Je viens de lire « Être un bon développeur c’est aussi une question d’attitude personnelle » chez Thomas. Ceux qui me connaissent le savent, le titre a forcément un écho chez moi et je m’attendais à dire « encore un qui a tout compris, prenez-en de la graine ». Sauf qu’en fait, sans rire, le prochain qui écrit un truc pareil se retrouvera avec une malédiction sur 15 générations.
Le texte de Thomas prend fondement dans le fait que l’évolution technologique du salarié n’est pas le problème de l’employeur, et pour moi ça rend caduque toute l’argumentation.
(Attention c’est long)
D’abord sur le côté employeur
Votre employeur est responsable de réaliser tout ce qui est nécessaire pour vous permettre de faire et de continuer à faire ce pour quoi il vous a embauché. Si vous travaillez dans un environnement technologique changeant ou qui demande une adaptation continue, les temps de formation, de veille ou de montée en compétence sont la responsabilité de l’employeur.
S’il vous manque ce temps, posez-vous la question : Est-ce un travail dont le quotidien ne changera pas d’un poil sur les quinze prochaines années, une entreprise qui a prévu de vous jeter dans deux ans, ou un employeur qui ne comprend pas votre métier ? Aucune de ces alternatives n’est de bonne augure.
L’employeur a pour cela une obligation de réserver un certain budget aux activités de formation, de vous proposer des reclassements en cas de plan social afin d’aider à la reconversion si nécessaire, et d’assurer votre droit individuel à la formation. Gare à l’employeur qui cherche à vous licencier pour incompétence alors que c’est lui qui n’a pas su vous faire évoluer.
Certes je ne vous conseille pas de vous reposer sur ces dispositifs mais s’il fallait des éléments objectifs et législatifs pour prouver que la formation du salarié est la responsabilité de l’employeur : les voici. Quand vous regardez les deux derniers c’est même plus que compétence présente qu’il doit assurer, mais bien votre avenir dans votre propre intérêt.
Pour reprendre le parallèle de Thomas, vous en connaissez des chirurgiens qui ne font pas de veille, d’échanges entre professionnels, formations de mise à niveau ou d’apprentissage sur leur temps de travail ? Pourquoi employer des informaticiens serait si différent ? Vous croyez vraiment que les médecins ont moins la foi ?
Sur l’intérêt de l’employeur
Au final, tout ça va d’ailleurs plus loin que ses obligations : L’employeur a besoin de vous maintenir à niveau, voire de vous voir progresser. C’est son intérêt s’il planifie pour l’avenir, son meilleur investissement. Évitez l’employeur qui dit vous faire une fleur : Il ne vous fait pas une fleur, il agit dans son propre intérêt. Avec une telle affirmation, au mieux il vous prend pour un imbécile. Au pire, s’il le croit vraiment, c’est lui l’imbécile.
Encore plus loin : Les développeurs curieux, passionnés, capables d’apprendre, les employeurs ne cherchent que ça. Son job à l’employeur c’est de les motiver, d’entretenir cette flamme et de les retenir au sein de l’entreprise. Si ce qui attire ces développeurs c’est une société qui participe à leur veille, qui leur permet de tester, de partager entre collègues et évoluer, alors c’est ce qu’on va chercher à leur offrir. Là non plus l’employeur ne rend pas un service personnel : Il sert son intérêt (et c’est très bien ainsi).
Un employeur qui n’a pas compris tout ça risque un sérieux problème a long terme. Plus gênant, les employés qui l’ont suivi risquent la même chose. Les employeurs les plus avancés laissent un espace à la veille (mon précédent employeur avait officiellement 20%), assure des formation, favorise l’émulation et le partage sur le temps de l’entreprise. Sans forcément du temps dédié c’est aussi une attitude et une façon de gérer le temps et les gens.
Sur la recherche d’un employeur adapté
Plus que son problème, le maintien à niveau et l’évolution technologique des salariés est même un des enjeux primaires d’un employeur dans les nouvelles technologies. Personnellement je suis même bien plus intéressé par ce qu’un candidat peut apprendre avec moi que par ce qu’il sait. Ça implique forcément que oui, l’apprentissage est aussi mon problème.
En fait ce qui me fait le plus sursauter dans le texte de Thomas c’est peut être même le petit dialogue de recrutement et la conclusion qui s’ensuit.
Nous cherchons tous ce passionné avec l’envie d’apprendre. Si ce passionné se retrouve dans une entreprise qui n’agit pas à ce niveau, que fait-il ?
Il y a ceux qui seront actifs et qui chercheront ailleurs, parce qu’ils ont de la valeur. Ce sont eux qui tiendront le discours que Thomas retranscrit. Il y a aussi ceux qui vont stagner et rester avec un contexte entreprise de non-apprentissage et de non-évolution. Pas de doute, contrairement à Thomas, moi je cherche mes perles parmi les premiers.
Sur le temps de vie personnelle
Travailler à la maison, en tant que passionnés, on le fait tous plus ou moins. Maintenant si ça devient un besoin ce n’est plus une passion, et ça finit vite par lasser, s’éteindre, ou épuiser. Le burn out n’est pas si rare dans une telle situation.
Un jour viendra une période plus stressante ou plus chargée, un enfant, une famille, ou même une volonté de participer corps et âme à un projet open source. Peu importe, ce jour là devoir faire la veille pour son boulot commencera à devenir doucement et partiellement une contrainte, et si être à niveau professionnellement se base uniquement sur l’investissement en temps personnel, alors nous allons dans le mur.
Je ris d’ailleurs jaune quand Thomas prend son exemple avec quatre heures de transport par jour. Si on ajoute sept heures quarante-cinq de travail (en considérant que notre développeur compte ses heures à la minute, ce qui est rare chez les bons, et ne prenne pas de pauses sur ses demies journées) et trois quarts d’heures pour manger (minimum légal), le voilà avec douze heures trente d’amplitude horaire imposée. Avec huit heures de sommeil, une heure le matin et une heure pour le dîner, il reste une heure trente par jour pour l’administratif, les tâches quotidiennes, la vie sociale et … la vie de famille.
Certains le font, mais de là à demander à ce qu’en plus on consacre ce temps de transport à l’évolution professionnelle… cela va trop loin pour moi. C’est de plus sans compter que la veille et cette formation demande probablement à échanger et à être connecté, donc dépassera du temps de transport. Ce n’est pas ma philosophie de vie (même si probablement je passe bien plus de temps que Thomas sur mes activités « informatiques »).
Du plus mauvais des modèles SSII
Ce que je crois c’est surtout que Thomas s’est laissé happé par les plus mauvaises SSII : Celles qui considèrent les développeurs comme des ressources jetables. Là, effectivement, l’employeur réel (le client) se moque de la formation des développeurs vu qu’il les renverra chez eux dès qu’ils seront usés ou dépassés. La SSII elle-même cherchera juste un nouveau client et parfois ne verra aucun problème à voir le développeur stagner ou régresser tant qu’il se vend et qu’on n’a pas à l’augmenter. De toutes façons il y a des licenciements collectifs cycliques pour vider ceux qui deviennent vraiment une charge et qui ne finissent pas par partir d’eux même.
À ceux qui sont dans cette situation : Il existe d’autres façons de vivre son travail, bien plus enrichissantes. Pour les plus passionnés d’entre vous qui veulent aussi un aspect conseil (un vrai, pas un avec juste des puzzles sur Powerpoint), je ne saurai vous conseiller OCTO. Si vous tenez à profiter du modèle SII et des multiples missions, allez voir Clever-Age, Globalis MS, AF83, Sensio, Smile et quelques autres encore. Ce n’est pas toujours le Pérou et les expériences sont très différentes suivante les agences ou les équipes, mais dans l’ensemble vous n’y retrouverez pas une attitude proche de celle décrite par Thomas. Si jamais c’est quand même le cas : partagez-le ici et changez.
Quand vous en aurez marre, dirigez-vous vers les entreprises utilisatrices. Elles ont forcément besoin d’investir dans leurs équipes sur le long terme. Il y a celles qui ne l’ont pas compris, et ça se voit vite, et les autres. Dans ces dernières, même si cette formation interne n’est pas formalisée, jamais on ne vous sortira le texte de Thomas. D’ailleurs …. Je recrute.
Histoire de modérer le discours
Maintenant, pour modérer toutefois mon discours : Nous sommes dans un métier intellectuel. Ça veut dire que vous ne pouvez pas vous contenter d’arriver le matin, exécuter vos tâches et repartir le soir l’esprit vide.
Sans en arriver à vivre au nom de l’entreprise, si jamais rien ne vous titille sans tenir compte des heures de travail c’est soit que vous êtes bien plus efficace que moi pour compartimenter, soit qu’il y a un problème. La curiosité reste un élément essentiel.
Je serai très heureux de voir des développeurs qui s’investissent aussi personnellement dans des projets open source, des communautés, des projets. Je le cherche même forcément dans les recrutements. Par contre jamais je ne l’attends, ne le considère comme normal et encore moins comme un dû. Mon rôle c’est de provoquer l’émulation nécessaire à ce que les développeurs évoluent avec les technologies, pas d’attendre que ça se fasse tout seul entre 21 et 23h.
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