Je fatigue de voir les réformes du code du travail justifiées au nom de la complexité règlementaire. J’ai l’impression qu’à force de le répéter depuis 10 ans, ça s’imprime chez chacun comme une évidence, sans fondement concret.
Le code du travail est complexe. Oui. Probablement.
Il s’agit d’équilibrer un rapport de force qui ne l’est pas par nature, pour des métiers et des situations très différentes les unes des autres. Oui c’est complexe, et potentiellement épais. L’essentiel du code lui-même tient d’ailleurs aux conventions collectives et aux différentes couches d’exceptions règlementaires, pas aux règlements aux-même.
Je vous en prie, oubliez au moins les bêtises sur le poids ou l’augmentation du nombre de pages du Dalloz. L’essentiel de l’augmentation au fur et à mesure des années n’est du ni au législatif ni au règlementaire, mais à la jurisprudence.
De manière intéressante, en augmentant la part négociable au niveau des branches et surtout au niveau de l’entreprise, on va justement devoir démultiplier la jurisprudence à venir. Autant dire qu’on travaille dans le mauvais sens si c’est ça la motivation.
C’est du pointillisme règlementaire. Oui, mais ce n’est pas forcément si mal.
Nous avons des textes pour tout. Je suis certain qu’on doit trouver quelque part un texte qui définit à quelle hauteur un salarié sans qualification peut monter sur une échelle, et à quelle condition le baudrier devient obligatoire.
Ce n’est pas spécifique au code du travail. C’est tout notre droit qui est ainsi. Il doit aussi certainement y avoir un texte qui définit l’écartement maximum entre les barreaux ou la résistance minimale des matériaux en fonction de la température.
Les américains sont à l’autre bout du spectre. Ils ont un droit assez court, avec des principes généraux, et une grande latitude au niveau des tribunaux. L’essentiel se passe au niveau des jurisprudences.
Les deux systèmes ont des avantages et des défauts. Un juriste saura probablement mieux en faire une dissertation mais ça n’a en tout cas rien à voir avec le code du travail.
Ce qui est certain c’est que notre droit ouvre une sécurité juridique bien plus forte. Certes on peut exceptionnellement outrepasser un règlement sans le savoir mais c’est encore plus vrai si le règlement n’est qu’implicite.
Au moins ici la limite est connue, codifiée. L’employeur sait à l’avance s’il peut ou s’il ne peut pas, au lieu de se retrouver à argumenter dans le subjectif en s’épaulant de 20 jugements passés contradictoires.
Retirons la complexité inutile. Facile à dire.
Je dis oui. Qui serait pour garder l’inutile ?
Maintenant, même en restant entre gens constructifs je mets au défi de trouver si facilement ce qui est inutile. La plupart des règles ne sortent pas de nulle part. Elles sont toutes la conséquence d’une situation passée, où on a jugé qu’elles étaient nécessaires.
Bref. Il y a certainement du ménage à faire mais c’est un gros boulot de fond, sur une myriade de points de détail, à prendre un par un. Un travail qui nécessite de se renseigner sur l’histoire de chacun de ces points pour comprendre la motivation à son origine, puis comparer à la situation d’aujourd’hui en s’appuyant sur les statistiques concernées, voire d’en commander à l’INSEE si elles n’existent pas.
Ça va être long, et c’est une démarche totalement opposée à la communication actuelle du « allons vite et bouclons ça avant la fin de l’année ».
La différence est d’ailleurs simple à faire. La complexité règlementaire est… règlementaire. Il n’y a pas besoin de loi ou d’habilitation d’ordonnances, pas besoin d’accord entre les partenaires sociaux. Il suffit de simples décrets.
Si on parle de lois et d’habilitations d’ordonnances, c’est que ce n’est pas à ça qu’on touche. La complexité règlementaire est l’excuse de façade.
Simplifions le code du travail. Chiche.
Sérieusement, chiche. Les indemnités de départ d’un salarié ? Il y a la règle générale. Puis il y a la convention collective. Mais ça dépend généralement du statut cadre, non-cadre, direction. Mais certaines règles ne s’activent qu’à partir d’une certaine ancienneté. Mais l’ancienneté prend parfois en compte les congés maladie et parfois pas totalement. Et je suis certain que certaines conventions collectives ont des règles encore plus complexes.
Bref, si on veut simplifier on peut déjà uniformiser, au moins sur ce qui n’est pas propre à un métier. Que les horaires de travail se gèrent différemment pour un boulanger et pour un employé de bureau, ça se conçoit. Qu’ils aient des règles de calcul différentes en fonction de leur ancienneté, c’est plus difficile à motiver.
Des règles claires et communes, et donc une jurisprudence elle-aussi plus lisible et plus facilement généralisable… moi je suis pour. Le code sera plus léger et plus simple.
Maintenant quand je regarde la dernière loi sur le travail ou ce qu’on prépare prochainement, il n’y a aucune simplification à l’ordre du jour. *Aucune*. Le code général garde toute sa complexité, voire s’en voit ajouter. Par contre on veut enrichir les cas particuliers, les capacités de négociation au niveau de la branche, puis celles au niveau de l’entreprise.
Chacun aura des règles différentes, dont les équilibres seront à interpréter (surtout si on ne veut pas avoir de pointillisme règlementaire), avec le risque qu’un juge fasse primer une règle sur un autre le jour où il aura à trancher. La jurisprudence elle-même en sera complexifiée vu que les termes seront différents d’un texte à l’autre et qu’en plus l’accord devra s’interpréter dans le contexte d’une entreprise particulière. Simplifier, vraiment ? des clous !
Choix de société. Soyons honnêtes.
Les futurs changements ne résolvent pas le pointillisme règlementaire. Ils ne simplifient pas la situation juridique. Ils la complexifieront drastiquement.
Non, ce qui vient c’est d’une part une modification de l’équilibre au niveau du code de travail, et ensuite un changement de modèle sur la protection des salariés.
On peut être pour ou contre ces deux évolutions, mais soyons honnêtes et arrêtons de nous cacher derrière les lieux communs du « code du travail trop lourd et trop complexe ». Que ce soit vrai ou pas, ce n’est pas ce qui est en jeu en ce moment.
Ça permettra au moins d’aborder le débat de fond, de savoir quelle société nous voulons, quels équilibres nous souhaitons. C’est bien de ça dont on parle, et certainement pas de la complexité du code du travail.
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