Catégorie : Politique et société

  • Never trust a corpo­ra­tion to do a library job

    For years, Google’s mission inclu­ded the preser­va­tion of the past. […]

    In the last five years, star­ting around 2010, the shif­ting prio­ri­ties of Google’s mana­ge­ment left […] archi­val projects in limbo, or aban­do­ned enti­rely.

    On parle de la plus grande archive Usenet de l’époque, de Google Books qui tentait de scan­ner tous les livres de la planète pour archive, ou de la News Archive qui gardait des histo­riques de presse ayant jusqu’à 200 ans d’an­cien­neté.

    Two months ago, Larry Page said the compa­ny’s outgrown its 14-year-old mission state­ment. Its ambi­tions have grown, and its prio­ri­ties have shif­ted. […]

    As it turns out, orga­ni­zing the world’s infor­ma­tion isn’t always profi­table. Projects that preserve the past for the public good aren’t really a big profit center. Old Google knew that, but didn’t seem to care.

    Tout est dans le titre : Never trust a corpo­ra­tion to do a library job.

    The Inter­net Archive is mostly known for archi­ving the web, a task the San Fran­cisco-based nonpro­fit has tire­lessly done since 1996, two years before Google was foun­ded.

    Archives du web, mais aussi audio et vidéo diverses, musiques, films, enre­gis­tre­ments TV, livres et même vieux logi­ciels.

    Le problème c’est que notre société a tendance à consi­dé­rer que tout doit être rentable, que si ça a un inté­rêt de le faire alors ça doit pouvoir être vendu et géré par une société privée. Même l’État se désin­té­resse au fur et à mesure de ses missions légi­time en calcu­lant la renta­bi­lité finan­cière des projets.

    Nous faisons de l’ar­chéo­lo­gie pour connaitre notre passé, mais jetons notre présent au lieu de l’ar­chi­ver, alors que c’est tech­nique­ment faisable, et poli­tique­ment souhai­table.

  • Mensonges sur le dimanche

    [Nous allons] accor­der des déro­ga­tions au repos domi­ni­cal […] pour éviter un préju­dice « au public » ou « au fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise ». Avant le critère juri­dique c’était : « si cela ne portait pas préju­dice »… aux sala­riés ».

    Le glis­se­ment est très symp­to­ma­tique, et est plutôt la norme ces dernières années. La société doit passer par l’éco­no­mie et le déve­lop­pe­ment des entre­prises, avec le postu­lat que ça rejaillira forcé­ment en posi­tif sur les citoyens eux-même.

    Au final c’est l’in­té­rêt des proprié­taires d’en­tre­prises qui prévaut sur celui de l’en­semble des citoyens. Gênant, pour ne pas dire plus.

    Dans ces « zones touris­tiques inter­na­tio­nales », la loi décide que, dans ces zones, la nuit commence après 24 h, il sera possible de bosser jusqu’à 23 h 59 en « soirée ». Seule « contrainte » : l’em­ployeur « veille » à ce que le sala­rié « dispose d’un moyen de trans­port pour rega­gner son domi­cile ». Qui y croit une seconde ?

    On ne libère rien. Il aurait été possible d’au­to­ri­ser le travail de nuit jusqu’à 23h59 dans ces zones. On a préféré recu­ler la nuit. Astuce admi­nis­tra­tive qui n’a qu’un seul avan­tage : reti­rer des protec­tions aux sala­riés.

    Quant à s’as­su­rer qu’il existe un moyen de trans­port, n’y voyez aucune action posi­tive. Ça veut juste dire que l’em­ployeur refu­sera d’em­ployer un candi­dat qui n’a pas le permis voiture, et ça même si se garer dans ces zones sans payer une fortune est juste inac­ces­sible pour le vendeur payé au lance-pierre.

    La loi [ne] fixe AUCUNE [majo­ra­tion de salaire pour travail le dimanche]. Le projet Macron renvoie au « dialogue social » aléa­toire

    … c’est à dire au rapport de force patro­nat / syndi­cat, pas très équi­li­bré en ce moment dans le domaine du commerce de détail. À la loi du plus fort quoi…

    Cita­tions de Gérard Filoche, avec les même préci­sions qu’hier.

  • Ayez envie de deve­nir milliar­daires

    Deve­nez milliar­daires ! Il y a 78 milliar­daires en France, le record d‘Eu­rope.

    Ce chiffre d’un un relief parti­cu­lier à tous les cris contre les impôts, les charges sociales et le système français qui ferait fuir tous les riches dont on a besoin pour la France. Il faut croire que…

    Le travail n’en­ri­chit personne, c’est l’ex­ploi­ta­tion du travail des autres qui enri­chit. Et pour s’en­ri­chir au point d’être milliar­daires il faut avoir pillé abusi­ve­ment des milliers de travailleurs pendant des géné­ra­tions !

    Il y a de quoi discu­ter en dessus, mais les faits sont têtus : La plupart des milliar­daires ont hérité d’une fortune consé­quente. Les quelques rares autres sont à la tête d’en­tre­prises dont une grosse partie de la richesse se base sur les salaires peu élevés des travailleurs à la base de la pyra­mide. En fait c’est souvent les deux à la fois.

    80 milliards de fraude fiscale « offi­cielle » recon­nue par Bercy […]

    Il suffit d’em­bau­cher 2000 inspec­teurs des impôts, des centaines d’in­for­ma­ti­ciens, de faire un pont d’or aux jour­na­listes d’off­shore-leaks, de prendre les mesures légales pour traquer la fraude, et d’avoir la volonté poli­tique d’af­fron­ter l’oli­gar­chie, les 1 %, les 58 socié­tés qui trichent…

    Nous avons choisi. Nous recru­tons des milliers de consul­tants Pôle Emploi pour contrô­ler que nos chômeurs culpa­bi­lisent bien de leur statut. Ques­tion de choix.

    Cita­tions tirées de Gérard Filoche

    (Je rappelle que je mets ici des commen­taires ou réac­tions à certaines de mes lectures, pour les parta­ger, pour enclen­cher des discus­sions, pour réflé­chir, pour fixer par écrit des pensées. Il n’y a aucun soutien, aucune caution ou ni aucune affi­lia­tion autres que ce que j’écris expli­ci­te­ment)

  • Non, le tirage au sort n’est pas repré­sen­ta­tif

    J’avais travaillé les aspects du tirage au sort dans le cadre d’une réflexion sur la démo­cra­tie dans un groupe poli­tique. Je pose ça là quelques temps après, un peu refor­mulé :

    On nomme X personnes d’une popu­la­tion donnée par tirage au sort. Ces personnes votent et tombent d’ac­cord à 55% contre 45%. Peut-on consi­dé­rer qu’ils repré­sentent la popu­la­tion d’ori­gine ?

    Mathé­ma­tiques

    Tout ça sont des mathé­ma­tiques bien connues des insti­tuts de sondage. On y parle de marge d’er­reur et d’in­dice de confiance :

    • Une marge d’er­reur de ±5pt, c’est dire que le vote direct de la popu­la­tion d’ori­gine aurait proba­ble­ment donné un score quelque part entre 50% et 60% et pas forcé­ment de 55%.
    • Un indice de confiance de 95%, c’est dire qu’il y a 95% de chances que la popu­la­tion d’ori­gine serait effec­ti­ve­ment restée dans la marge d’er­reur donnée, et 5% de chances que le résul­tat aurait été tout autre (mais poten­tiel­le­ment *vrai­ment* tout autre).

    Je tiens à insis­ter sur le fait qu’une marge d’er­reur de ±5pt ça reste énorme. N’im­porte quelle déci­sion vali­dée ou reje­tée par moins de 55% des tirés au sorts n’au­rait que peu de valeur. Et des déci­sions qui arrivent avec moins de 55%, c’est quand même fréquent…

    Idem, un indice de confiance de 95% c’est plutôt bon, mais ça laisse quand même 1 chance sur 20 de dire n’im­porte quoi. C’est loin d’être négli­geable : Vous joue­riez des déci­sions impor­tantes sur un dé à 20 faces vous ?

    Des exemples

    Répondre à la ques­tion d’ori­gine demande de connaitre le nombre de personnes tirées au sort et la taille de la popu­la­tion d’ori­gine.

    Je vous propose de fonc­tion­ner à l’in­verse : En fonc­tion de la taille de la popu­la­tion d’ori­gine et de la préci­sion souhai­tée, combien de personnes devrions-nous tirer au sort ? Atten­tion ça pique…

    Popu­la­tion d’ori­gine Préci­sion de ±5pt à 95% Préci­sion de ±2pt à 95% Préci­sion de ±2pt à 99%
    100 79 96 98
    500 217 414 446
    1000 277 706 806
    5000 384 1622 2271
    10000 384 1936 2938
    100000 et + 384 2401 4160

    Autant dire que le tirage au sort au sein d’un groupe de moins de 100 person­nes… autant réunir tout le monde ou tirer les déci­sions à pile ou face, ça revien­dra au même. Même au sein de groupe de 1000 personnes, il faut en réunir plus du quart pour avoir un semblant de préci­sion.

    Si vous voulez tran­cher des ques­tions qui divisent à presque égalité avec un bon indice de confiance, là vous pouvez oublier tout de suite, sauf à réunir 10 000 personnes dans une très grande salle.

    Si vous ne prévoyez pas au moins quelque chose de simi­laire, votre tirage au sort n’a pas beau­coup de chances d’être repré­sen­ta­tif. Si vos déci­sions ne sont pas binaires, si les avis doivent être nuan­cés, s’il y a un biais parce que certains accep­te­ront d’être nommé et d’autres décli­ne­ront, ou si certains tirés au sort ne votent pas, alors c’est encore pire.

    Alors ?

    L’his­toire ne dit pas si le tirage au sort est une bonne idée ou pas. Tout dépend des tâches qui sont dévo­lues aux personnes nommées ainsi, s’il y a une étape de vali­da­tion externe, s’il y a des contre-pouvoirs, s’il y a une censure possible, etc.

    Ce qui est certain c’est que sauf à faire des réels parle­ments de grande taille au sein de groupes eux aussi impor­tants, le tirage au sort a peu de chances d’être la solu­tion à un manque de repré­sen­ta­ti­vité.

    Le tirage au sort est aléa­toire, il ne crée pas une répar­ti­tion homo­gène, et n’a même que très peu de chances de le faire.

  • 1984 comme manuel de savoir-vivre

    1984 comme manuel de savoir-vivre

    Au nom de la liberté d’ex­pres­sion, les enfants qui ne disent pas ce qu’on attend d’eux sur des sujets qu’ils ne comprennent de toutes façons pas seront inter­ro­gés par les forces de l’ordre, pour enquête sur requête du procu­reur du procu­reur de la répu­blique.

    Au nom de la propriété privée, ceux qui volent des choses jetées à la poubelle par ceux qui n’en veulent plus seront arrê­tés, inter­ro­gés et pour­sui­vis sur requête du procu­reur de la répu­blique.

    La guerre c’est la paix,
    La liberté c’est l’es­cla­vage,
    L’igno­rance c’est la force.

    Nous vivons une époque formi­dable depuis que nous avons pris 1984 comme manuel de savoir-vivre.

    Pour l’oc­ca­sion nous avons même mis la promo­tion de l’ENA de cette année sous le patro­nage de Georges Orwell. J’ai du mal à en mesu­rer l’iro­nie…


    Aujourd’­hui et depuis trois semaines j’ai peur à chaque fois que j’en­tends ce qu’il se passe dans mon pays et dans les autres.

    Je n’ai pas peur d’un terro­risme qui fait moins de morts que le froid sur les SDF dans nos rues. J’ai peur de notre propre réac­tion, nous qui déclen­chions déjà régu­liè­re­ment des guerres sous des prétextes consciem­ment falla­cieux.

    Il nous a suffit d’un fait divers pour voir nos élus tous unis cher­cher la fin de toute commu­ni­ca­tion non inter­cep­tée et non contrô­lée, récla­mer obéis­sance et rituels à l’école plutôt qu’ap­pren­tis­sage de l’es­prit critique. Tout ça avec le soutient d’une majo­rité de la popu­la­tion, parce que présenté comme indis­pen­sable contre le terro­risme, quand bien même ça ne fait que l’ali­men­ter.

    Nous décons­trui­sons à vitesse rapide tout l’idéal rêvé sur plusieurs siècles. Jusqu’où serions-nous prêts à nous enfon­cer au prochain fait divers impré­vi­sible ? Serions-nous prêts à accep­ter un apar­theid ? une dicta­ture ? une guerre civile ? une guerre mondiale ? J’ai peur que oui et ça me fait peur.

    La Terreur de la fin du 18ème siècle pour­rait reve­nir bien bien plus vite qu’on ne le pense. Terro­risme avez-vous dit ? nous n’avons encore rien vu, et il risque de ne pas venir de là où on nous dit.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-SA par Xaime

  • J’ai peur. Non, pas des terro­ristes.

    On s’énerve quand on voit nos poli­tiques s’en­fon­cer dans une logique auto­ri­taire, mais fran­che­ment nous ne faisons pas mieux.

    J’ai très peur quand je vois tout autour de moi la réac­tion aux condam­na­tions récentes. On parle dans au moins deux cas de personnes à moitié bour­rées qui insultent la police après s’être fait arrê­ter. Autre­fois ça aurait été menaces de venir casser la gueule et autres injures, et ça se serait terminé sous le quali­fi­ca­tif d’ou­trage.

    Ces jours ci c’est « les jiha­distes vont vous mettre une balle dans la tête ». D’un coup la quali­fi­ca­tion passe à apolo­gie de terro­risme et on parle de 16 mois de prison dont 8 fermes avec mandat de dépôt (donc réel­le­ment départ en prison).

    Et autour de moi ça parle de tolé­rance zéro, et ça ne choque pas grand monde.

    Perdre le boulot, les liens avec la famille, pour avoir dit des conne­ries parce qu’on s’est énervé sous l’em­prise de l’al­cool… J’ai peur. Non, pas des terro­ristes.

  • Mon dialogue avec les élèves à propos de Char­lie Hebdo

    « Mais M’sieur, si on dessine le prin­ci­pal tout nu et avec des cornes, bah ça s’fait pas et du coup vous allez le censu­rer et bah voilà Char­lie Hebdo ils auraient du être censu­rés. »

    Et *paf* en pleine tête.

    C’est telle­ment vrai. Alors on a beau jeu de dire que c’est diffé­rent, qu’on ne les aurait pas tué pour ça.

    C’est vrai. Il n’em­pêche qu’on cherche à valo­ri­ser chez eux exac­te­ment ce qu’on leur inter­dit. Un dessin avec je ne sais quoi sodo­mi­sant le provi­seur, quand bien même le provi­seur aurait été pris comme symbole de l’au­to­rité, ça aurait été l’ex­clu­sion directe, c’est à dire la sanc­tion la plus forte possible dans le cadre de ce que permet la loi. Pour peu que ça vienne d’un agita­teur, ça aurait même pu tomber sous le pénal de l’in­sulte à profes­seur, avec un poten­tiel de 6 mois de prison ferme à la clef.

    On a beau jeu de dire que les jeunes sont perdus, alors que nous leur impo­sons nos propres contra­dic­tions.

    À l’op­posé, ce profes­seur semble les avoir consi­déré comme des gens capables de réflé­chir, et ça semble avoir fait réflé­chir. Un gros merci à lui.

    Je note d’ailleurs qu’ici, contrai­re­ment au récit précé­dent, on se moque de savoir si tel élève est musul­man ou non, on ne cherche pas à les culpa­bi­li­ser, on ne quali­fie pas les élèves voyant les choses autre­ment comme « retord ». Ça change tout, même si le fond du message est proba­ble­ment le même, même s’il y en reste tout autant qui n’au­ront pas compris ce fond.

     

  • J’ai cher­ché à comprendre

    J’ai cher­ché à comprendre

    Repor­ters sans fron­tières (RSF) s’in­digne de la présence à la “marche répu­bli­caine” à Paris de diri­geants de pays dans lesquels les jour­na­listes et les blogueurs sont systé­ma­tique­ment brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Al­gé­rie et les Emirats arabes unis. Au Clas­se­ment mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respec­ti­ve­ment 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180.

    Il faut dire que la liste de ceux qui viennent mais auraient du s’abs­te­nir est encore plus longue, et que le détail est fran­che­ment catas­tro­phique. Je me suis demandé pourquoi des diri­geants, connus pour ne pas être tendre avec les liber­tés, voire ayant empri­sonné, tué ou exilé leurs propres jour­na­listes, cherchent à parti­ci­per à la mani­fes­ta­tion d’aujourd’­hui.

    Je ne crois pas une seconde qu’ils soient assez naïfs ou imbé­ciles pour croire que ça leur redon­nera une virgi­nité ou un vernis posi­tif.

    J’ai cher­ché, et puis je me suis souvenu qu’of­fi­ciel­le­ment ces diri­geants ne font eux aussi que lutter contre le terro­risme, contre leur terro­ristes à eux, selon eux. Offi­ciel­le­ment ils ne font que prendre des mesures excep­tion­nelles et néces­saires pour sauve­gar­der l’ordre public. Il faut dire que la notion de terro­risme  est telle­ment large qu’on peut y faire entrer tout et son contraire en fonc­tion de ses propres inté­rêts.

    Je ne saurais dire s’ils espèrent nous voir sombrer dans les mêmes travers pour justi­fier les leurs ou si, de bonne foi, ils cherchent à nous appor­ter leur soutient en pensant honnê­te­ment avoir déjà traversé cette épreuve et mis en oeuvre ce qu’ils pensent indis­pen­sable.

    Ils semblent bien avoir raison

    Je me retiens géné­ra­le­ment de voir de la malveillance là où il ne pour­rait y avoir que de la bêtise navrante. D’un autre côté ils ne sont pas si bêtes, car ils semblent bien avoir raison.

    Je pour­rais conti­nuer mais Le Monde a fait sa propre liste, plus courte mais qui tend à faire croire que la mienne n’est pas très grave en compa­rai­son. Centres de réédu­ca­tions de la pensée, réou­ver­ture du bagne, présomp­tion de culpa­bi­lité, retrait des allo­ca­tions aux parents d’en­fants ne faisant pas la minute de silen­ce… l’ima­gi­na­tion de nos poli­tiques est débor­dante et n’im­porte quelle propo­si­tion inac­cep­table pour­rait passer comme modé­rée quand voit ces délires.

    N’est pas la Norvège qui veut

    Mon rêve d’hier est déjà bien loin, même si j’avais peu d’es­poir. N’est pas la Norvège qui veut, et nos repré­sen­tants avaient déjà montré plus d’une fois que reti­rer nos liber­tés était pour eux la meilleure solu­tion pour qu’on ne nous les menace pas.

    Dans mes rêves les plus fous, aujourd’­hui, la France aurait pris la suite de RSF, avec le courage d’ex­pri­mer haut et fort « non, il n’est pas sain que vous vous asso­ciez à cet événe­ment aujourd’­hui » aux diri­geants des pays peu favo­rables à la liberté d’ex­pres­sion, ainsi qu’à ceux qui utilisent le prétexte de lutte contre le terro­risme dans leurs inté­rêts.

    Cela aurait posé des problèmes de rela­tion diplo­ma­tique, nous aurait certai­ne­ment perdu quelques inté­rêts écono­miques. Nos valeurs ont visi­ble­ment bien peu de poids à côté de tout cela. Une marche collec­tive, c’est bien tout ce qu’on peut espé­rer visi­ble­ment. Savou­rons-la, malgré sa compo­si­tion.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Neil Mora­lee

  • J’ai­me­rais qu’elle serve à ça

    J’ai­me­rais qu’elle serve à ça

    Nous allons répondre à la terreur par plus de démo­cra­tie, plus d’ou­ver­ture et de tolé­rance

    — Jens Stol­ten­berg, après les atten­tats en Norvège

    Si cette émotion devait servir à quelque chose d’utile, j’ai­me­rais qu’elle serve à ça.

    N’ou­blions pas : Depuis qu’on parle de terro­risme, ce dernier n’a jamais réel­le­ment réduit nos liber­tés en occi­dent. Les liber­tés que nous avons perdu, nous nous les sommes reti­rés nous-mêmes.

    Depuis 15 ans notre réponse a été de culpa­bi­li­ser les pauvres et les chômeurs, de faire la guerre aux étran­gers et enfants d’étran­gers, d’igno­rer les souf­frances et les brimades subies par les mino­ri­tés visibles, d’iso­ler nos repré­sen­tants poli­tiques de la diver­sité des opinions, d’in­ter­dire autant que possible tout ce qui peut repré­sen­ter la reli­gion musul­mane, de cliver et monter les uns contre les autres.

    Notre poli­tique a été de faire du spec­tacle, du marke­ting, des prises de paroles gran­di­lo­quentes. Notre poli­tique a été de prendre chaque fait comme excuse pour inter­dire, pour exclure, pour renfor­cer la surveillance et réduire les liber­tés civiles.

    Le danger du regrou­pe­ment dans l’émo­tion c’est cette union natio­nale qui ne fait émer­ger qu’une seule voix, c’est ce repli sur soi sous prétexte de patrio­tisme, c’est cette volonté sécu­ri­taire qui ne fait qu’en­tre­te­nir la peur et la défiance.

    Si cette émotion devait servir à quelque chose, j’es­père que ce sera, pour une fois, à monter plus d’édu­ca­tion, plus de soli­da­rité, plus de démo­cra­tie et plus de justice. Il ne tient qu’à nous.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Davide Cassa­nello

  • Le désar­roi d’une prof qui parle de « Char­lie » à ses élèves – Amal­game au quoti­dien

    Le désar­roi d’une prof qui parle de « Char­lie » à ses élèves – Amal­game au quoti­dien

    Parce que parmi toutes les bonnes volon­tés du monde, il est temps de commen­cer par se rendre compte que nous ne sommes nous-même pas neutres.

    J’ai d’abord eu un échange avec ma classe de 5e, compo­sée de collé­giens de 12 ans en moyenne. Ils étaient très silen­cieux. Sauf un qui m’a demandé : « Pourquoi respec­ter une minute de silence pour des gens que je ne connais­sais pas ? » J’ai trouvé cette réac­tion violente. Ses cama­rades ont été choqués égale­ment. Ils sont jeunes, sans doute plus émotifs que leurs aînés. Je voyais que cet élève faisait semblant, il ne pesait pas ses mots. Il était dans la provo­ca­tion.

    J’ai rappelé les faits en commençant pas l’évi­dence : on a tué des êtres humains. Pour que la minute de silence soit ensuite respec­tée, j’ai dû « plom­ber l’am­biance », sinon ça n’au­rait pas fonc­tionné. Je leur ai dit : « Vous vous rendez compte que les victimes sont parties hier matin en disant à tout à l’heure à leur famille ? »

    Et en même temps, cette ques­tion est immen­sé­ment perti­nente. Se conten­ter de dire que ce sont des êtres humains ? mais des êtres humains il en meure tous les jours, avec des familles dans le déses­poir.

    À 12 ans ils sont capables de comprendre que c’est qu’il doit y avoir quelque chose de diffé­rent, que la dernière fois qu’un élève a perdu un parent il n’y a pas eu de minute de silence.

    C’était peut être la seule ques­tion et la seule expli­ca­tion de texte utile dans toute cette histoire, bien plus que la minute de silence elle-même. À vrai dire, sauf à avoir déjà compris tous les tenants et abou­tis­sants, ce sont juste­ment ceux qui ne posent pas la ques­tion qui néces­sitent de l’at­ten­tion, parce que ce ceux eux qui subissent et repro­duisent l’émo­tion sans la comprendre.

    Celui qui pose la ques­tion est celui qui commence à réflé­chir et à prendre du recul. La ques­tion que je me pose, c’est si la profes­seur avait elle-même ce recul, vu la réac­tion.

    Le pire c’est que sans cette expli­ca­tion de texte, il ne serait pas éton­nant que juste­ment certains croient comprendre que la diffé­rence ici c’est que la réac­tion a eu lieu au nom de la reli­gion musul­mane. Bref, y voient une stig­ma­ti­sa­tion.

    Je venais de voir quelques-unes de mes élèves de confes­sion musul­mane debout, la tête bais­sée, presque gênées, pour elles, pour leurs familles, ça doit être dur de voir certains faire l’amal­game.

    Quant à ce qui s’est passé dans ma classe, cette provo­ca­tion, ce n’est rien à côté de ce que certains de mes collègues ont dû affron­ter. Durant la minute de silence, dans les autres classes, il y a eu plusieurs expul­sions d’élèves, les uns parlaient, disaient des choses affreuses, les autres rigo­laient. Un petit de 6e de confes­sion musul­mane a carré­ment refusé de respec­ter la minute de silence. Tous ces élèves un peu « retors » ont été envoyés chez le prin­ci­pal de l’éta­blis­se­ment et chez l’in­fir­mière scolaire pour entendre un discours diffé­rent de celui qu’ils entendent sans doute chez eux.

    Et pour­tant, c’est juste­ment ça l’amal­game et la discri­mi­na­tion. Quand il y a eu plusieurs élèves qui ont refusé de faire la minute de silence, mais que celui dont on parle est juste­ment le musul­man – je suppose que tous les autres ne l’étaient pas alors pour eux c’est juste de la disci­pline. Pour le musul­man par contre, c’est forcé­ment à cause de la reli­gion. Même la formu­la­tion de « confes­sion musul­mane », pour éviter de dire « musul­man »… est-ce donc un terme néga­tif ou stig­ma­ti­sant dans l’es­prit de l’au­teur ?

    « Madame, me dit-elle, on ne va pas se lais­ser insul­ter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moque­rie, c’est une insulte ! » Contrai­re­ment au précé­dent, cette petite pesait ses mots, elle n’était pas du tout dans la provoc. À côté d’elle, l’une de ses amies, de confes­sion musul­mane égale­ment, soute­nait ses propos. J’étais choquée, j’ai tenté de rebon­dir sur le prin­cipe de liberté et de liberté d’ex­pres­sion. Puis c’est un petit groupe de quatre élèves musul­mans qui s’est agité : « Pourquoi ils conti­nuent, madame, alors qu’on les avait déjà mena­cés ? »

    Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Char­lie Hebdo faisait de même avec les autres reli­gions. Leur profes­seur de français avait eu l’in­tel­li­gence de leur montrer les unes de Char­lie pour leur montrer que l’is­lam n’était pas la seule reli­gion à être moquée. Mais ils réagissent avec ce qu’ils ont entendu à la maison.

    Et je me mets à leur place, c’est leur dire qu’ils doivent garder pour eux toute brimade pour autant que d’autres sont aussi visés.

    Je me rappelle combien trou­vaient normal que Zine­dine Zidane ait donné un coup de tête légen­daire à la coupe du monde de 2006, parce qu’il avait été provoqué par une insulte sur sa soeur. Je me rappelle et vois aussi autour de moi qu’à l’école on répond parfois aux enfants qu’il faut qu’ils apprennent à se défendre, à ne pas venir faire le rappor­teur quand ils reçoivent un coup. Pas partout, mais c’est une voix qui n’est pas si mino­ri­taire que ça.

    Il ne s’agit pas de compa­rer avec un homi­cide, mais l’en­sei­gne­ment qu’on donne aujourd’­hui c’est aussi ça. Allez leur expliquer ensui­te… eux n’y voient plus qu’une ques­tion d’ordre de gran­deur mais aucu­ne­ment un problème à la base.

    Tout ceci est partagé, pas spéci­fique à la reli­gion. Dans les faits divers on retrouve d’autres gens qui ont fini par prendre le fusil parce que le voisin a provoqué, a fait trop de bruit. La stig­ma­ti­sa­tion c’est noter et appuyer la confes­sion de son amie, parce que elle était musul­mane, alors c’est diffé­rent, c’est forcé­ment à cause de ça.

    Ce qui me désole, c’est la frac­ture que cet événe­ment tragique a créée dans des classes d’ha­bi­tude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd’­hui une ambiance glauque, parti­cu­lière. Cette classe de 4e sympa, dyna­mique, était soudain sépa­rée en deux clans. Les commu­nau­ta­rismes ont resurgi d’un coup. Et ça me fait peur pour la suite.

    L’école doit trans­mettre nos valeurs, mais on est parfois un peu trahis par les parents. On apprend les prin­cipes répu­bli­cains aux enfants, mais une fois à la maison ils en font bien ce qu’ils veulent. Ils n’ont plus confiance en nous, profes­seurs. Ils ne nous prennent pas pour des alliés, mais pour des enne­mis. En tant que prof, tu te demandes ce qu’ils peuvent penser de toi, de nous ensei­gnants, nous qui avons la foi de leur apprendre. Nous avons devant nous des jeunes citoyens qui ont des idées telles qu’on est obligé de se deman­der : « Où allons-nous ? »

    Sauf que juste­ment, rien n’est rapporté sur le fait que ce sont des propos venant de la maison. De ce qui ressort de l’ar­ticle, c’est unique­ment un pré-supposé de la profes­seur. Pourquoi ? Parce qu’on parle de musul­mans, ça ne peut venir que de là.

    Des parents musul­mans, c’est donc compré­hen­sible qu’ils donnent des prin­cipes non répu­bli­cains et fassent ce qu’ils veulent à la maison, non ?

    L’en­sei­gne­ment, les valeurs, auraient pu conduire à consi­dé­rer les enfants de 12 ans comme capables de réflé­chir, de ne pas leur préter par défaut les mots de leurs parents. Ça aurait été de consi­dé­rer qu’il y a des enfants qui n’ont pas compris qu’être ciblé n’au­to­rise pas à faire justice soi-même, qu’il y a des enfants (et des adultes) qui ne comprennent pas en quoi ces morts là sont parti­cu­liers. Ça aurait été de leur expliquer, plutôt que de simple­ment noter qu’ils sont musul­mans et que ça explique tout à cause de leurs parents.

    C’est certai­ne­ment invo­lon­taire, mais cet article est l’exemple même qui montre la stig­ma­ti­sa­tion et l’amal­game au quoti­dien, que le vivre ensemble est cassé. Pas que par des parents hors des valeurs de la répu­blique qui font ce qu’ils veulent chez eux, mais à la base même chez ceux qui veulent combattre tout ça, y compris chez cette ensei­gnante.

    En première lecture l’ar­ticle y montre une ensei­gnante qui fait ce qu’elle peut, dépas­sée par une divi­sion de société sur lequel elle n’a pas de contrôle. À la seconde lecture j’ai en plus envie de donner un miroir à l’en­sei­gnante.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC par Chris­tos Tsoum­ple­kas