Auteur/autrice : Éric

  • [Photo] Regards

    Regards (9647) - sur Flickr
    Regards (9647) – sur Flickr

    C’est évident après coup mais ce sont les photos de dos qui semblent provoquer le plus le regard des modèles après la séance. Ce ne sont pas celles qu’on a l’ha­bi­tude de voir, et encore moins mises en valeur.

    Je fais mes photos pour chan­ger le regard. Chan­ger le regard que j’ai sur moi-même et sur les autres, humble­ment parfois aider les autres dans le regard qu’ils ont d’eux-même.

    Et ça fonc­tionne mais plus j’avance plus je me rends compte qu’il s’agit aussi d’ac­cep­ter le regard des autres, ou au contraire de savoir passer outre et vivre sans lui donner trop d’im­por­tance. Que nous refu­sons-nous sous la contrainte du regard d’au­trui ? Est-ce raison­nable ?

  • [Photo] Rien d’autre

    Parfois les images sortent diffi­ci­le­ment. Celles qui suivront ces prochains jours ont mis plus de six mois. Mon parcours a évolué depuis mais si je n’au­rais pas choisi ces situa­tions aujourd’­hui, elles ont toujours un sens. Certaines sont en couleur, ce qui est une excep­tion dans ma produc­tion. Ça aurait été un sacri­lège de ne pas en profi­ter ici.

    Rien d’autre (9364)

    Je parlais de croix il y a quelques temps, et sans le savoir j’ai failli donner le même titre à cette photo. Quand on enlève tout le reste pour se mettre à nu, pour révé­ler qui nous sommes, on s’aperçoit qu’il reste toujours quelque chose qui nous repré­sente. À nu on ne triche pas mais on exprime toujours quelque chose de fort.

  • Oups Crash­plan

    J’ai plusieurs fois parlé de Crash­plan par le passé. Je l’uti­lise avec un backup sur le cloud de la société, et un second sur un serveur person­nel en ligne.

    Crash disque il y a un mois. Je devrais être heureux d’avoir pris les devants mais…

    Tout d’abord c’est lent. C’était exagé­ré­ment lent lors de l’en­voi des données mais ce n’était pas bien grave. Par contre la récu­pé­ra­tion des données se fait entre 2 et 8 Mb/s à partir du cloud alors que j’ai du 60 Mb/s soutenu avec le crash­plan sur mon serveur distant person­nel. Là fran­che­ment il y a de l’abus.

    Là où ça coince c’est ma femme qui a cher­ché une photo spéci­fique dans les données récu­pé­rées. Elle me signale de multiples sous-réper­toires vides qui ne devraient pas l’être. Je regarde, ils sont vides sur une des sources de backup mais pas sur l’autre, à la même date, plusieurs mois après leur ajout.

    Du coup je fouille. Sur un des dossiers qui m’in­té­resse le plus j’ai près d’un Go de diffé­rence entre mes les deux desti­na­tions de stockage. Je ne peux même pas dire que l’une a des fichiers plus récents parce que la première a plus de fichiers mais que l’autre a plus de sous-dossiers. Sachant que que je fais que des ajouts et jamais des suppres­sions… ça n’a aucun sens.

    En remon­tant plus loin, mes photos de mariage vielles de 10 ans et qui ne changent jamais sont passées de 7 Go à moins de 200 Mo sur une des desti­na­tions. Il va falloir que fouille mes DVD de backup mais je crois que j’avais plus de 7 Go de toutes façons…

    Bref, atten­tion Crash­plan. Simple : vous allez dans l’on­glet restau­ra­tion, vous cliquez sur le disque pour tout sélec­tion­ner, ça vous donne un nombre de fichiers, de dossiers et un volume de backup. Si ce n’est pas cohé­rents entre vos diffé­rentes desti­na­tions de sauve­garde (ça ne l’est pas chez moi) ou si ce n’est pas cohé­rent avec vos données sources, alors vous avez un problème.

    Même si c’était un problème spéci­fique à mes instal­la­tions, n’avoir aucune erreur d’in­té­grité pour un truc si impor­tant que le backup, c’est un peu un échec. Et du coup si vous avez une autre recom­man­da­tion que Crash­plan, je suis preneur.

    Entre temps je vais passer une semaine (esti­ma­tion Crash­plan) à restau­rer ce qui doit l’être depuis leur Cloud, puis faire la même chose depuis mon stockage Crash­plan person­nel avant de faire un diff manuel.

  • Corps et tabous

    Je me moque copieu­se­ment de Face­book et de son filtre de respec­ta­bi­lité pour les photos. J’iro­nise sur les censures. On peut voir les corps mais pas de téton fémi­nin ou de sexe. On en arrive a des situa­tions déli­rantes où les artistes mettent des caches-téton sur les photos et où on bannit des photos de promo­tion contre le cancer du sein.

    Je me moque mais fina­le­ment, en discu­tant photo avec des amis, je me rend compte qu’on fait bien les même idio­ties. Notre limite est juste placée un peu plus loin, en auto­ri­sant les seins et un peu de pilo­sité. Même pour des photos artis­tiques et inté­res­santes par ailleurs, j’écarte systé­ma­tique­ment celles où le photo­graphe laisse le sexe appa­rant. Il faut qu’il soit caché ou hors cadre, à la limite dans l’ombre si on ne distingue pas grand chose.

    J’ai l’im­pres­sion de me faire domi­ner par des tabous stupides. Quel sens cela a-t-il de rendre honteux ou inter­dit quelques dizaines de centi­mètres carrés sur un corps sachant qu’on sait bien tous comment c’est fait de toutes façons ? Qu’il y a-t-il de si sulfu­reux à avoir un corps ou à l’as­su­mer ?

    Il y a quelques temps j’avais publié une photo quasi­ment unique­ment pour sortir de ce genre de tabous. C’était fina­le­ment plutôt pudique et consen­suel. Aujourd’­hui j’ai presque envie de repro­duire le tableau de Cour­bet, juste pour montrer qu’il n’y a là rien qui devrait faire faire honte, pour me montrer que je n’en ai pas honte.

    L'origine du monde - Gustave Courbet
    L’ori­gine du monde – Gustave Cour­bet

    Ce tableau a déjà 150 ans, et rien n’a changé. Nous l’ac­cep­tons, mais à condi­tion de ne le voir qu’à titre histo­rique, en pein­ture et entouré d’un cadre.

  • Quelques idéaux sur l’hé­ri­tage

    On a parlé héri­tage et je me rends compte que je n’avais toujours pas écrit ce billet. Pas d’ar­gu­men­ta­tion chif­frée, essen­tiel­le­ment de l’opi­nion pour l’ins­tant :

    Je n’ai jamais compris la légi­ti­mité de l’hé­ri­tage. Au delà de la source d’iné­ga­lité, je ne vois pas en quoi on mérite quoi que ce soit sous prétexte de filia­tion. Alors certes, je comprends que les parents veuillent donner mais la fisca­lité des dons me semble alors parfai­te­ment adap­tée. La volonté passée d’un mort ne me semble pas d’un poids suffi­sam­ment fort pour méri­ter des avan­tages fiscaux dans l’or­ga­ni­sa­tion sociale entre les vivants.

    Ce que j’ima­gine :

    Exoné­ra­tion totale de droits pour :

    – Le conjoint (sous condi­tion de vie commune depuis un certain temps et de déjà gérer leur patri­moine de façon commune) ;

    – Les personnes à charge qui vivent sous le même toit ou en insti­tu­tion (enfants jusque 20 à 25 ans, inva­lides, ascen­dants dépen­dants, …).

    Fran­chise totale jusqu’à 100 000 € pour les autres cas de trans­mis­sions à des proches ayant encore un lien actif (si tu n’as plus de liens de soli­da­rité depuis des années, tu oublies).

    Fisca­li­sa­tion élevée de l’ordre de 60% pour tout le reste, sans excep­tion, sans abat­te­ment, y compris pour l’im­mo­bi­lier. Le 60% n’est pas arbi­traire, c’est la fisca­lité pour les dons quand il n’y a aucun statut privi­lé­gié.

    Aucune trans­mis­sion vers des tiers sans lien affec­tif ou de soli­da­rité récent avec le défunt, sauf à ce qu’ils soient dési­gnés nommé­ment dans un testa­ment. Contrai­re­ment à aujourd’­hui, sauf si  par le défunt le demande expli­ci­te­ment, le petit fils du cousin n’au­rait droit à rien même s’il est le descen­dant le plus direct. Ce genre d’hé­ri­tage n’a aucun sens et aucune légi­ti­mité.

    * * *

    Par contre je trou­ve­rai légi­time de trou­ver une solu­tion éviter la mise aux enchères forcée des biens dont l’at­ta­che­ment fami­lial est parti­cu­lier.

    Le dona­teur trans­met une habi­ta­tion fami­liale dans laquelle le léga­taire a passé une partie signi­fi­ca­tive de sa vie et dont il projette de faire sa rési­dence prin­ci­pale ? On peut imagi­ner deman­der le paie­ment des droits de succes­sions corres­pon­dants, modulo des inté­rêts légaux, unique­ment quand cette situa­tion change.

    On peut imagi­ner un système simi­laire au cas par cas pour d’autres biens comme des objets d’art.

    Pour les petites entre­prises histo­rique­ment contrô­lées par la famille et dont le léga­taire prévoit d’en reprendre le contrôle actif, on peut imagi­ner un méca­nisme simi­laire, ou que l’État en devienne action­naire silen­cieux avec un droit de sortie conjoint auto­ma­tique en cas de revente.

    Bref, il y a des solu­tions à la problé­ma­tique de la fameuse maison fami­liale qui a pris une valeur déme­su­rée.

    * * *

    Je sais que ça ne chan­gera pas les finances publiques de façon gigan­tis­sime, mais si on réaf­fecte ces sommes pour subven­tion­ner l’édu­ca­tion des jeunes ou leur prise d’in­dé­pen­dance, ça sera proba­ble­ment mieux utilisé et plus légi­time.

    Je sais, tout ça est irréa­li­sable, mais au moins ça me permet­tra d’y faire réfé­rence sur une prochaine discus­sion.

  • Sens du marquage au sol des dos d’âne

    J’ai l’im­pres­sion d’être fou. Je me souviens avec force que dans ma jeunesse les dos d’ânes avaient un marquage au sol avec les flèches pointe vers le conduc­teur – le sens du marquage aidant à mieux perce­voir le relief en ques­tion.

    Aujourd’­hui le marquage au sol se fait avec la pointe dans le sens de circu­la­tion. Si ça évite de trom­per sur le sens de circu­la­tion, illu­sion d’op­tique oblige, ça a aussi tendance à réduire l’im­pres­sion de relief du dos d’âne.

    Mes souve­nirs sont très forts, j’au­rais parié n’im­porte quoi. Étran­ge­ment je ne trouve aucun texte sur cet éven­tuel chan­ge­ment, ou même aucune image avec cet éven­tuel ancien marquage au sol. S’il y a vrai­ment eu une inver­sion un jour, ça a pour­tant forcé­ment du faire parler…

    J’ai vécu en Italie pendant ma jeunesse donc peut-être est-ce là bas que c’était diffé­rent, mais je n’en trouve pas plus de traces. Ma femme a le même souve­nir mais avec les mêmes termes, donc peut-être que l’un a influencé l’autre, ou que nous avions eu un dos d’âne anor­ma­le­ment marqué dans le mauvais sens près de chez nous à un moment dans notre vie.

    Est-ce que je délire ? Me suis-je vrai­ment forgé un faux souve­nir de façon aussi forte ?

  • Mon problème avec E. Macron

    Je lis le billet d’Au­thueil qui illustre très bien mon problème avec Emma­nuel Macron. On nous vend du disrup­tif, du renou­veau, mais je n’ai toujours qu’un superbe embal­lage marke­ting. Je suis désolé, ce n’est pas ce que j’en attends, même si ça fonc­tionne.

    Sur la méthode, Macron détonne égale­ment. Un excellent article de Média­part (payant) explique très bien que « En marche » est diri­gée par un staff qui sort d’HEC, et qu’il est dirigé comme une start-up, avec des méthodes commer­ciales et de mana­ge­ment qui sont fami­lières à ceux qui bossent en entre­prise, mais tota­le­ment étran­gères au monde poli­tique. Le choix des théma­tiques et des messages, comme le posi­tion­ne­ment centriste « ni droite ni gauche », ne doivent rien au hasard, et il y a du y avoir de bonnes études de marché au préa­lable. Emma­nuel Macron est lancé comme un nouveau produit, avec toutes les tech­niques marke­ting qui vont bien pour ça. C’est, pour l’ins­tant, redou­ta­ble­ment effi­cace, et cela donne un sérieux coup de vieux aux appa­reils poli­tiques tradi­tion­nels.

    Moi j’ai­me­rais bien qu’on choi­sisse notre repré­sen­tant natio­nal sur la poli­tique qu’on souhaite appliquer et pas simple­ment sur l’ef­fi­ca­cité de son équipe de commu­ni­ca­tion. Oui, je sais, je suis vieux jeu.

    Authueil parle aussi du programme. Comme tous ses parti­sans, il pointe vers un site tiers pour se faire une idée du programme. Le simple fait de devoir aller pour ça sur un site tiers qui n’en­gage pas le candi­dat alors que l’équipe de commu­ni­ca­tion est jugée excel­lente par tout le monde, ça devrait faire réflé­chir. Sur ce site on y trouve des cita­tions très longues qu’il faut inter­pré­ter sur chaque sujet.

    Si j’osais, je dirais que ça ressemble à un évan­gile. Quel que soit la thèse qu’on défend, on pourra s’y retrou­ver. C’est presque magique. Mais du coup, pour affir­mer quelle est réel­le­ment la posi­tion du candi­dat ou ce qu’il va faire…

    * * *

    Vous ne me croyez pas ? J’ai pris l’exemple de la laïcité, sujet clivant en ce moment s’il en est. La moitié du texte décrit le présent ou le passé de façon neutre. C’est « le diagnos­tic ».

    Je me concentre donc sur les prises de posi­tion dans la partie « action ». J’in­siste, j’ai sauté la partie « diagnos­tic ». Ici vous trou­ve­rez verba­tim toute la partie « action » et unique­ment la partie « action ». Vous voulez de l’ac­tion ? il faudra repas­ser :

    Il consi­dère qu’il faut « préser­ver comme un trésor la concep­tion libé­rale de laïcité qui a permis que dans ce pays, chacun ait le droit de croire ou de ne pas croire, l’ex­pres­sion se lisant d’ailleurs dans les deux sens. »

    Je vous mets au défi de trou­ver un candi­dat signi­fi­ca­tif qui ne soit pas d’ac­cord avec ça.

    Ainsi, selon cette concep­tion libé­rale, « en France, aucune reli­gion n’est un problème. »

    Emma­nuel Macron fait néan­moins une distinc­tion majeure entre les reli­gions et les compor­te­ments se plaçant sous le signe du reli­gieux : « Ce qui est un problème […] ce sont certains compor­te­ments, placés sous le signe du reli­gieux, quand ils sont impo­sés à la personne qui les pratique. […] Car si la liberté de conscience est totale, l’in­tran­si­geance quant au respect des lois de la Répu­blique, elle, est abso­lue. […] En France, il y a des choses qui ne sont pas négo­ciables. On ne négo­cie pas les prin­cipes élémen­taires de la civi­lité. On ne négo­cie pas l’éga­lité entre les hommes et les femmes. On ne négo­cie pas la liberté. »

    Toutes les reli­gions sont accep­tables, mais pas forcé­ment tous les compor­te­ments au titre de ces reli­gions. Vous pouvez l’in­ter­pré­ter pour dire tout et son contraire.

    Je soutiens la vision multi­cul­tu­relle ? ça fonc­tionne. Je soutiens la vision qui défend la France d’ex­tré­mistes isla­miques ? ça fonc­tionne. Je soutiens la vision des mulsul­mans, y compris radi­caux non violents, qui se sentent brimés ? ça fonc­tionne. Je peux même soute­nir une vision large­ment raciste qui se défend de vouloir bannir la reli­gion musul­mane mais qui veut en inter­dire toute mani­fes­ta­tion sous prétexte de civi­lité ou égalité.

    Bref, E. Macron est pour le respect des lois, l’éga­lité, la civi­lité et la liberté. Quel candi­dat ne l’est pas ? Aucune action.

    Emma­nuel Macron se réfère à la loi de 1905 qui n’in­ter­dit pas les mani­fes­ta­tions reli­gieuses dans l’es­pace public tant qu’il n’ap­pa­rait pas de trouble à l’ordre public. Il fustige à ce titre les débats autour de l’ex­pres­sion du reli­gieux dans l’es­pace public : « l’Etat est laïc, pas la société. »

    Selon lui, « le laïcisme qui se déve­loppe aujourd’­hui, à gauche et à droite, est une concep­tion étriquée et dévoyée de la laïcité qui dénote à la fois une insé­cu­rité cultu­relle profonde et une incom­pré­hen­sion histo­rique de la France. »

    Là il y a un début de prise de posi­tion. Malheu­reu­se­ment il n’est pas encore suffi­sam­ment clair et tran­ché. Je rappelle que toutes les lois et toutes les actions faites au nom de la laïcité se font surtout au nom de l’ordre public. On retire le voile complet ? au nom de l’ordre public. Le Burkini ? au nom de l’ordre public (et de l’hy­giène). La fin des prières sur les trot­toirs faute de place place à la Mosquée ? au nom de l’ordre public.

    Bref, même si les soutiens d’une laïcité comba­tive tique­ront un peu, tout le monde pourra y trou­vera son compte. Toujours aucune action.

    Si Emma­nuel Macron refuse une « concep­tion étriquée et dévoyée de la laïcité », il ne prétend pas cepen­dant que toutes les situa­tions soient simples. « Ne soyons pas naïfs : certaines tendances d’un islam parti­cu­liè­re­ment rétro­grade sont à l’œuvre dans notre société pour venir en quelque sorte ‘tes­ter’ les limites de la laïcité, pour monter en épingle des compor­te­ments isolés ou mino­ri­taires. »

    Ouf. Comme le para­graphe précé­dent était outra­geu­se­ment modéré, voilà qui va renfor­cer n’im­porte quelle posi­tion radi­cale. Comme on ne parle que de « certaines tendances » sans rien nommer, les modé­rés seront bien d’ac­cord aussi.

    On vient de récon­ci­lier tout le monde en ne prenant… aucune posi­tion.

    Concer­nant par exemple le débat sur le « burkini », il consi­dère que « le port de ce vête­ment de plage, inventé il y a quelques années par une styliste austra­lienne, n’a abso­lu­ment rien de cultuel. Il n’est ni une tradi­tion, ni une pratique reli­gieuse.  C’est donc bien à tort qu’on a voulu l’en­ca­drer sous l’angle d’un prin­cipe de laïcité mal compris. En revanche, l’État impose des règles de vie en société compre­nant le respect intran­si­geant de certaines valeurs : l’éga­lité entre les hommes et les femmes, la civi­lité, l’ordre public… »

    Vision multi­cul­tu­relle : « il a dit qu’on a eu tort de vouloir l’en­ca­drer sous l’angle de la laïcité ».

    Vision radi­cale : « il a dit qu’il fallait être intran­si­geant sur l’éga­lité et l’ordre public » (on se deman­dera d’ailleurs ce que viennent faire l’ordre public ou la civi­lité sur un maillot de bain couvrant).

    Mais fina­le­ment, pensait-il que c’était une bonne chose ou non d’in­ter­dire le Burkini ? Pensait-il que les mairies étaient libres de prendre des arrê­tés ou non ?

    Toujours magique, aucune prise de posi­tion mais des paroles qui peuvent être lues dans les deux sens oppo­sés. Aucune action.

    Pour Emma­nuel Macron, bien que le cœur même de la laïcité exige une neutra­lité de l’Etat, le devoir de permettre à chacun d’exer­cer digne­ment sa reli­gion doit être réaf­firmé : « Lais­sons les Français musul­mans prendre leurs respon­sa­bi­li­tés en toute trans­pa­rence. Aidons-les en sortant aussi de nos réflexes histo­riques, de nos défiances. Aidons-les en coupant les ponts à des orga­ni­sa­tions parfois occultes, à des modes de finan­ce­ment inac­cep­tables, à des compor­te­ments tout autant inac­cep­tables. »

    Vision multi­cul­tu­relle : neutra­lité, permettre à chacun, aidons-les

    Vision radi­cale : (à condi­tion qu’)ils coupent les ponts avec des orga­ni­sa­tions, changent leurs finan­ce­ment, arrêtent les compor­te­ment que nous trou­vons inac­cep­tables

    Bref, toujours lisible dans les deux sens, et aucune action claire.

    L’or­ga­ni­sa­tion de l’is­lam en France et le combat contre une forme radi­cale de l’is­lam ne passent pas pour Emma­nuel Macron par de nouveaux textes ou de nouvelles lois, mais par l’ap­pli­ca­tion de celles exis­tantes : « Nous devons mener ensemble […] un combat contre l’is­lam radi­cal, un islam qui veut inter­fé­rer dans certains quar­tiers sur la chose publique, et qui se pense comme préva­lant sur la Répu­blique et ses lois ». « Je suis pour cette bien­veillance exigeante, je suis pour la laïcité de 1905, mais, dans le même temps, nous avons, sur le terrain, des combat­tants de cette laïcité, des combat­tants des droits des femmes, des combat­tants des règles de la Répu­blique. »

    Là il y a une prise de posi­tion : pas de nouvelle loi.

    Dans le même temps on insiste sur une meilleure appli­ca­tion des exis­tantes comme la solu­tion, ça peut tout de même coller avec les radi­caux qui en demandent plus.

    On voit bien le « bien­veillance exigeante » et le « dans le même temps » qui font bien atten­tion à montrer les deux côtés sous un angle accep­table pour tout le monde sans avan­cer une quel­conque action ou posi­tion clivante.

    Emma­nuel Macron plaide pour une mobi­lité accrue des jeunes habi­tants des quar­tiers popu­laires grâce à un meilleur accès aux trans­ports, à la culture, aux études, à l’em­ploi. « Dans ces quar­tiers, nous avons laissé les arti­sans d’un islam radi­cal faire leur œuvre, faire leur miel de la frus­tra­tion de nos jeunes, de la frus­tra­tion des Français. Voilà pourquoi […] nous devons réin­ves­tir nos quar­tiers pour redon­ner aux habi­tants des oppor­tu­ni­tés et de la mobi­lité ». « Notre mission, elle sera diffi­cile, elle pren­dra du temps, elle sera exigeante avec toutes et tous. Ce sera de faire que les Français de confes­sion musul­mane soient toujours plus fiers d’être Français que fiers d’être musul­mans. »

    blabla­bla­bla. Il y a bien une posi­tion mais liée à l’ur­ba­nisme, et abso­lu­ment consen­suelle. Je suis tout à fait d’ac­cord que ça peut être une piste pour réduire ce qui a mené au symp­tôme « problème reli­gieux » mais ça s’ar­rête là. On redonne un coup de natio­na­lisme à la fin pour équi­li­brer.

    Marine Le Pen et François Fillon n’au­raient peut-être pas avancé les trans­ports et la culture mais en reti­rant ces deux mots je vous mets au défi d’ex­clure que ça aurait pu venir de leur discours. Vouloir des trans­ports et de la culture pour permettre aux français de réin­ves­tir les quar­tiers, ça reste large­ment accep­table donc ça ne choquera pas même avec ces deux mots (surtout que les radi­caux les plus durs consi­dèrent que ne pas se couvrir ou que le style de musique font partie de la culture à impo­ser à ceux qui auraient un avis diffé­rent).

    Bien entendu, très à gauche, mettre du trans­port, de la culture et de l’édu­ca­tion pour désen­cla­ver les quar­tiers, tout le monde sera d’ac­cord. Bien évidem­ment aussi qu’il faut mettre fin au chômage des quar­tiers diffi­ciles. Mélan­chon, Jadot ou Hamon auraient eux aussi pu pronon­cer ce para­graphe.

    Bon, on fait comment ? On fait quoi en pratique ? On coupe les allocs pour inci­ter au travail ou on met en place des CV anonymes et du testing anti-discri­mi­na­tion ? Oui je cari­ca­ture les deux posi­tions oppo­sées mais pour ce qui est de l’ac­tion… on ne saura pas.

    Au nom de sa concep­tion d’une laïcité de liberté plutôt que d’in­ter­dit, Emma­nuel Macron se prononce contre l’in­ter­dic­tion du voile à l’uni­ver­sité car, à la diffé­rence de l’école où les indi­vi­dus sont mineurs, « l’uni­ver­sité est le lieu des consciences éclai­rées et adultes. »

    Selon Emma­nuel Macron, l’in­ter­dic­tion du voile à l’uni­ver­sité serait contre-produc­tive : « Ce qui trouble, c’est le risque que cette jeune femme voilée ait subi une pres­sion maxi­mum, qu’elle ait été contrainte. Il n’em­pêche : inter­dire le voile à l’uni­ver­sité, c’est para­doxa­le­ment inter­dire à cette jeune femme d’avoir ce qui serait peut-être la seule expé­rience qui lui permet­trait de sortir de sa commu­nauté, d’ac­cé­der à un univer­sel, au savoir, à des expé­riences qui pour­raient l’éman­ci­per. En lui refu­sant cet accès, on renfor­ce­rait le commu­nau­ta­risme puisqu’elle serait renvoyée à son quar­tier, à sa situa­tion, à son confi­ne­ment social. En ce sens, les laïcistes favo­risent le commu­nau­ta­risme dans les quar­tiers car ils recréent du clivage. Ils favo­risent une iden­tité qui se construit contre la Répu­blique au prétexte que cette répu­blique exclu­rait. »

    Donc E. Macron est contre l’in­ter­dic­tion du voile à l’uni­ver­sité. Valls avait tenté de renfor­cer sa posture d’homme ferme face aux dérives avec une décla­ra­tion là dessus et l’UMP avait fait de même deux ans avant. Je pense que le FN ne serait pas tota­le­ment contre non plus.

    Bref on aura eu UNE vraie posi­tion claire au dernier para­graphe sur les cinq pages de texte. C’est d’ailleurs la seule phrase en gras sur toute la partie laïcité.

    Bon, en même temps, depuis, le Conseil d’État a pris offi­ciel­le­ment posi­tion pour dire que ça ne passe­rait jamais le Conseil Cons­ti­tu­tion­nel. Le Conseil natio­nal de l’en­sei­gne­ment supé­rieur et de la recherche (Cneser) comme l’Ob­ser­va­toire de la laïcité sont eux expli­ci­te­ment contre. Le ballon d’es­sai de Valls a montré que même la popu­la­tion était plutôt contre aussi, au point de se faire reca­drer immé­dia­te­ment par Hollande (et s’il y a une chose à laquelle on dit que E. Macron tient beau­coup, ce sont bien les études d’opi­nion).

    Bref, une prise de posi­tion qui aurait été clivante dans le passé mais qui n’a plus vrai­ment de sens aujourd’­hui. Il n’y a plus que quelques trolls comme E. Ciotti pour avan­cer dans cette voie (et proba­ble­ment plus pour faire la une que pour réel­le­ment le faire voter). Pas d’ac­tion.

    * * *

    C’est tout. La partie action manque telle­ment d’ac­tion que que je vous épargne la partie diagnos­tic.

    Moi j’y lis une vision multi­cul­tu­relle à l’op­posé du combat des radi­caux pro-laïcité, mais la présence systé­ma­tique de contre-poids à chaque phrase permet­tra à tout le monde de croire que ça va dans son sens. Je suis convaincu que, du FN au PG, tout le monde pour­rait se sentir rela­ti­ve­ment en phase avec les para­graphes cités.

    Entre temps, mis à part la non-inter­dic­tion du voile à l’uni­ver­sité qu’au­cun poli­tique sérieux n’au­rait désor­mais jugé réaliste, on n’a que de vagues décla­ra­tions géné­rales sans aucune action derrière.

    Ce que je retiens : E. Macron accueille toutes les reli­gions mais pas les mauvais compor­te­ments. Il est pour l’éga­lité, la liberté, la civi­lité et l’ordre public. Il est bien­veillant mais exigeant. Il est pour inter­ve­nir dans les quar­tiers terreau de compor­te­ments radi­caux mais ne dit pas encore comment. Comment être contre ?

    Si ça se trouve il est même pour la paix dans le monde. C’est dire s’il est bien comme candi­dat. Sauf… qu’on n’est pas à un concours de beauté des années 1990.

    * * *

    On me dit que c’est un bosseur, qu’il est sérieux, ouvert, qu’il veut faire enfin bouger les choses. Ça a plutôt l’air vrai dans ce qu’on a pu voir mais… est-ce suffi­sant ?

    Je n’adhère pas à cette vision tech­no­cra­tique où l’élu doit être un expert et bon gestion­naire, où l’ac­tion remplace la vision. On tue la poli­tique, le choix du peuple souve­rain sur son futur et la gestion de son État.

    À force on finit par oublier que derrière il y a des choix, des choix qui sont tout à fait arbi­traires, qui tiennent à des modèles de société. Ce sont ces choix qui doivent nous guider. Si on cherche juste à opti­mi­ser et à gérer, on risque de se retrou­ver avec un modèle de société qu’on n’a pas choisi.

    Comment est-ce que je fais avec E. Macron et sa campagne ? Ça fonc­tionne très bien parce qu’il arrive à trou­ver de beaux mots qui vont à tout le monde, parce qu’il a une image de réfor­ma­teur actif et sérieux, mais quel est son modèle de société ? est-ce le mien ? est-ce le votre ? Je n’en sais rien et c’est gênant.

    Les grands discours de deux heures avec des phrases parfois sans queue ni tête arbi­trées par les études d’opi­nion et des experts en commu­ni­ca­tion devant un public télé­com­mandé… ça fonc­tionne peut être mais j’at­tends autre chose. J’ai­me­rais bien qu’on se mette à discu­ter poli­tique et modèle de société. Oui, je suis vieux jeu. Je l’ai déjà dit plus haut.

  • Les 10 enga­ge­ments Anti­cor

    Je suis embêté. Je m’ap­prê­tais à appuyer l’ini­tia­tive mais en fait j’ai deux désac­cords sur 10 points, et ça fait beau­coup.

    J’ai un problème avec le 1– pas de casier et le 3– fin de l’im­mu­nité.

    Avant d’ar­gu­men­ter pour les deux, j’ai­me­rais mettre un peu de contexte avec les paroles attri­buées au Cardi­nal Riche­lieu « Qu’on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trou­ve­rai de quoi le faire pendre. »

    1. instau­rer comme condi­tion d’éli­gi­bi­lité à toutes les élec­tions l’ab­sence de condam­na­tion inscrite au bulle­tin n° 2 du casier judi­ciaire ;

    Je me rappelle tous ces dépu­tés qui un jour on dit « oui, moi aussi j’ai déjà fumé un joint ». Tech­nique­ment c’est de l’usage illi­cite de stupé­fiant. Une telle mesure devrait leur inter­dire de siéger. La seule diffé­rence c’est qu’ils n’ont pas été pris ou pour­sui­vis.

    Je ne crois pas qu’il faille empê­cher quelqu’un de repré­sen­ter le peuple parce qu’il a fumé un joint, ni parce qu’il a été condamné pour outrage et rébel­lion dans une mani­fes­ta­tion passée. On sait combien c’est facile d’en être la cible quand on n’est pas déjà quelqu’un.

    Je ne crois pas non plus qu’il eut fallu par exemple empê­cher José Bové d’être élu natio­nal sous prétexte qu’il a démonté un Mac Do lors d’une opéra­tion de protes­ta­tion.

    Pire : À l’heure où François Fillon tente de s’ac­cro­cher aux branches en accu­sant ses adver­saires de vouloir le disqua­li­fier, vous imagi­nez si n’im­porte quel délit mineur pouvait rendre inéli­gible ? Nous trans­gres­sons tous la loi sur un point ou un autre. Tous, sans excep­tion. Il suffi­rait que l’exé­cu­tif force un peu la main pour cette fois réel­le­ment exclure un gêneur. Même si ça parait peu probable, je ne veux pas ouvrir cette voie au futur.

    l’ins­tau­ra­tion d’une nouvelle clause d’éli­gi­bi­lité, faisant de l’ab­sence de toute condam­na­tion pour des délits ayant trait à la gestion de l’argent public un préa­lable à toute candi­da­ture

    Cette formu­la­tion de la prési­den­tielle de 2012 était bien plus légi­time. Pour faire bonne mesure je n’au­rais pas été contre y ajou­ter les abus de bien sociaux ou d’autres délits liés au pouvoir et au détour­ne­ment de respon­sa­bi­li­tés. Ce sont là des délits graves, et surtout perti­nents vis à vis de l’exer­cice du pouvoir public.

    Je suis furieux parce que cette année ils s’adonnent au popu­lisme et surfent sur la défiance envers les élus. Ce n’est pas ce que j’at­tends d’une asso­cia­tion aussi impor­tante.

    Si on veut vrai­ment pous­ser la probité on pour­rait aussi impo­ser la publi­ca­tion du casier des candi­dats, la tota­lité cette fois. À chacun de justi­fier son passé ou de démon­trer que juste­ment c’est du passé mais on n’han­di­cape ainsi ni la repré­sen­tion ni la rési­lience face aux abus du pouvoir en place.

    1. suppri­mer l’in­vio­la­bi­lité dont béné­fi­cient le Président de la Répu­blique et les parle­men­taires (qui leur permet de ne pas être pour­suivi pendant la durée de leur mandat, même pour des actes étran­gers à l’exer­cice de leurs fonc­tions)

    Petit aparté : L’im­mu­nité parle­men­taire est double. Irres­pon­sa­bi­lité et invio­la­bi­lité. Contrai­re­ment à ce que laisse entendre Anti­cor, l’ir­res­pon­sa­bi­lité ne concerne que les actes dans l’exer­cice de leur fonc­tion (c’est à dire quasi­ment que leur présence à l’As­sem­blée ou au Sénat). L’in­vio­la­bi­lité empêche les mesures coer­ci­tives pendant leur mandat mais, contrai­re­ment à ce que laisse entendre le texte d’An­ti­cor, n’em­pêche pas forcé­ment d’être mis en examen, ni même d’être condamné. S’il y a condam­na­tion à de la prison, ça atten­dra juste la fin du mandat.

    Celui là est plus théo­rique mais il me semble encore plus dange­reux pour la démo­cra­tie (oui, rien que ça).

    L’im­mu­nité prési­den­tielle c’est empê­cher que, même justi­fiés, des faits mineurs ne puissent mettre tout le pays en diffi­culté via la mise en cause de son repré­sen­tant. Injuste ou pas, ça me parait impor­tant et assez peu cher payé. Je n’ai pas en tête de cas où ça ait été un problème majeur.

    L’ir­res­pon­sa­bi­lité parle­men­taire dans l’exer­cice de ses fonc­tions est aussi une liberté essen­tielle au fonc­tion­ne­ment des insti­tu­tions. Vous imagi­nez qu’un député soit inca­pable de parler de terro­risme ou de la loi sur l’apo­lo­gie du terro­risme sans être accusé d’apo­lo­gie ? moi pas. La liberté de parole proté­gée par l’im­mu­nité est essen­tielle au fonc­tion­ne­ment parle­men­taire.

    Plus loin, on touche aussi à la sépa­ra­tion des pouvoirs et à la rési­lience du système répu­bli­cain.

    On permet que l’exé­cu­tif, qui contrôle les forces de police et les procu­reurs, ne puisse empê­cher un parle­men­taire de faire son travail. On évite que n’im­porte quel poli­cier puisse enclen­cher arbi­trai­re­ment une garde à vue ou un contrôle d’iden­tité et bloque le parle­men­taire pendant un vote ou une décla­ra­tion. Si ça vous semble ridi­cule c’est que vous n’écou­tez pas assez l’ac­tua­lité inter­na­tio­nale.

    On permet plus géné­ra­le­ment que le judi­ciaire ne puisse inquié­ter les repré­sen­tant de la nation, de même que l’ina­mo­vi­bi­lité des magis­trats les protège contre les pres­sions de l’exé­cu­tif.

    Malgré toutes les polé­miques on vit ajourd’­hui une démo­cra­tie apai­sée. Ça n’a pas toujours été le cas. Certains ont tendance à oublier que nos grand-parents ont connu d’autres temps, que d’autres pays les vivent en ce moment, et que rien ne nous permet d’écar­ter des jours moins heureux en France dans le futur.

    J’ai­me­rais qu’on évite de jeter nos assu­rances pour l’ave­nir juste parce que les risques ne semblent pas se réali­ser dès la semaine prochaine.

    *

    À noter que dans les deux immu­ni­tés ont des méca­nismes si jamais son béné­fi­ciaire est en roue libre.

    La justice peut deman­der une levée de l’im­mu­nité parle­men­taire. Elle est déci­dée par les pairs du concerné (Assem­blée natio­nale ou Sénat). Contrai­re­ment à ce qu’on peut imagi­ner… ça arrive. Il y a eu huit levées d’im­mu­nité sur la manda­ture actuelle.

    Pour rappel, l’in­vio­la­bi­lité n’em­pêche pas par prin­cipe les pour­suites ou la condam­na­tion. Il est très diffi­cile d’ima­gi­ner un refus de levée d’im­mu­nité pour un parle­men­taire offi­ciel­le­ment condamné.

    Pour le Président il y a des possi­bi­li­tés d’em­pê­che­ment et de desti­tu­tion. C’est plus diffi­cile, mais ce n’est pas une mauvaise chose.

  • Il est temps d’en parler

    J’ai du mal parce qu’on parle encore de Aulnay et de Théo. Oui, Théo s’en sort avec 60 jours d’ITT et une perfo­ra­tion anale faite à l’aide d’une matraque par un dépo­si­taire de l’ordre public et c’est gravis­sime. Cepen­dant parler de cet homme fait croire qu’il s’agit juste d’une bavure et d’une poignée de personnes impliquées.

    Sauf que non. Le même commis­saire en charge aujourd’­hui avait déjà fait l’objet d’une condam­na­tion il y a moins de 10 ans pour absten­tion volon­taire à empê­cher un crime ou délit dans une affaire ou un subor­donné avait menacé de sodo­mie en glis­sant un enjo­li­veur dans les fesses d’un chauf­fard.

    Vous allez me dire que 10 ans c’est beau­coup, mais à Drancy deux semaines avant, se tenait le procès d’un poli­cier muni­ci­pal pour… une perfo­ra­tion anale de 10cm faite avec une matraque enfon­cée à l’ho­ri­zon­tale sur une personne menot­tée et 10 jours d’ITT. Ça ne vous rappelle rien ? Pascal (c’est son prénom) n’a pas eu autant d’im­pact média­tique et les faits ont été requa­li­fiés de viol à violences aggra­vées avec l’ex­cuse du « je ne me l’ex­plique pas, si la matraque a ripé c’était invo­lon­taire ». Six mois de prison avec sursis ont été requis.

    Ne parlons même pas de la mort d’Adama Traoré où, au mini­mum, il y a eu empê­che­ment des secours et maquillage. Là aussi ce n’est pas le premier cas, même si heureu­se­ment c’est rare.

    * * *

    Non ce ne sont pas des cas isolés. Ces cas font surface à cause d’en­re­gis­tre­ments vidéos et/ou de bles­sures impos­sible à attri­buer à autre chose. Ce n’est pas pour rien que depuis un an les forces de l’ordre font la chasse à ceux qui sortent leur smart­phone pour enre­gis­trer, menacent de casser l’ap­pa­reil ou forcent illé­ga­le­ment à effa­cer les images. Même les photo­graphes de presse offi­ciels s’en plaignent.

    Le problème n’est pas que tous les poli­ciers agissent ainsi, c’est qu’il y a une vraie impu­nité et une violence qui n’est pas anec­do­tique. Ce qui est gravis­sime c’est qu’il n’y a pas de remise en cause géné­ra­li­sée, que nos poli­tiques cantonnent tout ça à un fait divers de temps en temps, le seul qui a crevé le plafond média­tique. Même celui là est parfois contesté ou nié.

    * * *

    Il n’y a pas besoin de cher­cher bien loin pour avoir souve­nir de ces images pendant les mani­fes­ta­tions de 2016, avec des forces de l’ordre qui donnent des coups puis­sants sur des mani­fes­tants à terre ou tenus par des collègues, avec des tirs tendus de flash ball qui font perdre des yeux, avec des gens à terre en sang qui sont gazés à bout portant… sans réac­tion poli­tique à part un soutien aux forces de l’ordre et du bout des lèvres une compas­sion pour les quelques cas les plus graves qui ont fait la une des jour­naux plus de quelques jours d’af­filé à cause d’en­re­gis­tre­ments vidéo.

    Même sans parler de ces cas graves, discu­tez avec des gens de banlieue pour comprendre les insultes, les brimades volon­taires, parfois les coups et passages à tabac. Non ce n’est pas que dans les films.

    Je me rappelle, toujours 2016, où quelques jeunes ont échoué à faire recon­naitre au tribu­nal qu’ils étaient contrô­lés tous les jours au même endroit, parfois 10 fois par jour.

    * * *

    Le pire c’est que les poli­ciers se défendent en mettant en accu­sa­tion leurs victimes d’ou­trage et rébel­lion. Leur parole n’est que très diffi­ci­le­ment mise en doute. Vu qu’on ne croit pas les victimes, ce sont les poli­ciers qui le racontent le mieux :c4xgtexw8ae1y7e

    Si vous préfé­rez des faits jugés, il y a ceux de 2010 juste­ment dans la cité de Théo, où une voiture de la BAC renverse et blesse un autre poli­cier. Les sept poli­ciers s’étaient mis d’ac­cord sur une fausse version accu­sant le fuyard de tenta­tive d’ho­mi­cide. Ils s’en sortent avec du sursis.

    Encore une fois, sans prétendre que tous les poli­ciers fautent, il ne s’agit pas d’in­ci­dent isolés mais bien d’un problème struc­tu­rel.

    * * *

    Alors oui, moi aussi je condamne les violences, les voitures brûlées ou les vitrines cassées. Main­te­nant vous m’ac­cor­de­rez aussi que c’est le seul moyen pour qu’on parle un mini­mum de ce qu’il se passe. Et même là quasi­ment personne ne lève le problème global.

    Si j’osais, tant que nos élus ne prennent pas la dimen­sion du problème et n’an­noncent pas publique­ment un vrai plan de reca­drage des forces de l’ordre, moi j’ai l’im­pres­sion que les mani­fes­tants ne font au contraire pas assez de bruit. Et oui, du bruit violent parce que sinon ça ne fera même pas un entre­fi­let dans le jour­nal.

    Vous avez une autre solu­tion ? Propo­sez, mais les violences subies semblent aller gran­dis­santes et nous ne sommes même pas capables d’im­po­ser aux poli­ciers de respec­ter leur obli­ga­tion d’af­fi­cher un équi­valent de matri­cule sur eux.

    Diffi­cile pour un candi­dat en pleine campagne de remettre en cause les forces de l’ordre et se mettre à dos toute la droite dure et la gauche auto­ri­taire. En même temps, avec les affaires Fillon qui commencent à fati­guer, il y a juste­ment un espace à prendre. Ce n’est pas si irréa­li­sable.

  • Proté­ger les droits d’au­teurs ? « Oh non… » ? Expli­ca­tions

    Quelqu’un m’ex­plique pourquoi je lis des « Oh non ! … » sur le web lorsque quelqu’un parle de proté­ger les droits d’au­teurs ? C’est plutôt une bonne chose, non ?

    Comme sur les statuts Face­book, la vraie réponse est « c’est compliqué ». Instal­lez-vous. Je vous raconte mais c’est un peu long.

    Tout d’abord un rapide rappel sur le droit d’au­teur.

    Le prin­cipe géné­ral est celui du domaine public. Les idées, les concepts, la culture et plus large­ment les créa­tions intel­lec­tuelles circulent libre­ment. Le droit d’au­teur n’est défini que comme une excep­tion limi­tée à ce prin­cipe géné­ral. Cette hiérar­chie est réaf­fir­mée régu­liè­re­ment dans l’his­toire du droit d’au­teur moderne.

    Pour résu­mer, on parle plus exac­te­ment de deux excep­tions à la libre circu­la­tion des créa­tions intel­lec­tuelles : 1– on ne peut pas s’at­tri­buer ou déna­tu­rer vos œuvres (le droit moral) et 2– pendant un temps donné, toute utili­sa­tion doit se faire avec votre accord expli­cite (le mono­pole d’ex­ploi­ta­tion, dit droit patri­mo­nial ou droit pécu­niaire vu qu’il se négo­cie habi­tuel­le­ment contre finances).

    Il y a bien entendu d’autres détails, et des limites à ces deux excep­tions, mais lais­sons ça de côté pour l’ins­tant.

    Quand on parle de droit d’au­teur on parle donc d’un équi­libre entre l’in­té­rêt du public et celui des ayants droit (oui, je ne parle pas des auteurs, on verra pourquoi). Durcir la protec­tion du droit d’au­teur c’est affai­blir le domaine public au profit des ayants droit, et inver­se­ment.

    Avant de prétendre discu­ter de cet équi­libre, il faut voir d’où on vient et où on en est.

    Un mono­pole de plus en plus long

    Aux États-Unis, le droit d’au­teur moderne remonte à 1790. Il instaure alors un mono­pole de 14 ans au profit de l’au­teur, renou­ve­lable une fois si l’au­teur est toujours vivant.

    En France, à cette même époque,  on vient d’abo­lir les privi­lèges royaux, c’est à dire les mono­poles au profit des éditeurs. Nous allons déjà bien plus loin que les États-Unis en instau­rant en 1791 un mono­pole à vie en faveur de l’au­teur, suivi encore 5 ans après sa mort.

    Oui, le droit d’au­teur moderne est si récent que ça, à peine plus de deux siècles.  Avant ça il y avait quand même de la créa­tion, et de la copie.

    *

    Il ne faudra que deux années pour doubler cette durée à 10 ans post-mortem. En 1866 on décu­plera la durée initiale en éten­dant le mono­pole à 50 ans après la mort de l’au­teur. Ça ne s’ar­rê­tera pas là.

    Le lecteur atten­tif notera dans un coin que l’au­teur étant par défi­ni­tion mort à ce moment là, l’ex­plo­sion des durées post-mortem du mono­pole profite en réalité aux éditeurs et aux héri­tiers. On en repar­lera.

    Ce qui se dessine clai­re­ment dès le début c’est que ces ayants droit feront tout ce qu’il faut pour étendre la durée de leur mono­pole de façon à ce qu’il n’ex­pire jamais.

    Aux États-Unis, la loi qui étend à 120 ans la protec­tion des œuvres collec­tives d’en­tre­prise s’ap­pelle loi Mickey Mouse suite au mili­tan­tisme très actif de Disney dont les tout premiers dessins de Mickey allaient passer dans domaine public.

    *

    En France on en est aujourd’­hui à 70 ans après la mort de l’au­teur, plus jusqu’à 14–15 ans pour proro­ga­tion de guerre le cas échéant. Le livre que j’ai écrit à 25 ans sera ainsi mono­po­lisé quelque chose comme 130 ans. Mon arrière-arrière-arrière-petit-fils en profi­tera encore. C’est le fils de mon fils de mon fils de mon fils de mon fils (non il n’y a pas d’er­reur). Du coup je l’ai appelé Bob.

    La répar­ti­tion des livres en vente par année de publi­ca­tion montre des livres récents, des livres très anciens, et… un énorme trou entre les deux. On appelle ça les indis­po­nibles du XXe siècle. Des conte­nus qui ne sont plus acti­ve­ment exploi­tés mais qui sont encore sous mono­pole donc inac­ces­sibles au public. Ça devrait inci­ter à réflexion.

    *

    Le mono­pole d’ex­ploi­ta­tion ne concerne d’ailleurs pas que les auteurs. Les produc­teurs d’en­re­gis­tre­ments musi­caux, par exemple, ont ce qu’on appelle un droit voisin sur l’œuvre et son exploi­ta­tion. J’en parle parce qu’on y a encore ajouté 20 ans tout récem­ment, en 2011.

    Des rede­vances et paie­ments indi­rects

    Il n’y a de toute façon pas que la durée de ce mono­pole d’ex­ploi­ta­tion qui est en jeu. On parle aussi par exemple des rede­vances et gestions collec­tives diverses.

    L’exemple le plus connu est proba­ble­ment l’ex­ploi­ta­tion des œuvres musi­cales. C’est par exemple ce que paye une radio pour pouvoir diffu­ser de la musique mais on entend aussi souvent parler des factures envoyées aux écoles pour des spec­tacles de fin d’an­née ou quand les élèves ont chanté un au-revoir à un enca­drant qui part à la retraite. Oh, en Alle­magne on veut même faire payer les chorales d’écoles mater­nelles parce qu’elles exploitent les chan­sons. Oui je suis sérieux (et ils ne font qu’ap­pliquer stric­te­ment les lois, rien de plus).

    *

    Très connue aussi on a la rede­vance pour la copie privée. Vous avez acheté un mp3 sur votre ordi­na­teur ? Le mettre sur votre disque externe, sur votre bala­deur, sur votre platine de salon ou sur votre smart­phone est une copie. Si vous copiez, même de votre PC à votre bala­deur, vous devez payer pour compen­ser l’en­torse au mono­pole de l’au­teur.

    Oui, je suis sérieux. Vous le payez sans le savoir à chaque fois que vous avez un appa­reil qui enre­gistre, un disque ou un espace mémoire quel­conque. C’est 20€ de plus sur la facture pour un disque dur externe, 15 € sur votre smart­phone, 25 € sur la capa­cité d’en­re­gis­tre­ment de votre box Inter­net, 15 à 30 € sur votre bala­deur mp3…

    L’édi­teur ou le produc­teur mettent des verrous qui empêchent les copies ? vous n’en­re­gis­trez que des conte­nus libres de droits ou vos photos de vacances ? peu importe, vous payez quand même.

    *

    Il y en a d’autres. Les biblio­thèques payent pour avoir le droit de vous prêter des livres. Les écoles payent pour que le profes­seur ait le droit de photo­co­pier des extraits très réduits de certaines revues (qui se rappelle la campagne le photo­co­pillage tue le livre et son superbe logo ?). Les maga­sins de photo­co­pies payent d’ailleurs aussi. J’en oublie proba­ble­ment des dizaines et je ne parle même pas des contri­bu­tions obli­ga­toires au cinéma ou à la créa­tion que payent certains acteurs comme les chaînes de télé­vi­sion.

    Une dernière que j’aime bien : Certains types d’œuvres d’art ont même un droit de suite, élargi en 2007. À chaque revente de l’œuvre par un profes­sion­nel, on prélève une partie des fonds pour la rever­ser aux ayants droit.

    Malgré tous ces paie­ments indi­rects, il n’est toujours pas légal pour autant de parta­ger sur Face­book une photo avec votre petit ami devant la Tour Eiffel éclai­rée (l’éclai­rage est soumis au droit d’au­teur), ni de prêter à ce même petit ami votre livre numé­rique favori ou votre dernier mp3 acheté hier (pira­tage ! honte à vous !).

    La lutte contre le pira­tage

    Et puis il y a juste­ment… la lutte contre le pira­tage. Ce n’est pas neuf, on en parlait déjà lors des lois de 1791/93. Les ayants droit ont hurlé à la fin du droit d’au­teur à l’ar­ri­vée de la radio, à l’ar­ri­vée des K7 audio, à celle des photo­co­pieurs, à celle des magné­to­scopes et des K7 vidéo, à celle des graveurs CD et des graveurs DVD, tout autant à l’ar­ri­vée des bala­deurs mp3 qui auto­ri­saient la copie, et même plus récem­ment à l’ar­ri­vée des box inter­net qui enre­gis­traient la TV (même si tout le monde le faisait déjà avec les magné­to­scopes).

    Les rede­vances dont j’ai parlé plus haut viennent de là. Aujourd’­hui on a peur des smart­phones, d’In­ter­net, des moteurs de recherche et des liens hyper­textes. Atten­dez-vous à payer.

    Contre le pira­tage on a pour­tant un arse­nal digne de la lutte contre le grand bandi­tisme. Depuis 2016, la contre­façon (c’est le vrai nom du pira­tage) expose à des peines allant jusqu’à 5 ans de prison (7 ans de prison et 750 000 euros d’amende dans le cas d’une bande orga­ni­sée), plus les dommages civils qui peuvent se comp­ter au prix d’achat de tout ce qui est échangé. C’est plus que le vol ou la destruc­tion de biens physiques, ou même que la provo­ca­tion au suicide ayant entraîné la mort. Allez compren­dre…

    *

    Ce qui est vrai­ment gênant c’est que depuis quelques années on tente de contour­ner le système judi­ciaire jugé trop laxiste ou trop poin­tilleux et d’auto­ma­ti­ser les actions.

    On incite les éditeurs de sites à signer des chartes qui les engagent à suppri­mer les conte­nus sous droit d’au­teur, voire effec­tuer une surveillance et détec­tion auto­ma­ti­sée à leurs propres frais.

    Souvent ces robots sont incon­trô­lables. Ça touche la vidéo de votre fille de 3 ans qui danse sur une musique de fond. On a vu des vidéos suppri­mées parce qu’il y avait un chant d’oi­seau et qu’un CD de chant d’oi­seau présente des simi­li­tudes. Ça touche aussi les paro­dies ou les événe­ments poli­tiques retrans­mis en direct, et donc la liberté d’ex­pres­sion. Ironique­ment ça touche même parfois ceux qui ont payé les droits de diffu­sion ou les ayants droit eux-même.

    On incite de la même façon les pres­ta­taires de paie­ment à signer des chartes qui les engagent à refu­ser les paie­ment sur et vers certains sites recon­nus comme source de pira­tage. La liste n’a aucune exis­tence juri­dique et ne permet donc aucun recours concret. On l’a vue utili­sée contre des sites légaux dans leur pays mais qui gênent les autres pays.

    On est en train d’in­ci­ter les four­nis­seurs d’ac­cès à signer eux aussi des chartes pour être proac­tif dans la lutte contre le pira­tage.

    On pense aussi à la Hadopi. Si les millions d’eu­ros consom­més pour une poignée de condam­na­tions peuvent prêter à sourire, il s’agit surtout d’un passage très offi­ciel à une justice admi­nis­tra­tive aux mains de l’exé­cu­tif et sous impul­sion des indus­tries cultu­relles elles-mêmes, sous couvert d’être plus effi­cace. L’exemple est français mais le mouve­ment est mondial.

    *

    L’en­vers du décor c’est aussi le droit d’au­teur utilisé comme menace, voire comme arme. Il est utilisé pour faire dépu­blier des conte­nus qui ne plaisent pas. Il suffit que quelqu’un se présente comme un ayant droit sur un contenu pour deman­der à faire reti­rer des conte­nus du web.

    Théo­rique­ment l’hé­ber­geur doit analy­ser la requête. Théo­rique­ment les faux signa­le­ments sont punis par la loi. En réalité les retraits auto­ma­ti­sés se font souvent dans le cadre de chartes et accords privés, et tout le monde s’en lave bien les mains. On a vu des cas très concrets où des majors ont fait reti­rer des conte­nus critiques et tout le monde s’en laver les mains ensuite.

    Et les auteurs dans tout ça ?

    Le plus navrant c’est que ça ne protège pas les auteurs, et c’est bien pour ça que je parle d’ayant droit depuis le début.

    Le président du CNL (Centre natio­nal du livre) estime à moins d’une centaine le nombre d’au­teurs qui vivent de leur œuvre. Factuel­le­ment ils sont moins de 3500 à être inscrits à l’Agessa (les auteurs profes­sion­nels), c’est à dire à avoir gagné d’une façon ou d’une autre au moins 8 500 € dans l’an­née, la moitié d’un SMIC brut. On compte là dedans ceux qui ont eu une bourse.

    L’his­toire n’est pas très diffé­rente dans les autres arts. On entend les musi­ciens et chan­teurs dire que les CD ne leur apportent que de la visi­bi­lité pour faire payer des pres­ta­tions live.

    La réalité c’est que seuls quelques très rares auteurs vivant gagnent énor­mé­ment. On pour­rait presque les lister ici. Tous les autres ne prétendent même pas en vivre, et n’en vivront jamais.

    Le jack­pot est surtout touché par les grands éditeurs, les produc­teurs, et les héri­tiers des quelques auteurs gagnants. Ce sont ces ayants droit qui profitent des durées à rallonge, des droits annexes et des durcis­se­ments du droit d’au­teur.

    Les auteurs et leur pauvreté n’en sont plus que le prétexte. Les lois succes­sives n’ont d’ailleurs pas changé grand chose à cette situa­tion.

    Ce que veut dire « renfor­cer le droit d’au­teur » aujourd’­hui

    Vous croyez désor­mais comprendre la raison du « Oh non ! » quand on parle de durcir le droit d’au­teur ? Naïfs…

    Le présent n’est rien à côté de ce qu’on nous prépare. Je ne vais pas tout détailler alors je pose en vrac, sans être exhaus­tif :

    • Rendre payant l’ex­ploi­ta­tion du domaine public
    • Impo­ser une rede­vance pour faire un lien vers un contenu sous droit d’au­teur sur le web, pour affi­cher une vignette ou quelques lignes de résumé, ou simple­ment pour indexer le web
    • Étendre les droits voisins, ceux qui profitent aux éditeurs, aux produc­teurs, et à tous ceux qui gravitent autour des auteurs
    • Renfor­cer les moyens de lutte extra-judi­ciaire contre le pira­tage
    • Taxer les abon­ne­ments à Inter­net ou les entre­prises du secteur pour finan­cer les ayants droit
    • Permettre que la numé­ri­sa­tion des œuvres du domaine public fasse courir un nouveau droit d’au­teur ou droit voisin
    • Inter­dire la copie ou l’ex­ploi­ta­tion d’œuvres dans le domaine public déte­nues par l’État (par exemple dans les musées)

    Pour donner un exemple de bataille perdue : Pendant ces dernières années et jusqu’à une déci­sion contraire de la cour de justice euro­péenne, l’édi­teur a pu s’ac­ca­pa­rer le droit d’ex­ploi­ter la version numé­rique d’un livre du XXe siècle sans accord de l’au­teur, et même sans l’en infor­mer. Quand il l’a fait il a en même temps empê­ché quiconque de faire pareil, y compris l’au­teur lui-même.

    *

    Le droit d’au­teur n’est nulle­ment en danger, il se durcit même assez sale­ment au fur et à mesure. Quand les ayants droit parlent de « proté­ger le droit d’au­teur », voilà ce qu’ils entendent.

    On ne parle pas que de finan­cier. Affai­blir le domaine public c’est aussi affai­blir la créa­tion. Personne ne créé à partir de rien. Les œuvres s’ins­pirent des précé­dentes, s’ins­crivent dans un cadre cultu­rel, réuti­lise et trans­forment l’exis­tant. Étudiez n’im­porte quelle œuvre et vous trou­ve­rez d’où elle vient. Réduire le domaine public c’est direc­te­ment réduire la liberté de créer.

    Cette direc­tion ne profite fina­le­ment qu’aux actuels ayants droit, qui pour­ront faire étendre et entre­te­nir leur rente au détri­ment du public mais aussi des créa­teurs à venir.

    Se battre pour les communs

    À côté de ça certains se battent pour faire recon­naître le domaine public dans les textes, et pas unique­ment en creux du droit d’au­teur. Cela permet­trait d’em­pê­cher son affai­blis­se­ment progres­sif.

    On se bat aussi pour faire recon­naître des excep­tions de bon sens comme permettre d’adap­ter les conte­nus pour les rendre acces­sibles aux personnes avec un handi­cap mais il y en a d’autres :

    • Permettre le droit de prêt sur les conte­nus numé­riques dans les biblio­thèques
    • Permettre le prêt et la copie à titre privé de livres musique et vidéo avec des proches
    • Permettre un droit de pano­rama (prendre en photo les monu­ments visibles dans la rue et de les publier sur un site genre Face­book)
    • Permettre la numé­ri­sa­tion des conte­nus sous droit d’au­teur
    • Permettre de contour­ner les dispo­si­tifs anti-pira­tage pour des usages expli­ci­te­ment garan­tis par la loi (oui, c’est inter­dit même dans ce cas)
    • Éviter que l’édi­teur d’un livre puisse à la fois exploi­ter la version numé­rique sans l’ac­cord de l’au­teur et empê­cher qu’un tiers fasse de même (cette bataille on l’a perdue)
    • Reti­rer les bridages géogra­phiques (par exemple l’im­pos­si­bi­lité d’ache­ter de nombreux livres français depuis l’Ita­lie, ou de visua­li­ser une vidéo qui est diffu­sée dans un autre pays)

    Les travaux de la député euro­péenne Julia Reda sont un bon commen­ce­ment si le sujet vous inté­resse.

    *

    Je pour­rais parler de la réduc­tion de la durée du mono­pole d’ex­ploi­ta­tion mais plus personne n’y croit à moyen terme. Il faudrait rené­go­cier des conven­tions inter­na­tio­nales qui sont aujourd’­hui quasi­ment impos­sible à faire bouger en ce sens (par contre rien n’in­ter­dit d’al­lon­ger les durées, voyez où est le piège).

    Ça se fera peut être un jour, pourquoi pas reve­nir à 10 ans après publi­ca­tion renou­ve­lables une fois (les œuvres qui rapportent signi­fi­ca­ti­ve­ment au delà de 20 ans sont quasi toujours déjà des œuvres à Jack­pot sur les 20 premières années), mais ça ne se fera proba­ble­ment pas de notre vivant à vous et moi. Ça deman­dera une vraie lame de fond dans l’opi­nion publique inter­na­tio­nale. Tout ce que nous pouvons faire c’est amor­cer la réflexion et faire prendre conscience des enjeux.

    *

    En réalité nous avons parfois quelques micro avan­cées comme la possi­bi­lité de prendre des photos dans les musées natio­naux (oui, des trucs si bêtes que ça) mais nous sommes bien loin de faire bouger les lignes. Nous avons déjà toutes les peines du monde à empê­cher l’es­ca­lade infi­nie vers le durcis­se­ment du droit d’au­teur. C’est déjà bien quand on arrive à frei­ner un peu.

    L’idée même d’un wiki­pe­dia ouvert donne des boutons à tous ces ayants droits. À les entendre c’est l’ar­ché­type du mal. Voilà où nous en sommes.