Auteur/autrice : Éric

  • Mettre en produc­tion le vendredi

    L’idée de base c’est que s’il se passe quelque chose d’im­prévu, les veilles de jours chômés sont les moins bons jours pour cela.

    Au pire on ne le détecte pas et on a une catas­trophe à gérer au retour. Au mieux on le détecte et on fait inter­ve­nir les personnes d’as­treinte. Dans les cas inter­mé­diaires il faut faire déran­ger l’équipe opéra­tion­nelle pendant les jours de repos, ce qui n’est pas idéal non plus. Rien de très atti­rant.

    Et s’il y a des centaines de mini-déploie­ments réus­sis par jour ? des tests unitaires, un déploie­ment auto­ma­tisé, un triple envi­ron­ne­ment iso dev / test / prod, une capa­cité de reve­nir à la version anté­rieure sur simple requête, et un moni­to­ring complet … ?

    Génial. C’est un bon objec­tif qui améliore sacré­ment le niveau de confiance.

    Main­te­nant on ne parle pas niveau de risques, on parle équi­libre de risques. Si le risque d’em­mer­de­ment est faible mais que le béné­fice d’une livrai­son le vendredi soir plutôt que le lundi matin est encore plus faible… autant attendre.

    Cet équi­libre seul vous pouvez le connaitre, mais ne vous leur­rez pas quant à votre couver­ture de test. Elle ne couvre que ce que vous avez pensé à couvrir. La ques­tion n’est pas de savoir si vous aurez des problèmes mais de quand vous les aurez, et dans quelles condi­tions.

    Du coup oui, j’ai tendance à conseiller par défaut d’évi­ter de livrer dans les périodes qui arrangent le moins. Les fins de jour­née les veilles d’opé­ra­tions tech­niques plani­fiées impor­tantes, vendre­dis après midi, veilles de jours chômés, et quelques dates très spéci­fiques genre autour de Noël pour le e-commerce.

    Ça ne veut pas dire « on ne bosse pas » (on peut même livrer en pré-produc­tion), ça ne veut même pas dire « on ne livre pas » (parfois le rapport béné­fice/risque est assez haut, par exemple pour des correc­tifs), ça veut juste dire « ne pas faire comme si rien ne pouvait se passer » et garder une vision objec­tive de la situa­tion – impact d’un imprévu compris.

  • AT&T To Match Google Fiber In Kansas City, Charge More If You Want Privacy

    The company plans to charge $70/month for giga­bit service, but that’s a subsi­di­zed price. Subsi­di­zed by what, you ask? Your privacy. AT&T says if you want to opt out of letting them track your brow­sing history, you’ll have to pay $29 more per month. They say your infor­ma­tion is used to serve targe­ted adver­ti­sing, and includes any links you follow and search terms you enter.

    L’in­for­ma­tion n’est pas surpre­nante par son contenu mais par ses chiffres. Vos infor­ma­tions person­nelles valent 30€/mois d’après AT&T, unique­ment pour mieux cibler les publi­ci­tés (ça laisse donc entre­voir le gain des publi­ci­tés elles-mêmes, forcé­ment supé­rieur)

    — via Slash­dot

  • Frais des dépu­tés : l’As­sem­blée rate sa réforme

    Quelque 40 millions d’eu­ros d’argent public sont ainsi distri­bués chaque année aux dépu­tés. Certains thésau­risent beau­coup, voire s’en­ri­chissent

    Les dépu­tés n’ont même pas à justi­fier quoi que ce soit sur l’uti­li­sa­tion des fonds. Le scan­dale est connu. Tout le monde s’ac­corde à dire qu’il faut agir.

    Au Royaume-Uni, pour des détour­ne­ments plus anec­do­tiques que ceux qu’on craint chez nous, il y a eu des démis­sions et tout un système de véri­fi­ca­tion détaillé des notes de frais.

    Pas ici. Alors pour les dépu­tés (les mêmes que plus haut, qui pour certains s’en­ri­chissent)…

    À l’ar­ri­vée, le bureau de l’As­sem­blée a prévu, sans rire, que chaque député four­ni­rait une « décla­ra­tion sur l’hon­neur qu’il a utilisé l’IRFM (…) confor­mé­ment aux règles établies ». En cas de soupçons (déclen­chés par on ne sait trop qui, lettre anonyme ou média), le président de l’As­sem­blée pourra tout de même saisir le déon­to­logue « d’une demande d’éclair­cis­se­ments ».

    Parce qu’en France on ne rigole pas avec les détour­ne­ments de fonds publics et la déon­to­lo­gie.

    via entre autres Media­part, article payant

  • The scariest thing about the British SIM card hack is how little it accom­pli­shed

    The Gemalto attack is unique not just for its aggres­sive scope, but for how little it seems to have actually accom­pli­shed. Intel­li­gence agen­cies were already able to listen in on phone conver­sa­tions through targe­ted exploits, stin­gray attacks and carrier requests. While the Gemalto attack took bold and crimi­nal steps to break through SIM encryp­tion, it seems to have offe­red only a margi­nal impro­ve­ment in that ability.

    Pour faire court, il faut 2h sur un PC stan­dard pour casser la crypto de la 3G, encore moins pour la 2G. La crypto ne sert de toutes façons qu’entre l’an­tenne relai et le télé­phone. Pour ceux (dont font partie la NSA) qui ont le plus souvent accès aux données derrière l’an­tenne relai, ça n’ap­porte un bonus que dans des cas assez limi­tés. Ne parlons même pas du fait de monter des fausses antennes relai, qui doit être plus facile que d’écou­ter et déchif­frer le trafic en temps réel.

    Intel­li­gence agen­cies are unac­coun­table by design

    If that sounds reas­su­ring, it shouldn’t. If anything, it’s proof of how out of control the GCHQ really is. […] The agen­cies are unac­coun­table by design, and there’s no indi­ca­tion that will change any time soon.

    Ils l’ont fait parce qu’ils peuvent le faire, qu’ils n’ont aucune limite. Il n’y a aucune évalua­tion de propor­tion­na­lité, d’étude de besoin. Nous lais­sons notre sécu­rité mais aussi notre démo­cra­tie à ces gens là, hors contrôle.

    Cela dit ce que tout le monde feint d’igno­rer, c’est que plus que les cartes SIM pour télé­phone portable, Gemalto produi­sait aussi les cartes à puce pour les cartes bancaires et pour les cartes d’ac­cès sécu­ri­sées de beau­coup d’en­tre­prises.

    via theverge

  • Yahoo exec goes mano a mano with NSA direc­tor over crypto back­doors

    Alex Stamos: “Thank you, Admi­ral. My name is Alex Stamos, I’m the CISO for Yahoo!. … So it sounds like you agree with Direc­tor Comey that we should be buil­ding defects into the encryp­tion in our products so that the US govern­ment can decrypt…

    […]

    AS: We’ll agree to disa­gree on that. So, if we’re going to build defects/back­doors or golden master keys for the US govern­ment, do you believe we should do so — we have about 1.3 billion users around the world — should we do for the Chinese govern­ment, the Russian govern­ment, the Saudi Arabian govern­ment, the Israeli govern­ment, the French govern­ment? Which of those coun­tries should we give back­doors to?

    MR: So, I’m not gonna… I mean, the way you framed the ques­tion isn’t desi­gned to elicit a response.

    — Arstech­nica

    Nos États construisent leur propre défaite. Au lieu de promou­voir une sécu­rité à toute épreuve, qui ne peut qu’être favo­rable à la démo­cra­tie, ils encou­ragent l’idée qu’il est normal qu’un État fouille et écoute tout sur simple requête.

  • À la pour­suite des objec­tifs

    J’ai vu des commer­ciaux tenter par tous les moyens d’avan­cer la factu­ra­tion ou la signa­ture de clients pour faire rentrer le chiffre corres­pon­dant dans la période en cours et atteindre l’objec­tif.

    (même si vous ne lisez pas tout, plani­fiez de regar­der les deux vidéo de 10 et 2 minutes, vrai­ment)

    objec­tifs, pour le pire et…
    surtout le pire

    Une part impor­tante de l’éner­gie était dépen­sée non à signer ou factu­rer, mais à avan­cer ces évène­ments de quelques semaines. La valeur ajou­tée est faible pour l’en­tre­prise. C’est autant d’ef­forts et de fatigue qui sont perdus pour réali­ser de nouveaux contrats.

    Bien entendu, pour y réus­sir, on grille quelques faveurs, on fait des remises excep­tion­nelles qu’on aurait pu éviter, et on signe des contrats discu­tables au niveau de la renta­bi­lité. Peu importe, ça permet de joindre l’objec­tif. Là on est dans une une perte directe pour l’en­tre­prise.

    Il faudra recom­men­cer la période suivante mais il y faudra en plus compen­ser les projets qui manquent, ceux qui ont été avancé à la période précé­dente. Magni­fique effet boule de neige et fuite en avant. Jusqu’à épui­se­ment ou effon­dre­ment.

    Je ne l’ai pas vu une seule fois. Je l’ai vu dans trois entre­prises diffé­rentes, avec des gens diffé­rents, dans des contextes rela­ti­ve­ment diffé­rents.

    Ne croyez pas qu’il s’agisse unique­ment d’une culture commer­ciale : J’ai vu des chefs de projet trai­ter ou ne pas trai­ter les anoma­lies – voire ne pas les enre­gis­trer – unique­ment pour opti­mi­ser les résul­tats en fonc­tion des objec­tifs, au détri­ment du projet lui-même. J’ai vu des mana­gers deman­der à leurs colla­bo­ra­teurs de tricher dans les rapports d’ac­ti­vité – faus­sant du même coup la factu­ra­tion et le contrôle de gestion – pour tenir les objec­tifs.

    Je ne saurais même pas dire combien j’ai vu de colla­bo­ra­teurs, de l’exé­cu­tant au direc­teur, travailler au détri­ment de l’in­té­rêt de l’en­tre­prise unique­ment pour atteindre les objec­tifs fixés, qu’ils soient person­nels ou collec­tifs.

    Je n’ai par contre jamais vu d’ef­fet posi­tif, et je dis bien jamais. Peut-être ai-je toujours eu la chance de travailler avec des gens respon­sables qui ont toujours cher­ché d’eux-même l’in­té­rêt de l’en­tre­prise quand ils n’avaient pas instruc­tion de faire autre­ment (et parfois même malgré les instruc­tions de faire autre­ment), qu’ils aient des objec­tifs ou pas.

    Netflix s’ef­force de ne recru­ter que des “adultes respon­sables” : ils parle­ront ouver­te­ment des problèmes qu’ils rencontrent à leurs collègues et leurs supé­rieurs et jamais n’abu­se­ront des avan­tages qui leur sont donnés. La confiance érigée en valeur supé­rieure entraîne des pratiques diffé­rentes en matière de contrôle. Ainsi, on part du prin­cipe que les employés dépensent l’argent de l’en­tre­prise comme s’il s’agis­sait du leur et on contrôle moins les notes de frais. Si l’em­ployé prend des vacances, c’est qu’il en a besoin et qu’il sera plus perfor­mant après s’être reposé.

    Les primes habi­tuel­le­ment distri­buées dans les grandes entre­prises sont aban­don­nées car elles n’amé­liorent pas la perfor­mance des “adultes respon­sables” qui, payés au juste prix du marché, sont de toute manière déjà inté­res­sés au succès de l’en­tre­prise qu’ils servent. Ils ont décidé eux-mêmes de la part du salaire et des stock options dans leur rému­né­ra­tion, en fixant l’équi­libre corres­pon­dant le mieux à leurs besoins et à leur degré d’aver­sion au risque

    — RH, le modèle Netflix

    Une stra­té­gie claire et expliquée, un suivi par le mana­ger ou par l’équipe pour garder la moti­va­tion, un envi­ron­ne­ment qui permet la confiance, l’au­to­no­mie, des moyens adap­tés, une rému­né­ra­tion décente et un droit à l’er­reur… ça vaut tous les objec­tifs du monde.

    rému­né­ra­tion variable, arme fatale

    La pres­sion du mana­ge­ment suffit le plus souvent à obte­nir les dérives citées en début de texte mais si en plus on rému­nère le compor­te­ment par des bonus… vous vous doutez bien qu’il va y avoir du répon­dant.

    Jusque là les exemples restent assez soft.

    J’ai aussi vu des commer­ciaux faire des signa­tures pour les annu­ler ensuite – avec péna­li­tés – un peu après le calcul d’at­teinte des objec­tifs. J’ai vu des mana­gers modi­fier après coup les impu­ta­tions des mois ou années précé­dentes pour obte­nir de faux résul­tats. J’ai vu des direc­tions déca­ler des primes et des rému­né­ra­tions variables de plusieurs mois pour tenir l’objec­tif de résul­tat net. J’ai vu des chefs de projet livrer des projets incom­plets ou avec des trous béants unique­ment pour tenir la date.

    J’ai vu de nombreuses choses illé­gales ou simple­ment très immo­rales, toutes au détri­ment de l’in­té­rêt de l’en­tre­prise mais dans l’in­té­rêt de la rému­né­ra­tion variable de leur auteur.

    Vous pour­riez me dire qu’un variable sur objec­tif signi­fi­ca­tif permet au moins de moti­ver et d’as­su­rer une meilleure produc­ti­vité. Vous auriez tort.

    Il y en a même une seconde depuis :

    We find that finan­cial incen­tives can result in a nega­tive impact on overall perfor­mance

    — Dr. Bernd Irlen­busch, London school of econo­mics

    Parfois les faits, quand ils sont analy­sés froi­de­ment, ne valident pas le ressenti et l’in­tui­tion : Plus la prime à l’objec­tif est forte, moins nous sommes produc­tifs. L’argent n’est pas source de moti­va­tion, c’est son manque qui est source de démo­ti­va­tion (hey! non, ça ne veut pas dire la même chose, pensez-y).

    À défaut de permettre de meilleurs résul­tats, et en plus de provoquer des dysfonc­tion­ne­ments voire des actions contre-produc­tives dans l’en­tre­prise, on ajoute surtout de la démo­ti­va­tion et du stress.

    Le stress pour cher­cher à atteindre les objec­tifs court terme (qui remplace celui de faire son travail le mieux possible, sur le long terme). Le stress de savoir si la prime sera bien versée (et ce d’au­tant plus si le mana­ge­ment n’a pas toujours été très clean, même si ce n’est qu’en appa­rence). On cherche à courir des sprints épui­sants alors que l’en­tre­prise devrait être une course de fond qui se mesure dans la durée.

    Mais aussi la démo­ti­va­tion quand les objec­tifs ne sont pas atteints et la prime non versée (alors que si la prime n’avait simple­ment pas été prévue, à rému­né­ra­tion iden­tique, il n’y aurait pas eu démo­ti­va­tion) – démo­ti­va­tion démul­ti­pliée si le colla­bo­ra­teur a l’im­pres­sion de ne pas avoir été entiè­re­ment en contrôle des résul­tats et en moyen de les atteindre. Même effet si la prime est quand même fina­le­ment versée (trop tard, l’ef­fet néga­tif a déjà eu lieu car anti­cipé, au mieux on arri­vera à un solde de moti­va­tion neutre mais pas une moti­va­tion posi­tive due à la récep­tion de la prime).

    La démo­ti­va­tion est d’ailleurs valable indé­pen­dam­ment de l’ori­gine de la prime. Qu’elle soit sur objec­tifs person­nels, objec­tifs collec­tifs ou inté­res­se­ment aux béné­fices, elle intro­duit un stress dès qu’elle est atten­due ou espé­rée, puis une démo­ti­va­tion en cas d’an­nu­la­tion ou un effet posi­tif extrê­me­ment court terme en cas de verse­ment. (quant à ceux qui croient encore au stress posi­tif : vous êtes dange­reux et vous n’en avez pas conscience).

    The facts are abso­lu­tely clear. There is no ques­tion that in virtually all circum­stances in which people are doing things in order to get rewards, extrin­sic tangible rewards under­mine intrin­sic moti­va­tion.

    — New Scien­tist 9th April 2011. pp 40–43

    cas de conscience

    Le pire arrive quand l’em­ployé commence à avoir le choix entre réali­ser ce qu’il sait être dans l’in­té­rêt de l’en­tre­prise et réali­ser ce qui est inscrit sur ses objec­tifs. Comme les objec­tifs sont fixés plusieurs mois à l’avance et ne s’en­combrent pas des détails, ça arrive régu­liè­re­ment.

    Certains choi­si­ront leurs objec­tifs. Vous venez de leur dire que travailler pour l’en­tre­prise n’est pas dans leur inté­rêt, et de leur prou­ver qu’ils ont raison. Les rembarquer va être très diffi­cile.

    D’autres choi­si­ront l’in­té­rêt de l’en­tre­prise et vous allez les sanc­tion­ner pour ça en leur refu­sant leur prime. Au mieux ils devront s’en justi­fier auprès de leur direc­tion pour que vous allouiez quand même la prime de façon discré­tion­naire. Ça sera quand même trop tard. Ils devront se battre pour avoir le droit de privi­lé­gier l’en­tre­prise.

    Ça fonc­tionne une fois, deux fois, peut-être trois. Ensuite ça finit en rési­gna­tion et désillu­sion. Ça peut finir en burn-out, en démis­sion, ou en rési­gna­tion et désim­pli­ca­tion. Une fois que vous aurez perdu ceux qui ont essayé par bonne volonté, les récu­pé­rer est mission impos­sible.


    Seule solu­tion : la prime excep­tion­nelle surprise, qui elle aura un effet unique­ment posi­tif, long terme. Malheu­reu­se­ment elle finira par être atten­due si elle devient fréquente ou régu­lière.

  • Et que fait-on des esti­ma­tions ?

    Quelle est votre stra­té­gie agile ?

    • Le plus stra­té­gique en premier ?
    • Ce qui est tech­nique­ment plus complexe en premier ?
    • Ce qui est le plus risqué en premier ?
    • Ce qui se voit en premier ?
    • Ce qui est le plus simple en premier ?
    • Ce qui apporte le meilleur retour sur inves­tis­se­ment en premier ?

    Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. C’est unique­ment une histoire de stra­té­gie. L’im­por­tant est d’être cohé­rent sur une période pour mettre en œuvre cette stra­té­gie et de ne pas faire un peu de tout à la fois.

    Inté­res­sant de noter tout de même que sauf ordre de gran­deur extra­or­di­naire (donc facile à iden­ti­fier sans être bon en esti­ma­tion), seule les deux dernières stra­té­gies ont réel­le­ment besoin d’es­ti­ma­tion avant réali­sa­tion.

  • Toute l’es­time que je vous porte

    Toute l’es­time que je vous porte

    Comme beau­coup d’in­gé­nieurs, je suis réti­cent à donner des esti­ma­tions.

    je ne sais pas esti­mer

    Tous les jours, je résous des problèmes nouveaux, pour lesquels je n’ai encore jamais implé­menté de solu­tion.

    Si vous n’avez jamais fait d’in­for­ma­tique, mettez-vous bien ça dans la tête : Contrai­re­ment au maçon qui peut construire des dizaines de maisons, l’in­for­ma­ti­cien ne fait jamais deux fois la même chose. Il peut réuti­li­ser la solu­tion précé­dente à l’in­fini, en quelques heures. Qu’un déve­lop­peur fasse deux fois exac­te­ment la même chose est le symp­tôme d’un problème d’or­ga­ni­sa­tion.

    Si je passe plus de quelques heures, c’est qu’il y a un problème nouveau ou quelque chose de nouveau dans le problème, même si de haut il ressemble à un autre. Mon travail c’est unique­ment de créer ce qui manque, ce qui est nouveau par rapport à d’éven­tuelles solu­tions précé­dentes.

    Et pour ce nouveau, je vais devoir étudier le problème posé, proba­ble­ment décou­vrir des sous-problèmes qu’on n’ima­gi­nait pas. Je ne sais pas ce quelles diffi­cul­tés je vais rencon­trer, quelles solu­tions vont devoir être appliquées, comment les mettre en œuvre, si elles vont réus­sir ou échouer, et encore moins si le besoin racine va effec­ti­ve­ment être couvert à la fin de tout cela.

    Il y a plein de textes qui expliquent la problé­ma­tique de l’es­ti­ma­tion mais j’ai trouvé plus d’une fois que le récit de voyage de Michael Wolfe illustre très bien les enjeux avec une analo­gie que tout le monde comprend.

    vous non plus

    J’ai croisé de nombreuses personnes qui annonçaient savoir esti­mer assez correc­te­ment, et quelques unes qui semblaient effec­ti­ve­ment le faire. Vous en connais­sez peut-être aussi.

    En pratique à chaque fois qu’on y regarde de plus près, l’es­ti­ma­tion n’est pas plus juste qu’une autre. Au mieux on compense les mauvaises esti­ma­tions en jouant sur le contexte. L’es­ti­ma­tion est poten­tiel­le­ment respec­tée, mais elle n’en est pas plus juste. Et quand compen­ser ne suffit pas, on se rassure en consi­dé­rant que ça ne compte pas parce que c’est excep­tion­nel, qu’il y a une cause exté­rieure, ou en repor­tant la faute sur un tiers.

    Même les itéra­tions de la tant aimée métho­do­lo­gie SCRUM jouent sur le même registre : Donner une cible avec un enga­ge­ment permet d’avoir un peu de pres­sion sur l’équipe. C’est de la pres­sion dite « posi­tive », pour avoir envie d’at­teindre l’objec­tif.

    Au final c’est de la pres­sion tout de même, qui souvent se retrouve sur l’am­pli­tude horaire ou sur la fatigue. Quand le mana­ge­ment n’a pas une atten­tion et une culture extrê­me­ment forte sur le sujet, ça joue aussi sur une baisse de qualité ou une créa­tion de dette tech­nique. C’est humain. À défaut c’est le péri­mètre qui bouge, mais l’es­ti­ma­tion n’en est pas meilleure. Bref, on pallie la mauvaise esti­ma­tion en jouant sur le contexte.

    Si vrai­ment quelqu’un estime toujours juste à plus de 90%, sans compen­ser sur le contexte, c’est qu’il est en train de passer du temps à refaire ce qu’il a déjà fait. S’il travaille pour vous : virez-le et embau­chez quelqu’un qui saura réuti­li­ser plutôt que perdre du temps.

    même par petits lots

    Même l’es­ti­ma­tion par petits lots itéra­tifs n’est qu’une illu­sion. On estime effec­ti­ve­ment mieux des petites tâches qu’on sait perce­voir, mais c’est unique­ment parce qu’on réflé­chit déjà à la problé­ma­tique et à sa solu­tion au moment de donner l’es­ti­ma­tion.

    Par la suite on se trompe autant qu’ailleurs. On compense là aussi par l’am­pli­tude horaire, le stress de la pres­sion person­nelle, la qualité ou la dette tech­nique. C’est juste que plus la tâche est petite, plus le déca­lage probable est petit et donc moins il se voit de l’ex­té­rieur quand on regarde unitai­re­ment.

    Vous avez déjà remarqué qu’on ne fait pas tenir 8 tâches d’une heure dans une jour­née ou 5 tâches d’une jour­née dans une semaine ? Des tâches d’une heure dans une jour­née, prévoyez-en 6, moins le temps pour les réunions.

    Et des fois on a juste oublié un cas d’usage ou manqué une problé­ma­tique. Sur un lot impor­tant on aurait assumé et dérapé un peu. Sur une petite tâche le cas manqué peut prendre plusieurs fois l’es­ti­ma­tion de la tâche initiale. On en fait donc une nouvelle tâche, avec sa propre esti­ma­tion. Là aussi, l’ex­cuse du cas excep­tion­nel ou de la sortie de péri­mètre permet d’évi­ter de remettre en cause ses esti­ma­tions.

    Alors oui, les esti­ma­tions sur des petits lots ont tendance à être plus souvent respec­tées mais elles n’en sont pas beau­coup plus justes. Tout ceci n’est qu’œillères et illu­sions.

    C’est mieux – et c’est logique vu qu’on estime au fur et à mesure du projet, une fois la connais­sance acquise – mais ce n’est toujours pas bon.

    la mauvaise ques­tion

    On peut discu­ter de l’uti­lité des esti­ma­tions, de la capa­cité du genre humain à savoir donner des esti­ma­tions abso­lues. On peu aussi s’en­fon­cer dans un projet d’op­po­si­tion, scan­der #noes­ti­ma­te… mais qu’ap­por­te­rait-on comme valeur ?

    Je suis surtout agacé qu’on se pose surtout la mauvaise ques­tion. Au jour le jour je n’ai aucu­ne­ment besoin d’es­ti­mer. J’ai besoin d’ap­por­ter de la valeur. La seule ques­tion à me poser est « qu’est-ce qui amènera à priori le plus de valeur demain si je le fais aujourd’­hui ? » et mettre mes ressources dessus.

    La ques­tion n’est pas simple pour autant. J’ai besoin d’éva­luer si le niveau d’ef­fort à four­nir est rentable par rapport à la valeur ajou­tée atten­due. Ensuite j’ai besoin de prio­ri­ser les évolu­tions entre elles, en fonc­tion de la valeur et du niveau d’ef­fort.

    Sauf que juste­ment, je n’ai besoin pour ces usages que d’un ordre de gran­deur : Est-ce 10, 100 ou 1000 ? Est-ce beau­coup plus ou beau­coup moins que l’autre évolu­tion à laquelle je pense ? Tout autre détail est aussi utile qu’un para­chute pour monter sur une échelle.

    L’éva­lua­tion de la valeur atten­due subit de toutes façons les mêmes incer­ti­tudes que le niveau d’ef­fort à four­nir. Même s’il est fait à base d’une page pleine de formules, calcul de la valeur atten­due dépend parfois tota­le­ment de para­mètres esti­més au doigt mouillé, où même un ordre de gran­deur relève plus de la convic­tion que de l’es­ti­ma­tion.

    le mauvais usage

    Vous posez-vous vrai­ment la bonne ques­tion ?

    En cher­chant à savoir si votre projet dérape vous êtes simple­ment en train de regar­der s’il se conforme au plan prévu, à son esti­ma­tion. Véri­fier la vali­dité d’une esti­ma­tion ne vous appor­tera aucune valeur, surtout quand on sait dès le départ qu’elle est soumise à des aléas impré­vi­sibles.

    Pire, en impo­sant l’es­ti­ma­tion préa­lable comme indi­ca­teur, on freine l’ini­tia­tive (si je le fais, on prend un risque, même si je sais qu’il faut le faire), on freine la capa­cité de chan­ger (si on le fait, il faut recal­cu­ler le plan, re-esti­mer, négo­cier cette esti­ma­tion, expliquer le mauvais indi­ca­teur, ça ne vaut pas le coût ici, tant pis), et on oublie notre objec­tif (l’in­di­ca­teur est bon, tant pis si en fait on s’est rendu compte que ça ne créait pas la valeur atten­due et qu’il aurait fallu faire autre chose, ça aurait remis en cause le plan).

    Vous pouvez vous dire que vous saurez déjouer tout cela, rester agile et prag­ma­tique. Vous vous mentez, du moins tant que votre ques­tion sera « où est-ce qu’on en est par rapport aux esti­ma­tions ? ».

    C’est encore pire si vous utili­sez l’es­ti­ma­tion comme métrique pour appré­cier l’ef­fi­ca­cité ou la compé­tence de l’équipe de produc­tion. Là non seule­ment vous compa­rez juste des choux et des carottes, mais en plus vous inver­sez votre résul­tat : Ce sont des équipes qui respectent toutes leurs esti­ma­tions que vous devriez avoir peur. Elles masquent leurs erreurs en les compen­sant, volon­tai­re­ment ou non, et ça faus­sera toutes vos analyses sur la produc­tion passée ou future.

    arrê­ter de navi­guer dans le passé

    Les méthodes agiles vont dans le bon sens mais il est trop facile de s’ar­rê­ter aux arte­facts sans en comprendre l’objec­tif. Le prin­cipe n’est pas que de décou­per en petits lots plus faciles à esti­mer pour pouvoir reprendre une déci­sion entre les diffé­rents lots.

    Il y a aussi une philo­so­phie derrière, celle de l’ap­port de valeur.

    Seul le présent créé de la valeur. La stra­té­gie envi­sage le futur, les rétros­pec­tives tirent les leçons du passé. Si vous n’êtes ni dans un contexte de choix stra­té­gique ni en train de tirer des leçons en rétros­pec­tive, vous ne devez que vous préoc­cu­per de la meilleure façon d’ap­por­ter de la valeur là, main­te­nant, tout de suite, peu importe ce que vous aviez pu prévu ou estimé par le passé.

    Que dois-je faire aujourd’­hui et main­te­nant pour appor­ter le plus de valeur ?

    La perti­nence de l’es­ti­ma­tion passée ne m’est jamais d’au­cune utilité pour répondre à cette ques­tion. J’in­siste : Jamais. Je prends en compte les diffi­cul­tés et faci­li­tés dans des rétros­pec­tives pour m’amé­lio­rer. Je les prends en compte pour évaluer l’ef­fort à four­nir sur le reste à faire, et donc l’op­por­tu­nité de conti­nuer. Que ces faci­li­tés ou diffi­cul­tés aient été prévues ou non, que j’ai divisé par 2 ou multi­plié par 20 mon esti­ma­tion n’im­porte fina­le­ment aucu­ne­ment.

    Esti­mez, c’est utile, impor­tant. Ensuite oubliez-les et surtout ne les réuti­li­sez pas pour autre chose.

    (sur le même sujet We don’t need no stin­king esti­mates)

    Photo d’en­tête sous licence CC BY-NC-SA par Mark Notari

  • S’oc­cu­per de l’ave­nir et pas du passé

    Pour faci­li­ter les esti­ma­tions l’état de l’art est de travailler par compa­rai­son. On prend la tâche la plus simi­laire réali­sée par le passé et on estime si la nouvelle va rele­ver du même effort, un peu plus ou un peu moins, en fonc­tion des diffi­cul­tés atten­dues.

    Les esti­ma­tions s’amé­liorent vrai­sem­bla­ble­ment avec l’ex­pé­rience, tant parce qu’on a plus de chances d’avoir une réfé­rence simi­laire, que parce qu’on a déjà traversé beau­coup de problé­ma­tiques et qu’on risque moins d’en oublier une.

    Pour que cela fonc­tionne au mieux il faut savoir reve­nir sur ce qui a été réalisé : Iden­ti­fier les diffi­cul­tés, les faci­li­tés, les impré­vus passés. Cher­cher comment on pourra les résoudre mieux ou les iden­ti­fier plus tôt.

    Le dernier verbe conju­gué est au futur.

    Je cherche comment on pourra résoudre les diffi­cul­tés ou impré­vus, pas comment on aurait pu les résoudre. La diffé­rence est de taille. Le passé ne m’in­té­resse pas en soi, c’est trop tard. C’est le futur qui m’in­té­resse.

    Ça peut semble une ques­tion de voca­bu­laire mais ça ne l’est pas. Parfois la réponse est la même, mais pas toujours :

    Imagi­nons qu’une tâche a tota­le­ment dérapé à cause d’une problé­ma­tique majeure qui n’avait pas été prévue. Pour finir la tâche on a du résoudre la problé­ma­tique, elle ne bloquera donc plus jamais. Une démarche qui aurait pu permettre d’iden­ti­fier ce problème en amont ne m’in­té­resse pas, vu que juste­ment ce problème n’exis­tera plus à l’ave­nir. Je suis poten­tiel­le­ment inté­ressé par une démarche qui permet­trait d’iden­ti­fier les autres futurs problèmes qui ne ressemblent pas à celui passé et qui nous sont incon­nus aujourd’­hui. Si on trouve cette perle rare trouve alors on l’adopte, mais sinon on s’épargne du temps et on passe à autre chose.

    Une prévi­sion passée n’est qu’une vision d’un autre présent, peu utile pour prépa­rer l’ave­nir

    Dans la boucle d’ap­pren­tis­sage, je m’in­té­resse au temps passé, aux diffi­cul­tés rencon­trées, aux faci­li­tés que je pour­rais avoir, et aux impré­vus qui sont surve­nus. Je m’y inté­resse car ils sont sources d’amé­lio­ra­tion, que l’es­ti­ma­tion de la tâche passée ait été juste ou ait été fausse.

    En fait savoir quelle était l’es­ti­ma­tion passée et si elle a été respec­tée ne m’est d’au­cune utilité pour m’amé­lio­rer. Si j’ai eu un imprévu, alors que l’ana­ly­se­rai, même si fina­le­ment j’ai eu assez de temps pour le gérer. En fait je l’ana­ly­se­rai même surtout si j’ai eu assez de temps pour le gérer, parce que ça veut dire que j’ai eu une faci­lité par ailleurs qui mérite elle aussi d’être analy­sée.

    Inver­se­ment, si je n’ai eu aucune diffi­culté signi­fi­ca­tive, aucun imprévu ni aucune spéci­fi­cité remarquable, il est probable que je me serve du temps passé sur ma tâche comme réfé­rence pour la suivante simi­laire. Avais-je réussi ou échoué à mon esti­ma­tion la dernière fois ? Peu importe : Main­te­nant j’ai appris et je peux me servir d’un cas concret comme base de réfé­rence. L’es­ti­ma­tion passée n’entre pas en ligne de compte, et encore moins si elle était mauvaise.

    L’es­ti­ma­tion ne sert qu’à déci­der de l’ave­nir. Une fois qu’elle est passée, elle est aussi inté­res­sante qu’un bulle­tin d’ho­ro­scope de l’an­née dernière.

  • Une pure neutra­lité du Net est impos­sible et illu­soire

    Pour rendre compte de l’adop­tion par les États-Unis d’une neutra­lité des réseaux Inter­net, France 24 titre « Une pure neutra­lité du Net est impos­sible et illu­soire« .

    Allez compren­dre…

    Alors pourquoi ? J’avais parié sur parce-que-les-terro­ristes, mais ils visi­ble­ment l’ex­pert préfère les argu­ments éprou­vés. Il en est resté à parce-que-la-pédo­por­no­gra­phie.

    Pour Orange, ses données sont beau­coup plus rentables que celles de Skype. Il pour­rait donc déci­der de ralen­tir ou de bloquer les données de Skype pour que les gens utilisent ses services. La neutra­lité du Net prise dans sa forme la plus pure l’in­ter­dit. Évidem­ment, ce prin­cipe doit être nuancé. Il est parfois néces­saire de ralen­tir ou de bloquer certaines données comme par exemple la pédo­por­no­gra­phie.

    Faire en sorte que la pédo­por­no­gra­phie aille moins vite, c’est ça ? euh… je demande toujours à comprendre. D’au­tant que même quand on parle de blocage, je ne vois aucune rela­tion entre le refus de trans­mettre un contenu jugé illé­gal et la capa­cité de favo­ri­ser ses propres services pour raisons commer­ciales.

    Je dis ça je ne dis rien mais la pédo­por­no­gra­phie ici est surtout un joli prétexte qui n’a rien à voir avec le sujet.

    Jusqu’où doit-on fixer le curseur ? Une pure neutra­lité du Net est impos­sible et illu­soire. Il y a certains cas qui doivent être prévus. C’est toute une négo­cia­tion avec les opéra­teurs de télé­pho­nie.

    Bref, on répète le titre mais on s’abs­tient surtout de donner des exemples qui semblent légi­times. D’ailleurs s’il s’agis­sait de pédo­por­no­gra­phie on verrait mal pourquoi on négo­cie­rait pour cela avec les opéra­teurs de télé­pho­nie.

    Bref, d’autres pays l’ont fait, les États-Unis ne sont pas les seuls. Nous nos experts disent que c’est impos­sible et notre presse relaie sage­ment la contra­dic­tion avec la réalité. Bravo Fran­ce24