Auteur/autrice : Éric

  • La Mom – an Ameri­can mom in Paris : WTF

    Il faut dire que pour quelqu’un non habi­tué à la bureau­cra­tie et à la déres­pon­sa­bi­li­sa­tion géné­rale des services euro­péens – l’im­por­tant c’est le poste, pas le service – ça peut surprendre.

    Le WTF est adapté. Je suis certain que ce n’est pas une dérive spéci­fique­ment française, mais c’est effec­ti­ve­ment un grand problème de notre société : WTF (en anglais)

  • Le livre numé­rique c’est capi­tal (sur M6)

    Pour ceux qui n’ont pas vu le repor­tage sur le livre numé­rique diffusé par M6 dans Capi­tal, voici un résumé :

    1. Amazon ils font du livre numé­rique, c’est super
    2. Les prix des éditeurs sont trop chers et il y a surement entente illé­gale
    3. ..mais ache­ter sur Amazon c’est quand même vache­ment simple
    4. Les éditeurs ne sont plus indis­pen­sables pour le livre numé­rique
    5. …d’ailleurs Amazon accueille des auteurs direc­te­ment, qui font plein de ventes
    6. Les éditeurs sont vrai­ment des méchants
    7. …heu­reu­se­ment qu’A­ma­zon est là (on vous a dit qu’ils sont super ?)

    Bref, assez réduc­teur, et très promo­tion­nel pour Amazon. Pas que je leur reproche d’ailleurs, c’est un angle habi­tuel de Capi­tal : On trouve une grosse entre­prise qui a plein de brou­zoufs et on l’élève sur un piédes­tal.

    En passant, forcé­ment, ça devient limite un publie-repor­tage qui fait l’écho de la ligne direc­trice de l’en­tre­prise ciblée. Pour Amazon c’est « achat simple, si les éditeurs bais­saient leurs prix on vendrait plus, et si les auteurs venaient direc­te­ment chez nous on aurait plus de marge ». On a retrouvé direc­te­ment ce fil rouge dans le repor­tage, même pas masqué.

    On est passé vite sur les avan­tages du numé­riques, et on n’a quasi­ment pas vu les enjeux qu’il y a derrière. Les ques­tions de péren­nité, de prêt, de compa­ti­bi­lité de format, de marché dominé par quelques acteurs mono­po­lis­tiques, d’éco­sys­tème fermé, d’ho­mo­thé­tie entre le papier et le numé­rique, de diffé­rence entre les écrans des solu­tions de lecture, des capa­ci­tés d’an­no­ta­tion et d’en­ri­chis­se­ment, de numé­ri­sa­tion des indis­po­nibles, de vente des oeuvres orphe­lines, de l’ac­cès au patri­moine, …. Alors certes c’est du grand public et de l’in­tro­duc­tion, mais ne pas parler d’au moins deux ou trois ques­tions parmi tout ça (au moins les ques­tions de DRM et de prêt) c’est bacler le sujet.

     

  • Fraudes suppo­sées : non lieu pour Hebbadj

    Nos repré­sen­tants élus ont lapidé un homme en public. Il y a eu des accu­sa­tions de viol, de poly­ga­mie, de fraudes aux aides sociales, et proba­ble­ment deux ou trois choses que j’ai pu oublier. Pour l’his­toire de départ de niqab au volant, il y a fina­le­ment eu relaxe. Pour la poly­ga­mie, rien ne tient et il n’y a à ma connais­sance même pas eu réel­le­ment plainte. Pour l’ac­cu­sa­tion de fraudes suppo­sées : non lieu pour Hebbadj.

    Plus que les accu­sa­tions elles-mêmes, ce qui est choquant c’est l’achar­ne­ment de nos repré­sen­tants sur une personne, via les moyens de l’État, pour soute­nir une poli­tique symbole et mettre à bas celui qui a résisté. C’est au point où dès la loi sur la dissi­mu­la­tion du visage passée, il y a eu des poli­ciers devant l’école des femmes liées à Lies Hebbadj pour bien poser trois contra­ven­tions.

    Je ne parle pas de la loi elle-même, du choix de société qu’on souhaite, du soutien ou de la désap­pro­ba­tion d’un mode de vie. L’achar­ne­ment sur une personne, via des procès et accu­sa­tions illé­gi­times, n’est pas justi­fiable. L’État devient un outil d’op­pres­sion arbi­traire afin de soute­nir les choix poli­tiques d’un élu, au lieu d’être au contraire l’ou­til de défense du citoyen.

    Le problème c’est que visi­ble­ment il n’y a rien qui permette d’em­pê­cher que ça se repro­duise encore.

  • Vers où votre boucher se tourne-t-il pour votre steak haché ?

    Je ne comprends rien à la polé­mique récente sur la viande halal. Il semble­rait que de la viande halal soit vendue à tout le monde sans être étique­tée comme telle.

    Je dirai juste « et alors ? »

    Depuis quand deman­dez-vous à votre boucher si l’égor­geur de votre poulet était tourné vers la Mecque ? Cela a-t-il vrai­ment une impor­tance pour vous ? Je ne connais aucune reli­gion qui inter­dise de se tour­ner vers la Mecque pour décou­per un poulet. Suivez-vous une telle croyance ?

    Votre viande n’a rien de moins ou de plus quand elle est halal ou non. Vous ne le saviez d’ailleurs même pas jusqu’à présent. Sauf à ce que vous mili­tiez contre les méthodes d’abat­tage halal même quand la viande ne vous est pas desti­née, seul le rejet de l’autre est une justi­fi­ca­tion à une telle polé­mique.

    Qu’on ne me parle pas de laïcité. Déjà parce qu’on ne parle pas d’une action de l’État ou d’une obli­ga­tion légale – qui sont les deux seuls objets de la laïcité – mais aussi parce que jusqu’à présent personne ne râlait sur le fait de manger du pois­son le vendredi dans les cantines scolaires. Je note d’ailleurs qu’au­cun musul­man, même inté­griste, ne s’en était offusqué. Il est contra­dic­toire de repro­cher à ces derniers de ne pas faire d’ef­forts alors que le rejet vient bien de leurs oppo­sants.

    Qu’on ne me parle pas non plus de commu­nau­ta­risme. Reje­ter la viande halal non pas par ses carac­té­ris­tiques mais par le simple fait qu’elle corres­pond aux attentes de l’autre et que « c’est la viande de l’autre », *ça* c’est du commu­nau­ta­risme. Le vivre ensemble, au contraire, serait d’es­sayer de conten­ter tout le monde tant que ça ne retire rien à personne. Ce serait plutôt de faire du halal (ou casher) par défaut si ce n’est pas plus cher ni plus mauvais.

    Et si nous arrê­tions d’être xéno­phobes ? Je crois me rappe­ler qu’il y a « frater­nité » dans notre devise natio­nale.


    Note ajou­tée le 22 février au soir après coup comme il y a eu plusieurs réac­tions sur ce point : Je suis étonné qu’on parle sani­taire et je suis convaincu que pour pas mal de gens c’est une facade très simi­laire à celle de la non-dissi­mu­la­tion du visage alors que ce qui était cher­ché c’était l’in­ter­dic­tion de la burqa, une excuse.

    Ceci dit je suis d’ac­cord sur ce point avec les commen­taires : S’il y a un risque ou un problème sani­taire alors on règle­mente. J’irai même plus loin, plutôt qu’une étiquette, s’il y a un problème sani­taire, alors on arrête les déro­ga­tions et on inter­dit les mauvaises pratiques.

    S’il y a étiquette ça sera « viande abat­tue sans étour­dis­se­ment ». Sous réserve que les pratiques évoluent comme dans d’autres pays, on pourra avoir de la viande halal avec étour­dis­se­ment (prières, tourné vers la Mecque, coti­sa­tion à l’ins­ti­tu­tion reli­gieuse, etc.). Inver­se­ment on pourra avoir des viandes non halal mais avec l’étiquette.

    Ca ne règle donc pas le fond de mon discours et le sujet que je souhai­tais abor­der. Je mets donc désor­mais de côté toutes les ques­tions sani­taires qui répon­draient à cette problé­ma­tique dans les commen­taires.

    Par contre, quand bien même on irait là, ça ne chan­gera pas qu’il y aura encore les autres aspects (se tour­ner vers la Mecques, les éven­tuelles prières ou paroles rituelles – même si il semble qu’elles ne soient pas pronon­cées, et la « taxe » des insti­tu­tions reli­gieuses). Dans d’autres pays on a du halal avec ces autres aspects tout en étour­dis­sant. Bref, je m’in­té­resse à ces autres aspects et mets de côté l’as­pect sani­taire.

  • Du droit d’édi­teur et des oeuvres orphe­lines

    Puisqu’on parle de droit d’au­teur en ce moment, repar­lons des œuvres orphe­lines – ces œuvres dont on ne connaît pas ou ne sait pas joindre les ayants droits.

    Les textes en cours de vote tendent à auto­ri­ser l’ex­ploi­ta­tion de ces œuvres via une société de percep­tion et de répar­ti­tion créée pour l’oc­ca­sion.

    Ce projet de loi est incom­pré­hen­sible

    Pour les parti­sans de la sauve­garde du patri­moine et de la diffu­sion de la culture, il est impos­sible de comprendre qu’on impose la collecte de droits d’au­teur sur de vieilles œuvres alors qu’il n’y a aucun auteur à rétri­buer.

    Pour les parti­sans du droit d’au­teur strict, il est impos­sible de comprendre qu’on s’ar­roge la possi­bi­lité de se passer de l’ac­cord de l’au­teur pour diffu­ser ces textes, ou qu’on collecte en leur nom des béné­fices et des droits d’au­teurs qui fina­le­ment ne revien­dront pas aux auteurs.

    Les deux posi­tions sont tota­le­ment oppo­sées, mais aucune de ces deux là ne peut se conci­lier au texte en cours.

    On passe d’un droit d’au­teur à un droit d’édi­teur

    Fina­le­ment, le seul à y gagner dans la publi­ca­tion d’œuvres sans accord des ayants droits mais dans l’in­ter­dic­tion simul­ta­née d’une diffu­sion gratuite par la commu­nauté, c’est l’édi­teur.

    Dans tout ceci, et dans l’au­to­ri­sa­tion de diffu­sion en numé­rique des œuvres indis­po­nibles d’avant 2001, c’est bien l’édi­teur origi­nal du livre papier qui prend une place et qui peut obte­nir de droit des exclu­si­vi­tés.

    Fina­le­ment, si on ne donne pas un droit de diffu­sion gratuit et public, on ne fait qu’un cadeau aux éditeurs histo­riques : celui de ne plus avoir besoin d’ac­cord de l’au­teur et de s’af­fran­chir de la loi géné­rale, celui d’une rente de situa­tion

    Le cas des biblio­thèques

    D’au­cuns ont pensé accor­der tout de même un droit d’ex­ploi­ta­tion gratuit des œuvres orphe­lines pour les biblio­thèques. Cela rentre­rait en effet parfai­te­ment dans leur mission publique de diffu­sion et de sauve­garde du patri­moine.

    Pourquoi unique­ment les biblio­thèques ? je ne l’ai pas compris, à part imagi­ner que nos poli­tiques ne savent réflé­chir qu’en rentes de situa­tion et ne comprennent pas la révo­lu­tion qui s’opère avec la diffu­sion numé­rique que chacun peut s’ap­pro­prier.

    Heureu­se­ment, rassu­rez-vous, personne n’a rogné le droit d’édi­teur, ex droit d’au­teur. Les biblio­thèques ne pour­ront avoir cette auto­ri­sa­tion unique­ment pour les œuvres qu’elles ont déjà à leur cata­logue, unique­ment à desti­na­tion de leurs abon­nés (comprendre : sous DRM ou contrôle d’ac­cès, et pas de diffu­sion publique), mais surtout unique­ment si l’édi­teur de la version papier est introu­vable (ce qui n’ar­ri­vera proba­ble­ment quasi­ment jamais).

    Même là – un fichier numé­rique d’une œuvre orphe­line depuis plus de dix ans numé­ri­sée par la biblio­thèque elle-même à partir de son propre fond et acces­sible sur place ou sous DRM à desti­na­tion de ses abon­nés seuls – la société de répar­ti­tion pour­rait donner un avis moti­vés pour fina­le­ment ne pas donner le droit d’ex­ploi­ta­tion.

    Rien n’en­cadre les motifs et vu ce que les éditeurs ont obtenu jusqu’à main­te­nant, il n’est pas impos­sible qu’ils arrivent aussi à empê­cher l’uti­li­sa­tion concrète de cette micro-niche.

    Allez compren­dre…

    Pour plus de détails, je vous recom­mande les liens de S.I.Lex dédié aux œuvres d’uti­lité publique (blog d’uti­lité publique).

  • Le droit de rêver

    Quand j’ai lu le droit de rêver j’ai pensé à une trans­mis­sion des émotions par la science fiction. Malheu­reu­se­ment Karl a raison, le futur est peut être déjà présent.

    Avec des excès qui font peur mais qui deviennent de plus en plus banaux, vivre et échan­ger sera soumis au droit d’au­teur de tiers n’est pas si loin. Les lois n’ont même pas besoin de chan­ger, il suffit que le curseur de l’in­ter­pré­ta­tion des juges conti­nue de glis­ser vers une protec­tion totale.

    Que serait notre monde sans droit d’au­teur ? Je n’ose croire à l’ar­rêt de tout art, même si forcé­ment il y aurait bien des dégâts pendant la tran­si­tion.

    J’ai trop de mal à imagi­ner ce monde pour l’en­vi­sa­ger réel­le­ment. Par contre, il est clai­re­ment le temps de remettre au goût du jour les excep­tions et autres fair use, de simple­ment relâ­cher la pres­ser et remettre le curseur à un empla­ce­ment accep­table et suppor­table.

  • Quelle durée pour le mono­pole d’au­teur?

    L’his­toire de Bob, mon arrière-arrière-arrière-petit-fils me fait peur. Il est temps de refaire certains choix de société. Rien ne peut justi­fier un tel délire, et surtout pas la simple renta­bi­lité de Disney.

    Alors, quelle a la durée légi­time pour la partie patri­mo­niale du droit d’au­teur ?

    Un an c’est le temps de passage dans les média. Le domaine public arri­ve­rait dès qu’on passe l’ins­tan­tané et qu’on entre dans la connais­sance et la culture. Ce peut être un choix inté­res­sant mais il pose de sacré­ment grandes ques­tions de rému­né­ra­tion.

    La dizaine d’an­née, le temps d’une demie révo­lu­tion tech­no­lo­gique, ou vingt ans, le temps d’un brevet. Visi­ble­ment avec des formules complexes on peut tomber sur cet ordre de gran­deur. Avoir un même ordre de gran­deur entre les deux facettes de la propriété intel­lec­tuelle ne me semble pas non plus inco­hé­rent, même si les enjeux sont diffé­rents.

    Cinquante ans on commence à parler en géné­ra­tion. J’ai du mal à conce­voir un besoin qui dépasse ce palier. Au bout de cinquante ans, si l’œuvre n’est pas rentable, c’est qu’elle ne devait pas l’être. Les œuvres encore utili­sées font de fait partie du patri­moine et plus de l’au­teur. Il n’est pas illé­gi­time de penser les élever au domaine public.

    Soixante-dix ans, quatre-ving-quinze ans ou même cent-vingt ans comme on voit aux États Unis d’Amé­rique, là on joue avec l’ima­gi­naire. Seul le profit de socié­tés et d’hé­ri­tiers peut moti­ver de pareils chiffres. Devons-nous vrai­ment en tenir compte quand c’est l’ap­pro­pria­tion de sa culture par la société qui est en jeu ? sa capa­cité de capi­ta­li­ser dessus ?

    Et surtout, à partir de quand ?

    Plus que la ques­tion du combien, c’est la ques­tion du quand qui montre le choix de société. Si on parle rému­né­ra­tion et choix de l’au­teur, le quand devrait logique­ment dépendre de la créa­tion ou de la première publi­ca­tion.

    Aujourd’­hui on parle d’un quand qui dépend de la mort de l’au­teur. Le combien n’a donc de valeur qu’à défendre les inté­rêts de tiers. Parfois il s’agit d’hé­ri­tiers directs, parfois il s’agit de fils de fils de, ou d’hé­ri­tiers indi­rects. Beau­coup plus souvent il s’agit de socié­tés ayant contrat d’ex­clu­si­vité depuis maintes années.

    Non pas que ces tiers soient forcé­ment illé­gi­times à cher­cher rému­né­ra­tion, mais ils ne rendent pas pour autant perti­nent d’étendre tant que ça le mono­pole d’au­teur.

    Alors ?

    Je n’ose pas tout cham­bou­ler, et j’ai peur qu’en rétré­cis­sant trop les durées, on fasse de l’ex­cès inverse. Bais­ser déjà à 50 ans après publi­ca­tion, c’est dimi­nuer de moitié l’ex­clu­si­vité des ayants droits sur une majo­rité des œuvres.

    Aucune excep­tion, rétro­ac­tive, une règle simple basée sur la date de publi­ca­tion aide aussi beau­coup à éviter les insé­cu­ri­tés et les complexi­tés actuelles.

    Que propo­sez-vous ? pourquoi ?

  • Proté­ger et enfer­mer

    Les pein­tures ont besoin d’être proté­gées de la lumière et des agres­sions. Les livres néces­si­te­raient des numé­ri­sa­tion ou une protec­tion contre le temps et les aléas natu­rels.

    Pour le reste, essen­tiel­le­ment, ne nous trom­pons pas de voca­bu­laire : Nous ne proté­geons pas une oeuvre avec le droit d’au­teur ou une drm, nous l’en­fer­mons.

    Ce qui peut arri­ver de mieux à l’oeuvre elle-même c’est bien d’être diffu­sée. Elle n’a pas besoin d’être proté­gée, merci pour elle. Seuls les inté­rêts des ayants-droits ont besoin de protec­tion. C’est très diffé­rent.

    Non pas que l’en­fer­me­ment de l’oeuvre et la protec­tion des inté­rêts des ayants-droits soient illé­gi­times, mais il est bon d’ap­pe­ler un chat un chat, afin que personne ne se trompe. Le voca­bu­laire a des conno­ta­tions qui sont lourdes de sens, même – et surtout – quand elles sont incons­cientes.

  • Bob, mon arrière-arrière-arrière-petit-fils

    J’ai écrit à 25 ans. J’en suis un peu fier, mais j’ai le tour­nis quand je pense au mono­pole d’ex­ploi­ta­tion de mon œuvre.

    Avec une espé­rance de vie de 82 ans, l’œuvre aura mis 127 ans pour s’éle­ver dans le domaine public. Cent-vingt-sept ans… un monde. Si ça peut donner une idée : Il y a 127 ans Peugeot lançait le vélo­ci­pède.

    Je n’ose même pas penser que mon œuvre puisse encore avoir un sens autre qu’his­to­rique à ce moment là puisque j’ai le malheur d’écrire tech­nique et non litté­ra­ture. Mais même sinon, quelle légi­ti­mité a la société pour réser­ver une œuvre si long­temps ?

    En consi­dé­rant une filia­tion à 30 ans, mon arrière-arrière-arrière-petit-fils aura deux ans. Vous avez bien lu. J’ai recompté deux fois pour être sûr de l’énor­mité que je sors : c’est le fils de mon fils de mon fils de mon fils de mon fils. Je vais l’ap­pe­ler Bob, ce sera plus simple. Alors Bob, ou plutôt son repré­sen­tant légal, pour­rait toucher ou négo­cier des droits sur mon œuvre. Nous nais­sons tous égaux en droit, mais visi­ble­ment pas en droits.

    Bien entendu tous ces calculs dépendent de l’es­pé­rance de vie, qui ne fait qu’aug­men­ter, et de la durée de protec­tion des droits patri­mo­niaux, qui sont éten­dus un peu trop régu­liè­re­ment.

    Les héri­tiers de Bob lui-même, même quelques siècles plus tard, pour­raient déci­der de la publi­ca­tion ou non de mon livre sous une nouvelle forme.

    Mais jusqu’où nous arrê­te­rons-nous ?

  • Le vieil homme et l’édi­tion

    Je trouve qu’on s’em­balle vite dans l’his­toire entre François Bon et Galli­mard.

    Pour l’his­toire elle-même, François Bon semble avoir fait une erreur. Une erreur de bonne foi, compré­hen­sible vu la complexité des ques­tions de durées de droit d’au­teur, mais une erreur tout de même. Bloquer la diffu­sion d’un titre qui contre­vient aux droits en cours, c’est certai­ne­ment la procé­dure stan­dard et proba­ble­ment ce qui me semble le plus sage. Ça permet d’abor­der la ques­tion serei­ne­ment sans se dire que le problème est en cours. La publi­ca­tion n’était pas à quelques jours près de toutes façons.

    De l’autre côté on peut aussi repro­cher à Galli­mard d’avoir contacté les diffu­seurs mais ni l’édi­teur ni l’au­teur de la traduc­tion, d’au­tant qu’il s’agit ici de la même personne. Une issue autre aurait peut être pu être envi­sa­gée – au moins sur la forme si ce n’est sur le fond – si ça avait été fait direc­te­ment et avec un ton sans confron­ta­tion. Ce n’est pas comme si François Bon avec sa maison d’édi­tion numé­rique connue était un pirate avec jambe de bois au sol et poignard entre les dents.

    Comme trop souvent il n’y a pas un gentil d’un côté et un méchant de l’autre, ce serait trop simple. C’est d’au­tant plus vrai quand finissent par se mêler des histoires person­nelles et des ressen­tis liés au papier contre numé­rique, alors que fonda­men­ta­le­ment il ne s’agit pas de ça.

    On s’em­balle, et je suis déçu de voir que ça s’em­balle encore plus dans la commu­nauté web. Au final on ne fait que radi­ca­li­ser les posi­tions d’un problème sommes toute mineur et réso­luble, au point qu’il soit désor­mais diffi­cile de conci­lier qui que ce soit.

     

    Mais surtout cette radi­ca­li­sa­tion empêche d’abor­der les ques­tions de fond sur le droit d’au­teur, les contrats d’édi­tion et le numé­rique.

    Parce que fina­le­ment, plus que l’his­toire de cette traduc­tion et des petites erreurs de chacun, cette histoire soulève beau­coup de sujets : Pourquoi un tel clas­sique n’est-il pas dispo­nible en numé­rique ? Pourquoi une traduc­tion qui semble mauvaise à autant de monde dans le milieu n’a-t-elle pas été rempla­cée si des gens avaient le souhait de le faire ? Une exclu­si­vité si longue est-elle perti­nente ? Pourquoi un tel clas­sique est-il encore sous mono­pole d’au­teur après si long­temps ? La durée du droit d’au­teur est-elle vrai­ment adap­tée à notre monde où la diffu­sion va désor­mais si vite ?

    Et si nous discu­tions plutôt de tout ça ? Tout ça n’est lié ni à Hemig­way ni à François Bon, ni à Galli­mard. Ce n’est pas non plus une ques­tion de David contre Goliath : C’est une ques­tion de choix de société, et ça c’est d’un coup bien plus inté­res­sant.

    “De mon vivant, aurais-je le droit de lire une autre traduc­tion de l’œuvre d’He­ming­way que celle de Jean Dutour ?”

    Par contre, ça se discute à tête reposé, pas à chaud après un événe­ment qui fait de l’écho.