Auteur/autrice : Éric

  • 1984 comme manuel de savoir-vivre

    1984 comme manuel de savoir-vivre

    Au nom de la liberté d’ex­pres­sion, les enfants qui ne disent pas ce qu’on attend d’eux sur des sujets qu’ils ne comprennent de toutes façons pas seront inter­ro­gés par les forces de l’ordre, pour enquête sur requête du procu­reur du procu­reur de la répu­blique.

    Au nom de la propriété privée, ceux qui volent des choses jetées à la poubelle par ceux qui n’en veulent plus seront arrê­tés, inter­ro­gés et pour­sui­vis sur requête du procu­reur de la répu­blique.

    La guerre c’est la paix,
    La liberté c’est l’es­cla­vage,
    L’igno­rance c’est la force.

    Nous vivons une époque formi­dable depuis que nous avons pris 1984 comme manuel de savoir-vivre.

    Pour l’oc­ca­sion nous avons même mis la promo­tion de l’ENA de cette année sous le patro­nage de Georges Orwell. J’ai du mal à en mesu­rer l’iro­nie…


    Aujourd’­hui et depuis trois semaines j’ai peur à chaque fois que j’en­tends ce qu’il se passe dans mon pays et dans les autres.

    Je n’ai pas peur d’un terro­risme qui fait moins de morts que le froid sur les SDF dans nos rues. J’ai peur de notre propre réac­tion, nous qui déclen­chions déjà régu­liè­re­ment des guerres sous des prétextes consciem­ment falla­cieux.

    Il nous a suffit d’un fait divers pour voir nos élus tous unis cher­cher la fin de toute commu­ni­ca­tion non inter­cep­tée et non contrô­lée, récla­mer obéis­sance et rituels à l’école plutôt qu’ap­pren­tis­sage de l’es­prit critique. Tout ça avec le soutient d’une majo­rité de la popu­la­tion, parce que présenté comme indis­pen­sable contre le terro­risme, quand bien même ça ne fait que l’ali­men­ter.

    Nous décons­trui­sons à vitesse rapide tout l’idéal rêvé sur plusieurs siècles. Jusqu’où serions-nous prêts à nous enfon­cer au prochain fait divers impré­vi­sible ? Serions-nous prêts à accep­ter un apar­theid ? une dicta­ture ? une guerre civile ? une guerre mondiale ? J’ai peur que oui et ça me fait peur.

    La Terreur de la fin du 18ème siècle pour­rait reve­nir bien bien plus vite qu’on ne le pense. Terro­risme avez-vous dit ? nous n’avons encore rien vu, et il risque de ne pas venir de là où on nous dit.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-SA par Xaime

  • Où me verriez-vous travailler ?

    Où me verriez-vous travailler ?

    J’ai suivi le formu­laire de Chris et j’avoue trou­ver la démarche inté­res­sante :

    Consi­dé­rant ce que vous connais­sez de moi, ma façon d’être, mes compé­tences, ma loca­li­sa­tion, mes aspi­ra­tions, mes expé­riences, mes valeurs… Où me verriez-vous travailler ?

    Je ne donne volon­tai­re­ment aucune direc­tive ni aucun élément expli­cite moi-même. L’idée c’est juste­ment aussi de ne pas se contraindre par sa propre auto-évalua­tion et de sortir de la boite qu’on se dessine pour soi-même.

    Vous pouvez parler société, métier, rôle, domaine d’ac­ti­vité, … aucune limite.

    Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, pas de forme ou de détail obli­ga­toire. Vous pouvez lais­ser un commen­taire ici, anonyme ou non, ou m’en­voyer un email plus privé.

    C’est encore mieux – mais pas obli­ga­toire – si c’est argu­menté sur le pourquoi vous pensez que ça peut corres­pondre. Bonus si l’idée est réaliste. Super-Bonus si c’est action­nable. Super-Méga-Bonus s’il s’agit de quelque chose de concret (une offre exis­tante, être prêt à signer un contrat, etc.) même si je reste moi-même au niveau des idées.

    Excep­tion­nel­le­ment j’ai­me­rai vrai­ment que vous parti­ci­piez *tous*. Vrai­ment tous. En fonc­tion de ce que vous connais­sez de moi, même si vous en connais­sez peu ou quasi­ment pas, même si c’est unique­ment de répu­ta­tion ou par mes écrits. Je vous remer­cie d’avance.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY par Geor­gie Pauwels

  • 750 € nets de bonus annuel

    750 € nets de bonus annuel pour profi­ter de vos vacances

    Oui mais non.

    Si je n’ai aucune indi­ca­tion de ce que sera le salaire de départ (fixe ou variable, peu importe), savoir qu’on y ajoute 750€ ne m’aide pas.

    Je peux me dire que c’est 750€ en plus, mais en fait non vu que la rému­né­ra­tion est forcé­ment négo­ciée ou déter­mi­née en tenant compte de cette somme (sauf à gérer la boite avec légè­reté, c’est forcé­ment budgeté et pris en compte dès le départ).

    Au final, formulé autre­ment, c’est juste 750€ d’une rému­né­ra­tion totale qui au lieu d’être répar­tie sur 12 mois sera donnée d’un coup au milieu d’an­née. Sauf si le fait d’avoir les sous en une fois par an au lieu d’un petit peu par mois est un vrai facteur de moti­va­tion, ça n’amène pas grand chose.

    C’est juste dommage parce qu’il n’y a aucune raison de penser que la rému­né­ra­tion (*) ou le job soient inin­té­res­sants, mais insis­ter sur ce point pour une somme fixe qui de plus repré­sente 3% ou moins, ça m’a accro­ché l’oeil… en néga­tif. C’est encore plus vrai consi­dé­rant que ça inclut proba­ble­ment la prime de vacance conven­tion­nelle syntec qui est déjà de l’ordre de 1%.

    (*) et encore moins après leur retour sur twit­ter, où on m’a répondu avoir une grille ouverte en interne, du type de celle de Buffer. Aller la publier n’ap­porte pas grand chose, mais la diffu­ser en interne démontre de certains prin­cipes que je ne peux qu’ap­pré­cier.

    Et les respon­sables réagissent sur twit­ter, avec calme et en détail. Ça aussi c’est posi­tif.

    Tiens, ce sont plutôt ces deux points – ouver­ture et fonc­tion­ne­ment interne trans­pa­rent – que j’au­rais aimé voir comme indi­ca­tion plus que la prime de vacances. Dommage.

  • Comment j’ai tout bloqué

    Depuis 24h j’ai demandé à mon navi­ga­teur de bloquer les iframes et scripts tiers, c’est à dire ceux qui n’ap­par­tiennent pas au même domaine que la page que je visite.

    Vous savez quoi ? le web fonc­tionne en fait encore très bien, presque mieux. Je n’ai plus les publi­ci­tés, les pisteurs, les gadgets, les invites de réseaux sociaux… mais à peu près tout le reste.

    Je dois faire des excep­tions au cas par cas comme pour Gmail ou quelques sites qui utilisent deux domaines distincts, mais ces excep­tions sont plutôt très simples à gérer.

    Qu’ai-je fait ?

    J’ai retiré Adblo­ck+ et Ghos­tery pour les rempla­cer par µblock.  Ce dernier se base sur les mêmes listes que Adblo­ck+ donc vous ne perdrez pas grand chose.

    J’ai désor­mais une petite icône rouge dans ma barre de navi­ga­tion. Un clic simple laisse appa­raitre une info­bulle avec quelques infor­ma­tions mais surtout un gros bouton vert.

    Un clic sur le numéro de version µblock en haut de l’in­fo­bulle et vous arri­vez sur la page des préfé­rences. La liste des filtres a des valeurs par défaut assez intel­li­gentes, vous voudrez proba­ble­ment juste ajou­ter la liste « FRA: EasyList Liste FR » pour les valeurs spéci­fiques à nos sites français.

    Là on s’ar­rête chez tous les non-geeks. Ce devrait être un bon rempla­ce­ment à ADBlo­ck+ et à Ghos­tery, tout en prenant un peu moins de ressources.

    En cas de problèmes un clic sur le gros bouton vert désac­tive µblock sur tout le site en cours de navi­ga­tion.

    Qu’ai-je vrai­ment fait ?

    Person­nel­le­ment j’ai voulu tenter plus loin et plus basique. Dans les para­mètres vous pouvez cocher « je suis un utili­sa­teur expé­ri­menté ».

    Désor­mais vous avez un petit + en face du terme « requêtes bloquées ». Un clic et vous avez accès à une superbe inter­face éten­due qui permet de faire des excep­tions ou des règles fines.

    La partie basse liste les domaines tiers utili­sés : D’abord le domaine prin­ci­pal, en gras, puis les diffé­rents sous-domaines corres­pon­dants sur les lignes suivantes. Un sous-domaine a sa première colonne en vert, rouge ou jaune ou rouge pâle suivant que toutes les requêtes ont été auto­ri­sées, que toutes ont été bloquées, ou qu’il y a un peu des deux.

    Sur tout le tableau, on peut forcer le blocage ou l’au­to­ri­sa­tion des requêtes dans une caté­go­rie en chan­geant de couleur la case corres­pon­dante en seconde ou en troi­sième colonne. La seconde corres­pond à un blocage global sur tous les sites, la troi­sième à un blocage unique­ment sur le site en cours. Bien évidem­ment, si vous bloquez globa­le­ment un domaine, il sera aussi bloqué (donc en rouge) pour le site en cours sur la troi­sième colonne.

    Qu’ai-je vrai­ment vrai­ment fait ?

    Alors j’ai bloqué les scripts et cadres tiers, globa­le­ment (j’ai passé en rouge la seconde colonne de la quatrième et de la cinquième ligne, comme le montre la capture d’écran précé­dente).

    Les dégâts sont loin d’être aussi impor­tants que ce qu’on peut imagi­ner. Dans l’en­semble ça fonc­tionne très bien.

    Il faut parfois auto­ri­ser quelques domaines en plus, au cas par cas, pour éviter d’avoir un contenu trop nu. Sur lemonde.fr j’ai du passer en vert la troi­sième case en face du domaine lmde.fr. Sur les sites de Google j’ai du auto­ri­ser gsta­tic.com. De telles excep­tions sont très faciles à trou­ver et c’est fait une fois pour toutes.

    Je sais qu’il me restera des excep­tions à trou­ver, par exemple dans le cas des vidéos Daily­mo­tion ou Youtube.  Globa­le­ment ça fonc­tionne quand même très bien et je suis prêt à payer le prix d’avoir à faire quelques surcharges manuelles de temps en temps.

    Je suis certain que dans un mois ces surcharges manuelles devraient être assez complètes et que je n’y touche­rai quasi­ment plus. Je regrette juste de ne pas pouvoir les synchro­ni­ser entre Fire­fox et Chrome.

    Pour l’ins­tant, à force de clic, mes règles ressemblent à ça (cinquième onglet des préfé­rences) :

    * * 3p-frame block
    * * 3p-script block
    * ajax.googleapis.com * noop
    * bootstrapcdn.com * noop
    * disqus.com * noop
    * googlevideo.com * noop
    * gstatic.com * noop
    * highcharts.com * noop
    * youtube.com * noop
    * ytimg.com * noop
    500px.com 500px.org * noop
    mail.google.com googleusercontent.com * noop
    speakerdeck.com d2dfho4r6t7asi.cloudfront.net * noop
    twitter.com twimg.com * noop
    www.facebook.com fbcdn-profile-a.akamaihd.net * noop
    www.facebook.com fbstatic-a.akamaihd.net * noop
    www.flickr.com yimg.com * noop
    www.lemonde.fr lemde.fr * noop
    www.leparisien.fr lprs1.fr * noop
    www.liberation.fr libe.com * noop
    www.linkedin.com licdn.com * noop
    www.youtube.com google.com * noop

    Il ne me manque qu’une seule fonc­tion­na­lité de Ghos­tery, la possi­bi­lité de lancer au cas par cas les commen­taires Disqus à l’aide d’un simple clic. Par contre j’ai l’im­pres­sion d’un rendu plus rapide que mon ancien couple ADBlo­ck+/Ghos­tery.

  • J’ai peur. Non, pas des terro­ristes.

    On s’énerve quand on voit nos poli­tiques s’en­fon­cer dans une logique auto­ri­taire, mais fran­che­ment nous ne faisons pas mieux.

    J’ai très peur quand je vois tout autour de moi la réac­tion aux condam­na­tions récentes. On parle dans au moins deux cas de personnes à moitié bour­rées qui insultent la police après s’être fait arrê­ter. Autre­fois ça aurait été menaces de venir casser la gueule et autres injures, et ça se serait terminé sous le quali­fi­ca­tif d’ou­trage.

    Ces jours ci c’est « les jiha­distes vont vous mettre une balle dans la tête ». D’un coup la quali­fi­ca­tion passe à apolo­gie de terro­risme et on parle de 16 mois de prison dont 8 fermes avec mandat de dépôt (donc réel­le­ment départ en prison).

    Et autour de moi ça parle de tolé­rance zéro, et ça ne choque pas grand monde.

    Perdre le boulot, les liens avec la famille, pour avoir dit des conne­ries parce qu’on s’est énervé sous l’em­prise de l’al­cool… J’ai peur. Non, pas des terro­ristes.

  • Mon dialogue avec les élèves à propos de Char­lie Hebdo

    « Mais M’sieur, si on dessine le prin­ci­pal tout nu et avec des cornes, bah ça s’fait pas et du coup vous allez le censu­rer et bah voilà Char­lie Hebdo ils auraient du être censu­rés. »

    Et *paf* en pleine tête.

    C’est telle­ment vrai. Alors on a beau jeu de dire que c’est diffé­rent, qu’on ne les aurait pas tué pour ça.

    C’est vrai. Il n’em­pêche qu’on cherche à valo­ri­ser chez eux exac­te­ment ce qu’on leur inter­dit. Un dessin avec je ne sais quoi sodo­mi­sant le provi­seur, quand bien même le provi­seur aurait été pris comme symbole de l’au­to­rité, ça aurait été l’ex­clu­sion directe, c’est à dire la sanc­tion la plus forte possible dans le cadre de ce que permet la loi. Pour peu que ça vienne d’un agita­teur, ça aurait même pu tomber sous le pénal de l’in­sulte à profes­seur, avec un poten­tiel de 6 mois de prison ferme à la clef.

    On a beau jeu de dire que les jeunes sont perdus, alors que nous leur impo­sons nos propres contra­dic­tions.

    À l’op­posé, ce profes­seur semble les avoir consi­déré comme des gens capables de réflé­chir, et ça semble avoir fait réflé­chir. Un gros merci à lui.

    Je note d’ailleurs qu’ici, contrai­re­ment au récit précé­dent, on se moque de savoir si tel élève est musul­man ou non, on ne cherche pas à les culpa­bi­li­ser, on ne quali­fie pas les élèves voyant les choses autre­ment comme « retord ». Ça change tout, même si le fond du message est proba­ble­ment le même, même s’il y en reste tout autant qui n’au­ront pas compris ce fond.

     

  • J’ai cher­ché à comprendre

    J’ai cher­ché à comprendre

    Repor­ters sans fron­tières (RSF) s’in­digne de la présence à la “marche répu­bli­caine” à Paris de diri­geants de pays dans lesquels les jour­na­listes et les blogueurs sont systé­ma­tique­ment brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Al­gé­rie et les Emirats arabes unis. Au Clas­se­ment mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respec­ti­ve­ment 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180.

    Il faut dire que la liste de ceux qui viennent mais auraient du s’abs­te­nir est encore plus longue, et que le détail est fran­che­ment catas­tro­phique. Je me suis demandé pourquoi des diri­geants, connus pour ne pas être tendre avec les liber­tés, voire ayant empri­sonné, tué ou exilé leurs propres jour­na­listes, cherchent à parti­ci­per à la mani­fes­ta­tion d’aujourd’­hui.

    Je ne crois pas une seconde qu’ils soient assez naïfs ou imbé­ciles pour croire que ça leur redon­nera une virgi­nité ou un vernis posi­tif.

    J’ai cher­ché, et puis je me suis souvenu qu’of­fi­ciel­le­ment ces diri­geants ne font eux aussi que lutter contre le terro­risme, contre leur terro­ristes à eux, selon eux. Offi­ciel­le­ment ils ne font que prendre des mesures excep­tion­nelles et néces­saires pour sauve­gar­der l’ordre public. Il faut dire que la notion de terro­risme  est telle­ment large qu’on peut y faire entrer tout et son contraire en fonc­tion de ses propres inté­rêts.

    Je ne saurais dire s’ils espèrent nous voir sombrer dans les mêmes travers pour justi­fier les leurs ou si, de bonne foi, ils cherchent à nous appor­ter leur soutient en pensant honnê­te­ment avoir déjà traversé cette épreuve et mis en oeuvre ce qu’ils pensent indis­pen­sable.

    Ils semblent bien avoir raison

    Je me retiens géné­ra­le­ment de voir de la malveillance là où il ne pour­rait y avoir que de la bêtise navrante. D’un autre côté ils ne sont pas si bêtes, car ils semblent bien avoir raison.

    Je pour­rais conti­nuer mais Le Monde a fait sa propre liste, plus courte mais qui tend à faire croire que la mienne n’est pas très grave en compa­rai­son. Centres de réédu­ca­tions de la pensée, réou­ver­ture du bagne, présomp­tion de culpa­bi­lité, retrait des allo­ca­tions aux parents d’en­fants ne faisant pas la minute de silen­ce… l’ima­gi­na­tion de nos poli­tiques est débor­dante et n’im­porte quelle propo­si­tion inac­cep­table pour­rait passer comme modé­rée quand voit ces délires.

    N’est pas la Norvège qui veut

    Mon rêve d’hier est déjà bien loin, même si j’avais peu d’es­poir. N’est pas la Norvège qui veut, et nos repré­sen­tants avaient déjà montré plus d’une fois que reti­rer nos liber­tés était pour eux la meilleure solu­tion pour qu’on ne nous les menace pas.

    Dans mes rêves les plus fous, aujourd’­hui, la France aurait pris la suite de RSF, avec le courage d’ex­pri­mer haut et fort « non, il n’est pas sain que vous vous asso­ciez à cet événe­ment aujourd’­hui » aux diri­geants des pays peu favo­rables à la liberté d’ex­pres­sion, ainsi qu’à ceux qui utilisent le prétexte de lutte contre le terro­risme dans leurs inté­rêts.

    Cela aurait posé des problèmes de rela­tion diplo­ma­tique, nous aurait certai­ne­ment perdu quelques inté­rêts écono­miques. Nos valeurs ont visi­ble­ment bien peu de poids à côté de tout cela. Une marche collec­tive, c’est bien tout ce qu’on peut espé­rer visi­ble­ment. Savou­rons-la, malgré sa compo­si­tion.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Neil Mora­lee

  • J’ai­me­rais qu’elle serve à ça

    J’ai­me­rais qu’elle serve à ça

    Nous allons répondre à la terreur par plus de démo­cra­tie, plus d’ou­ver­ture et de tolé­rance

    — Jens Stol­ten­berg, après les atten­tats en Norvège

    Si cette émotion devait servir à quelque chose d’utile, j’ai­me­rais qu’elle serve à ça.

    N’ou­blions pas : Depuis qu’on parle de terro­risme, ce dernier n’a jamais réel­le­ment réduit nos liber­tés en occi­dent. Les liber­tés que nous avons perdu, nous nous les sommes reti­rés nous-mêmes.

    Depuis 15 ans notre réponse a été de culpa­bi­li­ser les pauvres et les chômeurs, de faire la guerre aux étran­gers et enfants d’étran­gers, d’igno­rer les souf­frances et les brimades subies par les mino­ri­tés visibles, d’iso­ler nos repré­sen­tants poli­tiques de la diver­sité des opinions, d’in­ter­dire autant que possible tout ce qui peut repré­sen­ter la reli­gion musul­mane, de cliver et monter les uns contre les autres.

    Notre poli­tique a été de faire du spec­tacle, du marke­ting, des prises de paroles gran­di­lo­quentes. Notre poli­tique a été de prendre chaque fait comme excuse pour inter­dire, pour exclure, pour renfor­cer la surveillance et réduire les liber­tés civiles.

    Le danger du regrou­pe­ment dans l’émo­tion c’est cette union natio­nale qui ne fait émer­ger qu’une seule voix, c’est ce repli sur soi sous prétexte de patrio­tisme, c’est cette volonté sécu­ri­taire qui ne fait qu’en­tre­te­nir la peur et la défiance.

    Si cette émotion devait servir à quelque chose, j’es­père que ce sera, pour une fois, à monter plus d’édu­ca­tion, plus de soli­da­rité, plus de démo­cra­tie et plus de justice. Il ne tient qu’à nous.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Davide Cassa­nello

  • Le désar­roi d’une prof qui parle de « Char­lie » à ses élèves – Amal­game au quoti­dien

    Le désar­roi d’une prof qui parle de « Char­lie » à ses élèves – Amal­game au quoti­dien

    Parce que parmi toutes les bonnes volon­tés du monde, il est temps de commen­cer par se rendre compte que nous ne sommes nous-même pas neutres.

    J’ai d’abord eu un échange avec ma classe de 5e, compo­sée de collé­giens de 12 ans en moyenne. Ils étaient très silen­cieux. Sauf un qui m’a demandé : « Pourquoi respec­ter une minute de silence pour des gens que je ne connais­sais pas ? » J’ai trouvé cette réac­tion violente. Ses cama­rades ont été choqués égale­ment. Ils sont jeunes, sans doute plus émotifs que leurs aînés. Je voyais que cet élève faisait semblant, il ne pesait pas ses mots. Il était dans la provo­ca­tion.

    J’ai rappelé les faits en commençant pas l’évi­dence : on a tué des êtres humains. Pour que la minute de silence soit ensuite respec­tée, j’ai dû « plom­ber l’am­biance », sinon ça n’au­rait pas fonc­tionné. Je leur ai dit : « Vous vous rendez compte que les victimes sont parties hier matin en disant à tout à l’heure à leur famille ? »

    Et en même temps, cette ques­tion est immen­sé­ment perti­nente. Se conten­ter de dire que ce sont des êtres humains ? mais des êtres humains il en meure tous les jours, avec des familles dans le déses­poir.

    À 12 ans ils sont capables de comprendre que c’est qu’il doit y avoir quelque chose de diffé­rent, que la dernière fois qu’un élève a perdu un parent il n’y a pas eu de minute de silence.

    C’était peut être la seule ques­tion et la seule expli­ca­tion de texte utile dans toute cette histoire, bien plus que la minute de silence elle-même. À vrai dire, sauf à avoir déjà compris tous les tenants et abou­tis­sants, ce sont juste­ment ceux qui ne posent pas la ques­tion qui néces­sitent de l’at­ten­tion, parce que ce ceux eux qui subissent et repro­duisent l’émo­tion sans la comprendre.

    Celui qui pose la ques­tion est celui qui commence à réflé­chir et à prendre du recul. La ques­tion que je me pose, c’est si la profes­seur avait elle-même ce recul, vu la réac­tion.

    Le pire c’est que sans cette expli­ca­tion de texte, il ne serait pas éton­nant que juste­ment certains croient comprendre que la diffé­rence ici c’est que la réac­tion a eu lieu au nom de la reli­gion musul­mane. Bref, y voient une stig­ma­ti­sa­tion.

    Je venais de voir quelques-unes de mes élèves de confes­sion musul­mane debout, la tête bais­sée, presque gênées, pour elles, pour leurs familles, ça doit être dur de voir certains faire l’amal­game.

    Quant à ce qui s’est passé dans ma classe, cette provo­ca­tion, ce n’est rien à côté de ce que certains de mes collègues ont dû affron­ter. Durant la minute de silence, dans les autres classes, il y a eu plusieurs expul­sions d’élèves, les uns parlaient, disaient des choses affreuses, les autres rigo­laient. Un petit de 6e de confes­sion musul­mane a carré­ment refusé de respec­ter la minute de silence. Tous ces élèves un peu « retors » ont été envoyés chez le prin­ci­pal de l’éta­blis­se­ment et chez l’in­fir­mière scolaire pour entendre un discours diffé­rent de celui qu’ils entendent sans doute chez eux.

    Et pour­tant, c’est juste­ment ça l’amal­game et la discri­mi­na­tion. Quand il y a eu plusieurs élèves qui ont refusé de faire la minute de silence, mais que celui dont on parle est juste­ment le musul­man – je suppose que tous les autres ne l’étaient pas alors pour eux c’est juste de la disci­pline. Pour le musul­man par contre, c’est forcé­ment à cause de la reli­gion. Même la formu­la­tion de « confes­sion musul­mane », pour éviter de dire « musul­man »… est-ce donc un terme néga­tif ou stig­ma­ti­sant dans l’es­prit de l’au­teur ?

    « Madame, me dit-elle, on ne va pas se lais­ser insul­ter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moque­rie, c’est une insulte ! » Contrai­re­ment au précé­dent, cette petite pesait ses mots, elle n’était pas du tout dans la provoc. À côté d’elle, l’une de ses amies, de confes­sion musul­mane égale­ment, soute­nait ses propos. J’étais choquée, j’ai tenté de rebon­dir sur le prin­cipe de liberté et de liberté d’ex­pres­sion. Puis c’est un petit groupe de quatre élèves musul­mans qui s’est agité : « Pourquoi ils conti­nuent, madame, alors qu’on les avait déjà mena­cés ? »

    Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Char­lie Hebdo faisait de même avec les autres reli­gions. Leur profes­seur de français avait eu l’in­tel­li­gence de leur montrer les unes de Char­lie pour leur montrer que l’is­lam n’était pas la seule reli­gion à être moquée. Mais ils réagissent avec ce qu’ils ont entendu à la maison.

    Et je me mets à leur place, c’est leur dire qu’ils doivent garder pour eux toute brimade pour autant que d’autres sont aussi visés.

    Je me rappelle combien trou­vaient normal que Zine­dine Zidane ait donné un coup de tête légen­daire à la coupe du monde de 2006, parce qu’il avait été provoqué par une insulte sur sa soeur. Je me rappelle et vois aussi autour de moi qu’à l’école on répond parfois aux enfants qu’il faut qu’ils apprennent à se défendre, à ne pas venir faire le rappor­teur quand ils reçoivent un coup. Pas partout, mais c’est une voix qui n’est pas si mino­ri­taire que ça.

    Il ne s’agit pas de compa­rer avec un homi­cide, mais l’en­sei­gne­ment qu’on donne aujourd’­hui c’est aussi ça. Allez leur expliquer ensui­te… eux n’y voient plus qu’une ques­tion d’ordre de gran­deur mais aucu­ne­ment un problème à la base.

    Tout ceci est partagé, pas spéci­fique à la reli­gion. Dans les faits divers on retrouve d’autres gens qui ont fini par prendre le fusil parce que le voisin a provoqué, a fait trop de bruit. La stig­ma­ti­sa­tion c’est noter et appuyer la confes­sion de son amie, parce que elle était musul­mane, alors c’est diffé­rent, c’est forcé­ment à cause de ça.

    Ce qui me désole, c’est la frac­ture que cet événe­ment tragique a créée dans des classes d’ha­bi­tude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd’­hui une ambiance glauque, parti­cu­lière. Cette classe de 4e sympa, dyna­mique, était soudain sépa­rée en deux clans. Les commu­nau­ta­rismes ont resurgi d’un coup. Et ça me fait peur pour la suite.

    L’école doit trans­mettre nos valeurs, mais on est parfois un peu trahis par les parents. On apprend les prin­cipes répu­bli­cains aux enfants, mais une fois à la maison ils en font bien ce qu’ils veulent. Ils n’ont plus confiance en nous, profes­seurs. Ils ne nous prennent pas pour des alliés, mais pour des enne­mis. En tant que prof, tu te demandes ce qu’ils peuvent penser de toi, de nous ensei­gnants, nous qui avons la foi de leur apprendre. Nous avons devant nous des jeunes citoyens qui ont des idées telles qu’on est obligé de se deman­der : « Où allons-nous ? »

    Sauf que juste­ment, rien n’est rapporté sur le fait que ce sont des propos venant de la maison. De ce qui ressort de l’ar­ticle, c’est unique­ment un pré-supposé de la profes­seur. Pourquoi ? Parce qu’on parle de musul­mans, ça ne peut venir que de là.

    Des parents musul­mans, c’est donc compré­hen­sible qu’ils donnent des prin­cipes non répu­bli­cains et fassent ce qu’ils veulent à la maison, non ?

    L’en­sei­gne­ment, les valeurs, auraient pu conduire à consi­dé­rer les enfants de 12 ans comme capables de réflé­chir, de ne pas leur préter par défaut les mots de leurs parents. Ça aurait été de consi­dé­rer qu’il y a des enfants qui n’ont pas compris qu’être ciblé n’au­to­rise pas à faire justice soi-même, qu’il y a des enfants (et des adultes) qui ne comprennent pas en quoi ces morts là sont parti­cu­liers. Ça aurait été de leur expliquer, plutôt que de simple­ment noter qu’ils sont musul­mans et que ça explique tout à cause de leurs parents.

    C’est certai­ne­ment invo­lon­taire, mais cet article est l’exemple même qui montre la stig­ma­ti­sa­tion et l’amal­game au quoti­dien, que le vivre ensemble est cassé. Pas que par des parents hors des valeurs de la répu­blique qui font ce qu’ils veulent chez eux, mais à la base même chez ceux qui veulent combattre tout ça, y compris chez cette ensei­gnante.

    En première lecture l’ar­ticle y montre une ensei­gnante qui fait ce qu’elle peut, dépas­sée par une divi­sion de société sur lequel elle n’a pas de contrôle. À la seconde lecture j’ai en plus envie de donner un miroir à l’en­sei­gnante.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC par Chris­tos Tsoum­ple­kas

  • Parce qu’il y a des écrits utiles

    Parce qu’il y a des écrits utiles

    Personne ne se demande comment on en est arrivé là, comment des jeunes pari­gots en sont venus à massa­crer des jour­na­listes et des artistes à la Kalash après un séjour en Syrie, sans avoir aucune idée de la vie et des idées des gens qu’ils ont tué: ils étaient juste sur la liste des cibles d’AlQaeda dans la Pénin­sule Arabique. Personne ne veut voir que cette société française, derrière l’una­ni­misme de façade devant l’hor­reur, est en réalité plus que jamais complè­te­ment anomique, qu’elle jette déses­pé­ré­ment les plus dému­nis les uns contre les autres, et qu’elle a généré en un peu plus d’une décen­nie ses propres enne­mis inté­rieurs.

    Si je ne retiens qu’un seul écrit, c’est le para­graphe cité de l’ar­ticle d’Ar­rêt sur Image – Je ne suis pas Char­lie, et croyez-moi je suis aussi triste que vous. Recul indis­pen­sable, sans pour autant jeter la pierre à ceux qui sont dans l’émo­tion. Un énorme merci à la rédac­tion.

    La première mention spéciale du jour va à Donald Trump, preuve vivante que l’argent ne peut pas tout ache­ter puisque sa fortune n’a pas réussi à lui ache­ter un cerveau. Il a déclaré que si les gens avaient des armes, ils auraient au moins eu une chance et qu’il était inté­res­sant que cela se soit produit dans un des pays ayant une des plus fortes légis­la­tions sur les armes.

    La seconde va à Apple Inc., oui oui la firme à la pomme, dont la page Web du site français affiche un beau bandeau noir « Je suis Char­lie » alors que l’Apple Store censure en perma­nence des écrits, des appli­ca­tions, impose aux déve­lop­peurs des condi­tions bafouant la liberté d’en­tre­prendre. Et ce matin encore. Vous croyez vrai­ment que Char­lie Hebdo est dispo­nible dans le kiosque à maga­zines d’Apple, hein ? Alors qu’Apple a censuré des diction­naires parce que des mots conte­nus dedans ne lui plai­saient pas, comment osent-ils affi­cher l’es­prit de Char­lie ?

    Daniel n’a jamais eu sa langue dans sa poche, mais l’hy­po­cri­sie de ces deux exemples est énorme. S’il est un bal tragique, c’est celui des hypo­crites. Si et les poli­tiques et les entre­prises sont légi­times à expri­mer leur émotion à et à se joindre à tout mouve­ment, y compris à commu­niquer et se préva­loir de leur posi­tion, atten­tion au marke­ting : Ils utilisent votre indi­gna­tion à leurs propres fins.

    Pendant près de 24 heures, Mourad H., 18 ans, a fait partie des trois « terro­ristes » accu­sés d’avoir attaqué Char­lie Hebdo et d’avoir tué 12 personnes.

    Pendant près de 24 heures, certains médias et de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux ont estimé qu’il était néces­saire de bafouer la déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique en relayant son iden­tité complète. Jusqu’à ce qu’il soit mis hors de cause ce jeudi après-midi.

    Cette chasse à l’homme à la limite du lynchage sur les réseau sociaux, elle pue. Je comprends le besoin d’exu­toire et de trou­ver un coupable, mais vous niez l’État de droit comme la présomp­tion d’in­no­cence, ce qui me parait d’au­tant plus grave vu la cause de tout cela.

    Accusé à tort d’être terro­riste, Mourad a bien de la chance, car il s’est exprimé publique­ment par le passé contre le djihad. Imagi­nons qu’il ait eu une posi­tion plus complexe, on l’au­rait trouvé en prison encore dans deux ans, à ensuite devoir suppor­ter l’ac­cu­sa­tion toute sa vie. Même ainsi, j’es­père que la police lui four­nira une protec­tion pour les prochaines semaines, parce que des imbé­ciles prêt à tuer il y en a des deux côtés.

    Je n’ima­gine même pas s’il avait fui devant la police ou menti en garde à vue, que ce soit par réflexe débile, par peur ou pour crédi­bi­li­ser un discours. C’est pour­tant fréquent, parce que personne ne réagit ration­nel­le­ment dans ces moments là. Alors imagi­nons même un instant qu’un des suspects soit un radi­cal, à la limite du parti­san, mais inno­cent de la tuerie. Impos­sible pour lui de s’en sortir.

    Le lynchage devrait nous faire honte. Surtout main­te­nant. Il ne nous ressemble pas, ne devrait pas nous ressem­bler, quelle que soit la situa­tion. Après la guerre en Irak, après Guan­ta­namo, nous n’avons toujours rien appris.

    Ces méca­nismes de pouvoir se donnent à voir dans ce qu’on pour­rait appe­ler le para­doxe du discours moderne et huma­niste. Alors que ce discours accorde a priori une valeur égale à toutes les vies, il orga­nise en réalité la hiérar­chi­sa­tion des souf­frances et l’in­dif­fé­rence de fait (ou l’in­di­gna­tion pure­ment passa­gère) par rapport à certaines morts : les morts de la « forte­resse Euro­péenne » (19 144 depuis 1988 d’après l’ONG Fortress Europe) et les enfants de Gaza – pour prendre deux exemples étudiés par Butler – ou encore les 37 personnes tuées dans un atten­tat au Yemen le jour même du drame de Char­lie Hebdo, pour prendre un exemple plus récent.

    […] De même, aucun chef de gouver­ne­ment ne pense­rait à décré­ter l’Etat d’ex­cep­tion après avoir pris connais­sance du nombre de meurtre sexiste et intra-fami­lial en France. Pourquoi cet unani­misme, dans la presse de ce matin, au sujet de la néces­sité de ne pas bais­ser les pouces dans le cadre de la guerre (mili­taire et non méta­pho­rique) au terro­risme isla­miste ?

    […] À l’in­verse, le discours moderne et huma­niste est aveugle par rapport à sa propre violence. Qui a une idée, même approxi­ma­tive, du nombre de morts géné­rés par la guerre améri­caine en Afgha­nis­tan en 2001, par celle des États-Unis et du Royaume-Uni en Irak en 2003 ou encore par l’in­ter­ven­tion de la France au Mali en 2013 ? L’une ou l’autre de ces guerres était peut-être légi­time. Mais le fait que personne ne soit capable de donner une esti­ma­tion du nombre de morts qu’elles ont généré doit nous inter­ro­ger. Dans ces moments où nous sommes submer­gés par les émotions, il peut être inté­res­sant de penser à tous ces précé­dents et à ces morts, à venir, que nous n’al­lons pas pleu­rer.

    Ces morts que nous n’al­lons pas pleu­rer. Le point est diffé­rent de celui que j’ai exprimé hier, mais j’y trouve des simi­li­tudes.

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-ND par Linh Ngyuen