Catégorie : Emploi et travail

  • 86% des chômeurs

    La presse se fait écho des statis­tiques de contrôle au Pôle Emploi et de la réponse de notre gouver­ne­ment. On saura que 14% des contrô­lés auront été pris en faute (proba­ble­ment une inca­pa­cité à prou­ver des recherches suffi­santes).

    On est très loin du mythe du chômeur majo­ri­tai­re­ment frau­deur mais 14% ça n’est pas négli­geable non plus. Le gouver­ne­ment annonce vouloir inten­si­fier les contrôles, multi­plier par 5 les effec­tifs de contrô­leurs.

    Certains jour­naux donnent plus de détails et, là, le ridi­cule se pointe.

    * * *

    Parlons d’abord chiffres. Sur les 14% de sanc­tion­nés, seuls 40% sont en réalité indem­ni­sés par l’Une­dic.

    Oui, vous avez bien lu. Une part impor­tante des contrô­lés ne rece­vaient aucune indem­ni­sa­tion d’au­cune sorte.

    Au final les sanc­tion­nés rece­vant une indem­ni­sa­tion indue repré­sentent seule­ment 5,6% des contrô­lés. D’un coup le chiffre devient bien moins signi­fi­ca­tif. Ne trou­vez-vous pas ?

    Si en plus le ciblage a été fait sur des critères pas trop idiots, ça veut dire que le taux de frau­deurs indem­ni­sés doit commen­cer à être fran­che­ment réduit (surtout quand on a en tête le taux de non-recours aux pres­ta­tions sociales, un ordre de gran­deur supé­rieur)

    * * *

    Bref, pas de quoi justi­fier la multi­pli­ca­tion par cinq (!) des contrôles et des contrô­leurs qui a été annon­cée par le gouver­ne­ment.

    Faites le calcul : L’in­dem­ni­sa­tion moyenne est de 1159 euros. La sanc­tion est une radia­tion de 15 jours, soit donc 580 euros.

    Pour chaque personne indem­ni­sée sanc­tion­née on en contrôle manuel­le­ment 20, et on procède à 14 désins­crip­tions puis réins­crip­tions. Je ne connais pas le coût d’un contrôle ni celui des désins­crip­tions et réins­crip­tions, mais le gain finan­cier net ne doit pas être énorme.

    Avec seule­ment 5% de réus­site utile, il est plutôt urgent de travailler à mieux cibler les contrôles plutôt que les augmen­ter. Là on aurait de la bonne gestion et pas une opéra­tion de commu­ni­ca­tion poli­tique.

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    D’au­tant que je ne sais pas vous, mais si j’étais inscrit sans indem­ni­tés et que l’État avait l’ou­tre­cui­dance de me deman­der des comptes, il n’est pas certain que je joue­rais le jeu long­temps.

    Même pour ceux qui effec­ti­ve­ment n’avaient pas une recherche active suffi­sante, quel inté­rêt de les contrô­ler à part faire une opéra­tion de commu­ni­ca­tion sur les chiffres ?

    Qu’on en arrive à cibler ces gens là pour un contrôle montre qu’il y a fort à faire au niveau de l’ef­fi­ca­cité du ciblage.

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    Ou alors…

    Ou alors le but était juste­ment de faire une opéra­tion de commu­ni­ca­tion, de pouvoir présen­ter un chiffre de frau­deurs élevé et reje­ter socia­le­ment la faute sur les chômeurs. Ce serait vrai­ment malhon­nête, vrai­ment dégueu­lasse, vrai­ment…

    Le problème c’est qu’à part l’in­com­pé­tence crasse de toute la chaîne opéra­tion­nelle cumu­lée à celle de toute la chaîne déci­sion­nelle jusqu’au ministre qui a validé la réponse poli­tique à la publi­ca­tion de ce chif­fre… je ne vois pas d’autre alter­na­tive.

    Si j’étais cynique, la malhon­nê­teté et l’in­com­pé­tence ne sont pas des éven­tua­li­tés exclu­sives l’une de l’autre.

  • [poli­tique] Ils préfèrent foutre le bordel (que de faire 7h de train par jour pour aller travailler)

    Il y a tout un monde entre la théo­rie sur le papier et la réalité sur le terrain. Le problème c’est quand celui en charge se permet d’être hautain avec les gens sur le terrain.

    Il suffit de quelques mots d’un concerné pour se rendre compte combien les mots d’hu­meur à l’ori­gine de la polé­mique sont ceux de quelqu’un décon­necté du terrain.

    Mention spéciale à notre ministre Gérard Collomb dont les propos sont rappor­tés par Marianne. Lui n’a même plus de limites dans son statut de privi­lé­gié, ou alors il a conscience de ce qu’il dit et c’est encore pire :

    « C’est pas le problème de 180 kilo­mètres », assure Gérard Collomb, qui estime que les deux points se relient en trois coups d’ac­cé­lé­ra­teur : « Si vous êtes relié par une auto­route ou une voie ferrée qui peut y aller… Je viens de Lyon, j’ai pas de problème pour venir chez vous. »

    Ça permet d’ailleurs à Marianne de rappe­ler que ces 180 km prennent plus de temps qu’un Paris-Lyon, que ce soit en voiture ou en train – entre 5 et 7 heures aller-retour, rien que ça, pour du quoti­dien c’est un peu diffi­cile –, et de rappe­ler l’état de la poli­tique d’in­fra­struc­tures hors des liai­sons pour cadres qui vont sur Paris :

    Comme semble l’igno­rer Gérard Collomb, la desserte des terri­toires ruraux est de fait en déliques­cence. La SNCF a récem­ment supprimé quatre arrêts à la gare de La Souter­raine, alors que le nombre de voya­geurs y a augmenté de 60% en sept ans. Et A Ussel, la situa­tion n’est guère meilleure. « Ussel est coin­cée », pointe Frédé­ric Cueille de la CGT des chemi­nots limou­sins, qui déplore dans La Montagne un « encla­ve­ment » des zones rurales : « L’objec­tif de la SNCF est de fermer vingt-deux des vingt-sept points de vente. Ussel et Égle­tons sont mena­cées… ».

  • On orga­nise le dumping social

    Liberté des entre­prises d’un côté, chan­tage à l’em­ploi de l’autre. En réalité c’est plus perni­cieux que ça.

    La conven­tion collec­tive c’était aussi s’as­su­rer que toutes les entre­prises d’un secteur jouent avec un même socle de règles et de contraintes.

    Avec des accords d’en­tre­prise qui peuvent reve­nir sur ces accords de branche, on fait sauter ce verrou : L’en­tre­prise à côté est plus concur­ren­tielle parce qu’elle a entaillé certaines protec­tions sociales ? Il va falloir qu’on fasse pareil si on veut reprendre le marché, et même aller un peu plus loin, sinon c’est le plan social qui nous pend au nez à long terme.

    C’est la course au moins disant. Pas le choix. Si l’autre le fait et que le climat écono­mique n’est pas encou­ra­geant, il faudra s’y mettre aussi.

    Ça ne vous rappelle rien ? L’Ir­lande avec son impôt sur les socié­tés moitié plus faible que les voisins, le Luxem­bourg qui offre des condi­tions fiscales ridi­cules pour atti­rer les multi­na­tio­nales chez lui, les inci­ta­tions fiscales pour les plus riches « parce que sinon ils iront ailleurs »… On repro­duit ça, en interne, avec les condi­tions de travail des sala­riés.

    En réalité on orga­nise le dumping social interne sur le marché français.
    Rien de moins.

    Et à ce jeu là il n’y a aucun gain pour l’em­ploi. Il s’agit unique­ment de savoir quelle entre­prise gagne la commande, pas d’en prendre de nouvelles.

    Pendant ce temps, on perd les protec­tions sociales. Ça peut appor­ter un peu de concur­rence inter­na­tio­nale à court terme, mais pas au point de concur­ren­cer les pays à bas coût, et ça se fait au prix de la santé des sala­riés.

  • On vient de tuer le CDD (expli­ca­tions)

    Rien de moins. Ou est-ce le CDI qu’on a tué ? Je ne sais pas bien…

    Petit calcul pour une entre­prise de plus de 11 sala­riés

    Si vous prenez quelqu’un en CDI pour le licen­cier arbi­trai­re­ment quand vous voulez (illé­ga­le­ment donc) vous risquez de payer jusqu’à 1 mois de salaire par année d’an­cien­neté. Tout compris. En gros c’est une prime de 8,3% de salaire pour compen­ser l’abus de licen­cie­ment.

    Si vous prenez quelqu’un en CDD et que le contrat va léga­le­ment jusqu’à sa fin, vous devez lui verser en fin de période une prime de préca­rité de 10% de son salaire sur la période.

    À la place de l’em­ployeur vous feriez quoi ?

    * * *

    Oui, ce petit calcul n’est vrai que si on licen­cie au bout d’un an ou deux ans pile. Ça reste inté­res­sant dans les deux à trois mois avant la date anni­ver­saire, beau­coup moins sinon.

    Main­te­nant, consi­dé­rant que les deux premiers mois (au moins) sont couverts par la période d’es­sai et son renou­vel­le­ment, et qu’en échange vous n’avez aucune contrainte de renou­vel­le­ment, de durée fixe, de moti­va­tion à donner pour employer en CDD… et que cette prime couvre tout ce qui peut se passer : Au pire vous licen­ciez plus tôt que prévu, sans être tenu à quoi que ce soit.

    J’ai aussi pris le cas margi­nal. Dans la réalité tous les sala­riés n’ose­ront pas ou n’au­ront pas la force d’al­ler aux Prud’­hommes. Tous n’ob­tien­dront pas non plus le montant maxi­mum, surtout s’ils ne sont pas au maxi­mum d’an­cien­neté de la case qui s’ap­plique à eux, ou si l’em­ployeur arrive à moti­ver un prétexte qui atté­nue l’ar­bi­traire du licen­cie­ment. La moyenne réelle sera certai­ne­ment bien en dessous de ce maxi­mum, qui reste­rait toute­fois inté­res­sant pour l’em­ployeur.

    Sérieu­se­ment, sauf pour des contrats courts, autant prendre un CDI et licen­cier sans cause réelle ni sérieuse.

    On vient de tuer le CDD… et le CDI par la même occa­sion.

  • Un système de classes sociales tout à fait arti­fi­ciel

    Je soupire quand je vois des recherches de CTO sur Paris pour 35 K€ bruts annuels. Je ne discute pas du chiffre en valeur absolu (je sais qu’il est élevé) mais la moyenne pour un ingé­nieur logi­ciel jeune diplômé pari­sien est plutôt dans les 37 K€ brut.

    On me dit « si c’est trop bas ils ne trou­ve­ront pas et ils augmen­te­ront ». Oui, peut-être, mais atten­tion à ne pas croire à la légende du marché ration­nel qui module les rému­né­ra­tions en fonc­tion de l’offre et de la demande.

    * * *

    Peu importe combien de postu­lants tout à fait formés vous trou­ve­rez sur une posi­tion de cadre. Peu importe le manque persis­tant d’as­sis­tantes mater­nelles partout en France. Les premiers seront toujours bien payés et les secondes mal payées, avec une fausse justi­fi­ca­tion de « c’est le marché », parce que « c’est normal ».

    Les rému­né­ra­tions sont globa­le­ment beau­coup plus dépen­dantes de la répu­ta­tion sociale d’un métier et des logiques de classes. On a admis une hiérar­chie dans les métiers et dans les rému­né­ra­tions, et cette hiérar­chie posée compte beau­coup plus que tout le reste.

    C’est telle­ment ancré qu’on repro­chera le trop plein de certains cadres haute­ment diplô­més à un problème d’orien­ta­tion à l’uni­ver­sité et qu’on repro­chera le manque de person­nel pour la petite enfance à un défaut de l’État. Personne ne songera que, peut-être, on pour­rait faire évoluer notre balance de rému­né­ra­tions.

    Le fait que ce soient ceux qui sont les mieux payés qui décident des rému­né­ra­tions des autres n’est pas tota­le­ment un hasard non plus.

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    « C’est le marché » parce que ceux qui en décident l’ont décidé ainsi, avec tous leurs biais idéo­lo­giques, pas unique­ment pour une ques­tion d’offre et de demande.

    Si la logique de l’offre et de la demande fonc­tion­nait, l’as­sis­tante mater­nelle ne serait pas payée une misère. L’agent de propreté, l’éboueur et l’ou­vrier en situa­tion pénible seraient bien plus proches de la médiane natio­nale.

    * * *

    Je ne reproche pas à ceux qui sont bien payés de l’être. Le marché le leur permet et s’ils s’y refusent ça n’ira certai­ne­ment pas pour autant dans la poche des moins favo­ri­sés.

    Ça n’em­pêche pas d’être conscient de la situa­tion. Oui les compé­tences et la personne jouent (heureu­se­ment) mais les équi­libres tiennent aussi énor­mé­ment à un système de classes sociales tout à fait arti­fi­ciel.

  • Ce n’est pas ce qui est en jeu en ce moment

    Je fatigue de voir les réformes du code du travail justi­fiées au nom de la complexité règle­men­taire. J’ai l’im­pres­sion qu’à force de le répé­ter depuis 10 ans, ça s’im­prime chez chacun comme une évidence, sans fonde­ment concret.

    Le code du travail est complexe. Oui. Proba­ble­ment.

    Il s’agit d’équi­li­brer un rapport de force qui ne l’est pas par nature, pour des métiers et des situa­tions très diffé­rentes les unes des autres. Oui c’est complexe, et poten­tiel­le­ment épais. L’es­sen­tiel du code lui-même tient d’ailleurs aux conven­tions collec­tives et aux diffé­rentes couches d’ex­cep­tions règle­men­taires, pas aux règle­ments aux-même.

    Je vous en prie, oubliez au moins les bêtises sur le poids ou l’aug­men­ta­tion du nombre de pages  du Dalloz. L’es­sen­tiel de l’aug­men­ta­tion au fur et à mesure des années n’est du ni au légis­la­tif ni au règle­men­taire, mais à la juris­pru­dence.

    De manière inté­res­sante, en augmen­tant la part négo­ciable au niveau des branches et surtout au niveau de l’en­tre­prise, on va juste­ment devoir démul­ti­plier la juris­pru­dence à venir. Autant dire qu’on travaille dans le mauvais sens si c’est ça la moti­va­tion.

    C’est du poin­tillisme règle­men­taire. Oui, mais ce n’est pas forcé­ment si mal.

    Nous avons des textes pour tout. Je suis certain qu’on doit trou­ver quelque part un texte qui défi­nit à quelle hauteur un sala­rié sans quali­fi­ca­tion peut monter sur une échelle, et à quelle condi­tion le baudrier devient obli­ga­toire.

    Ce n’est pas spéci­fique au code du travail. C’est tout notre droit qui est ainsi. Il doit aussi certai­ne­ment y avoir un texte qui défi­nit l’écar­te­ment maxi­mum entre les barreaux ou la résis­tance mini­male des maté­riaux en fonc­tion de la tempé­ra­ture.

    Les améri­cains sont à l’autre bout du spectre. Ils ont un droit assez court, avec des prin­cipes géné­raux, et une grande lati­tude au niveau des tribu­naux. L’es­sen­tiel se passe au niveau des juris­pru­dences.

    Les deux systèmes ont des avan­tages et des défauts. Un juriste saura proba­ble­ment mieux en faire une disser­ta­tion mais ça n’a en tout cas rien à voir avec le code du travail.

    Ce qui est certain c’est que notre droit ouvre une sécu­rité juri­dique bien plus forte. Certes on peut excep­tion­nel­le­ment outre­pas­ser un règle­ment sans le savoir mais c’est encore plus vrai si le règle­ment n’est qu’im­pli­cite.

    Au moins ici la limite est connue, codi­fiée. L’em­ployeur sait à l’avance s’il peut ou s’il ne peut pas, au lieu de se retrou­ver à argu­men­ter dans le subjec­tif en s’épau­lant de 20 juge­ments passés contra­dic­toires.

    Reti­rons la complexité inutile. Facile à dire.

    Je dis oui. Qui serait pour garder l’inu­tile ?

    Main­te­nant, même en restant entre gens construc­tifs je mets au défi de trou­ver si faci­le­ment ce qui est inutile. La plupart des règles ne sortent pas de nulle part. Elles sont toutes la consé­quence d’une situa­tion passée, où on a jugé qu’elles étaient néces­saires.

    Bref. Il y a certai­ne­ment du ménage à faire mais c’est un gros boulot de fond, sur une myriade de points de détail, à prendre un par un. Un travail qui néces­site de se rensei­gner sur l’his­toire de chacun de ces points pour comprendre la moti­va­tion à son origine, puis compa­rer à la situa­tion d’aujourd’­hui en s’ap­puyant sur les statis­tiques concer­nées, voire d’en comman­der à l’INSEE si elles n’existent pas.

    Ça va être long, et c’est une démarche tota­le­ment oppo­sée à la commu­ni­ca­tion actuelle du « allons vite et bouclons ça avant la fin de l’an­née ».

    La diffé­rence est d’ailleurs simple à faire. La complexité règle­men­taire est… règle­men­taire. Il n’y a pas besoin de loi ou d’ha­bi­li­ta­tion d’or­don­nances, pas besoin d’ac­cord entre les parte­naires sociaux. Il suffit de simples décrets.

    Si on parle de lois et d’ha­bi­li­ta­tions d’or­don­nances, c’est que ce n’est pas à ça qu’on touche. La complexité règle­men­taire est l’ex­cuse de façade.

    Simpli­fions le code du travail. Chiche.

    Sérieu­se­ment, chiche. Les indem­ni­tés de départ d’un sala­rié ? Il y a la règle géné­rale. Puis il y a la conven­tion collec­tive. Mais ça dépend géné­ra­le­ment du statut cadre, non-cadre, direc­tion. Mais certaines règles ne s’ac­tivent qu’à partir d’une certaine ancien­neté. Mais l’an­cien­neté prend parfois en compte les congés mala­die et parfois pas tota­le­ment. Et je suis certain que certaines conven­tions collec­tives ont des règles encore plus complexes.

    Bref, si on veut simpli­fier on peut déjà unifor­mi­ser, au moins sur ce qui n’est pas propre à un métier. Que les horaires de travail se gèrent diffé­rem­ment pour un boulan­ger et pour un employé de bureau, ça se conçoit. Qu’ils aient des règles de calcul diffé­rentes en fonc­tion de leur ancien­neté, c’est plus diffi­cile à moti­ver.

    Des règles claires et communes, et donc une juris­pru­dence elle-aussi plus lisible et plus faci­le­ment géné­ra­li­sa­ble… moi je suis pour. Le code sera plus léger et plus simple.

    Main­te­nant quand je regarde la dernière loi sur le travail ou ce qu’on prépare prochai­ne­ment, il n’y a aucune simpli­fi­ca­tion à l’ordre du jour. *Aucu­ne*. Le code géné­ral garde toute sa complexité, voire s’en voit ajou­ter. Par contre on veut enri­chir les cas parti­cu­liers, les capa­ci­tés de négo­cia­tion au niveau de la branche, puis celles au niveau de l’en­tre­prise.

    Chacun aura des règles diffé­rentes, dont les équi­libres seront à inter­pré­ter (surtout si on ne veut pas avoir de poin­tillisme règle­men­taire), avec le risque qu’un juge fasse primer une règle sur un autre le jour où il aura à tran­cher. La juris­pru­dence elle-même en sera complexi­fiée vu que les termes seront diffé­rents d’un texte à l’autre et qu’en plus l’ac­cord devra s’in­ter­pré­ter dans le contexte d’une entre­prise parti­cu­lière. Simpli­fier, vrai­ment ? des clous !

    Choix de société. Soyons honnêtes.

    Les futurs chan­ge­ments ne résolvent pas le poin­tillisme règle­men­taire. Ils ne simpli­fient pas la situa­tion juri­dique. Ils la complexi­fie­ront dras­tique­ment.

    Non, ce qui vient c’est d’une part une modi­fi­ca­tion de l’équi­libre au niveau du code de travail, et ensuite un chan­ge­ment de modèle sur la protec­tion des sala­riés.

    On peut être pour ou contre ces deux évolu­tions, mais soyons honnêtes et arrê­tons de nous cacher derrière les lieux communs du « code du travail trop lourd et trop complexe ». Que ce soit vrai ou pas, ce n’est pas ce qui est en jeu en ce moment.

    Ça permet­tra au moins d’abor­der le débat de fond, de savoir quelle société nous voulons, quels équi­libres nous souhai­tons. C’est bien de ça dont on parle, et certai­ne­ment pas de la complexité du code du travail.

  • Indém­nité de fin de mandat des dépu­tés

    On commence déjà à voir quelques amis d’an­ciens dépu­tés qui pleurent sur la préca­rité de leur fonc­tion et sur la dégres­si­vité de leurs indem­ni­tés après mandat.

    Les dépu­tés ont effec­ti­ve­ment des indem­ni­tés dégres­sives mais la première année elles sont à 100% puis 70% de leur indem­nité de base, là où un sala­rié est indem­nisé à 57% de son salaire moyen.

    Il suffit de faire petit tableau pour voir que le régime est outra­geu­se­ment avan­ta­geux.

    Comparé à un sala­rié, leur indem­nité est 75% plus élevée le premier semestre. Si on raisonne en cumulé, comparé à un sala­rié, ils y gagnent 14 500 € s’ils retrouvent un emploi au bout de six mois, 18 900 € s’ils le retrouvent au bout d’un an.

    L’avan­tage se réduit la seconde année mais reste de 10 700 € au mini­mum… avant de remon­ter jusqu’à 27  500 € à la fin des trois ans puisque le député est indem­nisé une année de plus que le sala­rié dans le cas géné­ral.

    À véri­fier mais je doute aussi qu’ils passent par Pôle Emploi et les obli­ga­tions/contrôles de recherche d’em­ploi. Ça n’a l’air de rien mais ceux qui sont passés par là compren­dront combien cette diffé­rence est fonda­men­tale.

    * * *

    Le régime parti­cu­lier n’est pas non plus scan­da­leux puisqu’il n’y a ni indem­ni­tés de licen­cie­ment ni prime de préca­rité.

    Les dépu­tés célèbres, ayant une acti­vité libé­rale ou venant du service public repren­dront une acti­vité immé­diate. Un député issu du privé qui n’ayant pas une célé­brité média­tique devra se mettre à recher­cher, et ne pourra pas forcé­ment valo­ri­ser ses cinq ans hors entre­prise.

    Bref, pas forcé­ment scan­da­leux mais j’ai­me­rais tout de même qu’on arrête de les plaindre, ou de les lais­ser se plaindre, parce que c’est un peu abusé quand même.

  • 41 milliards

    Oui la vidéo est parti­sane. Je m’ar­rête toute­fois sur le chiffre prin­ci­pal : 41 milliards par an pour le CICE / Pacte de respon­sa­bi­lité.

    41 milliards. C’est de quoi donner le revenu médian à plus de 1 million de personnes (1 800 € net par mois, soit 3 300 € coti­sa­tions sociales incluses).

    1 million de personnes. C’est pile 30% du nombre de chômeurs en caté­go­rie A. Oui, avec ça on aurait pu payer au revenu médian 30% de cette caté­go­rie de chômeurs, coti­sa­tions sociales incluses. Juste comme ça, en le déci­dant.

    Sachant que ces 30% vont juste­ment coti­ser à l’as­su­rance mala­die, à la retraite, au chôma­ge… donc soula­ger la tension pour le finan­ce­ment de ces caisses sociales. Encore mieux : Ces 30% de chômeurs le Pôle Emploi va arrê­ter de les indem­ni­ser, ce qui va endi­guer le besoin de réduire les pres­ta­tions.

    * * *

    À la place on a choi­sit de réduire le coût du travail pour les entre­prises. Le gouver­ne­ment commu­niquait sur un espoir de 500 000 emplois créés ou sauve­gar­dés. C’est déjà moitié moins. Après coup on pense qu’on aura eu entre 80 000 et 120 000 emplois créés ou sauve­gar­dés à fin 2016.

    Bref, 41 milliards pour 100  000 emplois… et pas forcé­ment payés 1 800 € nets par mois. Encore une fois, donner l’argent direc­te­ment aurait été litté­ra­le­ment 10 fois plus effi­cace. Rien que ça.

    Par pure coïn­ci­dence, s’il y a eu peu d’em­plois créés, les divi­dendes crèvent les plafonds en France ces dernières années, malgré la crise. Sure­ment un hasard.

    * * *

    1 million d’em­ploi. Outre le problème du chômage lui-même, imagi­nez ce que la collec­ti­vité pour­rait faire avec 1 millions de personnes en plus, même à mi-temps.

    Tout le monde ne peut pas être profes­seur, gref­fier ou person­nel soignant mais ce n’est pas comme s’il n’y avait rien d’autre à faire d’utile et que nos insti­tu­tions crou­laient sous la main d’œuvre.

    Le problème c’est que l’idéo­lo­gie courante nous inter­dit de faire ça. Elle nous dit que le finan­ce­ment public est inef­fi­cace, malsain, et met à bas l’éco­no­mie.

    Non, les programmes à droite prévoient de suppri­mer entre 100 000 (Macron) et 500 000 (Fillon) postes publics. En gros on annule exac­te­ment l’ef­fet posi­tif obtenu par le CICE et pacte de respon­sa­bi­lité. 41 millards partis en fumée.

  • « Vous n’au­rez pas le droit de refu­ser plus de deux offres d’em­ploi »

    En réalité on parle de candi­da­ter à une offre, éven­tuel­le­ment de faire un entre­tien. Ce qu’il se passe ensuite est hors de portée du Pôle Emploi.

    J’ai deux scéna­rios, celui où le candi­dat est pris, celui où il ne l’est pas.

    Le candi­dat est rejeté

    On force donc des chômeurs à candi­da­ter à des postes qu’ils ne veulent pas.

    Dans le meilleur des cas le candi­dat non motivé se conten­tera de faire perdre du temps lors des sélec­tions de CV et pendant une heure d’en­tre­tien.

    Parfois le candi­dat passera l’étape de l’en­tre­tien et devra être remer­cié pendant sa période d’es­sai. Il faut dire qu’il n’a aucun inté­rêt à faire des efforts. Au pire il est licen­cié et revient à la case chômage qu’il ne voulait pas quit­ter.

    C’est peut-être le scéna­rio du pire. L’em­ployeur doit reprendre son proces­sus à zéro après avoir perdu du temps et de l’argent, poten­tiel­le­ment des contrats ayant motivé l’ou­ver­ture de poste.

    Ne dites pas que ça n’ar­ri­vera jamais et que les non-moti­vés seront reje­tés lors des premières sélec­tions : L’objec­tif même de la mesure est que ça arrive. Sinon autant éviter de faire du perdre du temps à tout le monde avec des candi­da­tures inutiles.

    Le candi­dat est retenu

    Oh et… même si c’est peu probable, parfois l’ex-chômeur ne sera pas ne sera par remer­cié malgré son manque de moti­va­tion.

    Peut-être que l’em­ployeur n’aura pas fait suffi­sam­ment atten­tion avant la fin de la période d’es­sai. Peut-être que reprendre le proces­sus sélec­tion-inté­gra­tion de zéro lui coûte­rait trop cher.

    On a 5,8 millions de chômeurs inscrits à Pôle Emploi et personne ne doute qu’une écra­sante majo­rité ne souhaite que trou­ver un emploi. Nul doute que sinon c’est un autre chômeur – motivé – qui aurait pu prendre le poste. Le solde est donc virtuel­le­ment nul pour le Pôle Emploi… si on oublie tout l’ad­mi­nis­tra­tif pour forcer et contrô­ler les inscrits.

    Dit autre­ment on aura : une ex-chômeur pas motivé forcé à travailler, un autre qui restera au chômage alors qu’il était motivé pour travailler. L’em­ployeur aura un sala­rié non motivé plutôt qu’un motivé.

    Génial non ? On est dans le cas idéal, si jamais la mesure fonc­tionne.

    La réalité

    On est resté dans le cas idéal.

    Dans la réalité le chômeur se verra propo­ser des offres inadap­tées et devra justi­fier ses refus. Ceux qui sont le moins à l’aise risque­ront de finir radiés. Les autres vivront juste ça comme un harcè­le­ment par l’ins­ti­tu­tion même qui devrait les aider : Devoir perdre du temps à candi­da­ter à des offres inadap­tées ou s’ex­pliquer de nos refus… plutôt que de cher­cher un emploi.

    Juste une fausse bonne idée. Ce qui m’agace c’est que le système existe déjà. On sait qu’il ne fonc­tionne pas et ne produit que des effets pervers. Se trom­per une fois c’est dommage. Propo­ser en campagne quelque chose qui existe déjà et qui s’est révélé être un échec complet… là je suis moins conci­liant.

    Tout ça pour flat­ter l’idéo­lo­gie de ceux qui ne voient que des assis­tés dans tous les béné­fi­ciaires des systèmes sociaux.

  • Diffé­rence de rému­né­ra­tion en fonc­tion de la zone géogra­phique

    Aujourd’­hui j’ai la bonne surprise d’avoir entendu « peu importe que vous soyez sur Paris ou sur Lyon, le salaire est en fonc­tion de ce que vous appor­te­rez à la société ». J’ap­pré­cie.

    J’ai trop vu de socié­tés condi­tion­ner un muta­tion hors Île de France à une baisse de 15 ou 20 % de salaire, ou refu­ser des embauches en région parce que les préten­tions de rému­né­ra­tion étaient celles d’un employé pari­sien.

    * * *

    « c’est le marché, pourquoi paie­rai-je plus cher si je peux quelqu’un au prix local ? ».

    Il y a plein de raisons de ne pas se conten­ter du marché.

    Avec l’ar­gu­ment du marché on légi­time de payer 20% de moins les femmes, 30 % de moins les chômeurs qui ont besoin de trou­ver un emploi, 50% de moins les handi­ca­pés, et de payer au mini­mum légal tous ceux qui n’ont « pas le choix ». C’est effec­ti­ve­ment le marché, mais pas accep­table pour autant.

    À tous ceux qui se diront immé­dia­te­ment « oui mais là tu fais de la discri­mi­na­tion Éric », je rappel­le­rai qu’ar­bi­trer diffé­rem­ment en fonc­tion du lieu de rési­dence est aussi une discri­mi­na­tion simi­laire au sens de l’article 225–1 du code pénal ainsi qu’au sens de l’article 1132–1 du code du travail. C’est une discri­mi­na­tion légale vali­dée par un arrêt de la Cour de cassa­tion mais une discri­mi­na­tion quand même.

    Il y a de toutes façon le côté humain. Est-ce vrai­ment votre poli­tique RH que de tenter de rabais­ser chaque colla­bo­ra­teur jusqu’à son point de rupture finan­cier person­nel ?

    Bref, ce n’est pas moral. Ce n’est en réalité même pas ration­nel écono­mique­ment.

    * * *

    Ration­nel­le­ment, si j’ai le choix entre un sala­rié hors Paris à pour 3 000 € et un sala­rié à Paris pour 3 500 €, pourquoi pren­drais-je celui à Paris ?

    Si je n’ar­rive pas à recru­ter assez de monde hors Paris je vais devoir augmen­ter les rému­né­ra­tions. Pourquoi paie­rais-je un sala­rié en province à 3 000 € et un à Paris à 3 500 € plutôt que deux sala­riés plus compé­tents ou plus fidèles (parce que mieux payés) à 3 250 € en province ?

    Il serait irra­tion­nel d’al­ler payer plus cher des sala­riés à Paris si je n’ai pas besoin qu’ils soient à Paris. C’est encore plus vrai si on prend en compte la diffé­rence de coût des locaux de l’en­tre­prise dans l’équa­tion.

    C’est aussi une bombe à retar­de­ment pour quand un sala­rié pari­sien voudra démé­na­ger hors Paris, ou pour quand les sala­riés compa­re­ront leurs salaires et la valeurs qu’ils apportent, surtout si le télé­tra­vail se mêle à l’équa­tion. Je crois que pas mal de dépar­te­ments RH sous-estiment la valeur ajou­tée d’une grille sala­riale honnête et trans­pa­rente.

    * * *

    Il reste l’ar­gu­ment éthique et social mais ils m’in­ter­roge. Les entre­prises prêtes à payer plus cher leurs four­nis­seurs et pres­ta­taires en fonc­tion de critères sociaux et envi­ron­ne­men­taux me semblent assez rares. Celles prêtes à payer plus cher un débu­tant avec une grande famille dans une situa­tion person­nelle diffi­cile qu’un expert céli­ba­taire sans problème me semblent encore plus rares.

    Ce n’est pas non plus une ques­tion de s’adap­ter aux besoins pour vivre puisque vous ne payez proba­ble­ment pas signi­fi­ca­ti­ve­ment diffé­rem­ment celui dont le conjoint est au chômage de celui dont le conjoint a un bon boulot bien payé, celui qui a trois enfants du céli­ba­taire sans charge de famille, celui qui a un enfant handi­capé ou grave­ment malade de celui qui n’en a pas, celui qui a un gros crédit mal négo­cié de celui qui a hérité de ses parents, celui dont la maison a brûlé l’an­née dernière de celui dont la maison a pris 25% parce que la ligne de métro a été éten­due jusque chez lui, celui qui habite en zone HLM de celui qui habite dans le beau quar­tier plein de villas avec pisci­ne…

    C’est unique­ment une ques­tion de zone géogra­phique, pas une ques­tion éthique et sociale sur les besoins réels des sala­riés pour vivre.

    Ce que je ne comprends pas c’est, si vous ne négo­ciez pas à la baisse le tarif d’un four­nis­seur qui déplace son acti­vité en province, pourquoi diable trai­ter plus mal vos propres colla­bo­ra­teurs ?

    En plus de déva­lo­ri­ser les sala­riés hors de Paris, c’est un manque de respect humain tota­le­ment incom­pré­hen­sible. On est en train de dire qu’ha­bi­ter à Paris est un critère plus perti­nent pour une compen­sa­tion que tous les autres critères sociaux.

    * * *

    La seule expli­ca­tion sensée c’est le « on a toujours fait comme ça » qui peut être suivi par « chan­ger main­te­nant c’est compliqué, le budget ne permet pas de faire un rattra­page sala­rial massif ».

    Admettre que c’est irra­tion­nel est un premier pas. Ensuite, même si tout ne se change pas d’un coup, rien n’em­pêche d’y aller progres­si­ve­ment.


    Pour être plus complet, je parle de diffé­rences de rému­né­ra­tion ou condi­tions de travail en France métro­po­li­taine. Dès qu’on met l’in­ter­na­tio­nal dans la balance il y a beau­coup d’autres para­mètres sur la protec­tion sociale, la légis­la­tion, la culture, la langue, les distances, qui font que j’ai un avis poten­tiel­le­ment moins tran­ché.