Je me suis toujours interrogé sur les interdictions de photographier ou filmer et leur fondement juridique. C’est vrai dans les spectacles, les cinémas ou les musées.
J’ai croisé beaucoup de billets qui expliquent pourquoi c’est mal, pourquoi c’est bien, pourquoi ça fait mourir les artistes ou au contraire pourquoi ça les aiderait à vivre, mais tous jouent sur des arguments de légitimité morale.
Ce qui m’intéresse ce n’est pas savoir si c’est normal ou souhaitable, mais c’est si c’est légal : « Ai-je le droit ? » et « A-t-on le droit de me l’interdire ? ».
Fondements juridiques
Concernant le droit d’auteur, l’exception de copie privée empêche l’auteur de m’interdire la copie (et donc l’enregistrement). Affirmer que techniquement je pourrai en faire une diffusion illégale ne peut justifier légalement qu’on m’interdise la copie privée elle-même.
Restent donc les règlements intérieurs et les conditions générales de vente ou d’utilisation des lieux ou services donnant accès aux œuvres.
Je n’ai pas la connaissance juridique pour trancher mais cela m’a toujours semblé un argument bancale. S’il suffit de conditions générales pour empêcher la copie, alors ça revient à dire que l’exception de copie n’a aucune valeur : Tous les exploitants vont mettre une interdiction à ce niveau. Ils le font d’ailleurs déjà.
En fait quand je lis les conditions d’un DVD j’ai même l’impression de ne pas avoir le droit d’inviter un ami pour le regarder. Heureusement je ne suis pas tenu d’appliquer ce que légalement ils ne peuvent m’imposer.
Bref, en attendant j’ai considéré que l’exploitant d’un lieu ou d’un service pouvait restreindre à peu près ce qu’il voulait (donc la copie), mais pour moi la question restait encore ouverte.
Photographier dans les musées
Aujourd’hui je tombe justement sur un article qui parle de la question concernant les musées. L’auteure est juriste en droit des affaires et droit d’auteur, a publié plusieurs guides juridiques chez Dalloz, et enseigne le droit d’auteur en université. Son avis peut donc probablement être considéré comme renseigné.
Je retire de cette lecture que justement, rien ne permet à un musée d’interdire de prendre des photographies si cela ne pose pas de trouble anormal comme abîmer les œuvres ou bloquer le musée. Anne-Laure Sterin rappelle que le droit de propriété de l’exploitant n’est pas absolu et selon elle il ne peut être invoqué pour empêcher la prise de vue. Bref, il ne suffit pas de gérer le lieu pour avoir le droit d’ajouter l’interdiction, il faut en plus la légitimer.
Et dans les cinéma ?
Si un musée ne peut le faire, qu’est-ce qui permet à un cinéma ou un spectacle d’agir différemment tant qu’on ne trouble pas la représentation ?
Je ne vois pas de réponse légale, mais comme justement ce n’est pas mon domaine d’expertise, vous êtes bienvenus à éclaircir ce point. En l’attente, j’aurai tendance à considérer qu’il n’y a pas de base légale à ses interdictions, et qu’elles n’engagent donc que ceux qui souhaitent les respecter.
N’oubliez pas : On ne cherche pas une loi qui autoriserait la copie ou l’enregistrement. Tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé. C’est un texte législatif ou réglementaire qui interdit (ou permet à quelqu’un d’interdire) que je recherche.
Comme il s’agit d’un sujet passionnel, je rappelle qu’il s’agit d’une question théorique. Droit ou pas, il est probable que celui qui cherche à filmer dans un cinéma se fasse expulser manu militari et passe une mauvaise soirée, en plus de gêner tout le monde s’il tente de résister ou argumenter sur place. Ce n’est donc aucunement un encouragement à enregistrer, quand bien même ce serait légal.
De même ce n’est pas non plus un soutien à la diffusion illégale de contenus sous droits d’auteur. Même si la copie privée peut être autorisée, ce n’implique pas un droit de diffusion. Il s’agit simplement de curiosité intellectuelle et je n’ai pas l’envie de d’avoir un débat sur les questions de P2P, de révolution numérique, de modèle économique ou de morale. Tout ce qui part en ce sens passera à la trappe sans avertissement.
8 réponses à “Filmer au cinéma”
Il est vrai que les textes que tu as lié sur Twitter semblent suffisamment imprécis pour laisser place à un flou important en la matière. Mais à humble mon avis, ce n’est pas parce que ce n’est pas légiféré que c’est permis pour autant.
Si tu te fais prendre à filmer un film (!) en salle, et que le cinéma porte plainte contre toi pour quelque motif que ce soit (à mon avis, ça sera surtout pour présomption de contrefaçon, ou alors de manquement au « règlement intérieur » au cinéma en question), mais c’est au final le juge qui tranchera en fonction du contexte. Et je ne suis pas sûr qu’il te soit favorable, même en invoquant ton droit à « la copie privée ». Quitte à créer une jurisprudence en la matière, d’ailleurs.
Mais j’ai assez peu d’espoir que ça passe — a fortiori si le juge se sent pris pour un con :)
Je ne vois pas l’imprécision ou le flou mais surtout la remarques que tu fais me fais très peur : Heureusement que si, si la loi n’est pas contraire, c’est permis. C’est la base de l’état de droit quand même.
On ne condamne par sur une présomption d’intention par exemple, et ce qu’on appelle jurisprudence c’est une interprétation de la loi, pas une interdiction qui n’existait pas dans la loi.
J’ai l’impression que tu juges l’aspect moral que que par conviction tu considères impossible que le juge puisse aller en sens inverse quand bien même le droit serait différent de ta position morale. Non seulement ça me gêne, c’est mais justement une des motivations de ma curiosité juridique.
Je dis simplement qu’à jouer au con, on perd souvent. Maintenant libre à toi de faire ta propre expérience du concept.
PS: j’aurais bien aimé pouvoir répondre contextuellement à ta réaction, mais Disqus m’en empêche, cassant ainsi le beau thread de commentaires — désolé.
Je vais dans son sens aussi, le problème est que, même si ce n’est pas légalement interdit, tu te feras mettre dehors, par diverses manières, par le cinéma ou la sécurité.
Comment passer à travers cela ? Faire une demande officiel avec attestation sur l’honneur ? Le problème est que, si tu veux faire une copie privée, tu as tout de même la nécessité de le demander au responsable des lieux, ici l’exploitant du cinéma. Surtout qu’en plus, ces cinémas sont des entreprises/franchises (si je dis pas une bourde) donc en quelques sortes, ne pas faire de demande, c’est mettre sur soit même un soupçon, qui ne plaidera pas en la faveur du camcorderman.
Si tout ce qui n’est pas écrit était autorisé, on aurait des problèmes, car les textes de lois sont aussi là pour des interprétations. Ici le problème va juste que ce sera un juge qui va te faire l’interprétation, et pas toi même.
Après, il faut comprendre que le problème de ton droit à la copie privée, ben quelque part des « idiots » ont bafoué ce droit en enregistrant les films sans demande, ni autorisation, ou pire ont fait valoir leur droit à la copie privée, pour au final le diffuser sur le net.
Tout le monde paie donc pour des bétises et est donc soupçonné. J’avoue que c’est aberrant, mais c’est la réalité. Donc tant qu’un texte de loi ne te dira pas : « vous pouvez effectuer une copie privée lors de vos films, mais si vous les diffusez, telles amende et peine de prise », cela sera le premier arbitre : le cinéma, puis police/juge.
Vous me faites très peur. Non, sérieusement.
Bon, déjà je crois que vous n’avez pas lu la partie en italique. C’est de la curiosité, et en répondant sur le « il ne faut pas le faire » ou « ça ne sert à rien » ça répond franchement à côté. J’aurai bien aimé supprimer ce second commentaire mais Tenhaku a fait une réponse qui me fait bondir.
On a le droit mais à condition de demander l’autorisation ? quid si on nous refuse l’autorisation ? à quel titre ? C’est tout juste si tu ne légitimes pas de restreindre les droits publics « parce qu’on pense que peut être… ».
Bien sûr que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. C’est le propre même d’un état de droit, la différence avec le royaume de l’arbitraire. C’est un des constituant de la déclaration des droits de l’homme qui nous vient de notre révolution. Je ne souhaite pas invoquer la CDH pour le billet de départ, mais pour répondre au dernier commentaire de Tenhaku c’est furieusement approprié.
Du coup, attention, ce qui suit est dans un contexte général, pas spécifique à la question initiale du billet :
Le juge interprête la loi dans le sens qu’il l’applique à une situation particulière. Par contre il ne peut pas créer des interdictions qui n’existent pas. Si ce n’est pas interdit, c’est autorisé et il sera au contraire là pour défendre tes droits. Le juge ne décide pas si c’est « bien » ou « mal », ni si c’est « normal », « souhaitable », « idiot », ou « peut être pour faire quelque chose de mal ».
Le pire c’est ce qui suit. De ce qui est écrit le problème est celui d’idiots qui ont utilisé un droit garanti sans demander la permission ? Mais c’est scandaleux d’utiliser ses droits selon vous ? Les droits ne s’usent que si on ne s’en sert pas. Ce serait plutôt ceux qui auraient voulu utiliser ces droits et qui se sont retenus qu’il faudrait mettre à l’index. C’est à cause d’eux que plus tard il devient « anormal » d’utiliser ses droits.
Tu le montres très bien toi-même puisque c’est ce que tu mets en application : Tu milites pour que le droit ne soit pas utilisé sans autorisation de ceux contre qui justement il doit prémunir. Et tu le justifies par une présomption de culpabilité pour un délit tiers. Je ne dois pas vivre dans votre monde, et sérieusement le votre ne me fait pas envie.
Pour revenir au sujet de départ :
Certes, certains font ensuite de la diffusion, mais si c’est ce dernier point et uniquement celui ci qui est illégal, c’est celui ci qu’il faut combattre. Surtout que dans notre cas la copie privée est justement vue dès le départ comme une exception au droit de l’auteur donc jamais au grand jamais le droit de l’auteur ne pourra être un motif à dégager l’exception. Ce serait lui nier tout son statut.
« Donc tant qu’un texte de loi ne te dira pas » : Justement, il le dit, du moins c’est ma lecture et ce que je souhaitais voir détaillé, infirmé ou compléter. Il dit que tu as le droit de faire une copie privée, et il dit qu’il est interdit de diffuser et ce que tu risques dans ce cas.
Parce que je serai plutôt d’accord avec vous que ce n’est pas malin et que probablement la loi y ferait obstacle. Mais plutôt que de trouver normal qu’on raye des droits « parce que », je cherche un fondement juridique, ou à expliciter si c’est vraiment autorisé.
Dans le cas contraire tout ce qu’on fait c’est subir la pression médiatique. Ça se voit d’ailleurs très bien dans le fait que l’article sur les musées ne choquera personne mais dès qu’on parle de film ou de musique (qui font beaucoup d’opérations de communication) ça devient plus gênant.
Mais je comprend très bien ton point de vue, qui est que idéologique et théoriquement, on a le droit de faire sa copie privée, je ne le nie pas.
Et tu as bien soulevé un point essentiel : subir la pression médiatique. J’irai même plus loin, la pression politique et les collectifs (diverses associations). Ces divers éléments jouent clairement sur la crédulité (ou l’ignorance de la loi) des discours, dires journalistiques et autres.
On le voit bon de fois qu’il suffit qu’un politique dise une chose, que les médias les transmettent, et que des collectifs se l’approprient. On fait bien des lois pour 2000 personnes (burqa) en france, mais on ne traite pas toujours des sujets importants.
Idem pour les médias, on parle de ce qui chose, fait sensationnel. Et en l’occurrence, il est plus « correct » de dire « filmer dans un cinéma c’est mal » que de dire « vous avez le droit de faire une copie privée, mais vous ne devez pas la diffuser, car si vous le faites vous craignez des représailles », cela va dans le sens que le message le plus simple et explicite marque et s’imprègne mieux (typiquement le sujet de Inception ;) ).
Encore une fois, loin de moi de dire que c’est « bien ou pas bien », c’est juste ce qu’il se passe.
Après y’aura toujours les personnes intelligentes (et on sait qu’ils s’attirent des fois des ennuis dans un monde pas toujours très éclairé) pour trouver un moyen pour justifier ses actes, mais est ce que l’opinion générale changera ?
Quand on voit que, pour les gens, télécharger c’est bien, mais voler c’est mal, c’est l’exemple même du problème : je n’ai pas fait l’acte physique de vol (filmer au cinéma), mais par contre, acquérir cela, c’est normal…
Le problème général, c’est que tant bien même il y a des lois, des droits et devoirs dans un pays (et dans le notre particulièrement), il y a quand même des gens pour aller à l’encontre de tout ça, et l’opinion publique, influencée par divers éléments (politique et média), ne se rend même plus compte de ce qui lui est arraché/donné/masqué.
En espérant avoir été compris, je ne me pose pas en expert, juste en philosophe de tout ça.
Techniquement les textes cités sont explicites. Ayant une formation de juriste, je ne peux que soutenir ton passage sur le boulot du juge. Il faudrait observer si un autre texte même de norme inférieur ou une jurisprudence a eu lieu en la matière mais je ne suis pas un expert en PI.
Bonjour,
Voici la réponse que vous attendiez.
Article L335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, §3.
« Est également un délit de contrefaçon toute captation totale ou partielle d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle en salle de spectacle cinématographique. »
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000020740345&cidTexte=LEGITEXT000006069414