J’en ai marre du FUD sur l’inscription du burn out au tableau des maladies professionnelles alors je vais faire une petite FAQ.
Je parle dans la suite de burn out mais si vous voulez être pédant vous pouvez parler du syndrome d’épuisement professionnel. Ça fait plus scientifique mais ça revient au même.
Ce n’est pas (officiellement reconnu comme) une maladie
Si. Ça ne prête en fait pas vraiment à débat.
La France est un pays qui aime bien les listes administratives mais on n’en est heureusement pas à définir exhaustivement ce qui est ou pas une maladie en fonction d’une liste officielle. Cette liste officielle exhaustive n’existe pas.
Pour être complet, il existe bien une classification internationale mais qui a pour objectif de catégoriser puis réaliser des statistiques, pas de réglementer ou définir ce qui doit être reconnu ou non comme une maladie. Elle fait de plus l’objet de critiques et controverses justement concernant la section sur les maladies mentales.
Nous n’avons même pas de définition légale de ce qu’est une maladie au regard de la loi. Il nous reste donc le dictionnaire :
Altération de l’état de santé se manifestant par un ensemble de signes et de symptômes perceptibles directement ou non, correspondant à des troubles généraux ou localisés, fonctionnels ou lésionnels, dus à des causes internes ou externes et comportant une évolution.
Il me parait superflu de démontrer que le burn out entre bien dans cette définition. Pour les plus récalcitrants, le même dictionnaire parle de maladie (noire) pour un « état pathologique caractérisé par un état de profonde tristesse » et de maladie (mentale, nerveuse ou psychique) pour du « trouble du comportement ».
J’ai pris la définition du TLFi parce que ce dictionnaire fait clairement référence mais si vous préférez la plus officielle neuvième édition du dictionnaire de l’Académie française, on y trouve « Altération plus ou moins profonde et durable de la santé ; état d’une personne malade ». Sauf à nier la notion de santé mentale et de maladie psychique, on peut facilement dire que le burn out qualifie là aussi.
À ceux qui ne se suffisent pas de l’argumentation linguistique, le burn-out est suivi par des médecins et/ou psychologues, parfois de façon médicamenteuse (même si ce n’est clairement pas un bon critère pour identifier une maladie). Il est souvent la cause racine d’interruptions de temps de travail données par des médecins et validées par la sécurité sociale. On a des documents issus d’organisations et d’administrations de santé à propos du burn out. Il est même exceptionnellement reconnu pour certaines personnes comme accident du travail (sisi) ou comme maladie professionnelle (preuve s’il en est que même l’administration considère que ça peut en être une, le problème n’est pas là).
L’inscription au tableau n’est pas nécessaire
Elle ne l’est pas. On peut tout à fait faire reconnaitre son burn out comme maladie professionnelle sans que cette maladie ne soit inscrite au tableau. Il y a une procédure pour ça, qui juge le cas individuel. Certains cas sont acceptés tous les ans.
Le paragraphe précédent est d’ailleurs vrai pour *toutes* les maladies inscrites au tableau. *Toutes* pourraient théoriquement être reconnues comme maladies professionnelles même si elles n’y étaient pas inscrites. L’enjeu n’est pas là.
Le problème c’est que la procédure individuelle est complexe. Il faut prouver la maladie (ça c’est l’étape simple), que la maladie peut être provoquée par les conditions de travail (ça reste faisable) mais aussi que ce sont ces conditions de travail et *exclusivement* ces conditions de travail qui ont déclenché la maladie. Et là…
Démontrer l’absence d’autres causes possibles, même partielles, c’est carrément mission impossible. Démontrer l’absence de quelque chose, c’est déjà généralement un tour de force mais alors quand on parle de déterminer objectivement et exhaustivement les causes d’une affection mentale… ça devient du Houdini.
Bref, il y a évidemment des exceptions, des cas qui permettent d’apporter des preuves, ou même probablement des dossiers exceptionnellement étudiés avec empathie et bienveillance malgré des règles théoriquement très strictes, mais autant dire que la procédure individuelle n’est pas la solution. N’espérez pas réussir.
Le problème est d’ailleurs le même pour l’essentiel des maladies professionnelles. Tu es soumis à un agent pathogène pendant des années. Tu tombes malade avec la maladie correspondante. Théoriquement rien ne prouve que tu n’aurais pas pu l’attraper ailleurs, que tu ne l’aurais pas eu quand même.
C’est *exactement* pour ça qu’on a créé le tableau des maladies professionnelles. Ça dit que si les conditions d’exposition sont réunies au travail (au demandeur de le prouver) et qu’il a attrapé la maladie décrite (à prouver aussi) alors dans ces cas là, et uniquement dans ces cas là, on présume que la cause est probablement professionnelle.
L’employeur peut toujours prouver que les conditions d’exposition n’étaient pas si réunies que ça, notamment par des mesures de prévention et des règles internes pour éviter l’exposition. Il peut toujours prouver qu’il y a d’autres causes pour un cas précis. Bref, ce n’est qu’une présomption, mais elle permet d’éviter une preuve impossible à apporter, ou en tout cas d’éviter de rejeter un nombre excessif de dossiers légitimes.
On ne parle que de ça. Prouver qu’il y a un environnement propre à une pression excessive, du harcèlement moral, une déresponsabilisation puissante et une situation psychique propre à créer le burn out effectivement subi, ça reste difficile. C’est difficile, subjectif, franchement pas une porte ouverte à toutes les demandes farfelues, mais entre ça et prouver l’absence d’autres sources possibles, c’est le jour et la nuit.
Pensez qu’il faut de plus faire tout ça alors qu’on est justement dans un état de faiblesse et d’épuisement mental extrême, particulièrement vis à vis de tout ce qui vient du milieu du travail. C’est un peu comme demander à un amputé des deux bras de rédiger lui-même par écrit les circonstances de son accident.
On peut le faire reconnaitre comme accident du travail
Pour moi c’est le plus magnifique contre-argument. L’idée c’est qu’au lieu d’attribuer le burn out à une exposition globale à une situation professionnelle propice, on tente d’identifier un fait déclencheur unique. Ça permet de qualifier un accident et de le faire reconnaitre ainsi.
Ça fonctionne parfois, pour ceux qui arrivent à identifier un événement déclencheur spécifique, mais ça n’est en rien une solution généralisable.
C’est surtout un contournement. Pour qualifier un accident du travail, il faut toujours prouver qu’il y a maladie (les conséquences de l’accident). Il faut toujours prouver que la cause est professionnelle. Il faut cependant en plus prouver que cette cause a un fait déclencheur soudain et unique.
En théorie ce devrait être plus limité, plus difficile. En pratique la procédure est plus simple, plus ouverte.
L’idée c’est donc de trouver un fait significatif sur lequel on pourrait tenter de raccrocher le burn out, quitte à escamoter tout le reste. Sauf dans quelques cas exceptionnels, on est à la limite de la fausse déclaration.
Que certains en soient réduits à passer par là et que ça fonctionne démontre plutôt justement à quel point le parcours de reconnaissance individuelle de burn out en maladie professionnelle est totalement inadapté. Il y a besoin d’un allègement des preuves, exactement dans ce que permet l’inscription au tableau prévu à cet effet.
Et puis merde ! présupposer que le syndrome d’épuisement *professionnel* a a-priori une cause liée à l’environnement professionnel est-ce vraiment si délirant que ça ?
On préfère agir via une politique de santé publique
Faites donc. Il y a une telle absence d’action face au problème que ça ne peut pas faire de mal. J’imagine qu’une simple circulaire incitant les administrations concernées à traiter les dossiers avec bienveillance et empathie pourrait déjà largement contribuer à une amélioration des choses. Même ça n’a pas été fait (ce qui pour moi est la preuve qu’il y a surtout une volonté de ne *pas* ouvrir la porte à des prises en compte de maladies mentales, du moins pas autrement qu’au compte goutte).
On pourrait aussi imposer aux employeurs de grandes entreprises d’avoir des dispositifs de prévention et de prise en compte du problème. L’inspection du travail pourrait enquêter dans les domaines et entreprises qui génèrent des taux anormaux de burn out. Elle pourrait aussi passer à la répression quand les conditions humaines sont destructrices pour l’individu. Pour ça on pourrait recruter un peu dans l’inspection du travail qui n’arrive déjà pas à gérer le strict minimum et où imaginer analyser l’environnement psychique doit relever de la science-fiction.
Bref, faites donc, mais je ne vois pas en quoi ce serait exclusif d’une inscription au tableau des maladies professionnelles. Au contraire, faire les deux serait d’une superbe cohérence dans l’action publique.
Ça va amener plein d’abus
FUD (fear, uncertainty and doubt).
On ne parle déjà que de gens effectivement atteints par le syndrome d’épuisement professionnel, qui peuvent être reconnus comme tels et le prouver. Ce n’est pas un truc marrant qu’on prend par plaisir. On ne parle pas de simplement répertorier tous ceux qui sont fatigués ou n’ont pas envie d’aller travailler le lundi matin.
Ensuite on parle de prouver des conditions. Chaque inscription au tableau des maladies professionnelles est liée à des conditions d’exposition professionnelles. Il faudra donc prouver que l’environnement correspond à celui de nature à créer des burn out. On parlera probablement de pression, de management humiliant, de harcèlement, et globalement de situation psychologique destructrice. Il faudra le prouver, et imaginez bien que l’employeur fera tout ce qu’il peut pour ne surtout pas laisser acter officiellement qu’il a un tel environnement.
Bref, on va permettre de faire effectivement reconnaitre des cas de burn out sans demander l’impossible. On ne dit pas que ça va d’un coup être facile pour autant.
Mais surtout, aujourd’hui on sait que cette maladie touche du monde, et que ça augmente de plus en plus. Les dossiers acceptés sont peu nombreux. L’abus il existe déjà, aujourd’hui, et il est au détriment des gens qui souffrent.
En déterminant de quelle côté est la présomption (le seul effet de l’inscription au tableau des maladies professionnelles), on peut choisir la situation qui génèrera le moins d’injustices.
Ce serait anormal de considérer que l’employeur est forcément en faute
Ça tombe bien, il n’en est pas question ici. Il s’agit d’attribuer une cause qui permet à la sécurité sociale de couvrir plus ou moins bien les conséquences de la maladie, pas de dire si cette cause relève ou non d’une faute de l’employeur.
Il peut y avoir une maladie professionnelle sans faute ni indemnisation spécifique de l’employeur, comme il peut y avoir reconnaissance d’une faute et indemnisation du préjudice sans reconnaissance pour autant d’une maladie professionnelle.
Maintenant à titre personnel je ne verrai pas forcément d’un mauvais œil qu’on commence à inquiéter les employeurs quand le burn out vient de conditions humaines inacceptables ou d’un défaut de prévention flagrant.
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