Catégorie : Vie professionnelle

  • Petit stage entre amis

    Je me rappelle avoir ri en sortant d’études quand je croi­sais des propo­si­tions de stages avec « 10 ans d’ex­pé­rience en Java » dans les prérequis. À l’époque c’était juste une anec­dote, d’au­tant que comme Java n’avait lui-même pas 10 ans, on savait que c’était de simples maladresses d’un dépar­te­ment RH qui allait trop vite.

    Main­te­nant je ne ris plus et je me crispe en pensant à ceux qui sortent d’école.

    Les entre­prises ne proposent plus de stages, elles recherchent des stagiaires.

    Le chan­ge­ment de voca­bu­laire n’est pas anodin, il reflète la façon dont le stagiaire est inté­gré dans le fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise : Le stagiaire est devenu un élément produc­tif.

    Il est consi­déré comme un autre employé, avec une hiérar­chie, une fiche de poste détaillée, des missions, des objec­tifs précis de renta­bi­lité, des prérequis de compé­tences impor­tants, et parfois même des respon­sa­bi­li­tés type enca­dre­ment, forma­tion ou pres­ta­tion en clien­tèle.

    On lui demande d’être auto­nome, direc­te­ment effi­cace, et même souvent d’avoir une première expé­rience métier.

    Un emploi, pas même déguisé

    Le stage est fréquem­ment là pour simple­ment combler un besoin de main d’œuvre. Dans les annonces les plus clair­voyantes on demande des stagiaires « en urgence », « pour rempla­cer » un congé mala­die, un congé mater­nité, ou pour des pics d’ac­ti­vité pendant les fêtes.

    Il s’agit ni plus ni moins que de recru­ter un employé, sous un statut parti­cu­liè­re­ment avan­ta­geux.

    En effet, éton­ne­ment seule la rému­né­ra­tion évolue en sens inverse de cette montée des stages dans l’en­tre­prise : Si aupa­ra­vant les stages de fin d’études étaient souvent rému­né­rés au SMIC, c’est main­te­nant fort rare, au point que l’État a du impo­ser une rému­né­ra­tion à 30% du SMIC pour les stages de plus de trois mois. Bien entendu c’est un aligne­ment par le bas qui s’est fait. Ingé­nieurs bac+5, n’es­pé­rez pas être payés au SMIC.

    Du travail mais pas de droits

    Si on en vient à recher­cher des stages c’est qu’é­ton­nam­ment s’ils évoluent de plus en plus pour ressem­bler à un emploi sala­rié, ils n’en prennent que les avan­tages de l’en­tre­prise et les contraintes du sala­rié. L’équi­libre n’est même pas simulé, il est absent.

    Pas de coti­sa­tions retraites ou chômage, le stagiaire n’a pas non plus de congés payés ou de décompte de son temps. En fait le stagiaire est géné­ra­le­ment tenu aux horaires de l’en­tre­prise hôte mais comme il ne béné­fi­cie pas de RTT son temps de travail dépasse de fait celui des employés clas­siques.

    C’est d’ailleurs tout simple : Le stagiaire n’est pas soumis au droit du travail. Il est consi­déré comme un étudiant et non comme un sala­rié. Sa seule contrainte est de ne pas pouvoir travailler de nuit (ce qui n’em­pêche pas de faire les 2×8 de 6h à 21h).

    Un statut tota­le­ment déséqui­li­bré

    Avec tout ça les entre­prises ne s’in­ter­disent pas de mettre la pres­sion à certains stagiaires, ou simple­ment, même quand il n’y a pas pres­sion, de les faire travailler sans aucune forma­tion.

    Le stage est tenu par une simple conven­tion, qui peut être rompue sans passer par la case licen­cie­ment et moti­va­tion du licen­cie­ment. Pire, en cas de rupture c’est poten­tiel­le­ment toute une année scolaire de perdue, et poten­tiel­le­ment la perte de la bourse pour les bour­siers.

    Qui dans ces condi­tions fait son malin si l’en­tre­prise se révèle abuser du système ?

    D’au­tant que les univer­si­tés et écoles parti­cipent elles-aussi à tout ça en factu­rant souvent une année complète à des « étudiants » qui passent seule­ment un semestre en cours, voire n’y font qu’un passage éclair dans le cas des conven­tions de complai­sance.

    Le débu­tant ne vaut rien

    Le système est orga­nisé. Un employé avec expé­rience trouve plus faci­le­ment du travail que sans. Il suffit donc de donner de l’ex­pé­rience pour avoir de meilleure embauches, non ? Voilà donc toutes les écoles et univer­si­tés qui imposent des stages. Allez m’ex­pliquer pourquoi les entre­prises ne profi­te­raient pas de cette main d’œuvre abon­dante ?

    La consé­quence c’est qu’on en vient simple­ment à décla­rer que la première année de travail se fait sans droits ni (presque) de rému­né­ra­tion. Les besoins sont déca­lés et les bons stages sont réser­vés aux pistons et aux stagiaires qui ont déjà de l’ex­pé­rience (sisi). D’autres cumulent les stages pour pouvoir prétendre à des emplois.

    J’ai vu des docto­rants bac+8 cher­cher des stages pour pouvoir se faire embau­cher, des profes­sion­nels travaillant en indé­pen­dant depuis plusieurs années cher­cher un stage de 6 mois (payé un tiers du smic) pour vali­der un niveau de forma­tion, et des entre­prises n’ac­cep­tant plus de débu­tant s’il n’a pas déjà un an ou deux d’ex­pé­rience en poste simi­laire (ne cher­chez surtout pas à leur montrer la contra­dic­tion, le stage est là pour combler la diffé­rence).

    Le stage inutile

    Bien évidem­ment pour l’étu­diant le système ne résout rien. Le stage étant main­te­nant obli­ga­toire pour presque tout le monde, tout le monde en a et ce n’est plus un facteur d’em­bauche. C’est même poten­tiel­le­ment un facteur de non-embauche s’il n’ap­pa­raît pas assez « profes­sion­nel » (c’est à dire « comme un emploi sala­rié ») ou si le candi­dat a trop fait de stage (encore une fois, ne cher­chez pas la contra­dic­tion).

    Au mieux c’est vu comme une super période d’es­sai pour les cadres qui ajoute 6 mois au 7 mois conven­tion­nels poten­tiels (quand on n’in­ter­cale pas un CDD au milieu). Ne cher­chez pas le volet « forma­tion ». Le maitre de stage est simple­ment le supé­rieur hiérar­chie et rien n’est plus forma­teur que le travail sur le terrain n’est-ce pas ? Dans le meilleur des cas le stage est un projet de R&D réalisé en auto­no­mie avec un suivi irré­gu­lier par un employé respon­sable.

    Au final le stage est surtout une superbe inven­tion pour les écoles (qui se déchargent d’une partie de leur forma­tion) et les entre­prises (qui gagnent des sala­riés gratuits et sans droits), le tout au détri­ment de la collec­ti­vité (qui ne touche pas ses coti­sa­tions) et de l’étu­diant (qui finit par simple­ment travailler gratui­te­ment au lieu d’être formé).

    Mais pour­tant c’est génial l’ap­pren­tis­sage

    Qu’on ne se méprenne pas, je suis un fervent défen­seur de l’ap­pren­tis­sage sur le lieu de travail. Les stages ou périodes d’ap­pren­tis­sages sont de formi­dables outils complé­men­taires aux forma­tions théo­riques.

    Main­te­nant pour avan­cer il faut appor­ter des garan­ties et sur le volet travail et sur le volet forma­tion.

    Pour le volet travail ça passe par consta­ter que l’es­sen­tiel des stages sont de simples emplois dégui­sés et accep­ter d’y appliquer le droit du travail, et je ne parle pas que de la rému­né­ra­tion. Pour le volet forma­tion ça doit être à l’uni­ver­sité ou à l’école de prou­ver la présence d’un réel accom­pa­gne­ment quoti­dien qui ne saurait se résu­mer à un appren­tis­sage sur le tas (sinon autant direc­te­ment aller sur le marché du travail).

    Là, oui, l’ap­pren­tis­sage, le stage, ou l’al­ter­nance, peu importe comment vous l’ap­pe­lez, a du sens. Pas qu’un peu.

    Un emploi peut tout à fait concer­ner un débu­tant

    Alors si une annonce est une annonce de « recherche » et non de « propo­si­tion » de stage, c’est très proba­ble­ment qu’on en attend d’abord une renta­bi­lité et pas une forma­tion, et qu’il s’agit d’un emploi déguisé.

    S’il y a des missions précises, si le stagiaire est envoyé en clien­tèle autre­ment qu’en ombre non factu­rée d’un mentor expé­ri­menté, s’il y a un quel­conque objec­tif de date ou de renta­bi­lité, si le stage est lié à un événe­ment quel­conque, alors ce n’est pas un stage mais bien un emploi qui est proposé.

    C’est peut être un emploi de débu­tant, sans expé­rience, peu effi­cace et donc payé en consé­quence, mais ça restera un emploi sala­rié, avec toutes les garan­ties et les statuts asso­ciés.

    Refu­ser ces emplois dégui­sés en stage

    Il est de notre devoir, nous, qui ne sommes plus étudiants depuis long­temps, non seule­ment de refu­ser ces stages mais de mettre au banc et à l’in­dex toute entre­prise qui en profi­te­rait, ou pire : qui fonde­rait son modèle sur la renta­bi­li­sa­tion des stagiaires.

    Si les stagiaires sont sans pouvoir, que les entre­prises et écoles profitent du système, et que l’état refuse d’avan­cer, c’est bien à nous de faire évoluer les menta­li­tés, non ?

    Et si vous faisiez lire cette décla­ra­tion (que vous refor­mu­le­rez) à votre mana­ge­ment ou l’as­sis­tant RH avec qui vous parlez à la machine à café afin de leur faire prendre posi­tion offi­ciel­le­ment et publique­ment ? Sous l’angle posi­tif ça peut être une très bonne opéra­tion RH.

    Le danger c’est que sinon ça passe défi­ni­ti­ve­ment dans les acquis. J’ai déjà dans mes connais­sances des gens qui trouvent natu­rel que le jeune doive faire ses preuves par des stages, des emplois précaires et des situa­tions hors couver­ture sociale et légale avant de méri­ter son statut de travailleur. Ce n’est pas ma concep­tion d’un droit ou d’un modèle de société.

  • N’éco­no­mi­sez pas sur votre maté­riel infor­ma­tique profes­sion­nel

    N’éco­no­mi­sez pas sur votre maté­riel infor­ma­tique profes­sion­nel

    Choi­sis ce que tu veux

    J’ai inté­gré une nouvelle société il y a peu. Première surprise, on m’a demandé avant que j’ar­rive ce que je voulais comme poste infor­ma­tique. Agréable. Mieux : On m’a simple­ment dit d’al­ler prendre ce qui me corres­pon­dait sur les sites de Dell ou d’Apple. Pas de choix prééta­bli ou de guide sur le budget.

    Avec un cahier des charges aussi inexis­tant le moindre DAF risque­rait une attaque cardiaque. L’es­sen­tiel des effec­tifs peut faci­le­ment se faire coller l’étiquette « geek », c’est un coup à dépen­ser 3 000 euros par poste ça.

    Qu’est-ce qui peut bien pous­ser une société à lâcher la bride ainsi à ses infor­ma­ti­ciens ?

    Que ceux qui n’ont jamais pesté devant leur machine qui ne réagit pas assez vite lèvent la main !

    À mon arri­vée à Yahoo! j’avais eu pendant un moment un vieux Dell qui avait 10 minutes de batte­rie (montre en main) et 8 minutes pour démar­rer. Je n’avais pas le temps de lancer un logi­ciel qu’il s’ar­rê­tait. Chan­ger la batte­rie ? ah non, pas avant les trois ans d’amor­tis­se­ment. Résul­tat : une horreur pendant les réunions.

    Plus récem­ment à mon précé­dent poste j’ai béné­fi­cié d’un Dell Lati­tude E5510 tout neuf. Proces­seur Intel i3 dual core à 2,4 Ghz et 4 Go de mémoire, sur le papier c’est même surdi­men­sionné pour quelqu’un qui fait un peu de code et majo­ri­tai­re­ment de la bureau­tique. Pour­tant, que ce soit l’anti-virus ou le maté­riel, il me fallait presque 10 minutes pour démar­rer la machine, plus d’une minute pour avoir accès à MS Word ou Fire­fox après les avoir lancé, et le wifi mettait du temps à accro­cher.

    Je ne prends même pas en compte toutes les fois où j’ai du noter sur papier et ressai­sir à cause d’une mauvaise batte­rie et d’un manque de prises en salle de réunion, vous ne croi­riez pas le temps perdu ainsi cumulé.

    La renta­bi­lité comme seul objec­tif

    Depuis une semaine c’est une joie. J’ouvre le portable et je peux commen­cer à frap­per au clavier. Pas de minute d’at­tente, pas même 30 secondes. Je clique sur l’icône de MS Word et je peux taper immé­dia­te­ment. Je dis bien immé­dia­te­ment. J’ai véri­fié si c’était une impres­sion ou si c’était objec­tif. J’ai cliqué et tapé immé­dia­te­ment.  La batte­rie je n’en parle même pas, je pour­rai tenir la jour­née dessus sans rechar­ger. Quant au wifi, c’est en rédi­geant ce billet que je me suis rendu compte que je n’ai jamais fait atten­tion à savoir si le wifi était en recherche ou connecté : j’étais en ligne dès l’ou­ver­ture du capot, ou du moins je n’ai jamais ressenti le délai.

    En ce moment je fais des entre­tiens auprès de mes clients. Deux entre­tiens par jour, c’est un démar­rage à froid et trois reprises à chaud. Entre le wifi, la sortie de veille, le lance­ment des logi­ciels et la réac­ti­vité géné­rale, je gagne un grand mini­mum de 3 minutes à chaque fois, le double pour le démar­rage à froid, soit 15 minutes par jour.

    Comp­tez vous-mêmes, j’ai renta­bi­lisé une jour­née de travail à peu près tous les deux mois. 15 minutes ça peut sembler exagéré, on ne se rend pas toujours compte de tous ces petits temps d’at­tente, on met instinc­ti­ve­ment en place des contour­ne­ments (le café après avoir allumé la machine, la présen­ta­tion avec le client le temps que MS Office se lance) … jusqu’au jour où on n’en n’a plus besoin et qu’on devient vrai­ment effi­cace.

    N’éco­no­mi­sez pas sur l’ou­til de travail

    Le « choi­sis ce que tu veux » est très diffi­cile pour moi. Ça veut dire que c’est à moi de défi­nir les limites de ce qui est accep­table ou rentable. Mes expé­riences passées m’in­ci­taient d’un côté à ne surtout pas rogner trop, mais de l’autre à croire que je risquais de me faire remarquer par une facture refu­sée avant même de faire mon premier jour.

    Heureu­se­ment un futur collègue m’a incité à ne pas faire l’éco­no­mie d’un poste de travail et m’a rappelé que le coût était quand même ridi­cule au final pour du profes­sion­nel.

    Résul­tat : Je me suis lâché. Raison­na­ble­ment, mais mon poste a proba­ble­ment coûté quatre fois plus que celui que m’avait alloué mon précé­dent employeur.

    Le montant repré­sente tout de même moins de trois jours de factu­ra­tion client. La diffé­rence avec un poste milieu de gamme sera amor­tie en moins de six mois sur la base des calculs plus haut. Avec un renou­vel­le­ment tous les trois ans, mon employeur précé­dent aurait fait une écono­mie de 15 jours de factu­ra­tion en faisait le même choix.

    Tout n’est pas chif­frable

    Mais le gain réel n’est même pas là. Le gain c’est par exemple que j’ai envie de travailler, que j’ai une impres­sion de confiance et d’ef­fi­ca­cité indé­niable pour commen­cer dans mes nouvelles affec­ta­tions. Je commence motivé et non frus­tré.

    Pour savoir combien cette frus­tra­tion peut tuer toute moti­va­tion sur le long terme au fur et à mesure des embê­te­ments et des mauvaises expé­riences, le retour sur inves­tis­se­ment chif­fré plus haut est tota­le­ment négli­geable. La vraie valeur ajou­tée elle ne se chiffre pas, mais c’est elle la plus impor­tante : je suis effi­cace est motivé.

    Faites tour­ner ce retour à votre service infor­ma­tique le jour où on vous annonce que fran­che­ment votre poste coûte déjà assez cher comme ça et que ce que vous deman­dez n’est pas vrai­ment indis­pen­sable, qu’on peut très bien faire sans.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Kmeron