Catégorie : Politique et société

  • Ça me concerne

    Je suis concerné par l’en­fant afri­cain qui crève de faim, l’ou­vrier chinois qui est s’épuise en usine, le SDF qui a froid dehors, les personnes âgées délais­sées, la personne en face de mon immeuble discri­mi­née par son origine, sa couleur de peau ou sa reli­gion, et plein d’autres trucs parfois fran­che­ment mineurs à côté de tout ça.

    Je ne suis pour­tant ni enfant, ni afri­cain, ni chinois, ni ouvrier, ni SDF, ni âgé, et je suis homme blanc euro­péen sans reli­gion. Bref, j’ai quand même la vie facile.

    J’ap­par­tiens simple­ment à une société et à un monde que nous créons en commun. Ses équi­libres, la souf­france qu’il peut géné­rer, ce que nous réser­vons pour le futur et pour autrui me concernent parce que d’une manière ou d’une autre j’y contri­bue, ne serait-ce que par mon inac­tion. C’est une des facettes de ma citoyen­neté et de mon appar­te­nance à une société, à un niveau local comme au niveau le plus global.

    Quand vous me dîtes que ça ne me concerne pas, vous m’in­sul­tez. Vous insul­tez ou niez ce en quoi je crois, mon inté­rêt pour mon prochain, ma volonté de reje­ter l’égo­cen­trisme et l’égoïsme natu­rel.

    La ques­tion est de savoir jusqu’où aller, diffé­ren­cier ce qui concerne la société – et donc me concerne person­nel­le­ment en tant que citoyen – de ce qui est pure­ment privé.

    Fran­che­ment, c’est loin d’être simple. Vous trou­ve­rez des chefs d’en­tre­prise pour consi­dé­rer inac­cep­table que la société vienne règle­men­ter le salaire mini­mum ou certaines condi­tions de travail contrac­tua­li­sées entre adultes consen­tants. Vous trou­ve­rez des parents qui trouvent inac­cep­table puissent juger de la façon dont ils élèvent leurs enfants. La liste est infi­nie.

    Un point peut tout de même lais­ser présa­ger qu’un sujet pour­rait aussi être une ques­tion de société – et donc concer­ner tout le monde : Si la problé­ma­tique implique ou peut impliquer des tiers. Et pour complé­ter : Juger que les tiers ne sont pas impliqués peut déjà en soi être un sujet de société.

  • Échelles de peines

    Sérieu­se­ment…

    En peu de jours :

    • Un homme condamné à un an de prison ferme pour maltrai­tance sur son chat (qu’il faisant voler sur des vidéos)
    • Un homme condamné à six mois de prison ferme pour viol sur personne handi­ca­pée mentale

    Sur un registre plus léger

    • Un procu­reur sait désor­mais qu’on ne lui repro­chera pas d’avoir récu­péré illé­ga­le­ment des infor­ma­tions sur des jour­na­listes, qui sont pour­tant théo­rique­ment léga­le­ment proté­gés contre ce type d’enquêtes.
    • Un jour­na­liste a été condamné pour avoir rapporté avoir trouvé des docu­ments de l’État via une recherche publique sur Google et les avoir télé­char­gés.

    Je sais que chaque cas est spéci­fique, qu’il est impos­sible de compa­rer tel quel, mais je ne peux m’em­pê­cher de me dire qu’on a quand même parfois des échelles qui sont assez inco­hé­rentes.

  • Part des coti­sa­tions patro­nales dans la valeur ajou­tée

    À entendre certains chefs d’en­tre­prise, les « charges », c’est à dire les coti­sa­tions patro­nales, sont à un niveau inac­cep­table. Retour sur le passé :

    BfV3iJHCIAE0l7-.png_largeIl y a eu un pic bas vers 2007 mais, à la vue du graphique, il faut bien se rendre compte que les coti­sa­tions patro­nales ne sont pas à un niveau histo­rique­ment très haut. Il a même été plus souvent plus élevé que plus bas. Ce qui grève les compte, c’est bien la rému­né­ra­tion des profits.

    Note: Atten­tion au graphique dont l’échelle verti­cale commence à 15 et non à 0, ce qui peut donner une fausse impres­sion.

  • Entre­prises écra­sées par la fisca­lité

    Nos entre­prises sont écra­sées par la fisca­lité, les inves­tis­seurs ne gagnent plus rien. Ou pas. Quelques chiffres :

    Profits dans la valeur ajoutéeEn réalité nos entre­prises n’ont jamais été aussi profi­tables depuis la seconde guerre mondiale : Hausse constante de la part des profits dans la valeur ajou­tée depuis les années 80, à trois fois sa valeur initiale, et à 80% de plus que le plus haut pic avant ça.

  • Pacte de compé­ti­ti­vité

    On retire des coti­sa­tions sociales (fami­liales) en échange d’in­ves­tis­se­ment qui sur le long terme crée­ront de l’em­ploi.

    C’est oublier que l’objec­tif des entre­prises est de faire gagner de l’argent à leurs proprié­taires. Des écono­mies impliquent une meilleure rétri­bu­tion, rien de plus.

    Rien de mieux que les chiffres pour le prou­ver. Regar­dez comment la part du profit augmente et comment la part des coti­sa­tions baisse. L’in­ves­tis­se­ment est lui constant globa­le­ment, avec des cycles qui ne dépendent en rien des baisses excep­tion­nelles qu’on peut lui faire.

    cotisations, investissement, profits

    Pacte de compé­ti­ti­vité ? On vient seule­ment d’aug­men­ter les profits du capi­tal, pas de libé­rer de l’in­ves­tis­se­ment et de l’em­ploi. C’est un choix qui peut se justi­fier, mais ne faisons pas passer des vessies pour des lanternes.

    L’idée c’est juste que si les entre­prises font plus de béné­fices, on espère en atti­rer ou en rete­nir un peu plus. Bon, c’est oublier que nous ne serons jamais les moins disant au niveau fisca­lité (et tant mieux), donc que ce plan d’ac­tion est juste impos­sible à tenir.

  • Coût du chomage dans diffé­rents pays d’Eu­rope

    cout du chomageLes indem­ni­tés chômage pèsent trop sur la France, il faut réduire cet assis­ta­nat. Peut-être pas autant qu’on le croit fina­le­ment… Parfois, rien de mieux que les chiffres.

  • Systèmes de vote

    La qualité est vrai­ment mauvaise mais l’écoute est inté­res­sante pour ceux qui ne maitrisent pas encore les subti­li­tés des diffé­rents systèmes de vote et qui crient au vol de démo­cra­tie avec le système français actuel :

    Je diffère toute­fois de la conclu­sion : Le fait que plein de systèmes de vote renvoient des résul­tats diffé­rents n’im­plique pas qu’il n’existe pas de bon système de vote. Tout ça veut juste dire qu’il nous faut défi­nir nos critères pour déter­mi­ner ce qui est juste pour nous.

    Sur les cinq systèmes, les trois derniers présen­tés ont tendance à exclure les candi­dats qui ne peuvent pas faire consen­sus. À l’in­verse, si les votes majo­ri­taires ont tendance à éviter les consen­sus mous mais l’élu pour­rait ne conve­nir qu’une faible part des élec­teurs.

    Dans une démo­cra­tie apai­sée, j’ai tendance à penser que c’est la première alter­na­tive qui a du sens (et inver­se­ment : que la seconde alter­na­tive ne peut pas mener à une démo­cra­tie apai­sée).

  • 7 Reasons the TSA Sucks (A Secu­rity Expert’s Pers­pec­tive)

    Remem­ber those full-body scan­ners that leaked naked pictures of random citi­zens all over the Inter­net? The last ones were remo­ved earlier this year, but did you ever wonder how those things were appro­ved in the first place?

    Blame Michael Cher­toff, former secre­tary of Home­land Secu­rity and head of the Cher­toff Group, which in 2010 repre­sen­ted a little company named Rapis­can. In addi­tion to soun­ding like « Rapey-Scan, » Rapis­can was in the busi­ness of making full-body scan­ners. Cher­toff stood in front of Congress (his friends and former co-workers) and explai­ned that these scan­ners were the future of secu­rity (« and, » he neglec­ted to add, « the future of ME getting very, very rich and horrible »). Congress liste­ned, and for the first time they manda­ted a piece of equip­ment for use in Ameri­can airports. Remem­ber: These were poli­ti­cians with no secu­rity creden­tials. They deci­ded Cher­toff was an hono­rable man and went along with every­thing he said.

    Extrait de 7 Reasons the TSA Sucks (A Secu­rity Expert’s Pers­pec­tive)

    À lire aussi sur la TSA : TSA Agent Confes­sion

  • Immu­nité – vote à main levée

    Certains méca­nismes insti­tu­tion­nels peuvent sembler lourds ou exagé­rés, mais ils sont là pour garan­tir nos liber­tés et notre démo­cra­tie en des jours plus sombres.

    Malgré tout le mal que je pense de la non-levée de l’im­mu­nité de Serge Dassault, la dernière chose qu’il faudrait c’est lever le secret du vote du bureau du Sénat ou reti­rer globa­le­ment l’im­mu­nité des séna­teurs.

    Votes à bulle­tins secrets

    L’im­mu­nité doit proté­ger des pres­sions, et là c’est ce qu’on vit. Cela m’in­cite encore plus à m’op­po­ser au vote à main levée – Cathe­rine Procac­cia.

    N’ou­blions pas que nous parlons ici de corrup­tion et même de meurtre pour faire taire les alertes. Malgré tout nous sommes aujourd’­hui dans un contexte rela­ti­ve­ment calme. Le jour où nous aurons à juger un problème de plus grand ampleur encore, où les séna­teurs auront poten­tiel­le­ment peur pour leur vie, n’ai­me­rions-nous pas qu’ils puissent voter à bulle­tins secrets ? J’irai même plus loin à deman­der que la répar­ti­tion des votes elle-même soit confi­den­tielle dans le bureau.

    Si aujourd’­hui nous insti­tuons un vote à main levée par trans­pa­rence, nous y perdons sur le long terme. Juger de nos procé­dures à l’aune des jours où tout est calme est de bien mauvais conseil.

    La trans­pa­rence de la part des élus n’est en soi pas illé­gi­time, mais dans ce cas il faut leur permettre d’avoir de la force, et donc ici de voter en assem­blée plénière (et sans votes de groupe). Il est bien plus diffi­cile de faire taire person­nel­le­ment par la menace physique 348 séna­teurs qu’une poignée de gens dans un bureau.

    Immu­nité

    L’im­mu­nité part du même prin­cipe. Elle garan­tit la repré­sen­ta­tion du peuple contre l’ar­bi­traire poli­cier ou judi­ciaire. Aujourd’­hui c’est un non-risque et nous devrions lever les immu­ni­tés assez faci­le­ment sur simple demande raison­na­ble­ment justi­fiée – ce qui malheu­reu­se­ment n’a pas été fait.

    Demain il est possible que ce soit la seule alter­na­tive pour éviter que des dépu­tés de l’op­po­si­tion soient d’un coup mis en garde à vue oppor­tu­né­ment avant un vote impor­tant, ou que coller des procès longs soient une manière de faire pres­sion sur un repré­sen­tant pour l’ex­clure ou le discré­di­ter.

    Pensez à l’Égypte et à tous ces pays qui ont fait leur révo­lu­tion récem­ment, à ceux qui voient leurs dépu­tés empri­son­nés. Ce n’est pas une ques­tion pure­ment rhéto­rique, cela arrive dans d’autres pays et il s’agit d’un méca­nisme pour limi­ter les problèmes si un jour notre pays est moins calme qu’aujourd’­hui.

    Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Même si cela nous coûte aujourd’­hui, donne parfois un peu d’injus­tice ou quelques déra­pages, voire des scan­dales comme celui de Serge Dassault, ils ne sont que tempo­raires et bien moins grave que ce que nous risquons à reti­rer cette immu­nité.

    Et alors ?

    Tout n’est pas beau dans le meilleur des mondes. Le système fonc­tionne si nos repré­sen­tants agissent avec honnê­teté, sérieux et droi­ture.

    Je n’ose­rai pas deman­der qu’ils laissent l’as­pect parti­san de côté, mais c’est toujours Cathe­rine Procac­cia qui nous montre qu’il y a problème de ce côté là :

    Cela m’in­cite encore plus à m’op­po­ser au vote à main levée, car on ne regar­dera plus le dossier mais si c’est quelqu’un de droite ou de gauche qu’on protège.

    Le secret du vote est un compro­mis vis à vis des exigences d’un repré­sen­tant du peuple de façon à le sécu­ri­ser contre les pres­sions insur­mon­tables. Ici on est juste en train de dire soit que le jeu des partis est une pres­sion insur­mon­table pour la démo­cra­tie – ce qui en soit est sacré­ment grave si c’est vrai, et méri­te­rait qu’on les dissolve rapi­de­ment – soit que les dépu­tés préfèrent agir par inté­rêt poli­tique person­nel  avant toute autre consi­dé­ra­tion même face à des problé­ma­tiques qui impliquent corrup­tions massives et meurtres – ce qui est fina­le­ment tout aussi grave et méri­te­rait qu’on change immé­dia­te­ment l’in­té­gra­lité des dépu­tés et séna­teurs.

    La remarque de Cathe­rine Procac­cia est d’au­tant moins perti­nente qu’à une ou deux excep­tions près, il est presque acquis que le vote s’est bien joué dans une oppo­si­tion droite – gauche quand bien même le sujet ne s’y prêtait pas du tout et malgré le secret du vote.

    Donc voilà notre problème : Nos repré­sen­tants ont oublié leur rôle et leur charge, et se croient dans un jeu télé­visé où l’objec­tif est de gagner person­nel­le­ment puis par équipe.

    Solu­tions ?

    Reti­rer leur immu­nité ou leur impo­ser une trans­pa­rence des votes fera légè­re­ment recu­ler certains symp­tômes mais ne règlera en rien le problème de fond.

    Une première solu­tion serait de refondre certains systèmes qui donnent une trop forte prime au parti gagnant, et plus globa­le­ment aux très grands partis. Plus de partis implique plus de sensi­bi­li­tés diffé­rentes, plus d’op­tions pour à la fois suivre son opinion et suivre son groupe.

    Mais surtout limi­ter les mandats devient sacré­ment urgent, autant dans le cumul que dans la durée. Nous avons fait un premier pas, il est essen­tiel d’al­ler encore plus loin. Il faut reti­rer des inci­ta­tions à voter en groupe et dans un inté­rêt person­nel de réélec­tion toujours gran­dis­sant.

    Il y a d’autres mesures, comme regar­der de plus près les conflits d’in­té­rêts, surveiller les renvois d’as­cen­seur pour les nomi­na­tions, limi­ter les para­chu­tages lors des candi­da­tures aux élec­tions, et plus globa­le­ment reti­rer un maxi­mum de possi­bi­li­tés de s’as­su­rer une carrière au détri­ment de l’in­té­rêt natio­nal.

    Ce sera un combat perma­nent et jamais gagné, mais nous avons déjà des choses évidentes par lesquelles commen­cer. À commen­cer peut être déjà par arrê­ter d’élire tous ceux qui se contentent de voter en fonc­tion du critère majo­rité / oppo­si­tion et pas en fonc­tion du contenu des textes.

  • Je ne veux pas de médailles litté­raires monsieur Pivot

    Monsieur Pivot,

    J’ai un profond respect pour le travail que vous avez effec­tué et que vous effec­tuez toujours autour de la langue, de la litté­ra­ture et de l’écri­ture. Il y a un grand honneur à défendre des valeurs intem­po­relles tout en restant ouvert aux nouveau­tés. Aussi futile que cela puisse être, vous voir inves­tir twit­ter de manière éclai­rée est rafraî­chis­sant en cette période de clivage entre « le numé­rique est l’ave­nir » et « le numé­rique est dange­reux ».

    Quand je vous lis vouloir défendre la librai­rie ; je tends l’oreille. Tels qu’ils sont rappor­tés, vos propos récents m’ont fait trem­bler de tris­tesse.

    « Nous avons toute une poli­tique du livre que la ministre et le président du CNL ont raison de mener  », observe le récent président de l’Aca­dé­mie Goncourt. Et à ce titre que pour­rait faire l’Aca­dé­mie pour appor­ter sa petite pierre à ce grand édifice ? « En couron­nant de bons livres. En couron­nant des livres qui se vendent très bien », exulte, dans un franc sourire, Bernard Pivot.

    «  Regar­dez le dernier, [Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, publié chez Albin Michel], il en est à plus de 500.000 exem­plaires !  » Selon les données Edistat, ce sera plutôt presque 300.000 exem­plaires, en réalité. Mais on comprend l’idée. « Les libraires sont plutôt contents que l’on ait couronné un livre qui se vend à 500.000 exem­plaires, plutôt qu’un livre qui se serait vendu à 50.000 exem­plaires. Notre action elle est là, elle n’est pas ailleurs.  »

    Est-ce donc là toute la mission de la librai­rie ? Le meilleur soutien qu’on puisse appor­ter à la librai­rie est-il de sacra­li­ser et d’ajou­ter des rubans rouges à ces livres qui se vendent si bien ?

    On enterre là tota­le­ment la librai­rie, et le libraire encore plus profond. Si ces derniers n’ont pour seul rôle que de mettre en avant les meilleures ventes et d’en assu­rer la distri­bu­tion, quel service rendent-ils ? Pourquoi n’irais-je pas au super­mar­ché ou sur Inter­net pour ache­ter le même livre ? Je n’ai que faire d’un maga­sin dédié si c’est unique­ment pour ache­ter les meilleures ventes.

    Si notre seule vision de la librai­rie est une auto­rité qui décerne les disques d’or en fonc­tion de leurs ventes passées ou probables afin de mieux accro­cher des médailles aux livres dans les vitrines des librai­ries, c’est certain que le numé­rique n’a pas sa place. On aidera encore quelques temps les libraires à atti­rer les badauds, mais ils fini­ront par mourir par manque de valeur ajou­tée pour le lecteur.

    Je vous pensais défen­seur de la litté­ra­ture. Les meilleures ventes en font partie, incon­tes­ta­ble­ment. Sauf à consi­dé­rer que tous les lecteurs sont des imbé­ciles, on peut même affir­mer que les fleu­rons de la litté­ra­ture se retrou­ve­ront le plus souvent dans ces meilleures ventes.

    Main­te­nant, où sont la décou­verte et le conseil ? Où est le soutien à la richesse et l’éten­due de la litté­ra­ture ? aux coups de cœur, à la capa­cité d’avoir en stock juste­ment autre chose que les cinquante meilleures ventes qui seront primées ? Où est la capa­cité de livrer à domi­cile ? Comment renou­ve­ler l’in­te­rac­tion entre le libraire et le lecteur à l’heure où la commu­ni­ca­tion passe de plus en plus en ligne ? Comment la librai­rie peut-elle parti­ci­per à l’ar­ri­vée du numé­rique et y appor­ter sa valeur ?

    Voilà les ques­tions que j’au­rais aimé vous voir abor­der. Ajou­ter un prix litté­raire de plus à un paysage qui n’en compte que trop, cela ne va que renfor­cer le fossé entre l’offre librai­rie et les attentes des lecteurs. Le TOP 50 n’a jamais aidé les disquaires à vivre leur muta­tion, il les a au contraire enchaî­nés dans un modèle tota­le­ment déphasé par rapport à leur époque.

    À l’in­verse, si on voit le libraire comme un pres­crip­teur, quelqu’un qui découvre, fait décou­vrir, qui conseille, y compris et surtout juste­ment en dehors des sentiers battus et des grands prix litté­raires pour lesquels personne n’a besoin de lui, quelqu’un qui sait trou­ver le livre adapté au lecteur en fonc­tion de son carac­tère et d’un échange sur la litté­ra­ture, alors peut-être que nous aurons une vraie défense de la librai­rie à long terme.

    Et dans cette vision, on se moque bien que le livre soit en papier et en numé­rique. Par contre le numé­rique peut appor­ter des formats diffé­rents. Il peut permettre de remettre les nouvelles et les textes courts au goût du jour. Il peut permettre de publier des ovnis litté­raires qu’il serait risqué de publier immé­dia­te­ment en papier.

    « Oh, je ne crois pas. À mon avis non. Nous lisons des livres sur papier. Les bons livres… ils peuvent être numé­riques… mais ils seront toujours sur papier. Je ne crois pas à cette histoire du livre qui ne serait que numé­rique et qui n’au­rait pas de version papier. Je ne crois pas du tout à cela. »

    Je vais prendre le contre-pied. Les bons livres… ils peuvent être sur papier… mais ils seront toujours en numé­rique. Tout simple­ment parce qu’il n’y a aucune raison pour qu’un bon livre ne soit pas publié aussi en numé­rique.

    Par contre le numé­rique et son faible coût de publi­ca­tion peuvent entrai­ner un foison­ne­ment, une richesse qu’on n’a jamais vus en papier et qu’on ne pourra jamais voir. Il s’agit de la litté­ra­ture ouverte à tous pour la lecture mais aussi pour l’écri­ture. Il y aura du mauvais, voire du très mauvais, mais il y aura aussi du bon voire du très bon qui n’au­rait pas éclos sans cette faci­lité.

    Le numé­rique c’est aussi la possi­bi­lité de renou­ve­ler les formats en publiant des nouvelles et formats courts, oubliés des librai­ries et des éditeurs. C’est aussi la possi­bi­lité de sortir tant de textes trop risqués en édition papier, de la poésie au nouveau roman en passant par des ovnis trop déca­lés pour imagi­ner les mettre en tête de gondole dans les maga­sins.

    Nous avons eu une grande révo­lu­tion en passant des livres reco­piés manuel­le­ment à l’im­pri­me­rie, une petite révo­lu­tion avec l’avè­ne­ment du poche. Chacune a permis d’élar­gir la litté­ra­ture, sa diffu­sion, et sa richesse. Ce que le numé­rique promet, c’est un élar­gis­se­ment d’un ordre de gran­deur supé­rieur.

    Personne n’en veut au papier, pas plus que le poche n’a fait dispa­raître le grand format, mais si on enseigne aux libraires que là n’est pas leur avenir, ils vont se conten­ter de faire du commerce d’arbres morts décou­pés en fines lamelles, plus ou moins mis en avant en fonc­tion du nombre de leur passages à la TV ou de médailles litté­rai­res… et finir par mourir.

    Permet­tons-leur de ne plus vendre du papier mais de conseiller de la litté­ra­ture. Là non seule­ment le support n’est pas primor­dial, mais il est évident qu’il y aura un bouillon­ne­ment dans le numé­rique qu’il serait suici­daire de lais­ser à Amazon.