Je soupire quand je vois des recherches de CTO sur Paris pour 35 K€ bruts annuels. Je ne discute pas du chiffre en valeur absolu (je sais qu’il est élevé) mais la moyenne pour un ingénieur logiciel jeune diplômé parisien est plutôt dans les 37 K€ brut.
On me dit « si c’est trop bas ils ne trouveront pas et ils augmenteront ». Oui, peut-être, mais attention à ne pas croire à la légende du marché rationnel qui module les rémunérations en fonction de l’offre et de la demande.
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Peu importe combien de postulants tout à fait formés vous trouverez sur une position de cadre. Peu importe le manque persistant d’assistantes maternelles partout en France. Les premiers seront toujours bien payés et les secondes mal payées, avec une fausse justification de « c’est le marché », parce que « c’est normal ».
Les rémunérations sont globalement beaucoup plus dépendantes de la réputation sociale d’un métier et des logiques de classes. On a admis une hiérarchie dans les métiers et dans les rémunérations, et cette hiérarchie posée compte beaucoup plus que tout le reste.
C’est tellement ancré qu’on reprochera le trop plein de certains cadres hautement diplômés à un problème d’orientation à l’université et qu’on reprochera le manque de personnel pour la petite enfance à un défaut de l’État. Personne ne songera que, peut-être, on pourrait faire évoluer notre balance de rémunérations.
Le fait que ce soient ceux qui sont les mieux payés qui décident des rémunérations des autres n’est pas totalement un hasard non plus.
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« C’est le marché » parce que ceux qui en décident l’ont décidé ainsi, avec tous leurs biais idéologiques, pas uniquement pour une question d’offre et de demande.
Si la logique de l’offre et de la demande fonctionnait, l’assistante maternelle ne serait pas payée une misère. L’agent de propreté, l’éboueur et l’ouvrier en situation pénible seraient bien plus proches de la médiane nationale.
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Je ne reproche pas à ceux qui sont bien payés de l’être. Le marché le leur permet et s’ils s’y refusent ça n’ira certainement pas pour autant dans la poche des moins favorisés.
Ça n’empêche pas d’être conscient de la situation. Oui les compétences et la personne jouent (heureusement) mais les équilibres tiennent aussi énormément à un système de classes sociales tout à fait artificiel.
3 réponses à “Un système de classes sociales tout à fait artificiel”
Sur Paris (zone de pénurie) on trouve beaucoup d’assistantes maternelles à 5h de SMIC par jour (par enfant)… ce qui est le maximum autorisé par la CAF pour bénéficier de l’aide PAJE. Je trouve un peu exagéré de mettre sur le dos du marché une situation qui semble fortement liée à la politique publique.
Mais même sans ça, la rémunération d’une assistante maternelle peut difficilement dépasser certains plafonds. Un employeur embauche (en gros) tant que la productivité marginale est supérieure au coût marginal. Appliqué aux assistantes maternelles, plus le coût de la garde des enfants se rapproche des revenus d’une catégorie professionnelle, plus les membres de cette catégorie ont tendance à s’arrêter pour s’occuper de leurs propres enfants.
En d’autres termes, les assistantes maternelles ont un problème de substitution, et le coût de cette substitution est corrélé au revenu médian, donc les assistantes maternelles ne pourront jamais être dans une classe sociale très élevée.
Ceci dit, les tarifs d’une assistante maternelle varient à peu près du simple au double entre une zone tendue comme Paris et la province où, admettons-le, l’offre de garde est meilleure, donc ils sont clairement sensibles à la demande dans une certaine mesure.
Je vois aussi passer ces offres de « CTO » à 35k€ par an. À ce tarif-là, il y a peu de chances qu’ils trouvent un ingénieur, mais peut-être auront-ils des réponses de jeunes techniciens, ou de participants à ces « bootcamps » de quelques semaines. La demande seule ne peut pas expliquer l’écart de salaire entre un médecin spécialiste (11 ans d’étude) et une assistante maternelle (2 semaines de formation). L’investissement en temps nécessaire aux études fonctionne comme une barrière à l’entrée qui influe sur les coûts.
De la même manière le faible salaire des agents de propreté et des éboueurs s’explique par l’offre, pas par la demande (qui est plus ou moins constante, et publique pour les éboueurs). Ce sont des professions qui demandent très peu de formation, dans un contexte où on est loin du plein emploi.
Bref, je ne pense pas qu’on puisse considérer que la hiérarchisation des métiers et les classes sociales soient la cause de ces inégalités de revenus. À court terme, on peut certainement les voir comme un phénomène qui ajoute de l’entropie et ralentit le retour à l’équilibre, mais sur une plus longue période il me semble plutôt que ce soit des critères économiques qui déterminent la classe sociale associée à un métier et pas l’inverse.
Après, je pense que le salaire horaire d’un éboueur augmenterait énormément si on mettait en place un revenu d’existence raisonnable, parce qu’on n’aurait plus l’effet de « beaucoup de gens doivent faire ça pour vivre ». Et on aurait sans doute par conséquent plus d’investissement dans des technologies permettant de réduire le nombre d’heures de travail nécessaire et la pénibilité du métier.
Comme disait un prof d’économie, l’économie est descriptive, pas prescriptive. Elle essaie d’expliquer les causes de certains états et les conséquences de certaines actions. Ce qui est « juste » et ce qui devrait être fait relève de la philosophie et/ou de la politique.
Ok pour la limitation due a la paje pour les ass mat. Pas le reste. La demande très forte montre qu’on est loin du point d’équilibre.
Idem pour les travaux pénible. Tu dis que l’offre est grande mais ça ne se retrouve pas en réalité parce que beaucoup de gens ne veulent pas de ces travaux même s’ils n’ont rien de mieux.
Réduire l’offre et la demande à la formation est justement une idéologie. Ça marche d’ailleurs dans les deux sens parce que les gens formés ont tendance à refuser s emplois sous qualifiés donc le fait que ça demande peu de compétences ne veut pas dire qu’il y a plus d’offres.
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