Catégorie : Politique et société

  • Éton­nant l’es­pion­nage, vrai­ment ?

    Ces jours ci on apprend que la NSA aurait un accès sur les données de Google, Apple, Yahoo, Micro­soft, Face­book et d’autres via un projet nommé PRISM.

    Je trouve très hypo­crite tous ces gens qui se disent éton­nés et d’un coup scan­da­li­sés.

    Qui n’a pas entendu parler d’Eche­lon ? Même Jean-Pierre Pernot a du en parler à l’époque. Quel infor­ma­ti­cien un peu âgé et travaillant dans les réseaux n’a pas entendu parler de Carni­vore ? Quel geek n’a pas entendu parler de la pièce 614A utili­sée par la NSA au milieu de AT&T ? Quel infor­ma­ti­cien de plus de 30 ans n’a pas entendu parler de la polé­mique sur la clef NSA dans Micro­soft Windows ?

    Que les USA fouillent dans les commu­ni­ca­tions en ligne, ce n’est même plus un sujet. D’ailleurs les autres pays non plus. On peut parler du Great Fire­wall of China, mais aussi de Amesys en Libye, la Suède, la Suisse, et bien entendu la France. En fait quasi­ment tous les pays espionnent les commu­ni­ca­tions en ligne à leur niveau. Notre pays est même à la pointe sur ce genre d’outils d’in­ter­cep­tion à l’échelle de pays entiers.

    L’in­ter­cep­tion des lignes télé­pho­niques est main­te­nant presque un outil du passé. Qui croit vrai­ment que les États n’ont pas fait évoluer leurs outils ? Aujourd’­hui les polices et agences de rensei­gne­ment ont très offi­ciel­le­ment des batte­ries de virus et autres enre­gis­treurs de frappe. Il y a même des lois pour cadrer tout ça (au moins aux USA, en France et en Alle­magne, mais proba­ble­ment aussi partout ailleurs).

    Bref, oui c’est grave, oui il faut lutter, mais faire semblant de décou­vrir que les données privées sont proba­ble­ment inter­cep­tées, c’est juste hypo­crite. La seule chose qui change aujourd’­hui c’est que nous avons un nom et des éléments pour poser des ques­tions formelles.

  • Embauche : les patrons de PME ne cherchent pas des Bac+5

    Les hauts diplô­més à BAC+5 sont plus souvent en situa­tion précaire qu’on ne le pense. C’est navrant quand on regarde le manque de personnes pour certains postes niveau CAP.

    Et voilà qu’on déclare

    L’offre de travail doit mieux s’adap­ter aux entre­prises ; une réforme est urgente pour favo­ri­ser des forma­tions courtes et adap­tées à la demande sur le marché du travail

    Sérieu­se­ment, il faut vrai­ment qu’on soit malade en France pour imagi­ner un truc pareil. On doit être le seul pays dans l’his­toire à penser qu’il faut réduire le niveau d’édu­ca­tion. Pire, le seul à penser que ça amélio­rera l’em­ploi.

    Que les gens soient instruits n’a jamais été un problème, ou ne devrait pas l’être, sauf à vouloir créer une société de classes avec une élite instruite et un peuple qui ne doit pas penser trop loin pour éviter de faire des vagues.

    Pourquoi un diplômé d’école de commerce serait-il fonda­men­ta­le­ment moins bon qu’un BEP pour vendre en maga­sin ? Pourquoi un master en psycho­lo­gie ne pour­rait pas garder des enfants à domi­cile ? Je ne dis pas que c’est néces­saire, mais ce n’est en rien disqua­li­fiant.

    Des études pous­sées c’est une chance, pour mieux travailler, mais aussi mieux comprendre le monde qui nous entoure, amélio­rer les pratiques… Même une forma­tion longue en sciences humaines peut être béné­fique à la commu­nauté pour un poste de tour­neur/frai­seur.

    Le gros défaut c’est au contraire qu’on entraine tout le monde à penser via ce système de classe avec ceux qui « pensent » d’un côté, géné­ra­le­ment à partir BAC+4, et ceux qui « font » de l’autre. Si tu appar­tiens à la première caté­go­rie, tu ne dois jamais t’abais­ser à accep­ter un emploi dans la seconde, et si tu t’y astreins alors on pensera que tu y seras inef­fi­cace (et peut être à raison telle­ment on t’a entrai­ner à délais­ser tout ce qui peut ressem­bler au « faire »).

    Et si au lieu d’es­pé­rer dimi­nuer le niveau d’édu­ca­tion — je n’en reviens toujours pas — on tablait plutôt sur un chan­ge­ment de valeurs et d’état d’es­prit pour que les gens aient envie de « faire », et arrê­ter de se sentir « trop bien » pour ça ?

  • La valeur par la rareté

    Je parlais il y a peu de rareté et d’abon­dance, et voilà que quelques jours après se pointe une superbe illus­tra­tion :

    Pierre Lescure, via sa mission ad hoc, voit une révo­lu­tion dans le net. Je ne peux qu’a­bon­der. Étran­ge­ment, aucune mesure révo­lu­tion­naire n’ac­com­pagne cette prise de conscience. On révo­lu­tionne mais s’il vous plait que ça ne change l’exis­tant qu’à la marge.

    Le problème ? La valeur est encore vue par le prisme de la rareté.

    « Plus on va dans la rareté, dans le service rendu, dans la déli­vrance de quelque chose qui a repré­senté un travail et qui ne trouve pas son pareil ailleurs, plus cela a un coût. On ne mange pas gratui­te­ment au restau­rant. Le rapport ne résou­dra pas tout ça, mais s’il y a une prise de conscience, ce ne sera déjà pas mal ». — cita­tion de Pierre Lescure par Numé­rama

    La prise de conscience manque juste­ment : Le numé­rique change tota­le­ment le para­digme. Contrai­re­ment au repas dans le restau­rant, et le travail fourni sera exac­te­ment le même qu’il y ait un client ou un million. Dès lors, penser la valeur et la rému­né­ra­tion par la rareté, c’est juste une aber­ra­tion. Oser penser qu’on va même « plus loin dans la rareté » c’est passer tota­le­ment à côté de ce qu’il se passe.

    En échange on m’a répondu sur le réseau « La richesse c’est le partage, la copie, la multi­pli­ca­tion ! Pas la sous­trac­tion… ». Une démarche tota­le­ment oppo­sée.

    L’im­pos­si­bi­lité pour certains acteurs de penser autre­ment la valeur que par la rareté, va deve­nir un vrai problème.

  • Petite échelle de rému­né­ra­tion

    J’ai écouté – avec retard – le maga­zine Envoyé Spécial sur le chômage et la pénu­rie de main d’œuvre. Vous pouvez passer votre chemin, rien n’y est dit, ou presque.

    Par contre on y conte encore une pénu­rie de main d’œuvre pour une série de boulots payés au SMIC, souvent en temps partiel non choisi, et avec des horaires atypiques (genre quelques heures, puis une énorme pause mais pas suffi­sante pour te permettre de rentrer chez toi pour une autre acti­vité, puis encore quelques heures, dont une partie le soir ou très tôt le matin) et très mal consi­dé­rés socia­le­ment.

    Un boulot dont personne ne veut, dont l’offre est struc­tu­rel­le­ment insa­tis­faite, dans le modèle libé­ral, logique­ment les condi­tions ou la compen­sa­tion devraient être amélio­rées pour tenter d’in­ver­ser un peu la tendance, ou au moins pour que les quelques personnes aillent chez vous plutôt que chez le voisin. Mais non, ces jobs restent au niveau du mini­mum légal et on préfère se plaindre du manque de person­nel.

    Un peu de réalisme : Le niveau d’édu­ca­tion a sensi­ble­ment augmenté depuis 50 ans. La majo­rité des gens peuvent prétendre à des emplois quali­fiés (et trop souvent refusent le reste), poten­tiel­le­ment inté­res­sants. Il n’y a cepen­dant pas tant que ça de boulots inté­res­sants sur le marché par rapport à la demande. Inver­se­ment il y a plein de boulots pour­ris, souvent sans quali­fi­ca­tion parti­cu­lière néces­saire. Quelqu’un m’ex­plique pourquoi les boulots pour­ris sont encore moins bien payés que les boulots inté­res­sants ? N’est-ce pas là une échelle de valeur pure­ment idéo­lo­gique ?

    Dans un monde vrai­ment libé­ral, en occi­dent (niveau d’édu­ca­tion assez élevé) le person­nel de ménage nettoyant un bureau serait souvent mieux payé que la personne qui travaille dans ce bureau. Que cela fasse un peu cogi­ter les chantres du libé­ra­lisme bien assis dans leur bureau avec leur salaire confor­table.

  • Mais que faire avec la fibre 1 Gb/s de Google ?

    L’au­teur de Slate explore la fibre Google à 1 Gb/s déployée au Kansas. Malgré une démons­tra­tion de confé­rence vidéo avec inter­ac­tion sur Google Maps en instan­tané, l’au­teur semble dépité de ne pas trou­ver de mieux que « ouvrir cinq vidéo 1080p sur Youtube » dans sa recherche de la killer app qui justi­fie­rait une tel débit.

    Il a un peu raison, d’au­tant que cinq vidéo 1080p Youtube c’est entre 20 et 40 Mb/s, donc passe tout à fait sur n’im­porte quelle connexion câblée ou fibre à partir de 50 Mb/s. Il a raison mais il passe tota­le­ment à côté de l’enjeu, et pas mal de commen­ta­teurs français sur twit­ter aussi.

    Que vais-je bien pouvoir faire ?

    Je pour­rai vous rappe­ler quelle est la bande passante pour un blu-ray 3D en 120 Hz, pour la TV 4K dont on commence à parler, pour avoir ça en multi points de vues, et pourquoi pas une fois dans le salon et une fois dans la chambre des enfants, en paral­lèle du backup et de tout le reste. Ok, ce n’est peut être pas acces­sible *aujourd’­hui* mais four­nir de tels services sur le réseau alors que seuls quelques chan­ceux dans une ville des USA peuvent s’en servir, ce serait large­ment préma­turé. Ne vous inquié­tez pas, le Gb/s il finira par être utilisé large­ment avant d’être la norme pour la majo­rité de la popu­la­tion.

    Il n’y a pas de killer app

    Malgré tout, parler de ça c’est tomber dans le même travers que le jour­na­liste de Slate :  Se poser la ques­tion de la killer app c’est se trom­per de débat. Il n’y a pas de killer app, et il n’y a pas à en avoir.

    Qui a besoin d’une killer app ? Dites, c’est quoi la killer app de la cocotte minute ? Celle du micro-onde ? C’est un peu plus long mais vous faites bien la même chose sans. C’est juste plus pratique. Des usages pour un meilleur débit on a déjà tous ceux d’aujourd’­hui : Regar­der plus faci­le­ment des vidéos qu’a­vant, en patien­tant moins qu’a­vant, en meilleure réso­lu­tion. Renon­cer moins faci­le­ment à télé­char­ger des fichiers lourds et attendre moins pour cela. Synchro­ni­ser de plus en plus de fichiers en ligne, et attendre moins souvent la fin de synchro­ni­sa­tion avant de débran­cher. Partage plus faci­le­ment des photos ou des vidéos avec des tiers, en nombre plus impor­tant et en meilleure qualité/taille, en atten­dant moins la fin de l’en­voi.

     

    La killer app c’est de réduire les attentes, élimi­ner les frus­tra­tions, et ouvrir les portes pour faire émer­ger autre chose ; pas forcé­ment faire quelque chose de nouveau et de révo­lu­tion­naire.

    Oui mais… 1 Gb/s… utile ?

    Je me rappelle l’époque où on se moquait des 8 et 20 Mb/s de l’ADSL les trou­vant super­flu. Je crois que Xavier Niel a déclaré il y a à peine quelques mois que la fibre à 100 Mb/s était globa­le­ment inutile. Rien d’éton­nant à ce que la même image appa­raisse avec le palier suivant;

    Aucun de ces usages ne *jus­ti­fie* 1 Gb/s, pas plus que le passage de 20 Mb/s au 100 Mb/s ne se justi­fie (si on oublie le débit montant), ou qu’une ADSL 20 Mb/s n’était à l’époque fonda­men­ta­le­ment meilleure qu’une 8 Mb/s, et que cette dernière n’était elle-même indis­pen­sable à l’époque de la tran­si­tion avec la 2 Mb/s ou la 512 Kb/s. Par contre je mets au défi ceux qui y seront passés d’en­vi­sa­ger reve­nir en arrière.

  • Pourquoi apprendre l’en­tre­preu­na­riat à l’école est une idée, et qu’on se moque qu’elle soit de gauche

    Quand je lis « Pourquoi apprendre l’en­tre­preu­na­riat à l’école est une idée de gauche » je me dis qu’il y a un problème avec l’ap­proche de notre classe poli­tique.

    Parler du pourquoi l’en­tre­pre­na­riat à l’école, de comment on va mettre en place l’idée – et le défi est là – ou de la perti­nence de commen­cer en 6ème, là ça serait plus qu’in­té­res­sant. Le billet parle en fait à peine de ces ques­tions, le sujet de fond semble plus être de convaincre les tiers que l’idée est compa­tible avec « la gauche » que de savoir si c’est en soi une bonne idée.

    Il faut quand même que notre démo­cra­tie soit bien malade pour que la ques­tion prin­ci­pale soit celle là, que la ques­tion soit celle du « qui » (quel élu, quel parti, quelle mouvance) et pas celle du « quoi ».

    Nos élus donnent l’im­pres­sion de croire qu’ils ne sont crédibles que quand ils sont unis derrière leur bannière. Lais­sez-moi leur dire dire : Vous devien­drez crédibles quand vous discu­te­rez le fond au lieu de voter et vous expri­mer en fonc­tion de la couleur atta­chée à la mesure débat­tue. On aura fait un grand pas pour notre pays. Que ce soit l’ha­bi­tude au parle­ment et que le billet soit écrit par un colla­bo­ra­teur parle­men­taire n’est peut être pas un hasard. On ne mesure pas tout le mal que font pour la percep­tion de la démo­cra­tie ces atti­tudes de godillot ou la procé­dure de vote de groupe du Sénat.

    Puisqu’on parle du monde de l’en­tre­pre­na­riat : dans le monde des star­tup on dit souvent qu’une idée ne vaut pas grand chose, c’est la mise en oeuvre qui compte. Parfois la phrase est racon­tée autre­ment : l’idée c’est moins de 1% de la valeur, le reste c’est la réali­sa­tion.

    Alors, si, au lieu de regar­der d’où vient l’idée, on discu­tait de pourquoi et comment la mettre en oeuvre ?

    Et au final, si l’en­tre­pre­na­riat à l’école était une idée de droite, ça chan­ge­rait quoi ? Elle devien­drait de fait une mauvaise idée à combattre ?

  • 6 – Penser l’éco­no­mie de l’abon­dance

    Dans la même série, en préa­lable à ce billet :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare
    4. D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance
    5. Inéluc­table écono­mie de l’abon­dance

    Il est facile de critiquer les réac­tion­naires au chan­ge­ment profond qu’a­morce le passage à l’im­ma­té­riel, mais propo­ser mieux est diffi­cile. Alors, on fait quoi ?

    À court terme nous avons des tenta­tives comme les offres d’abon­ne­ment, mais c’est oublier que pour l’ins­tant les modèles sur la musique ou la vidéo sont encore loin d’être des succès pour autre chose que les inves­tis­seurs en bourse. Ça restera de toutes façons un compro­mis qui risque de ne pas être suffi­sant.

    Pour ce long terme j’ai d’un côté des réformes du droit d’au­teur comme une limi­ta­tion à 10 ou 20 ans après première publi­ca­tion et la léga­li­sa­tion des échanges non marchands. D’un autre côté j’ai l’ar­ri­vée du revenu de base qui sécu­rise et enri­chit la créa­tion elle-même. Pour boucler le tout j’at­tends le retrait des inter­dic­tions de contour­ne­ment des DRM. Malheu­reu­se­ment je n’ai pas tant d’es­poir de voir un jour moi-même un des deux premiers arri­ver, et encore moins les deux. Quand bien même, un tel chan­ge­ment aurait tant d’im­pact sur la société que je suis bien à mal de me rendre compte à quoi elle ressem­ble­rait ensuite ou comment assu­rer la tran­si­tion. Bref, un saut dans l’in­connu.

    Entre temps il est évident que la poli­tique réac­tion­naire nous mène dans le mur et risque de faire des dommages graves. On entre­voit des atteintes aux liber­tés, des surveillances géné­ra­li­sées, une priva­ti­sa­tion des biens communs, une esca­lade dans la repres­sion et une sépa­ra­tion chaque jour plus profonde entre le public et le système.

    Entre temps je maudis autant les acteurs du para­graphe précé­dent que ceux qui pensent pouvoir outre­pas­ser la réalité d’aujourd’­hui en oubliant les lois et la société.

  • 5 – Inéluc­table écono­mie de l’abon­dance

    En préa­lable à ce billet :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare
    4. D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance

    La nouvelle géné­ra­tion baigne dans cette écono­mie d’abon­dance de conte­nus. Copier et diffu­ser se fait à coût virtuel­le­ment nul. On a accès à tout plus ou moins faci­le­ment, et il est évident qu’on ne pourra pas utili­ser tout ces conte­nus. L’enjeu n’est plus de comp­ter mais décou­vrir, de sélec­tion­ner et parta­ger, éven­tuel­le­ment de faire gros­sir encore plus le nombre de conte­nus et de les redif­fu­ser à son tour pour parti­ci­per à l’en­ri­chis­se­ment collec­tif.

    C’est d’ailleurs là que se trompent ceux qui luttent contre la contre­façon. Si la gratuité joue bien entendu un rôle, c’est toute une vision de l’ac­cès et de l’usage des conte­nus qui est diffé­rente sur la nouvelle géné­ra­tion. La lutte contre la contre­façon actuelle revient à expliquer pourquoi payer l’ac­cès au puit chaque matin à une géné­ra­tion qui ne connait que l’eau courante quasi gratuite et qui l’a toujours à portée de main. Ce n’est pas une ques­tion de mauvaise volonté, c’est juste que tout ceci leur semble natu­rel et ils ne le conçoivent proba­ble­ment même plus autre­ment. Ils peuvent s’y contraindre pour un temps, mais pas chan­ger leur façon de voir le monde.

    Être limité en nombre de copie pour un contenu acquis léga­le­ment ? Ne pas pouvoir parta­ger avec son petit ami ? Oubliez l’idée car cela leur semblera toujours illé­gi­time quand bien même on inves­ti­rait encore 10 ou même 100 millions d’eu­ros en commu­ni­ca­tion dans une seconde Hadopi.

    Les verrous seront cassés, les conte­nus copiés et tout ce qu’on obtien­dra c’est un désin­té­rêt irré­cu­pé­rable pour imagi­ner ensemble un autre modèle écono­mique. Nous devrions bien plus inves­tir pour faire muter notre société que pour frei­ner cette révo­lu­tion, car elle ne pourra en aucun cas être stop­pée.

    Il est temps de réflé­chir à notre société dans l’éco­no­mie d’abon­dance. C’est sérieux et nous dépas­sons ici large­ment le domaine du livre, c’est tout le droit d’au­teur qu’il faut à terme repen­ser.


    Dans la même série :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare
    4. D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance
    5. Inéluc­table écono­mie de l’abon­dance (ce billet)
    6. Penser l’éco­no­mie de l’abon­dance
  • 4 – D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance

    En préa­lable à ce billet :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare

    Ce qui diffé­ren­cie les points de vue du second billet est plus fonda­men­tal qu’il n’y paraît. N’ayons pas peur des mots, ce sont deux modèles de société qui s’op­posent (l’écoute de la vidéo est indis­pen­sable, croyez moi, et je ne me risque­rai pas à la para­phra­ser ici) : celui d’une écono­mie de la rareté et celui d’une écono­mie de l’abon­dance.

    Nous vivons cette muta­tion depuis des années dans la musique, la vidéo et la presse. Le livre n’est fina­le­ment qu’un nouveau venu dans cette bataille mais c’est aussi celui avec l’his­toire la plus stable et la plus ancrée dans la rareté. La réac­tion de rejet est donc encore plus forte, au point de feindre de ne pas connaitre l’is­sue. Là où musique vidéo et presse cherchent un modèle, le livre agit expli­ci­te­ment pour péren­ni­ser sont modèle de rareté.

    Vous n’y croyez pas ?

    Au Salon du livre il y a un mois, un repré­sen­tant des éditeurs affi­chait expli­ci­te­ment son inten­tion de main­te­nir la rareté du livre dans les offres numé­riques aux biblio­thèques publiques, pour éviter de concur­ren­cer le modèle de vente d’aujourd’­hui. La loi récente qui va gérer le cas des œuvres indis­po­nibles du XXème siècle et permettre leur numé­ri­sa­tion semble en partie avoir été conçue pour éviter d’autres alter­na­tives à diffu­sion plus large, comme entre autres la loi euro­péenne sur les œuvres orphe­lines. Et le président de la BNF dont la mission est de donner accès au plus grand nombre, de décla­rer qu’il faut éviter de donner accès gratui­te­ment au domaine public afin de sauve­gar­der les librai­ries. On pour­rait aussi parler de DRM ou d’ab­sence d’offre d’abon­ne­ment.

    Il semble que dans le livre numé­rique seuls Amazon et quelques star­tups consi­dèrent qu’il faut plani­fier l’iné­luc­table plutôt que de tenter l’ar­rê­ter. Ce n’est pas pour rien qu’A­ma­zon propose via son offre premium un noyau de ce que peut être une offre d’abon­ne­ment. Le jour où ce sera perti­nent, ils seront prêts. Entre temps ils « achètent » des auteurs pour consti­tuer un cata­logue le plus large possible dont ils contrôlent l’offre et les condi­tions, pour dépendre le moins possible d’édi­teurs tiers qui pour­raient les empê­cher de suivre un nouveau modèle.

    Si vous contrô­lez les conte­nus, vous contrô­lez l’offre. Si vous contrô­lez l’offre, vous pouvez choi­sir votre modèle écono­mique.


    Dans la même série :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare
    4. D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance (ce billet)
    5. Inéluc­table écono­mie de l’abon­dance
    6. Penser l’éco­no­mie de l’abon­dance
  • 3 – Le livre, cet objet rare

    Préa­la­ble­ment à ce billet :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel

    J’ai beau jeu de provoquer un peu dans le premier billet de cette série, mais avant de passer à la suite il est bon de poser les bases.

    La rareté et la valeur d’un livre (les deux sont liées) sont à tel point enra­ci­nées dans nos usages qu’il en est presque sacré : Rien qu’en corner les pages ou en user la tranche provoquera des réac­tions épider­miques chez certains déten­teurs. C’est en même temps un des rares objets qui passe de main en main même en dehors du cercle fami­lial alors que pour tout le reste on a tendance jeter et ache­ter du neuf. Trop impor­tant, trop rare. Même dans les films catas­trophe on brûle jusqu’au plan­cher avant d’en­vi­sa­ger, oh héré­sie, de se chauf­fer avec des livres.

    Mieux : Le livre on l’ex­pose. C’est d’ailleurs tout l’objet des collec­tions comme La Pléiade et je mets au défi quelqu’un de venir m’af­fir­mer que la valeur de ces objets tient dans l’er­go­no­mie de lecture. C’est dire à quel point on consi­dère l’objet comme rare malgré sa démo­cra­ti­sa­tion et la faci­lité de repu­bli­ca­tion.

    Dans ce contexte, effec­ti­ve­ment, ache­ter un livre sans le lire c’est mépri­ser le livre, son auteur ; une preuve d’ir­res­pect frôlant le sacri­lège envers la Culture et la Litté­ra­ture. Toute la chaîne de valeur, de l’au­teur jusqu’au lecteur, est basée sur cette rareté imagi­naire à la limite de la sacra­li­sa­tion. Le numé­rique joue les trou­blions mais visi­ble­ment pas au point de chan­ger l’angle de vue des diffé­rents acteurs.


    Dans la même série :

    1. Ne plus comp­ter les livres non lus
    2. Décou­vrir, cet enri­chis­se­ment cultu­rel
    3. Le livre cet objet rare (ce billet)
    4. D’une écono­mie de la rareté à une écono­mie de l’abon­dance
    5. Inéluc­table écono­mie de l’abon­dance
    6. Penser l’éco­no­mie de l’abon­dance