Parce que parmi toutes les bonnes volontés du monde, il est temps de commencer par se rendre compte que nous ne sommes nous-même pas neutres.
J’ai d’abord eu un échange avec ma classe de 5e, composée de collégiens de 12 ans en moyenne. Ils étaient très silencieux. Sauf un qui m’a demandé : « Pourquoi respecter une minute de silence pour des gens que je ne connaissais pas ? » J’ai trouvé cette réaction violente. Ses camarades ont été choqués également. Ils sont jeunes, sans doute plus émotifs que leurs aînés. Je voyais que cet élève faisait semblant, il ne pesait pas ses mots. Il était dans la provocation.
J’ai rappelé les faits en commençant pas l’évidence : on a tué des êtres humains. Pour que la minute de silence soit ensuite respectée, j’ai dû « plomber l’ambiance », sinon ça n’aurait pas fonctionné. Je leur ai dit : « Vous vous rendez compte que les victimes sont parties hier matin en disant à tout à l’heure à leur famille ? »
Et en même temps, cette question est immensément pertinente. Se contenter de dire que ce sont des êtres humains ? mais des êtres humains il en meure tous les jours, avec des familles dans le désespoir.
À 12 ans ils sont capables de comprendre que c’est qu’il doit y avoir quelque chose de différent, que la dernière fois qu’un élève a perdu un parent il n’y a pas eu de minute de silence.
C’était peut être la seule question et la seule explication de texte utile dans toute cette histoire, bien plus que la minute de silence elle-même. À vrai dire, sauf à avoir déjà compris tous les tenants et aboutissants, ce sont justement ceux qui ne posent pas la question qui nécessitent de l’attention, parce que ce ceux eux qui subissent et reproduisent l’émotion sans la comprendre.
Celui qui pose la question est celui qui commence à réfléchir et à prendre du recul. La question que je me pose, c’est si la professeur avait elle-même ce recul, vu la réaction.
Le pire c’est que sans cette explication de texte, il ne serait pas étonnant que justement certains croient comprendre que la différence ici c’est que la réaction a eu lieu au nom de la religion musulmane. Bref, y voient une stigmatisation.
Je venais de voir quelques-unes de mes élèves de confession musulmane debout, la tête baissée, presque gênées, pour elles, pour leurs familles, ça doit être dur de voir certains faire l’amalgame.
Quant à ce qui s’est passé dans ma classe, cette provocation, ce n’est rien à côté de ce que certains de mes collègues ont dû affronter. Durant la minute de silence, dans les autres classes, il y a eu plusieurs expulsions d’élèves, les uns parlaient, disaient des choses affreuses, les autres rigolaient. Un petit de 6e de confession musulmane a carrément refusé de respecter la minute de silence. Tous ces élèves un peu « retors » ont été envoyés chez le principal de l’établissement et chez l’infirmière scolaire pour entendre un discours différent de celui qu’ils entendent sans doute chez eux.
Et pourtant, c’est justement ça l’amalgame et la discrimination. Quand il y a eu plusieurs élèves qui ont refusé de faire la minute de silence, mais que celui dont on parle est justement le musulman – je suppose que tous les autres ne l’étaient pas alors pour eux c’est juste de la discipline. Pour le musulman par contre, c’est forcément à cause de la religion. Même la formulation de « confession musulmane », pour éviter de dire « musulman »… est-ce donc un terme négatif ou stigmatisant dans l’esprit de l’auteur ?
« Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moquerie, c’est une insulte ! » Contrairement au précédent, cette petite pesait ses mots, elle n’était pas du tout dans la provoc. À côté d’elle, l’une de ses amies, de confession musulmane également, soutenait ses propos. J’étais choquée, j’ai tenté de rebondir sur le principe de liberté et de liberté d’expression. Puis c’est un petit groupe de quatre élèves musulmans qui s’est agité : « Pourquoi ils continuent, madame, alors qu’on les avait déjà menacés ? »
Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Charlie Hebdo faisait de même avec les autres religions. Leur professeur de français avait eu l’intelligence de leur montrer les unes de Charlie pour leur montrer que l’islam n’était pas la seule religion à être moquée. Mais ils réagissent avec ce qu’ils ont entendu à la maison.
Et je me mets à leur place, c’est leur dire qu’ils doivent garder pour eux toute brimade pour autant que d’autres sont aussi visés.
Je me rappelle combien trouvaient normal que Zinedine Zidane ait donné un coup de tête légendaire à la coupe du monde de 2006, parce qu’il avait été provoqué par une insulte sur sa soeur. Je me rappelle et vois aussi autour de moi qu’à l’école on répond parfois aux enfants qu’il faut qu’ils apprennent à se défendre, à ne pas venir faire le rapporteur quand ils reçoivent un coup. Pas partout, mais c’est une voix qui n’est pas si minoritaire que ça.
Il ne s’agit pas de comparer avec un homicide, mais l’enseignement qu’on donne aujourd’hui c’est aussi ça. Allez leur expliquer ensuite… eux n’y voient plus qu’une question d’ordre de grandeur mais aucunement un problème à la base.
Tout ceci est partagé, pas spécifique à la religion. Dans les faits divers on retrouve d’autres gens qui ont fini par prendre le fusil parce que le voisin a provoqué, a fait trop de bruit. La stigmatisation c’est noter et appuyer la confession de son amie, parce que elle était musulmane, alors c’est différent, c’est forcément à cause de ça.
Ce qui me désole, c’est la fracture que cet événement tragique a créée dans des classes d’habitude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd’hui une ambiance glauque, particulière. Cette classe de 4e sympa, dynamique, était soudain séparée en deux clans. Les communautarismes ont resurgi d’un coup. Et ça me fait peur pour la suite.
L’école doit transmettre nos valeurs, mais on est parfois un peu trahis par les parents. On apprend les principes républicains aux enfants, mais une fois à la maison ils en font bien ce qu’ils veulent. Ils n’ont plus confiance en nous, professeurs. Ils ne nous prennent pas pour des alliés, mais pour des ennemis. En tant que prof, tu te demandes ce qu’ils peuvent penser de toi, de nous enseignants, nous qui avons la foi de leur apprendre. Nous avons devant nous des jeunes citoyens qui ont des idées telles qu’on est obligé de se demander : « Où allons-nous ? »
Sauf que justement, rien n’est rapporté sur le fait que ce sont des propos venant de la maison. De ce qui ressort de l’article, c’est uniquement un pré-supposé de la professeur. Pourquoi ? Parce qu’on parle de musulmans, ça ne peut venir que de là.
Des parents musulmans, c’est donc compréhensible qu’ils donnent des principes non républicains et fassent ce qu’ils veulent à la maison, non ?
L’enseignement, les valeurs, auraient pu conduire à considérer les enfants de 12 ans comme capables de réfléchir, de ne pas leur préter par défaut les mots de leurs parents. Ça aurait été de considérer qu’il y a des enfants qui n’ont pas compris qu’être ciblé n’autorise pas à faire justice soi-même, qu’il y a des enfants (et des adultes) qui ne comprennent pas en quoi ces morts là sont particuliers. Ça aurait été de leur expliquer, plutôt que de simplement noter qu’ils sont musulmans et que ça explique tout à cause de leurs parents.
C’est certainement involontaire, mais cet article est l’exemple même qui montre la stigmatisation et l’amalgame au quotidien, que le vivre ensemble est cassé. Pas que par des parents hors des valeurs de la république qui font ce qu’ils veulent chez eux, mais à la base même chez ceux qui veulent combattre tout ça, y compris chez cette enseignante.
En première lecture l’article y montre une enseignante qui fait ce qu’elle peut, dépassée par une division de société sur lequel elle n’a pas de contrôle. À la seconde lecture j’ai en plus envie de donner un miroir à l’enseignante.
Photo d’entête sous licence CC BY-NC par Christos Tsoumplekas
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