Dis tonton, c’est quoi les blocages d’ins­tance sur Masto­don ?

Voilà qu’on reparle de modé­ra­tion de Masto­don. L’his­toire de départ c’est une instance (« Info­sec ») qui a choisi d’en mettre une autre (« Journa ») sous silence pour ne pas subit les propos que cette dernière a choisi de lais­ser en ligne.

Hein ? Une instance ?

Masto­don fonc­tionne à travers un réseau fédéré. Son petit nom est le fédi­verse. Les utili­sa­teurs sont regrou­pés en ilots plus ou moins gros qu’on appelle les instances. Certains utili­sa­teurs ont leur propre instance person­nel. D’autres instances regroupent plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Si un Tom d’Info­sec est abonné à Alice de Journa, alors les deux instances commu­niquent entre elles pour que Journa envoie les messages d’Alice à Info­sec. Info­sec fera ensuite en sorte de les présen­ter à Tom.

Schéma représentant trois cercles avec des flèches allant dans les deux sens entre chaque couple de cercle.

Dans le premier cercle, quatre noms : Tom, Tina, Titus, Tara.

Dans le second cerce, quatre noms : Anna, Alice, Agnès, Albus.

Dans le troisième cercle : Cédric, Clara, Cloé.
Diffé­rentes instances

Vous connais­sez déjà ça avec les emails, qui fonc­tionnent sur le même prin­cipe. On a un îlot Gmail, un Outlook, un Yahoo, un Orange, un Free… et chaque entre­prise créé le sien avec son propre nom.

Ok, mais c’est quoi le blocage d’une instance ?

Si Info­sec choi­sit de bloquer entiè­re­ment Journa, alors elle ne trai­tera plus les nouveaux messages de cette dernière et n’y enverra plus les siens. On parle de défé­dé­rer une instance.

Cette procé­dure n’in­fluera que sur l’ins­tance qui réalise qui le blocage (Info­sec) et les utili­sa­teurs de cette dernière. L’ins­tance ciblée (Journa) conti­nuera à conver­ser avec toutes les milliers d’autres instances du réseau.

Schéma représentant trois cercles avec des flèches allant dans les deux sens entre chaque couple de cercle.

La flèche qui va du cercle des A vers le cercle des T est bloqué par une croix rouge du côté du cercle des T.
La flèche qui va du cercle des T vers le cercle des A est bloquée elle aussi au niveau du cercle des T, et est représentée en pointillés.

Dans le premier cercle, quatre noms : Tom, Tina, Titus, Tara.

Dans le second cerce, quatre noms : Anna, Alice, Agnès, Albus.

Dans le troisième cercle : Cédric, Clara, Cloé.
Blocage d’une instance par une autre.

En réalité il y a un niveau inter­mé­diaire qu’on appelle la mise sous silence.

Masto­don a trois flux : le flux person­nel qui présente unique­ment les abon­ne­ments, le flux local qui présente unique­ment les messages locaux à l’ins­tance, et le flux fédéré qui présente tous les messages reçus par l’ins­tance.

La mise sous silence masque les conte­nus concer­nés dans le flux fédéré mais permet de rece­voir des messages dans le flux person­nel à condi­tion de s’y être expli­ci­te­ment abonné.

C’est ce niveau de blocage inter­mé­diaire (la mise sous silence) qui a été mis en œuvre par Info­sec.

Mais pourquoi faire ça ?

La vraie réponse : Peu importe. Si tu choi­sis de ne pas écou­ter CNews chez toi, tu n’as pas à donner d’ex­pli­ca­tion. C’est ton choix.

C’est la même chose pour l’ins­tance Info­sec et ses utili­sa­teurs : Ils font ce qu’ils veulent chez eux.

Le plus souvent on bloque une instance quand elle est la source de spam, de harcè­le­ments, ou de propos racistes, trans­phobes, handi­phobes, pédo­por­no­gra­phiques ou inju­rieux.

Chaque instance a ses propres sensi­bi­li­tés. Certaines tiennent à une liberté d’ex­pres­sion très large, d’autres préfèrent exclure la porno­gra­phie ou certains sujets pour créer un espace qui leur convient.

Certains préfèrent une modé­ra­tion légère quitte à subir parfois quelques conte­nus problé­ma­tiques là où d’autres préfèrent une modé­ra­tion forte quitte à limi­ter certaines inter­ac­tions externes légi­times.

C’est un choix local, qui ne concerne qu’eux.

Ici Info­sec a jugé que certains propos venant de Journa étaient trans­phobes et les utili­sa­teurs d’Info­sec souhai­taient s’en proté­ger (c’est à dire ne plus les voir ni en assu­rer la trans­mis­sion chez eux).

On bloque toute une instance et tous les utili­sa­teurs pour un unique message problé­ma­tique ?

Masto­don prévoit un moyen de signa­ler les propos gênants à l’ins­tance d’ori­gine. Le plus souvent les blocages d’ins­tance inter­viennent quand l’ins­tance d’ori­gine (ici Journa) refuse d’agir, ou que le problème survient trop régu­liè­re­ment.

Pour faire un paral­lèle, si je sais que CNews invite régu­liè­re­ment des invi­tés que je ne supporte pas, je peux préfé­rer ne plus du tout regar­der CNews pour m’en proté­ger, quitte à ne plus entendre certains autres invi­tés qui seraient eux accep­tables à mes yeux. Je n’in­ter­dis pas CNews, je choi­sis juste de ne pas diffu­ser cette chaîne dans mon salon.

J’avoue que sur ce sujet, si j’avais eu à modé­rer, avec une seule occur­rence qui n’est qu’un partage d’un contenu d’un jour­nal de réfé­rence, j’au­rais mis sous silence unique­ment l’uti­li­sa­teur concerné et pas l’ins­tance, mais ce n’est que mon choix lié à mes équi­libres person­nels.

Info­sec a fait un autre choix, et il ne regarde qu’eux.

Pourquoi est-ce que Journa a refusé d’agir sur des propos trans­phobes ?

Les équi­libres de liberté d’ex­pres­sion sont très subjec­tifs. Tous les pays n’ont déjà pas le même socle de base en interne. Les commu­nau­tés peuvent en plus choi­sir d’al­ler au-delà de ce socle de base. Certaines le font, d’autres pas, et pas toujours sur les mêmes sujets.

Enfin, parfois il y a simple­ment désac­cord sur ce qui est ou pas inju­rieux, ce qui est ou pas trans­phobe, ce qui est ou pas raciste, ce qui est ou pas un consti­tu­tif d’un harcè­le­ment, etc.

Les commu­nau­tés se regroupent autour de poli­tiques, valeurs et cultures communes, mais n’ont pas forcé­ment les mêmes que le voisin.

C’est ce qu’il se passe ici. Soit Journa a consi­déré que l’ar­ticle du New York Times relayé était suffi­sam­ment étayé avec des avis de docteurs et cher­cheurs à propos des effets indé­si­rables de certains trai­te­ments, soit Journa n’a pas agit en pensant que ce n’est pas son rôle de tran­cher une telle ques­tion et remettre en cause le New York Times.

D’autres personnes sur Info­sec ont, elles, consi­déré que le contenu était trans­phobe et qu’il valait mieux bloquer l’ins­tance si elle n’agis­sait pas pour empê­cher la diffu­sion de conte­nus trans­phobes à l’ave­nir. Info­sec a agit en fonc­tion de ses propres utili­sa­teurs, et ça ne regarde qu’eux (oui, je me répète mais c’est impor­tant).

Ça pose quand même un sacré problème de liberté d’ex­pres­sion, non ?

En fait, pas vrai­ment, pas beau­coup plus que tous les gens qui comme moi font le choix de ne jamais allu­mer la TV sur CNews.

Personne n’em­pêche les membres de Journa de s’ex­pri­mer, ou d’être entendu, ou même d’être relayé sur la très grande majo­rité des instances Masto­don.

Dans le schéma de tout à l’heure, le blocage est à la péri­phé­rie de l’ins­tance Info­sec et pas à la péri­phé­rie de l’ins­tance Journa. Tant qu’Info­sec n’est qu’un des très nombreux acteurs du réseau, ça ne pose pas de problème majeur.

Schéma représentant trois cercles avec des flèches allant dans les deux sens entre chaque couple de cercle.

La flèche qui va du cercle des A vers le cercle des T est bloqué par une croix rouge du côté du cercle des T.
La flèche qui va du cercle des T vers le cercle des A est bloquée elle aussi au niveau du cercle des T, et est représentée en pointillés.

Dans le premier cercle, quatre noms : Tom, Tina, Titus, Tara.

Dans le second cerce, quatre noms : Anna, Alice, Agnès, Albus.

Dans le troisième cercle : Cédric, Clara, Cloé.
Blocage d’une instance par une autre.

Les seuls pour qui il y aurait poten­tiel­le­ment un enjeu de liberté d’ex­pres­sion, ce sont les membres de l’ins­tance d’Info­sec.

Ahah ! Tu vois, tu le dis toi-même, il y a bien un problème pour eux !

Ça dépend. Si je parti­cipe à une asso­cia­tion, qu’il y a une TV dans la salle de pause et qu’il a été décide que cette TV diffu­se­rait Arte plutôt que CNews, est-ce une atteinte à la liberté d’ex­pres­sion parce que je ne peux pas y écou­ter les chro­niqueurs de CNews ?

Proba­ble­ment pas : Je peux encore écou­ter CNews chez moi, ou dans une autre asso­cia­tion, ou même monter ma propre asso­cia­tion qui aura des règles diffé­rentes. Cela ne commen­cera à être un problème que si ma capa­cité à aller voir ailleurs est limi­tée ou complexe, ou si on donne à l’as­so­cia­tion d’ori­gine une auto­rité quel­conque.

C’est exac­te­ment la même chose avec Info­sec. Ses membres peuvent toujours aller lire Journa ailleurs avec un second compte, ou démé­na­ger leur compte prin­ci­pal sur une autre instance, ou même monter leur propre instance. Ajou­ter un second compte ou migrer ailleurs est facile, sans limite.

Non seule­ment personne ne bride l’ex­pres­sion des membres de Journa mais en plus personne ne limite la capa­cité à aller les lire faci­le­ment.

Pour­tant tu disais toi-même que…

La ques­tion surgi­rait diffé­rem­ment si Info­sec avait une situa­tion de quasi-mono­pole, ou que toutes les instances bloquant Journa avaient en se regrou­pant une situa­tion de quasi-mono­pole limi­tant de fait la capa­cité à accé­der au contenu dont on parle.

Ce n’est pas le cas aujourd’­hui.

Ce serait aussi un sujet pour un blocage liti­gieux réalisé de façon cachée. Ici l’ad­mi­nis­tra­teur d’Info­sec a publié un billet sur le sujet et le fait même que j’en parle ici montre qu’on est loin de ce cas.

Ça pose au moins une ques­tion de démo­cra­tie interne d’In­fo­sec

Pas à mon avis. Tout fonc­tion­ne­ment interne n’a pas forcé­ment à être démo­cra­tique. C’est impor­tant pour un pays ou une collec­ti­vité terri­to­riale parce qu’on ne choi­sit pas son pays d’ori­gine et qu’on ne change pas faci­le­ment de pays ou de terri­toire.

La démo­cra­tie c’est « le pouvoir au peuple ». Sur Masto­don l’uti­li­sa­teur a le pouvoir vu qu’il peut choi­sir à tout moment une instance avec des règles qui lui conviennent, sans avoir de consé­quences néga­tives signi­fi­ca­tives.

C’est d’au­tant moins un sujet que le message de l’ad­mi­nis­tra­teur d’Info­sec laisse entendre que ce sont des utili­sa­teurs de l’ins­tance qui l’ont fait agir et pas lui qui a pris la déci­sion unila­té­ra­le­ment.

Mais alors il n’y a aucun problème ?

Il y a plein de problèmes, mais pas forcé­ment des ques­tions de liberté d’ex­pres­sion ou de démo­cra­tie, et pas forcé­ment sur le cas Info­secJourna.

Un premier problème est la trans­pa­rence. Info­sec a agi en trans­pa­rence mais ce n’a pas toujours été lé cas de toutes les instances par le passé. Quand c’est trans­pa­rent on fait nos choix, éven­tuel­le­ment on va voir ailleurs. Quand c’est caché ça veut dire mani­pu­ler l’in­for­ma­tion reçue et influen­cer des personnes sans qu’ils ne le sachent, et ça c’est déjà beau­coup plus liti­gieux.

La contrainte est un second problème. Ce ne semble pas le cas ici mais par le passé la menace de défé­dé­rer a été utili­sée comme une pres­sion pour forcer une autre commu­nauté à chan­ger ses propres règles et valeurs (« si tu ne bloques pas l’ins­tance xxx alors on bloque ton instance aussi »). On est là dans une démarche où l’ou­til a été détourné pour deve­nir une arme plutôt qu’un bouclier.

Enfin, il y a un sujet si une instance ou un groupe d’ins­tances peut avoir suffi­sam­ment de poids pour que ça devienne effec­ti­ve­ment un sujet de liberté d’ex­pres­sion. C’est parti­cu­liè­re­ment le cas si on cumule avec le problème précé­dent. Là ça peut être aussi moche qu’un réseau centra­lisé, ou créer plusieurs sous-réseaux indé­pen­dants et qui ne commu­niquent pas entre eux.

Du coup le système de Masto­don est problé­ma­tique ?

Oui, non, ça dépend de tes propres choix.

C’est juste qu’il n’y a pas de système parfait ni de façon univer­selle de posi­tion­ner les équi­libres entre les diffé­rents enjeux.

Le choix de Masto­don est un choix qui répond à des problèmes vus sur Twit­ter ou d’autres réseaux centra­li­sés, qui ouvre d’autres possi­bi­li­tés et d’autres façons de penser les équi­libres. C’est déjà pas mal.

Que peut-on amélio­rer ?

  1. Inci­ter à plus de trans­pa­rence à l’in­té­rieur d’une instance, sur ce qui est bloqué globa­le­ment et pourquoi.
  2. Refu­ser globa­le­ment les guerres de modé­ra­tion entre instances et les instances qui veulent contraindre les règles des autres (le « si tu ne bloques pas l’ins­tance xxx alors on bloque ton instance aussi »)
  3. S’as­su­rer qu’au­cune instance ne repré­sente plus de 20% des utili­sa­teurs actifs, et qu’un groupe d’ins­tances ne devienne majo­ri­taire au point de pouvoir deve­nir un problème.
  4. Faire en sorte que jamais la procé­dure de démé­na­ge­ment de compte ne soit limi­tée, même en cas de blocage d’ins­tance.

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