver­sa­tions, n’a pas implanté de malware, ou de l’as­su­rer qu’il n’y arri­vera pas à l’ave­nir. Aujourd’­hui je me dis que j’au­rais pu lui propo­ser un live-cd ou une clef USB bootable. Je n’y avais pas pensé à l’époque.

    On lui a conseillé de créer des comptes emails et stockage en ligne dédiés qu’elle n’uti­li­se­rait jamais depuis la maison ou depuis un appa­reil du foyer, de télé­pho­ner et de se connec­ter depuis le travail ou de chez des amis.

    Guérilla à domi­cile. Elle était infor­ma­ti­cienne. Pour d’autres ça peut être encore plus diffi­cile.

    Je ne sais pas si ses craintes étaient réalistes. Proba­ble­ment qu’elle non plus. Peu importe. Le stress du contexte sur le moment et la situa­tion de conflit font qu’on n’a pas besoin de lais­ser ce type de préoc­cu­pa­tions en tête en plus du reste.

    Des comptes parta­gés

    Cette histoire me revient après des échanges enten­dus à Paris Web à propos de l’auto-héber­ge­ment numé­rique.

    Je ne me fais pas héber­ger par mon conjoint. Ça m’est déjà arrivé, c’est un nid à emmerdes.

    Ce ne sont pas les mots d’ori­gine, mais ce que j’ai retenu du fond de l’in­ter­ven­tion.

    Combien de couples sont partis pour toute la vie et finissent par se sépa­rer ? Les moyens de pres­sion, d’es­pion­nage ou de menaces impli­cites sont gigan­tesques. « Surtout ne pas se fâcher avec lui-elle parce que sinon il n’est pas impos­sible que… »

    Même quand ça se passe rela­ti­ve­ment bien, j’ima­gine la diffi­culté de savoir qu’on est pieds et poings liés à son conjoint, dépen­dant de celui-ci ou à la merci de sa mora­lité. En cas de sépa­ra­tion c’est une belle galère.

    Bref : Chacun ses comptes email, ses stockages, ses droits d’ac­cès, même pour un couple fusion­nel qui prévoit de rester côte à côte y compris au cime­tière.

    C’est plus compliqué qu’un seul compte partagé, ce peut être diffi­cile à abor­der comme ques­tion, mais mieux vaut le faire quand ça se passe bien. Verrouiller son télé­phone unique­ment lors de la sépa­ra­tion c’est décla­rer la guerre alors que ça aurait pu bien se passer. Ne pas le faire c’est prendre du stress et se mettre soi-même à risque, ainsi que s refu­ser une inti­mité protec­trice au moment le plus critique.

    Sépa­rer les comptes numé­riques c’est fina­le­ment une ques­tion de respect, une façon de dire « J’ai confiance en toi, je sais que juste­ment tu fais tout pour éviter de me mettre un jour dans une situa­tion déli­cate si quelque chose devait arri­ver, et je vais faire pareil pour toi. »


    Et si ça vous arrive ?

    Je n’ai pas su le dire à l’époque mais si jamais vous vous sépa­rez d’un infor­ma­ti­cien : Il n’y a pas d’autres choix que de deve­nir para­noïaque.

    Ce n’est pas tant pré-juger que le conjoint fera quoi que ce soit de malvenu, mais simple­ment vous assu­rer votre séré­nité sur ces ques­tions et éviter tout le stress qui peut l’être. Et puis personne ne peut prédire l’ave­nir (la preuve, vous vous sépa­rez et ce n’était pas forcé­ment prévu au début de la rela­tion).

    1/ (faire) Réins­tal­lez de zéro télé­phone et ordi­na­teur, à partir de CD, clef USB et ordi­na­teurs qui ne viennent pas de la maison. Chif­frer les disques (télé­phone et ordi­na­teur).

    Mettez un mot de passe fort et dédié à cet usage (non, pas le même que d’ha­bi­tude avec juste une varia­tion). Acti­vez les verrouillages auto­ma­tiques après une période courte d’inac­ti­vité.

    Autre possi­bi­lité : Démar­rer depuis un Live-CD non réins­crip­tible préparé par un ami et écri­vez sur le CD pour qu’on ne puisse pas le chan­ger par un autre. Stockez tout en ligne, rien en local. Ce peut aussi être fait à partir d’une clef USB mais dans ce cas il faut réus­sir à la garder avec vous jour et nuit pour que personne ne puisse en modi­fier le contenu. Ça me parait plus diffi­cile.

    À défaut il y a le PC du boulot, les amis. Des smart­phones android à 50 € avec cartes data prépayées qui peuvent aussi faire parfai­te­ment l’af­faire. Bonus : Ça peut éviter de montrer publique­ment une défiance, et permettre de rester sur une sépa­ra­tion amicale.

    2/ Créez-vous une boite email dédiée, sur un espace que le conjoint ne contrô­lera pas. Recréez-vous de nouveaux comptes à partir de cet email ou dépla­cez les anciens comptes person­nels vers cet email de contact (celui qui contrôle l’email prin­ci­pal peut récu­pé­rer les mots de passe de tous les comptes qui y sont liés).

    Mettre un mot de passe fort et dédié à cet usage (non, pas le même que d’ha­bi­tude avec juste une varia­tion). Ne pas vous y connec­ter depuis la maison ou avec un maté­riel qui n’a pas été sécu­risé.

    3/ Faire une copie dès main­te­nant des photos, des archives, des docu­ments admi­nis­tra­tifs. Stocker chez un ami, un collègue ou au boulot.

    4/ Deman­dez accès aux comptes sur lesquels vous n’avez pas le mot de passe ou les iden­ti­fiants : Assu­rances, impôts, banque, sécu­rité sociale, mutuelle, …

    5/ Signa­lez à l’école que vous êtes en sépa­ra­tion. Ils savent gérer et s’as­su­re­ront au mini­mum que l’un des deux ne retienne pas des infor­ma­tions.

  • Respect du plan­ning et du péri­mètre

    Je lis les fiches de poste, je discute. Visi­ble­ment ce que les DG attendent prin­ci­pa­le­ment de leur direc­tion tech­nique c’est d’avoir de la visi­bi­lité sur la road­map et de garan­tir les délais de réali­sa­tion.

    Ne tape­rait-on pas un tout petit peu à côté ?

    Quand ça commence comme ça j’ai l’im­pres­sion que le boulot prin­ci­pal va surtout être de faire évoluer la DG, ou de s’as­su­rer que jamais oh grand jamais elle ne soit déci­sion­naire sur l’opé­ra­tion­nel.

    * * *

    Ce n’est pas ce qui était prévu ? Ça a pris plus ou moins de temps que prévu ? Ça couvre un péri­mètre fonc­tion­nel plus ou moins impor­tant que prévu ?

    Et alors ?

    Tant que les équipes livrent des réponses adéquates à un rythme correct, le reste n’est même pas secon­daire, c’est juste sans objet.

    On aurait peut-être pu faire une meilleure prévi­sion, mais peut-être pas. Ce qui est certain c’est qu’il y a quarante-douze trucs à plus forte valeur ajou­tée que de faire comme c’était prévu.

    Je préfère l’adé­qua­tion au besoin à l’adé­qua­tion au plan. Je préfère parler péren­nité, adap­ta­bi­lité, coût, inves­tis­se­ment, dette tech­nique, qualité, exper­tise ou capi­ta­li­sa­tion que meilleures esti­ma­tions.

    Et si le besoin est lié à une date précise, alors on livrera quelque chose à la date précise, du mieux qu’on le peux pour les ressources allouées. Peut-être pas ce qui est prévu ou espéré, mais quelque chose d’utile et perti­nent.

    * * *

    Si vous avez des problèmes de respect du plan­ning, ne commen­cez à pas à cher­cher des chan­ge­ments dans les équipes opéra­tion­nelles. Envi­sa­gez d’abord de faire chan­ger le fonc­tion­ne­ment de la direc­tion. Souvent le problème se situe là.

  • Accès à la produc­tion dès le premier jour

    J’avais publié il y a quelques temps une liste de contrôle pour l’in­té­gra­tion des nouveaux déve­lop­peurs. Dans la liste le nouveau venu reçoit et installe son poste de travail, se connecte aux outils de commu­ni­ca­tion, mais voit aussi confi­gu­rés ses accès au code source, à la plate­forme d’in­té­gra­tion conti­nue, et à la produc­tion.

    Oui, à la produc­tion. Dès le premier jour. Et je veux qu’il l’uti­lise dans la semaine.

    Idéa­le­ment tout le monde n’en a pas besoin (*). Toute­fois, si la personne est amenée à en avoir besoin dans le cadre de son travail, c’est dès le premier jour qu’on donne tout ça.

    Il y a deux risques. Le premier risque c’est celui de la boulette. Le second c’est celui de la malver­sa­tion volon­taire :

    * L’an­cien­neté dans l’en­tre­prise n’in­flue pas tant que ça dans la proba­bi­lité de boulettes. C’est plutôt l’an­cien­neté dans l’usage des accès qui compte, et il faut bien commen­cer pour l’ac­qué­rir.

    La boulette elle s’évite par des outils et des pratiques. On prépare, on teste, on fait des revues croi­sées puis on auto­ma­tise. Dans tous les cas on disso­cie tota­le­ment le contexte de produc­tion de celui de déve­lop­pe­ment. Les proces­sus ne doivent pas permettre d’in­ter­ve­nir en produc­tion par erreur ou par inad­ver­tance.

    * L’an­cien­neté n’in­flue pas non plus tant que ça dans le risque de malver­sa­tion volon­taire. On ne sait si quelqu’un souhaite abuser de ces accès qu’une fois qu’il les a, et même géné­ra­le­ment bien après.

    Tout ce que je peux faire c’est ajou­ter des jour­naux pour chaque action, faire des backups, et limi­ter qui a accès aux données sensibles. Parti de là, soit je donne l’ac­cès en produc­tion soit je ne le donne pas. Quitte à enfon­cer les portes ouvertes et paraitre naïf : Vu les respon­sa­bi­li­tés que porte un déve­lop­peur, si je n’ai pas confiance en lui je ne le recrute pas à la base.

    * * *

    Tout le monde semble d’ac­cord pour dire que le problème est du côté de l’en­tre­prise, et que ça ne mérite donc pas licen­cie­ment (**).

    Cepen­dant, pour moi l’er­reur est au niveau des proces­sus et des outils, pas sur le fait d’avoir donné des accès de produc­tion à un nouveau venu. Une erreur de copier/coller dans la confi­gu­ra­tion de poste aurait pu arri­ver à n’im­porte qui, indé­pen­dam­ment de l’an­cien­neté dans la boite.

    Que font les mots de passe de prod dans un docu­ment d’ins­tal­la­tion, plus en évidence que ceux de test ? Que fait la base de données de produc­tion acces­sible en écri­ture direc­te­ment depuis les postes de déve­lop­pe­ment ?

    * * *

    Aparté : (*) En théo­rie tout le monde n’en a pas besoin.

    L’iso­le­ment de la produc­tion se fait au fur et à mesure de besoins et de la crois­sance des équipes. En pratique il y a géné­ra­le­ment une plate­forme d’in­té­gra­tion conti­nue et des déploie­ments auto­ma­ti­sés (c’est le mini­mum). Main­te­nant ces déploie­ments demandent encore souvent les accès SSH de produc­tion pour celui qui les lance. La plupart du temps les batch, scripts et évolu­tions de base de données se font encore en ligne de commande. Quand à opérer suite à un problème constaté en produc­tion, là c’est l’ar­ti­sa­nal total pour la grande partie des équipes.

    Bref, surtout dans des petites équipes auto­nomes qui gèrent elles-mêmes leur produc­tion – ce que je tente de mettre en place, – il est fréquent que tout le monde soit amené à utili­ser les accès en produc­tion. C’est encore plus vrai quand on ne souhaite pas mettre une hiérar­chie forte où tous les déploie­ments sont forcé­ment faits par le lead.

    Même quand toutes les actions sensibles sont réser­vées aux lead ou que l’au­to­ma­ti­sa­tion est bien pous­sée, il faut encore des gens pour gérer la produc­tion. Ça veut dire une rota­tion des astreintes sur suffi­sam­ment de personnes pour palier aux congés et absences des uns et des autres, mais aussi au départ d’un ou deux membres de l’équipe.

    Diffi­cile de donner les clefs à moins de quatre personnes. Selon moi ce serait une erreur plus grave que de donner les clefs à la huitaine de déve­lop­peurs de l’équipe.

    * * *

    Seconde aparté : (**) Virer un déve­lop­peur parce qu’il a fait une erreur de bonne foi, ça me parait incom­pré­hen­sible, et ça quelle que soit la gravité des consé­quences.

    D’une, si des erreurs sont faciles, c’est d’abord un problème de proces­sus. De deux, tout ce qu’on obtient c’est la peur : Pas de prise de risque et éven­tuel­le­ment des gens qui vont cacher les erreurs ou cher­cher des excuses.

    Ce que j’at­tends c’est au contraire qu’on les expose pour qu’elles ne soient pas repro­duites et qu’on trouve des solu­tions de sécu­ri­sa­tion. Pour ça il faut un climat de confiance, qu’on se foca­lise sur « comment éviter » plutôt que « qui a fait ».

    On licen­cie quand la personne pour incom­pé­tence, pour malveillance, pour non suivi conscient des règles et procé­dures ou pour négli­gence grave. Il faut vrai­ment des erreurs répé­tées et ce malgré des proces­sus assez sécu­ri­sés pour consi­dé­rer qu’on ne peut pas garder un colla­bo­ra­teur.

  • Vous me deman­dez ce que j’en pense ? voilà

    Je suis triste à chaque fois que quelqu’un me fait passer un lien critique sur La Ruche pour me deman­der ce qu’il en est vrai­ment.

    Venez me parler en privé si vous voulez des détails ou des réponses sur un sujet ou un autre mais je vais donner ici l’es­prit géné­ral.

    Bien entendu ce qui suit n’en­gage et ne repré­sente que moi, d’au­tant que je ne travaille plus à La Ruche. Je n’ai pas non plus *la* vérité. Juste mon vécu.


    La Ruche s’est créée pour démo­cra­ti­ser les circuits courts, à l’aide de la tech­no­lo­gie. L’idée c’est que pour chan­ger la société qui nous entoure il faut embarquer tout le monde, et pas que les mili­tants convain­cus.

    Pour ça il faut faire des compro­mis. Pour toucher tout le monde il y a par exemple le choix d’avoir une offre large, quitte à ne pas avoir que du bio, quitte à y mettre de la viande, quitte à parfois devoir sour­cer un peu plus loin, quitte à s’ou­vrir à des trans­for­ma­teurs, etc. Pour toucher tout le monde il y a aussi le choix d’in­ves­tir dans la commu­ni­ca­tion, dans les outils, dans le logi­ciel, dans le person­nel, et de trou­ver du finan­ce­ment privé pour cela. Du coup oui, aussi, il y a une volonté d’ex­pan­sion, non seule­ment pour arri­ver à la masse critique qui permet que « ça fonc­tionne » mais pour juste­ment toucher tout le monde.

    On peut juger que ces compro­mis ne sont pas les meilleurs. On peut remettre en cause le choix de la démo­cra­ti­sa­tion. D’autres choix co-existent et c’est très bien ainsi ; ils sont complé­men­taires les uns des autres.

    Par contre à aucun moment je n’ai eu le moindre signe qui me fasse douter de l’in­ten­tion de l’en­tre­prise, des fonda­teurs ou des sala­riés. À aucun moment. Vrai­ment. Tous sont là pour parti­ci­per posi­ti­ve­ment à la société qui les entoure, convain­cus que les circuits courts y aidera.

    L’en­tre­prise est compo­sée de beau­coup de gens excep­tion­nels, souvent mili­tants, qui ne lais­se­raient proba­ble­ment pas passer la moindre action qui ne soit pas au béné­fice direct des produc­teurs, des respon­sables de ruche et des membres. En fait c’est peut-être moi qui passait pour le plus capi­ta­liste ou trop peu mili­tant par rapport au autres. Même les inves­tis­seurs privés, capi­ta­listes, sont partie inté­grante de ces choix sociaux.

    Critiquez les choix qui vous paraissent critiquables mais tout ce qui dépeint l’en­tre­prise comme non éthique ou comme fausse d’une façon ou d’une autre, est à mon avis tota­le­ment à côté de la plaque par rapport à ce que j’ai pu voir en interne – et je ne pense pas avoir pu manquer grand chose de majeur.


    Je pour­rais parler des heures des diffé­rents sujets et des critiques que je lis parfois sur le web mais je vais parta­ger une anec­dote :

    De nombreuses distri­bu­tions ont été annu­lées suite des atten­tats de Paris de novembre 2015. Certaines ont conti­nué à l’être par la suite.

    La seule préoc­cu­pa­tion de la réunion de direc­tion du premier jour ouvré suivant l’at­ten­tat n’était pas « la baisse de notre chiffre d’af­faire » ou « quelle commu­ni­ca­tion » mais « comment peut-on compen­ser le revenu des produc­teurs qui ont perdu ou vont perdre des ventes à cause des atten­tats ».

    De mémoire c’est fina­le­ment l’en­tre­prise mère qui a pris dans ses marges pour tenter de compen­ser partiel­le­ment le manque à gagner des produc­teurs.

    Pour moi ça veut tout dire.

  • « Visons la lune », points de contrôle avant départ

    Pour obte­nir des résul­tats excep­tion­nels il faut des objec­tifs excep­tion­nels.

    Sérieu­se­ment, visez la lune. Les équipes ne demandent que ça et, si les condi­tions sont réunies, ça finit souvent par donner des choses inté­res­santes.

    Souvent, pas tout le temps, et unique­ment si les condi­tions sont réunies.

    Le problème du mana­ge­ment à la française c’est de se conten­ter d’ap­pliquer des objec­tifs irréa­listes, croire que ça va tirer les gens vers le haut, et renvoyer ensuite un feed­back néga­tif sur les résul­tats pas à la hauteur. Non seule­ment ça ne fonc­tionne pas mais en plus ça donne des résul­tats oppo­sés.

    Points de contrôle avant départ

    • L’objec­tif intro­duit-il une rupture, un rêve, ou un mur à abattre ? quelque chose d’ir­réa­li­sable dans sa nature et pas juste un chiffre plus impor­tant que d’or­di­naire ?
    • L’objec­tif motive-t-il en lui-même et non simple­ment par la satis­fac­tion de la direc­tion, voire par crainte de l’al­ter­na­tive ou de l’échec ? L’échec est-il possible ? bien accepté ? L’objec­tif est-il complé­men­taire à un bon fonc­tion­ne­ment de la société ?
    • L’équipe est-elle sur une dyna­mique posi­tive, avec des résul­tats posi­tifs et célé­brés comme tels ?
    • L’équipe a-t-elle des ressources humaines et maté­rielles dispo­nibles qu’elle peut utili­ser à cet objec­tif complé­men­taire ?
    • L’équipe a-t-elle une pleine liberté d’ac­tion et de déci­sion ?

    Il s’agit plus d’oser faire diffé­rent, autre­ment, sans se préoc­cu­per de ce qu’on croit possible ou non. Si l’ému­la­tion est là, que les voyants sont au vert, il est possible de faire tomber énor­mé­ment de barrières jugées infran­chis­sables.

    Parce qu’il y a d’autres voies

    Si par contre vous répon­dez « non » quelque part ou si vous biai­sez un peu, proba­ble­ment ne faut-il pas cher­cher un objec­tif ambi­tieux.

    Il y a d’autres chemins possibles, peut-être plus adap­tées à la situa­tion :

    Si tout est contraint, qu’il n’y a pas de moyens ou de liber­tés, mieux vaut envi­sa­ger des petits pas qu’on pourra réus­sir pour cher­cher un peu plus de souffle à l’ave­nir.

    Si la dyna­mique n’est pas bonne mais qu’il y a moyens et liber­tés, mieux vaut cher­cher des prises de risque faibles mais suffi­sam­ment diffé­rentes des objec­tifs habi­tuels, le temps de retrou­ver un collec­tif posi­tif.

    Si le mana­ge­ment n’est pas capable de libé­rer des ressources, de donner la liberté à l’équipe ou d’ac­cep­ter que l’objec­tif ambi­tieux ne sera pas atteint : chan­gez de mana­ge­ment, vite :-)

    Et si vrai­ment rien n’est à même de faire rêver, aucune rupture à créer, c’est à vous de voir suivant vos objec­tifs de vie mais il y a peut-être des rêves à accom­plir ailleurs.

    Quelques scéna­rios trop vus

    Quitte à enfon­cer les portes ouvertes, la diffé­rence entre des objec­tifs ambi­tieux et des objec­tifs irréa­listes tient beau­coup de la percep­tion et du contexte.

    Il ne suffit pas d’un mana­ge­ment qui répète sa confiance avec force. Voici des cas chacun vu plusieurs fois, soit person­nel­le­ment soit dans des équipes proches. Ne faites pas ça, ne vous lais­sez pas embarquer dans ce qui ne sont que des objec­tifs irréa­listes :

    « On va mettre des objec­tifs élevés pour que les gens se dépassent » avec simple­ment des chiffres diffi­ciles à atteindre. Démo­ti­va­tion par l’échec, perte de confiance dans la vision du mana­ge­ment, au mieux un essouf­fle­ment parce qu’on a pris l’al­lure du sprint pour faire un mara­thon.

    « Pour que la société survive, il faut réus­sir à faire deux fois plus que l’objec­tif que nous avons échoué la dernière fois » accom­pa­gné d’une perte de liberté déci­sion­nelle parce qu’on ne peut pas échouer. Bonus pervers quand on sait qu’on n’y arri­vera pas et qu’on aura un plan B.

    « Nous voulons gros­sir et pour ça il faut faire beau­coup plus » en oubliant que c’est une bonne moti­va­tion pour les diri­geants ou les action­naires mais peu moti­vant sur la durée pour ceux qui réalisent.

    « Visons la lune » mais en réser­vant l’es­sen­tiel du temps et des ressources sur le courant et les objec­tifs de fonc­tion­ne­ment. Démo­ti­va­tion par senti­ment d’in­ca­pa­cité, qu’il soit justi­fié ou non.

    « Qu’est-ce que vous voudriez faire ? » avec une vraie volonté de mettre en capa­cité malgré les compro­mis à faire, mais après des projets qui ont systé­ma­tique­ment été décrits par le mana­ge­ment comme échoués, trop lents ou insa­tis­fai­sants. Manque soit d’adhé­sion au mana­ge­ment, de confiance et donc de moti­va­tion, soit manque de confiance de l’équipe en elle-même qui ne verra que les murs devant elle.