Il y a probablement eu trop de lignes écrites mais j’ajoute les miennes pour savoir les retrouver sur un espace pérenne.
Résumé rapide du contexte : La FNAC a retiré des ventes le jeu Antifa en réponse à une demande d’explications d’un syndicat de police réputé proche de l’extrême droite.
« Ce jeu est-il un appel à la violence ?
Oui, non, ou en tout cas pas plus que la plupart des autres jeux de société.
La plupart des actions du jeu sont plus qu’acceptables, et la mécanique est des plus classiques : actions, gestion, hasard. Dans les cartes de planification on retrouve le collage d’affiche, le tournoi sportif, la commémoration, etc. Même dans la catégorie « riposte » on trouve rassemblement, manifestation et occupation des lieux.
J’entends que les dessins donneront des boutons aux députés du RN mais on est loin de la mécanique décrite par ces derniers, qui était en réalité tirée de leurs fantasmes et pas tirée du jeu.
Pour autant, oui on parle blocage/occupation, oui il y a une carte « action offensive » et un élément « cacatov ».
« Ok donc c’est quand même violent et au moins se mettre dans la peau de personnes qui ne respectent pas la loi alors
Je suis très étonné que ce soit un sujet. Une grande majorité œuvres vendues font référence à des situations qui feraient passer le jeu antifa pour un jeu de Bisounours. Les livres et films qui nous font incarner un criminel sont légion dans les rayonnages.
Même dans les jeux, on parle très souvent d’éliminer les autres joueurs. On a eu des jeux vidéos sur la guerre mondiale qui permettent aux joueurs d’incarner les deux camps. Dans Counter Strike on incarne aussi des terroristes.
La problématique n’est pas nouvelle. Je me rappelle aussi les controverses du jeu vidéo Carmageddon en 1997 dont l’objet est d’écraser le plus de passants possibles avec une voiture faite pour. C’était il y a 25 ans et Antifa aurait plutôt fait rire en comparaison.
Côté jeux de société j’ai dans mes cartons le jeu Bang! où doit tuer les autres joueurs avant d’être tué. Dans Monopoly il faut mener l’adversaire à la banqueroute. Dans Loups Garous il faut tuer des villageois. Dans Colt Express il faut voler un train et tirer sur les autres sans se faire prendre par le shérif. Dans Magic Maze il faut voler un supermarché. Dans Saboteur on parle de sabotage. Dans Risk et dans Diplomacy il faut faire la guerre et éliminer totalement le voisin. Ce n’est qu’un court extrait parmi des jeux primés ou célèbres.
Le jeu Antifa a d’ailleurs été mis à l’honneur dans une sélection FNAC au début du mois avec 5 autres jeux militants. L’un de ces jeux organise une révolution. Un autre permet de prendre la place d’un dictateur.
Difficile de croire que le problème soit dans les cartes du jeu Antifa qui lui n’invite pas explicitement à la violence. Soyons honnêtes, tout ceci n’est qu’un prétexte pour autre chose.
« Ce serait quoi le problème alors ?
Tout est politique.
Le message qui a provoqué le retrait du jeu par la FNAC ne parle d’ailleurs pas d’incitation à la haine ou à la violence. Il parle de « mettre en avant les antifa ». C’est ça le problème pour ce syndicat de police.
Le fait que ce soient des députés du Rassemblement National et un syndicat policier proche de l’extrême droite qui veuillent bannir un jeu sur l’antifascisme n’est pas une coïncidence, c’est l’objet même de l’affrontement.
Qu’on y fasse droit est un problème (et que ce soit via une enseigne fondée par un antifasciste militant rend la chose encore plus délicate).
« Ce jeu là est donc politique, ça change tout !
C’est effectivement un jeu ouvertement militant, dans une mouvance activiste qui s’autorise à aller plus loin que demander gentiment aux tiers d’arrêter d’être des fascistes. C’est même à l’origine d’abord un matériel de formation militante réalisé sous forme de jeu. Je recommande l’émission de David Dufresne avec l’auteur du jeu, qui explique bien le contexte (on commence à parler du jeu à partir de la minute 45).
Oui c’est politique.
Pour autant… On a des films politiques. On a des chansons politiques. On a des livres politiques. Tout ça est souvent à la fois plus violent et bien plus explicite que ce jeu Antifa. On aurait pourtant tout le monde vent debout si on imaginait les censurer. Ça s’est d’ailleurs déjà produit.
On vend même à la FNAC des livres d’Hitler, de Mussolini, de Soral et d’autres, dont certains dans des éditions à objectif ouvertement fasciste qui là mériteraient potentiellement d’être retirés des ventes.
Avoir des œuvres politiques et/ou militantes n’est pas le problème, et ne devrait pas l’être.
« Mais là c’est un jeu. Un jeu n’a pas à être politique !
Vraiment ?
La vraie différence est peut-être effectivement liée qu’ici il s’agit d’un jeu de société et pas d’un livre ou d’un film. Dans l’imaginaire c’est peut-être un terrain apolitique, ou du moins non-radical.
Ce serait une erreur. Je ne referai pas une liste à la Prévert comme plus haut mais même l’ultra classique Monopoly est à l’origine un jeu militant anti-capitaliste. Pourquoi faudrait-il bannir le message politique de ces œuvres plus que d’autres ? À quel titre ?
Je recommande à ce propos la lecture de Romaric Briand, auteur de jeux de sociétés :« Que l’on puisse affirmer au XXIème siècle que quelque chose comme le sport, comme le jeu-vidéo, comme le jeu de société ne doive ou ne puisse pas être politique est proprement fasciste. » […] « La polémique a été analysée comme étant un affrontement entre des fascistes et des antifasciste. L’autre affrontement se trouvait une fois de plus dans la confiscation de la parole politique à un domaine de la vie publique. Hier le sport, aujourd’hui le jeu, demain, vous verrez c’est la politique qui ne sera plus politique. » […] « Le désastre, c’est cette apolitisation rampante qui n’est qu’un autre nom du fascisme. »
Que l’extrême droite veuille bannir les messages politiques dans les œuvres culturelles ou ludiques, c’est une mauvaise chose mais c’est attendu. Qu’ils s’en prennent d’abord aux œuvres antifascistes devrait alerter très fort. Qu’on y fasse droit devient un problème majeur qui mérite mieux que les brèves de presse publiées jusqu’à aujourd’hui.
Laisser un commentaire