Auteur/autrice : Éric

  • Faire plus de réunions

    Je vois souvent des gens mili­ter contre les réunions. Mon expé­rience est oppo­sée. Faites des réunions, souvent, autant que néces­saire.

    Faites les courtes, avec un ordre du jour précis commu­niqué à l’avance et avec un livrable en sortie : déci­sion prise, infor­ma­tion parta­gée, docu­ment édité en commun ou assi­gna­tion de tâches.


    Se réunir c’est commu­niquer et colla­bo­rer. Je suis étonné que beau­coup ne se rendent pas encore compte que c’est le cœur du travail en entre­prise.

    Je n’ai encore jamais croisé d’or­ga­ni­sa­tion malade d’un trop plein de réunions bien menées. L’op­posé est par contre assez facile à trou­ver.

    Géné­ra­le­ment ces réunions sont néces­saires.

    Le problème n’est pas dans l’exis­tence de la réunion mais dans l’ab­sence de travail réalisé avant (prépa­ra­tion, ordre du jour, envoi des docu­ments utiles pour que chacun ait le contexte et puisse l’étu­dier au préa­lable), pendant (pas de cadrage, pas de livrable, pas de fil conduc­teur, pas de suivi de l’ordre du jour, personnes qui parlent sans savoir ou qui lancent des discus­sions hors sujet, voire non construc­tives) ou après (pas de suivi, actions à faire non assi­gnées à des respon­sables, pas de commu­ni­ca­tion au reste de l’en­tre­prise, pas de prise en compte des déci­sions).

    Du coup les réunions sont longues, semblent ne servir à rien (et souvent ne servent à rien). Les suppri­mer fait dispa­raitre l’ano­ma­lie visible mais ne répond pas du tout au besoin initial. On met juste la pous­sière sous le tapis en espé­rant que ça va bien se passer. C’est rempla­cer un mauvais fonc­tion­ne­ment par un autre.


    Atten­tion toute­fois : Ne rédui­sez pas les réunions à la partie effi­cace. Quand vos réunions seront courtes et centrées sur les besoins opéra­tion­nels, quand vous aurez éliminé les temps morts et les échanges hors sujet… l’en­tre­prise va en souf­frir.

    Il y a aussi besoin de respi­ra­tion. Il y a besoin du lien social où on demande à son voisin s’il a passé de bonnes vacances. Il y a besoin que la personne en face répète une énième fois la stra­té­gie ou le problème qu’il a, parce que tout n’est pas entendu la première fois. Il y a besoin que la personne à l’autre bout de la table parte parfois en hors sujet pour faire germer une idée ou remarque plutôt que de l’ou­blier l’ins­tant d’après.

    Ceci n’est pas un plai­doyer pour un joyeux bordel, mais les temps morts et les déra­pages sont dans une certaine mesure essen­tiels à l’en­tre­prise et à son bon fonc­tion­ne­ment.

    Une façon de voir c’est que les gens soient bien à l’heure, donc souvent cinq minutes en avance là où on se dit bonjour et où on créé le lien, et que les cinq à dix minutes suivant la réunion ne soient pas occu­pées, pour permettre aux gens d’échan­ger en mode « devant la machine à café ». Vous gardez la réunion effi­cace sans pour autant confondre les colla­bo­ra­teurs avec des robots.

  • Rempla­cer Ligh­troom

    Le trai­te­ment des images est une grosse partie de mon travail photo­gra­phique. Aujourd’­hui c’est essen­tiel­le­ment du ligh­troom, excep­tion­nel­le­ment du photo­shop quand je souhaite défor­mer des choses ou faire du masquage complexe.

    Là dessus je fais la sélec­tion, je traite les contrastes, les courbes, les lumières, les couleurs, la netteté, le vignet­tage. Je recadre, retouche les peaux, fais des trai­te­ments locaux, retire des objets dans le fond ou renforce un élément de la photo. Je tente diffé­rentes solu­tions, duplique virtuel­le­ment les images, compare, copie des réglages de photo en photo, note, filtre ma sélec­tion au fur et à mesure et exporte les jpeg.

    La version « clas­sique » de Ligh­troom étant appelé à s’éteindre, j’ai cher­ché voir autre chose, autant pour sortir du modèle de sous­crip­tion que pour voir ce qui existe ailleurs.

    J’ai testé les Dark­table et Rawthe­ra­pee, Affi­nity, On1 photo raw et DxO photo­lab. Mise à jour : On m’a depuis proposé de jeter un oeil à Lumi­nar et je crois qu’on tient le bon.

    Sur Dark­table et Rawthe­ra­pee on retrouve le défaut trop clas­sique des outils open source. L’in­ter­face est complexe, pas pratique, peu agréable. Je privi­lé­gie toujours les outils libres quitte à batailler un peu plus au quoti­dien, mais là la marche semblait un peu trop haute.

    Dark­table a l’air plus adapté à ce que je veux faire mais j’en suis au point où une partie de la fenêtre sortait de mon écran et qu’il m’était impos­sible de la redi­men­sion­ner plus petite. Les ascen­seurs ne semblaient pas répondre aux gestes habi­tuels de mon touch­pad non plus. C’est peut-être spéci­fique à la version Mac cepen­dant.

    Rawthe­ra­pee était encore plus complexe. Je suis convaincu que ça doit être puis­sant mais là on sort de mon usage, et je n’ai pas envie d’ap­prendre la théo­rie du trai­te­ment d’image pour simple­ment trai­ter mes photos.

    On m’avait vendu l’as­pect non destruc­teur et les capa­ci­tés de déve­lop­pe­ment raw d’Af­fi­nity mais je me suis retrouvé avec un équi­valent de Photo­shop qui n’en parta­geait pas pour autant la logique que je connais­sais. J’y revien­drais peut-être mais ça ne m’a pas convaincu.

    On1 photo raw corres­pond bien plus à ce que je cher­chais. Comparé à Ligh­troom il semble beau­coup plus basé sur l’ap­pli­ca­tion de filtres et d’ef­fets prédé­ter­mi­nés. Je pour­rais m’y faire mais j’ai du mal à retrou­ver mes petits lors d’une première explo­ra­tions. Il faut dire que je reprends toujours de zéro sur Ligh­troom, sans utili­ser les presets, donc ma pratique va un peu à contre­sens de ce que propose On1 comme compor­te­ment par défaut.

    Ce qui me bloque c’est surtout le côté retouche. J’ai des outils qui semblent basiques mais rien pour m’y raccro­cher. Visi­ble­ment ça créé d’of­fice un PSD. Je suppose qu’on y verra les diffé­rentes couches dedans mais je n’ai rien direc­te­ment dans On1 pour sélec­tion­ner une retouche et l’an­nu­ler, ou la modi­fier. Ça ne va juste pas être possible.

    DxO photo­lab ressemble à un clone de Ligh­troom l’er­go­no­mie en moins. Mon usage semble entrer parfai­te­ment dans l’ou­til. Le trai­te­ment de chaque modi­fi­ca­tion est lent, bien plus que Ligh­troom, mais je pour­rai m’y faire. L’in­ter­face me semble moins pratique mais on y gagne peut-être en confi­gu­ra­tion dans le panneau de droite. Bref, pourquoi pas.

    Le seul problème que je vois est au niveau des retouches. Je n’ai plus que des répa­ra­tions locales auto­ma­tiques, sans possi­bi­lité de choi­sir la zone réfé­rence ni possi­bi­lité d’uti­li­ser un tampon pour les cas les plus complexes. J’ai moins de contrôle donc j’ai peur de devoir bascu­ler souvent vers un logi­ciel d’édi­tion en paral­lèle.

    Chan­ger d’ou­til et d’ha­bi­tudes est toujours diffi­cile mais là j’ai l’im­pres­sion que la concur­rence n’est pas au niveau. La bascule risque d’être diffi­cile.

    Et Lumi­nar ?

    Merci de m’avoir proposé Lumi­nar. On travaille par couche d’ef­fets succes­sifs. L’in­ter­face est bien faite, les valeurs par défauts et propo­si­tions sont censées. On joue faci­le­ment et je me suis retrouvé avec des choses que je n’au­rais pas su trou­ver sans aide sur Ligh­troom. Bref, ça m’a donné envie de bascu­ler.

    J’ai cepen­dant toujours le même défaut que sur DxO. Les rempla­ce­ments/effa­ce­ments ne peuvent pas être contrô­lés manuel­le­ment et je n’ai pas assez confiance pour croire que ça se passera toujours bien. Quant à la créa­tion de masque avec le pinceau, elle n’a pas de mode de détou­rage assisté. Là on touche quelque chose de vrai­ment gênant pour ma pratique. Ça peut se traduire par des heures de boulot en plus vu que j’uti­lise beau­coup de trai­te­ment local basé sur des détou­rages.

    Il manque aussi tout le cata­lo­gage, donc la possi­bi­lité de compa­rer ds photos, de filtrer mes sélec­tions, ou de reco­pier des réglages entre photos. Bien dommage.

    Je vais peut-être essayer de voir ce que je peux faire sur une séance, pour voir. Clai­re­ment c’est le meilleur candi­dat.

  • Inci­ta­tion à perfor­mance par des primes dans les admi­nis­tra­tions de santé

    Il se nomme d’après une légende de l’Inde colo­nia­liste. Esti­mant qu’il y avait trop de cobras dans la ville de Delhi, les auto­ri­tés déci­dèrent de mettre en place une récom­pense pour chaque tête de cobra rappor­tée. La mesure eu un franc succès, jusqu’à ce que l’ad­mi­nis­tra­tion découvre des fermes de cobras, elle arrêta alors le programme de récom­penses et les éleveurs relâ­chèrent leur animaux, augmen­tant le nombre de cobras initia­le­ment présents dans la ville.

    Visi­ble­ment tout le monde ne connait pas encore l’ef­fet cobra.

    Ce matin j’en­tends une poli­tique de la majo­rité parler d’in­ci­ta­tion à perfor­mance par des primes dans les admi­nis­tra­tions de santé, et plus parti­cu­liè­re­ment en EHPAD. En quelques minutes elle dit que l’im­por­tant n’est pas de faire des actes mais d’ai­der les gens, et envi­sage trois exemples d’in­di­ca­teurs :

    • La baisse du nombre d’actes
    • Permettre aux gens de rentrer chez eux plus tôt (baisse de durée des séjours)
    • Limi­ter le nombre de fois où on fait reve­nir les gens (baisse des réad­mis­sions)

    Sérieu­se­ment, même avec des agents dont l’objec­tif prin­ci­pal sera la qualité des soins, n’y a-t-il personne pour iden­ti­fier d’aussi mauvais indi­ca­teurs ? pour voir que ça va déra­per, voire être dange­reux ?

    Nous allons mettre des gens, souvent mal payés vis à vis de leur impli­ca­tion, en posi­tion de se dire « ça me semble utile mais si je fais cet acte de soin je risque de faire une croix sur ma prime ». Vu qu’on parle de primes d’équipes, on peut même avoir la pres­sion malsaine des collègues « tu aurais du refu­ser la réad­mis­sion de cette personne, tu ne peux pas mettre en diffi­culté finan­cières tes collègues comme ça en cette période », qu’elle soit expli­cite, impli­cite ou même auto-suggé­rée.

    Le pire étant la prise de risque du  « norma­le­ment ça devrait bien se passer, si je la renvoie chez elle dès main­te­nant, on évite d’am­pu­ter le salaire de ce mois ».

    Vous n’y croyez pas ?

    Nos soignants sont dédiés à la cause. J’ai bon espoir que le person­nel résiste au mieux à cette pres­sion, quitte à devoir faire une croix sur leur rétri­bu­tion finan­cière et à se prendre encore des critiques sur leur gestion. Dans le meilleur des cas nous aurons un superbe exemple du méca­nisme de double contrainte contra­dic­toire, géné­rant un mal-être supplé­men­taire gigan­tesque, de l’épui­se­ment ou des burn out.

    Notre poli­tique se plai­gnait qu’on parle de prime à la perfor­mance dans le service public depuis long­temps sans pour autant l’avoir fait. Oui, ceci peut expliquer cela : C’est diffi­cile de trou­ver de bons indi­ca­teurs sans effet pervers. Très diffi­cile, surtout quand la rela­tion de confiance est déjà rompue avec l’au­to­rité de contrôle.

    * * *

    Oui, la gestion finan­cière est impor­tante. Inci­ter à éviter les gâchis est une bonne chose. Mais si on commence à donner des primes sur ce critère, il risque de primer sur l’objet même du service donné. C’est du mana­ge­ment de base ça. Comment ceux qui veulent faire fonc­tion­ner le service public comme une entre­prise peuvent-ils l’ou­blier ?

    Quand on base le service public – non rentable par nature – sur des indi­ca­teurs de perfor­mance finan­ciers, c’est évident que ça va mal se passer quelque part. Quand on veut gérer des services publics avec des recettes idéo­lo­giques éculées, ça ne se passe pas mieux.

    Au-delà, le prin­cipe même des primes sur objec­tif est contre-produc­tif à la base, mais là aussi il faut avoir un peu lu pour éviter les préju­gés basés sur l’in­tui­tion. Je vous recom­mande au mini­mum la courte vidéo de cet ancien billet.

  • Le burn-out en mala­die profes­sion­nelle, la FAQ

    J’en ai marre du FUD sur l’ins­crip­tion du burn out au tableau des mala­dies profes­sion­nelles alors je vais faire une petite FAQ.

    Je parle dans la suite de burn out mais si vous voulez être pédant vous pouvez parler du syndrome d’épui­se­ment profes­sion­nel. Ça fait plus scien­ti­fique mais ça revient au même.

    Ce n’est pas (offi­ciel­le­ment reconnu comme) une mala­die

    Si. Ça ne prête en fait pas vrai­ment à débat.

    La France est un pays qui aime bien les listes admi­nis­tra­tives mais on n’en est heureu­se­ment pas à défi­nir exhaus­ti­ve­ment ce qui est ou pas une mala­die en fonc­tion d’une liste offi­cielle. Cette liste offi­cielle exhaus­tive n’existe pas.

    Pour être complet, il existe bien une clas­si­fi­ca­tion inter­na­tio­nale mais qui a pour objec­tif de caté­go­ri­ser puis réali­ser des statis­tiques, pas de régle­men­ter ou défi­nir ce qui doit être reconnu ou non comme une mala­die. Elle fait de plus l’objet de critiques et contro­verses juste­ment concer­nant la section sur les mala­dies mentales.

    Nous n’avons même pas de défi­ni­tion légale de ce qu’est une mala­die au regard de la loi. Il nous reste donc le diction­naire :

    Alté­ra­tion de l’état de santé se mani­fes­tant par un ensemble de signes et de symp­tômes percep­tibles direc­te­ment ou non, corres­pon­dant à des troubles géné­raux ou loca­li­sés, fonc­tion­nels ou lésion­nels, dus à des causes internes ou externes et compor­tant une évolu­tion.

    Il me parait super­flu de démon­trer que le burn out entre bien dans cette défi­ni­tion. Pour les plus récal­ci­trants, le même diction­naire parle de mala­die (noire) pour un « état patho­lo­gique carac­té­risé par un état de profonde tris­tesse » et de mala­die (mentale, nerveuse ou psychique) pour du « trouble du compor­te­ment ».

    J’ai pris la défi­ni­tion du TLFi parce que ce diction­naire fait clai­re­ment réfé­rence mais si vous préfé­rez la plus offi­cielle neuvième édition du diction­naire de l’Aca­dé­mie française, on y trouve « Alté­ra­tion plus ou moins profonde et durable de la santé ; état d’une personne malade ». Sauf à nier la notion de santé mentale et de mala­die psychique, on peut faci­le­ment dire que le burn out quali­fie là aussi.

    À ceux qui ne se suffisent pas de l’ar­gu­men­ta­tion linguis­tique, le burn-out est suivi par des méde­cins et/ou psycho­logues, parfois de façon médi­ca­men­teuse (même si ce n’est clai­re­ment pas un bon critère pour iden­ti­fier une mala­die). Il est souvent la cause racine d’in­ter­rup­tions de temps de travail données par des méde­cins et vali­dées par la sécu­rité sociale. On a des docu­ments issus d’or­ga­ni­sa­tions et d’ad­mi­nis­tra­tions de santé à propos du burn out. Il est même excep­tion­nel­le­ment reconnu pour certaines personnes comme acci­dent du travail (sisi) ou comme mala­die profes­sion­nelle (preuve s’il en est que même l’ad­mi­nis­tra­tion consi­dère que ça peut en être une, le problème n’est pas là).

    L’ins­crip­tion au tableau n’est pas néces­saire

    Elle ne l’est pas. On peut tout à fait faire recon­naitre son burn out comme mala­die profes­sion­nelle sans que cette mala­die ne soit inscrite au tableau. Il y a une procé­dure pour ça, qui juge le cas indi­vi­duel. Certains cas sont accep­tés tous les ans.

    Le para­graphe précé­dent est d’ailleurs vrai pour *tou­tes* les mala­dies inscrites au tableau. *Tou­tes* pour­raient théo­rique­ment être recon­nues comme mala­dies profes­sion­nelles même si elles n’y étaient pas inscrites. L’enjeu n’est pas là.

    Le problème c’est que la procé­dure indi­vi­duelle est complexe. Il faut prou­ver la mala­die (ça c’est l’étape simple), que la mala­die peut être provoquée par les condi­tions de travail (ça reste faisable) mais aussi que ce sont ces condi­tions de travail et *exclu­si­ve­ment* ces condi­tions de travail qui ont déclen­ché la mala­die. Et là…

    Démon­trer l’ab­sence d’autres causes possibles, même partielles, c’est carré­ment mission impos­sible. Démon­trer l’ab­sence de quelque chose, c’est déjà géné­ra­le­ment un tour de force mais alors quand on parle de déter­mi­ner objec­ti­ve­ment et exhaus­ti­ve­ment les causes d’une affec­tion menta­le… ça devient du Houdini.

    Bref, il y a évidem­ment des excep­tions, des cas qui permettent d’ap­por­ter des preuves, ou même proba­ble­ment des dossiers excep­tion­nel­le­ment étudiés avec empa­thie et bien­veillance malgré des règles théo­rique­ment très strictes, mais autant dire que la procé­dure indi­vi­duelle n’est pas la solu­tion. N’es­pé­rez pas réus­sir.

    Le problème est d’ailleurs le même pour l’es­sen­tiel des mala­dies profes­sion­nelles. Tu es soumis à un agent patho­gène pendant des années. Tu tombes malade avec la mala­die corres­pon­dante. Théo­rique­ment rien ne prouve que tu n’au­rais pas pu l’at­tra­per ailleurs, que tu ne l’au­rais pas eu quand même.

    C’est *exac­te­ment* pour ça qu’on a créé le tableau des mala­dies profes­sion­nelles. Ça dit que si les condi­tions d’ex­po­si­tion sont réunies au travail (au deman­deur de le prou­ver) et qu’il a attrapé la mala­die décrite (à prou­ver aussi) alors dans ces cas là, et unique­ment dans ces cas là, on présume que la cause est proba­ble­ment profes­sion­nelle.

    L’em­ployeur peut toujours prou­ver que les condi­tions d’ex­po­si­tion n’étaient pas si réunies que ça, notam­ment par des mesures de préven­tion et des règles internes pour éviter l’ex­po­si­tion. Il peut toujours prou­ver qu’il y a d’autres causes pour un cas précis. Bref, ce n’est qu’une présomp­tion, mais elle permet d’évi­ter une preuve impos­sible à appor­ter, ou en tout cas d’évi­ter de reje­ter un nombre exces­sif de dossiers légi­times.

    On ne parle que de ça. Prou­ver qu’il y a un envi­ron­ne­ment propre à une pres­sion exces­sive, du harcè­le­ment moral, une déres­pon­sa­bi­li­sa­tion puis­sante et une situa­tion psychique propre à créer le burn out effec­ti­ve­ment subi, ça reste diffi­cile. C’est diffi­cile, subjec­tif, fran­che­ment pas une porte ouverte à toutes les demandes farfe­lues, mais entre ça et prou­ver l’ab­sence d’autres sources possibles, c’est le jour et la nuit.

    Pensez qu’il faut de plus faire tout ça alors qu’on est juste­ment dans un état de faiblesse et d’épui­se­ment mental extrême, parti­cu­liè­re­ment vis à vis de tout ce qui vient du milieu du travail. C’est un peu comme deman­der à un amputé des deux bras de rédi­ger lui-même par écrit les circons­tances de son acci­dent.

    On peut le faire recon­naitre comme acci­dent du travail

    Pour moi c’est le plus magni­fique contre-argu­ment. L’idée c’est qu’au lieu d’at­tri­buer le burn out à une expo­si­tion globale à une situa­tion profes­sion­nelle propice, on tente d’iden­ti­fier un fait déclen­cheur unique. Ça permet de quali­fier un acci­dent et de le faire recon­naitre ainsi.

    Ça fonc­tionne parfois, pour ceux qui arrivent à iden­ti­fier un événe­ment déclen­cheur spéci­fique, mais ça n’est en rien une solu­tion géné­ra­li­sable.

    C’est surtout un contour­ne­ment. Pour quali­fier un acci­dent du travail, il faut toujours prou­ver qu’il y a mala­die (les consé­quences de l’ac­ci­dent). Il faut toujours prou­ver que la cause est profes­sion­nelle. Il faut cepen­dant en plus prou­ver que cette cause a un fait déclen­cheur soudain et unique.

    En théo­rie ce devrait être plus limité, plus diffi­cile. En pratique la procé­dure est plus simple, plus ouverte.

    L’idée c’est donc de trou­ver un fait signi­fi­ca­tif sur lequel on pour­rait tenter de raccro­cher le burn out, quitte à esca­mo­ter tout le reste. Sauf dans quelques cas excep­tion­nels, on est à la limite de la fausse décla­ra­tion.

    Que certains en soient réduits à passer par là et que ça fonc­tionne démontre plutôt juste­ment à quel point le parcours de recon­nais­sance indi­vi­duelle de burn out en mala­die profes­sion­nelle est tota­le­ment inadapté. Il y a besoin d’un allè­ge­ment des preuves, exac­te­ment dans ce que permet l’ins­crip­tion au tableau prévu à cet effet.

    Et puis merde ! présup­po­ser que le syndrome d’épui­se­ment *pro­fes­sion­nel* a a-priori une cause liée à l’en­vi­ron­ne­ment profes­sion­nel est-ce vrai­ment si déli­rant que ça ?

    On préfère agir via une poli­tique de santé publique

    Faites donc. Il y a une telle absence d’ac­tion face au problème que ça ne peut pas faire de mal. J’ima­gine qu’une simple circu­laire inci­tant les admi­nis­tra­tions concer­nées à trai­ter les dossiers avec bien­veillance et empa­thie pour­rait déjà large­ment contri­buer à une amélio­ra­tion des choses. Même ça n’a pas été fait (ce qui pour moi est la preuve qu’il y a surtout une volonté de ne *pas* ouvrir la porte à des prises en compte de mala­dies mentales, du moins pas autre­ment qu’au compte goutte).

    On pour­rait aussi impo­ser aux employeurs de grandes entre­prises d’avoir des dispo­si­tifs de préven­tion et de prise en compte du problème. L’ins­pec­tion du travail pour­rait enquê­ter dans les domaines et entre­prises qui génèrent des taux anor­maux de burn out. Elle pour­rait aussi passer à la répres­sion quand les condi­tions humaines sont destruc­trices pour l’in­di­vidu. Pour ça on pour­rait recru­ter un peu dans l’ins­pec­tion du travail qui n’ar­rive déjà pas à gérer le strict mini­mum et où imagi­ner analy­ser l’en­vi­ron­ne­ment psychique doit rele­ver de la science-fiction.

    Bref, faites donc, mais je ne vois pas en quoi ce serait exclu­sif d’une inscrip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles. Au contraire, faire les deux serait d’une superbe cohé­rence dans l’ac­tion publique.

    Ça va amener plein d’abus

    FUD (fear, uncer­tainty and doubt).

    On ne parle déjà que de gens effec­ti­ve­ment atteints par le syndrome d’épui­se­ment profes­sion­nel, qui peuvent être recon­nus comme tels et le prou­ver. Ce n’est pas un truc marrant qu’on prend par plai­sir. On ne parle pas de simple­ment réper­to­rier tous ceux qui sont fati­gués ou n’ont pas envie d’al­ler travailler le lundi matin.

    Ensuite on parle de prou­ver des condi­tions. Chaque inscrip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles est liée à des condi­tions d’ex­po­si­tion profes­sion­nelles. Il faudra donc prou­ver que l’en­vi­ron­ne­ment corres­pond à celui de nature à créer des burn out. On parlera proba­ble­ment de pres­sion, de mana­ge­ment humi­liant, de harcè­le­ment, et globa­le­ment de situa­tion psycho­lo­gique destruc­trice. Il faudra le prou­ver, et imagi­nez bien que l’em­ployeur fera tout ce qu’il peut pour ne surtout pas lais­ser acter offi­ciel­le­ment qu’il a un tel envi­ron­ne­ment.

    Bref, on va permettre de faire effec­ti­ve­ment recon­naitre des cas de burn out sans deman­der l’im­pos­sible. On ne dit pas que ça va d’un coup être facile pour autant.

    Mais surtout, aujourd’­hui on sait que cette mala­die touche du monde, et que ça augmente de plus en plus. Les dossiers accep­tés sont peu nombreux. L’abus il existe déjà, aujourd’­hui, et il est au détri­ment des gens qui souffrent.

    En déter­mi­nant de quelle côté est la présomp­tion (le seul effet de l’ins­crip­tion au tableau des mala­dies profes­sion­nelles), on peut choi­sir la situa­tion qui génè­rera le moins d’injus­tices.

    Ce serait anor­mal de consi­dé­rer que l’em­ployeur est forcé­ment en faute

    Ça tombe bien, il n’en est pas ques­tion ici. Il s’agit d’at­tri­buer une cause qui permet à la sécu­rité sociale de couvrir plus ou moins bien les consé­quences de la mala­die, pas de dire si cette cause relève ou non d’une faute de l’em­ployeur.

    Il peut y avoir une mala­die profes­sion­nelle sans faute ni indem­ni­sa­tion spéci­fique de l’em­ployeur, comme il peut y avoir recon­nais­sance d’une faute et indem­ni­sa­tion du préju­dice sans recon­nais­sance pour autant d’une mala­die profes­sion­nelle.

    Main­te­nant à titre person­nel je ne verrai pas forcé­ment d’un mauvais œil qu’on commence à inquié­ter les employeurs quand le burn out vient de condi­tions humaines inac­cep­tables ou d’un défaut de préven­tion flagrant.

  • Reprendre le contrôle

    On m’a encore demandé quel serait la prochaine petite révo­lu­tion. Ça tourne dans ma tête depuis un moment et j’ai ma réponse : la reprise de contrôle.

    Je veux reprendre le contrôle de ma vie privée, de mes données, de ce qui est fait avec.

    Ça veut dire sortir les données des silos où elles sont

    Télé­char­ger mes factures pour y accé­der hors du site web de chacun de mes four­nis­seurs élec­tri­cité, gaz, inter­net, télé­phone, etc. Télé­char­ger mes rele­vés bancaires, ceux de mes rembour­se­ments de santé, ceux de mes consom­ma­tions télé­pho­niques.

    Télé­char­ger mes contacts sur Face­book, LinkedIn, Twit­ter. Inven­to­rier et synchro­ni­ser les likes, les favo­ris, les groupes, les listes, les commen­taires.

    Il faut que je puisse accé­der simple­ment à ces données, les croi­ser, créer des usages autour sans que tout se fasse labo­rieu­se­ment à la main.

    Cozy Cloud vient de faire l’an­nonce du lance­ment de sa V3 et j’y vois un premier pas essen­tiel dans la bonne direc­tion. L’ar­ri­vée du RGPD va proba­ble­ment aussi bien aider à l’émer­gence de quelques projets sur la récu­pé­ra­tion des données.

    Ça veut dire proté­ger mes données

    Proté­ger mes données ça ne veut pas dire mettre un mot de passe compliqué. Ça veut dire ne plus permettre qu’un tiers puisse y accé­der sans ma permis­sion. C’est autant de la sécu­rité que de la vie privée.

    Je ne veux pas que Drop­box puisse lire mes fichiers, que Micro­soft connaisse le contenu des docu­ments édités en ligne avec mes amis, qu’un employé de Google puisse lire toutes mes archives email depuis 10 ans et qu’il connaisse les détails de ma vie en regar­dant mon agenda.

    Et pour­tant je ne crois pas à l’auto-héber­ge­ment et au retour à l’in­for­ma­tique locale. Pouvoir accé­der à mes données de n’im­porte où sans jongler à la main avec diffé­rentes versions d’un même fichier est un confort que je ne veux pas remettre en cause.

    Je veux simple­ment chif­frer mes données, côté client, sans donner la clef au pres­ta­taire.

    Certains services le proposent pour les fichiers dans le cloud mais ça reste encore trop rares. Côté email, agenda et colla­bo­ra­tion sur des docu­ments en ligne, là c’est le désert ou presque.

    Ne me parlez pas de GPG, ça ne répond pas au besoin. Je ne veux pas attendre le jour où mes colla­bo­ra­teurs m’en­ver­ront des emails déjà chif­frés. Je doute que ça arrive dans les dix prochaines années. Je veux pouvoir chif­frer de mon côté les emails qu’ils m’en­voient en clair, avant même de les écrire sur disque.

    Ça veut dire chan­ger le fonc­tion­ne­ment des OS

    Je ne veux pas que n’im­porte quel logi­ciel sur mon poste puisse inter­agir avec mes données ou avec le reste du système.

    Les OS mobiles sont déjà un peu plus avan­cés que les autres. Chaque appli­ca­tion est isolée et n’a pas accès à tout le disque, à tous les péri­phé­riques, encore moins aux autres appli­ca­tions. C’est le début, mais il suffit d’au­to­ri­ser skype à utili­ser le micro pour que l’app soit capable d’es­pion­ner silen­cieu­se­ment 24/24. Si ça fonc­tionne à peu près juste­ment parce qu’on est en silo avec très peu de données communes.

    Demain Il y a toute une approche à inver­ser, où on n’at­tri­bue pas des droits à des appli­ca­tions mais où on part des données.

    Sérieu­se­ment, je ne peux même pas sépa­rer le perso et le pro sans avoir à créer deux comptes utili­sa­teurs sépa­rés sur ma machine.

    Je veux pouvoir donner accès au carnet d’adresse mais unique­ment aux contacts pro, et pas Pierre ni Nico­las, mais je veux bien donner accès à Julie qui est dans mes contacts persos. En réalité je veux faire plus que sépa­rer pro et perso. Je ne veux pas que l’ap­pli­ca­tion en face gère ce filtre, je veux moi choi­sir quelles données il verra, en amont.

    Là on est quasi­ment au pied de la montagne. Qubes-OS est un des seuls que je vois tenter quelque chose mais ça reste une approche sécu­rité basée sur une isola­tion complète de plusieurs envi­ron­ne­ments, pas une maitrise des données elles-mêmes. Il y a tout à créer.

  • Dis Mozilla, et si tu écou­tais tes utili­sa­teurs ?

    La première fois que Mozilla a imaginé de mettre des publi­ci­tés dans la page « nouvel onglet ». Quand on réflé­chit à des pistes nouvelles, parfois on s’égare. Pas de problème. La conclu­sion de la commu­nauté était que non, il ne fallait pas de publi­ci­tés dans les nouveaux onglets. Même en opt-out, même en respec­tant le « do not track ». À partir de là on sait.

    La seconde fois, quand Mozilla a parti­cipé à un contexte promo­tion­nel pour une série TV, on a bien voulu parler de faux pas. L’exer­cice était limité, la réponse a toute­fois été sans appel : Non.

    Un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts. Après ces deux tenta­tives, remettre le couvert une troi­sième fois avec une idée quasi iden­tique à la première, ça commence à être un problème dont il faut parler, plus des erre­ments.

    Mozilla, je comprends le problème de finan­ce­ment mais si tu n’écoutes pas tes utili­sa­teurs, tout le finan­ce­ment imagi­nable se révé­lera bien vain.

  • Aphan­ta­sie

    Aphan­ta­sie. C’est le mot de cette fin de semaine.

    Je pour­rais vous dire que je découvre ma diffé­rence mais ce serait mal résu­mer la situa­tion. Je réalise que *vous* pensez diffé­rem­ment.

    Je réalise que vous avez des images en tête, plus ou moins précises, parfois même de la musique. Je réalise que quand on vous dit de visua­li­ser une plage dans votre tête, c’est à prendre au sens litté­ral et pas une figure de style. Je réalise que l’ex­pres­sion « voir » quelque chose dans le sens de « comprendre » ou « imagi­ner » ne vient pas de nulle part. Je me rends compte que les films ou séries TV avec le héros qui se fait des films comme Scrub ou Ally McBeal ne sont pas autant un exer­cice narra­tif que je l’ima­gi­nais.

    Bref, j’ai pris une bonne claque dans la figure et ça va révo­lu­tion­ner ma vision de beau­coup de choses. Je découvre juste que 98% des gens réflé­chissent autre­ment. Pas unique­ment diffé­rem­ment au niveau du proces­sus, mais aussi presque avec d’autres sens que les miens. Imagi­nez un dalto­nien à qui vous appren­driez à 38 ans qu’en fait il y a deux couleurs distinctes derrière le rouge et le vert, et que c’est juste évident pout tout le reste du monde.

    Tout est parti de Sara qui m’a donné le récit de quelqu’un qui faisait la même décou­verte. Lisez-le. Je crois que je pour­rais quasi­ment l’avoir écrit à sa place. Comme on m’a posé plein de ques­tions, je vais tenter de résu­mer plus ou moins (mais lisez le lien tout de même) :

    Non, quand on me demande de visua­li­ser une plage, je ne visua­lise pas une image de plage. Je sais ce qu’est une plage. Si on me demande de dire de quelle couleur est le sable, je vais simple­ment choi­sir arbi­trai­re­ment une couleur dans les couleurs que je sais possibles pour le sable d’une plage. Je peux construire tous les éléments un à un, les avoir à l’es­prit, les mani­pu­ler, mais je n’au­rais pas plus d’image (ou de son). Je gère des concepts et des infor­ma­tions, mais pas une image. Jamais, quand bien même je le voudrais (du coup j’ai essayé).

    Ce n’est pas une cécité intel­lec­tuelle pour autant. Je peux garder la dernière image en tête quelques centièmes de secondes voire quelques secondes en me concen­trant quand je ferme les yeux, comme en persis­tance réti­nienne. Je suis cepen­dant inca­pable de reve­nir en arrière même d’une seconde ou de voir un autre angle, c’est une image fixe.

    Je peux aussi, en me concen­trant, visua­li­ser une image, une photo, un panneau, un dessin fixe que je vois régu­liè­re­ment ou dans une situa­tion forte. J’ai l’im­pres­sion de pouvoir le faire avec un nombre extrê­me­ment limité d’images, mais j’at­tri­bue plutôt ça à ma mauvaise mémoire qui filtre très fort tout ce qui n’est pas jugé « utile » (donc tout ce qui n’est pas pure infor­ma­tion). Je vois ces images sans préci­sion (je pour­rais dire de façon floue mais ce serait une descrip­tion trop imagée de ce qu’il se passe) et géné­ra­le­ment pas long­temps mais je les visua­lise quand même.

    En consé­quence je ne sais pas visua­li­ser les paysages, les bâti­ments ou les visages, même des personnes très proches ou les lieux que je vois tous les jours, parce qu’ils n’ont pas une image fixe unique et forte­ment impri­mée.

    Je devrais nuan­cer un peu : De mes expé­riences j’ai l’im­pres­sion de pouvoir avoir quelque chose si j’es­saye de visua­li­ser le couloir ou l’es­ca­lier de la maison de mes parents. Ca reste telle­ment évanes­cent et peu clair que je n’ose pas dire que j’y arrive mais il y a quelque chose. Je pense que c’est juste­ment parce que le plan de vision est toujours le même, assez pour que ça puisse s’im­pri­mer comme une image fixe.

    Du coup je n’ai pas le visage des gens, leurs expres­sions, même de ma femme et de mon fils, mais je peux me rappe­ler une photo où ils sont, parce que cette dernière était sur ma table de nuit pendant long­temps. C’est assez pertur­bant de me dire ça.

    Pour la même raison, je sais visua­li­ser un triangle (j’ai du essayer long­temps et plusieurs fois pour que ça vienne). Toujours de la même façon : Si je force, je peux voir un tracé géomé­trique. Il est toujours le même, avec les sommets notés A B et C. Ça ne fonc­tionne pas avec les autres formes géomé­triques et je n’ai aucune possi­bi­lité de le colo­rer ou de le défor­mer. Du coup je suppose que je me rappelle surtout un dessin vu mille fois à l’école, plutôt qu’une mise en image de mes pensées.

    Hier je disais que je n’ai pas l’im­pres­sion de rêver en images non plus. Je n’ai pas tendance à me rappe­ler mes rêves, et surtout je ne m’étais jamais posé ce genre de ques­tions – n’ima­gi­nant pas que les autres puissent être diffé­rents. Est-ce que je récolte des infor­ma­tions qui me donnent une émotion ou est-ce que j’ai des images ? L’en­dor­mis­se­ment d’hier me laisse la ques­tion ouverte. Peut-être que les rêves ont un peu plus que l’in­ven­taire d’in­for­ma­tions brutes que j’ai dans mon flux de pensée conscient. Diffi­cile à dire.

    Je n’ai pas plus de musique, d’odeurs ou de paroles. Je sais avoir des « ta ta tata » dans ma tête si je veux me rappe­ler une musique, mais pas diffé­rem­ment de si j’es­saye de fredon­ner (ne me le deman­dez jamais, c’est horrible). En fait c’est un peu comme si j’es­saye de me parler dans ma tête. En aucun cas je ne peux rejouer ce que j’ai entendu, ou me le remé­mo­rer ainsi (mais je saurais recon­naitre si ce qu’on me joue est la même musique que j’ai déjà entendu).

    Je n’ai pas non plus de senti­ments qui reviennent en surface. Ou plutôt ils ne sont pas rejoués ou visua­li­sés. Me rappe­ler d’une situa­tion (mal)heureuse passée ne me rend pas (mal)heureux main­te­nant. En fait je ne comprends même que ça puisse être le cas.

    Je peux repen­ser à quelque chose qui me stresse ou qui me rend triste et ressen­tir cette émotion mais ce ne sera pas un rappel de l’émo­tion passée : Ce sera que la situa­tion me stresse ou me rend triste encore main­te­nant. Ce sera le senti­ment présent d’une réflexion présente.

    Je me rends compte que vous êtes capables, à des degrés divers, de vous rappe­ler le visage d’un être aimé, une situa­tion heureuse. Je peux me rappe­ler les détails, les concepts, l’in­for­ma­tion que j’ai été heureux, je ne peux pas rejouer le passé. Quelque part, de ça je suis un peu jaloux.

    * * *

    Mais comment tu fais pour dessi­ner ? pour prépa­rer tes photos ?

    Je dessine. Je sais où est placée l’oreille d’un chat alors je l’y mets. Je n’ai pas besoin d’un modèle mental pour ça. Je n’ai pas d’image mentale à reco­pier. Peut-être que ça peut expliquer en partie pourquoi je suis inca­pable de faire des dessins qui ressemblent à quelque chose mais je crois que si je dessine mal c’est surtout suite à un manque de pratique et d’exer­cice quand j’étais jeune. Je crois assez peu au « don » : Les gens qui dessinent bien ont surtout beau­coup de pratique, ou de la pratique très jeune.

    Pour les photos j’es­saye. J’ima­gine des choses, je teste, je vois ce que ça donne. Ça peut aussi expliquer pourquoi je sors des centaines de photos par séance mais là aussi je me garde­rais bien de sauter aux conclu­sions et aux excuses faciles.

    Et quand tu lis un roman ?

    Même chose. J’ai des infor­ma­tions, pas une image. Si tu ne me dis pas comment est habillé le héros, je ne comble pas ce manque. En fait je ne le vois pas même pas comme un manque. Ça peut aussi tenir au fait que j’ai une lecture plus proche de ce qu’on appelle la lecture rapide que d’une lecture séquen­tielle. Je scanne plus que je ne lis, je prends les infor­ma­tions qui me semblent utiles à ma compré­hen­sion. Je ne lis même pas toujours les pages de haut en bas (oui, il m’ar­rive de scan­ner de bas en haut, quitte à reprendre un passage plus clas­sique­ment ensuite), et il m’ar­rive de lire très vite une page, puis d’y reve­nir le temps d’un coup d’oeil tant de repar­tir vers l’avant, incons­ciem­ment. Le résul­tat c’est qu’il est tout à fait possible que je ne sache pas que le person­nage est roux alors que c’est marqué partout, simple­ment parce que ça n’a pas servi dans l’his­toire. Géné­ra­le­ment je ne sais même pas dire comment s’ap­pelle le héros (mais je saurais recon­naitre le mot s’il est écrit quelque part).

    Ne vous trom­pez pas. J’ai de l’ima­gi­na­tion. Plein (trop). Je lis d’ailleurs essen­tiel­le­ment de la SF et de la fantasy, et j’aime ça. Je dévore les livres quand je suis dans mes périodes « lecture ». Visi­ble­ment (le terme est amusant) j’in­tègre juste ça diffé­rem­ment d’autres personnes. Savoir ce qui tient de ma façon de lire et de l’aphan­ta­sie est diffi­cile à dire. Possible d’ailleurs que les deux ne soient pas tota­le­ment indé­pen­dants mais là aussi je me garde­rai bien de sauter aux conclu­sions.

    * * *

    Je crois que la ques­tion la plus diffi­cile c’est « mais comment fais-tu ? ». Je pour­rais la retour­ner : Comment faites-vous ? Comment faites-vous pour visua­li­ser des images, mais aussi comment faites-vous pour ne pas conce­voir des choses sans y attri­buer d’image, de son ou d’émo­tion ? Si je vous donne un concept mathé­ma­tique ou intel­lec­tuel, comment faites-vous ? Quelle image vous vient quand je vous parle d’aphan­ta­sie ? Si vous y arri­vez, pourquoi avez-vous besoin d’une image pour tout le reste ? Comment ce fait-ce que ça ne perturbe pas votre pensée ? Est-ce que ça ne vous donne pas en perma­nence des biais sur tout et tout le temps puisque vous avez déjà une image construite de ce dont vous parlez ?

    Allez décrire la vision à un aveugle, la diffé­rence entre rouge et vert à un dalto­nien… Pire, deman­dez à un dalto­nien de décrire ce qu’il voit à la place du rouge. Ça n’a juste pas de sens. Qui sait, peut-être que déjà à la base chacun met le même nom sur la couleur mais la perçoit de façon diffé­rente.

    Vous voyez la diffi­culté à décrire ? Je ne suis pas plus capable de vous expliquer comment je pense que vous n’êtes capables de me l’ex­pliquer. Il faudrait avoir vécu les deux situa­tions pour savoir réel­le­ment pous­ser les choses loin. Ce que j’es­saie de décrire plus haut est proba­ble­ment biaisé et un peu vantard aussi à cause de ça : Je m’ima­gine des choses sur ce que pour­rait être une autre façon de penser, et je ne sais pas le conce­voir.

    Je ne me place d’ailleurs pas forcé­ment dans la posi­tion du dalto­nien. Si j’osais, j’ai plutôt l’im­pres­sion de vous ranger dans ces élèves qui ont besoin de bouger les lèvres pour orali­ser ce qu’ils lisent quand un adulte peut inter­na­li­ser sa lecture sans même subvo­ca­li­ser. Mais… n’est-ce pas une pirouette pour me trou­ver excep­tion­nel et tour­ner ce qui m’ar­rive comme un avan­tage ?

    Si vous avez des ques­tions, cepen­dant, n’hé­si­tez-pas, mais pensez bien qu’il va aussi vous falloir expliquer comment vous vous pensez, et ne pas simple­ment voir ça comme un manque chez moi. C’est diffé­rent, pas juste quelque chose en moins.

  • [Lecture] The surpri­sing thing Google lear­ned about its employees

    Project Aris­totle shows that the best teams at Google exhi­bit a range of soft skills: equa­lity, gene­ro­sity, curio­sity toward the ideas of your team­mates, empa­thy, and emotio­nal intel­li­gence. And topping the list: emotio­nal safety. No bullying. To succeed, each and every team member must feel confi­dent spea­king up and making mistakes. They must know they are being heard.

    Ça devrait sembler évident à tout le monde mais ça ne l’est pas encore. Offrir un bon contexte humain où les gens se sentent en sécu­rité pour agir est plus impor­tant que tout.

    Les imbé­ci­li­tés de « si on brûle les bateaux derrière eux ils avan­ce­ront d’au­tant plus vite » n’ont jamais fonc­tionné. La défiance et la pres­sion par la peur ou la menace non plus.

    The surpri­sing thing Google lear­ned about its employees — and what it means for today’s students

  • « la poli­tique raison­nable et humaine que nous menons »

    J’avais commencé à lister un histo­rique de ces dernières années mais je vais vous dire autre chose.

    J’ai honte.

    J’ai­me­rais ne plus avoir honte. On peut avoir des diver­gences fortes sur la poli­tique à mener, mais j’ai­me­rais ne plus avoir honte de ma police, de comment elle met en œuvre cette poli­tique.

    Je ne veux plus entendre que notre police confisque duvets et couver­tures à des personnes qui dorment dehors en plein hiver. C’est illé­gal mais c’est aussi inhu­main.

    Je ne veux plus entendre que notre police lacère ou jette des tentes de personnes sans domi­ciles. Ces tentes sont peut-être elles-mêmes anor­mal mais fragi­li­ser ces gens dehors en plein hiver n’est pas justi­fiable pour autant.

    Je ne veux plus entendre qu’on enferme illé­ga­le­ment, qu’on créé des centres de réten­tion arti­fi­ciels sans leur en donner le nom et le statut.

    Je ne veux plus entendre qu’on traite des enfants légè­re­ment et qu’on les laisse à la rue, parce que c’est plus simple, en se défaus­sant sur leurs parents, ou simple­ment en leur niant leur mino­rité.

    Je ne veux plus lire des récits qui me font honte dans les commu­niqués d’ONG au dessus de tout soupçon de partia­lité et jusque dans la presse inter­na­tio­nale. C’est toute la France qui devrait avoir honte, honte au point de ne pas oser faire une quel­conque décla­ra­tion inter­na­tio­nale avant de régler ça.

    J’ai honte et c’est grave.

    C’est grave parce que ce sont des actions de forces de l’ordre qui se croient au dessus de la loi, qui font justice eux même. On a là un terreau fertile pour les déra­pages les plus graves.

    C’est grave parce que ce sont des fonc­tion­naires qui acceptent des ordres illé­gaux et inhu­mains, et ça doit faire réflé­chir vu le passé de la France.

    C’est grave parce que sont des respon­sables poli­tiques qui cautionnent voire qui soutiennent. Pire, ils vont vanter le trai­te­ment humain alors qu’ils ont des alertes cohé­rentes et persis­tantes d’ac­teurs incon­tes­tables. Bref, pour montrer leur fermeté ils renforcent le senti­ment que tout est permis.

    J’ai honte, c’est grave et j’ai peur.

    J’ai désor­mais peur quand je vois la police, celle qui devrait me proté­ger. Je n’ima­gine plus parti­ci­per à une mani­fes­ta­tion légale, décla­rée et paci­fique sans craindre de reve­nir avec des héma­tomes voire mutilé par une grenade.

    J’ai peur d’une police ivre de son pouvoir et qui n’a plus aucune limite. Même quand il y a mort après inter­pel­la­tion, on lit ensuite dans la presse qu’il n’y a rien eu d’anor­mal ou de répré­hen­sible de la part des forces de l’ordre, limite que le passé du décédé justi­fie bien ce qui lui est arrivé.

    Élevé dans le respect de l’ordre et dans l’idée que la police est là pour moi, à toute occa­sion, aujourd’­hui je change de trot­toir si je le peux pour éviter toute rencontre avec la police. On ne sait jamais, parce que je n’ai plus aucune confiance.

    J’ai honte, c’est grave, j’ai peur et je veux du chan­ge­ment.

    Je crève d’en­vie de deman­der la démis­sion de ministres, préfets et autres personnes à respon­sa­bi­lité dans toute cette chaîne défaillante mais je veux surtout du chan­ge­ment.

    Je veux un ministre qui trace clai­re­ment les limites de l’inac­cep­table. Je suis prêt à ne pas faire atten­tion s’il prend plein de précau­tions oratoires, s’il dit que ce sont des faits isolés alors qu’il est désor­mais évident que ce n’est pas le cas, mais je veux qu’il le fasse, clai­re­ment.

    Je veux que derrière il y ait des enquêtes et des sanc­tions. Je veux qu’il y ait des syndi­cats qui reprennent voix pour dire qu’ils s’op­po­se­ront aux ordres illé­gaux et immo­raux. Je veux des poli­ciers qui s’ex­priment, même anony­me­ment.

    Je veux qu’on margi­na­lise l’inac­cep­table, que ça rede­vienne inac­cep­table. Je veux pouvoir être fier de mon pays et de sa police.

    J’ai honte, c’est grave, j’ai peur, je veux du chan­ge­ment et c’est urgent.

    Si j’ai peur, moi qui ai toujours défendu la police pendant toute ma vie, j’ima­gine ce qu’il doit en être pour ceux qui n’ont pas une situa­tion aussi privi­lé­giée que la mienne.

    On va ramer pour retrou­ver de la confiance, pour retrou­ver du lien entre le citoyen et les forces de l’ordre. Ce ne sont pas des belles paroles qui vont chan­ger des choses. Il faut du visible, du poing sur la table, et pas qu’un peu, pas juste pendant une opéra­tion de commu­ni­ca­tion de quelques jours.

    Même ainsi ça va prendre du temps, des années peut-être, mais si on ne le fait pas rapi­de­ment ça risque vite de deve­nir trop tard. J’es­père que ça ne l’est pas déjà.

    C’est main­te­nant qu’il y a un train à prendre, pour qu’un jour je ne pleure pas de dégoût quand j’en­tends parler de « la poli­tique raison­nable et humaine que nous menons » à la radio.

  • Au nom de la cause

    Je peux contes­ter un argu­ment d’une thèse globa­le­ment inté­res­sante. Je peux refu­ser un enchaî­ne­ment logique d’une cause que je soutiens. Je peux refu­ser certaines actions tout en en parta­geant les moti­va­tions ou objec­tifs. Je peux trou­ver mauvaise une solu­tion sans nier le problème sous-jacent. Je peux argu­men­ter et avoir un désac­cord avec une personne que j’ap­pré­cie énor­mé­ment.

    Bref, c’était vrai en poli­tique et sur les sujets tabous, mais c’est plus large que ça. Je ne signe pas de chèque en blanc et je n’ac­com­pagne personne les yeux bandés.

    Pour dire vrai, je fais même d’au­tant plus atten­tion aux détails et refuse d’au­tant plus faci­le­ment une erreur ou une argu­men­ta­tion bancale quand je crois à ce qu’il y a derrière. Le reste ne mérite pas toujours d’y passer du temps.

    Peut-être parce que j’ai l’im­pres­sion que sinon la personne parle aussi pour moi. Peut-être parce que je ne veux pas voir s’écrou­ler une bonne cause derrière un discours contes­table. Peut-être simple­ment parce que je ne peux accep­ter de me ranger derrière quelqu’un ou quelque chose en sachant que ça se base aussi sur du faux.

    Non, je ne cache­rai pas mes réac­tions sous prétexte qu’en parler peut faire du mal à la cause. J’ai tendance à croire que c’est au contraire d’ac­cep­ter de ne rien dire qui peut faire mal aux causes qu’on défend, aux valeurs dans lesquelles on croit.

    Je ne suis simple­ment pas celui qui accepte tout au nom de la cause. Je n’ai jamais cru à l’idée que la fin justi­fie les moyens.

    Chacun fait ses choix. Les vôtres sont peut-être diffé­rents et ne n’ai pas à vous dicter quoi que ce soit. Vous pouvez contes­ter les miens mais n’al­lez pas nier mes convic­tions ou mes inten­tions simple­ment parce que je refuse de fouler qui je suis. C’est insul­tant pour vous comme pour moi.