Catégorie : Politique et société

  • Petite revue de presse pour faire peur

    Ou pour prendre conscience et cher­cher comment (ré)agir. Édition du 4 juillet 2019, après celle d’hier.

    « Avant, personne n’au­rait jugé « radi­cal » de sauver quelqu’un en train de se noyer »

    François, Méde­cin sans Fron­tière, via Libé­ra­tion

    « On est dans un renver­se­ment [de valeurs]. Avant, on n’au­rait pas consi­déré comme « radi­cal » de sauver quelqu’un qui est en train de se noyer. Quiconque fait preuve de soli­da­rité est aujourd’­hui consi­déré comme un crimi­nel. […] »

    Libé­ra­tion, 4 juillet 2019 via @libe sur Twit­ter
  • Petite revue de presse pour faire peur

    Ou pour prendre conscience et cher­cher comment (ré)agir. Édition du 3 juillet 2019.

    Je ne sais pas vous mais je commence à ne plus rigo­ler du tout.

    On parle là de droits fonda­men­taux, et de problèmes qui ne sont plus des petits déra­pages indi­vi­duels.

    On parle de problèmes struc­tu­rels sur toute la chaîne de la repré­sen­ta­tion publique, du poli­cier sur le terrain jusqu’au préfet et au ministre.

    On parle de ce qui ne peut plus être autre chose que l’ex­pres­sion de direc­tives et d’une volonté. Même le simple lais­ser faire conscient n’est plus crédible.

  • Droite, gauche, tout ça

    Nous ne sommes pas un parti d’ex­trême droite

    Un ou une respon­sable du Rassem­ble­ment Natio­nal, récem­ment à la radio

    Le jour­na­liste a répliqué que si. J’ai eu la même réac­tion dans ma tête mais y réflé­chir c’est loin d’être aussi évident.

    Factuel­le­ment, sur mes trois critères intui­tifs pour défi­nir l’axe droite / gauche, le RN me parait bien à droite, mais nette­ment moins que LR. L’étiquette d’ex­trême droite ne corres­pond pas à une droite extrême et ça me dérange quelque part.

    Droite, gauche, extrême, tout ça n’est pas si simpliste et ça me fait me poser des ques­tions.

    C’est quoi la droite ?

    Je vous ai demandé ce qui quali­fiait pour vous l’axe droite gauche. Je refor­mule ici quelques réponses :

    Gauche : Utili­ser la dette pour inves­tir pour tous (Keynes)

    Droite : Pas de dette, pas d’in­ves­tis­se­ment car ruis­sel­le­ment (Smith

    https://twit­ter.com/trac­ta­taire/status/114650327993486951

    Gauche : On veut chan­ger le monde, créer une société nouvelle que l’on croit meilleure

    Droite : On accepte le monde tel qu’il est, ou on souhaite le faire reve­nir à un état passé

    https://twit­ter.com/bumble­bee_fr/status/1146506586623545345

    Gauche : Huma­nisme et soli­da­rité

    Droite : Conser­va­tisme et respon­sa­bi­lité indi­vi­duelle

    https://twit­ter.com/zemoko/status/114650483640335564

    Gauche : Tend à recher­cher une société juste, quitte à boule­ver­ser l’ordre établi

    Droite : Tend à préser­ver l’ordre établi, les tradi­tions, au nom de « valeurs » histo­riques

    https://mamot.fr/@peti­te­vieille/10237931506933507

    Gauche : Idée forte de l’éga­lité des indi­vi­dus. Aucun indi­vidu n’a par nature une valeur moindre (que ce soit sa vie, sa santé, etc…), ne mérite moins qu’un autre

    Droite : Présup­posé du genre « X, par ce qu’il est/fait/ ne fait pas, n’est pas assez méri­tant pour tel truc »

    (compte privé)

    Gauche : Un État qui laisse les gens libre/progres­siste sur les aspects socié­taux, mais control freak sur les aspects écono­miques / entre­prise.

    Droite : Un État qui laisse libre sur les aspects écono­miques / entre­prise, mais conser­va­teur / control freak sur les ques­tion de société

    https://twit­ter.com/Modj0r/status/1146525377340346368

    Gauche : Se préoc­cupe du bien être de tous

    Droite : Se préoc­cupe du succès indi­vi­duel

    https://twit­ter.com/anthony_ricaud/status/1146545870084685836

    Gauche : Croit en l’in­di­vidu. La gran­deur de la France passe par le bonheur des français

    Droite : Croit en un État fort. Le bonheur des français passe par la gran­deur de la France

    https://twit­ter.com/nico­las­sing/status/1146531514311745538 et suivant

    Gauche : Avan­cée collec­tive

    Droite : Mérite indi­vi­duel

    (compte privé)

    Gauche : La réus­site du groupe permet la survie des indi­vi­dus

    Droite : Les réus­sites des indi­vi­dus permettent la survie du groupe

    https://twit­ter.com/simple­mentNat/status/1146698809575202817

    Tout ça n’est pas si loin de mes trois critères person­nels :

    Gauche : Respon­sa­bi­lité collec­tive, protec­tion des indi­vi­dus, progres­sion des liber­tés civiles

    Droite : Respon­sa­bi­lité indi­vi­duelle, protec­tion de l’éco­no­mie, conser­va­tion ou retour à l’ordre moral

    On me dit que la caté­go­ri­sa­tion droite / gauche n’a plus lieu d’être mais fina­le­ment les réponses données forment un tout assez cohé­rent.

    Si certains critères semblent très diffé­rents (écono­miques, sociaux, espé­rance de chan­ge­ment) et que tout n’est pas aussi binaires, tout ça semble quand même assez lié.

    Une des réponses qu’on m’a fait a l’avan­tage de trou­ver une géné­ri­cité à tout ça :

    Gauche : Pense plus le sujet comme un être social et iden­ti­fie alors des struc­tures d’échelles et des liens consti­tu­tifs à la fois des sujets et de la société, dans un projet global (on parle de holisme)

    Droite : S’iden­ti­fie à la notion d’ordre ; place cet enjeu dans un cadre moral géné­ra­le­ment fort, voir coer­ci­tif, dont le centre est le sujet (iden­tité, citoyen­neté, respon­sa­bi­lité, croyance, mérite, etc.).

    (réponse privée)

    Mais alors les extrêmes ?

    Si l’ex­trême gauche se retrouve toujours aussi plus ou moins dans la gauche extrême, ce n’est pas vrai pour l’ex­trême droite actuelle

    On y ajoute un autre axe. Intui­ti­ve­ment je lis des ques­tions de natio­na­lisme ou globa­le­ment de consti­tu­tion d’un « nous » et d’un « eux » — peu importe qui est le « nous » et qui est le « eux ».

    On y trouve rapi­de­ment l’au­to­ri­ta­risme comme réponse pour poli­cer, chas­ser ou exclure le « eux », la défiance aux autres, la radi­ca­li­sa­tion, le complo­tisme ; et du popu­lisme pour légi­ti­mer cette posture auto­ri­taire.

    À droite ça prend la forme du natio­na­lisme voire de la xéno­pho­bie, avec une réponse qui va de la mili­ta­ri­sa­tion et répres­sion jusqu’au racisme et au fascisme.

    Extrême centre

    Mon problème avec ce double critère c’est qu’il n’est pas simple. Rien qu’aujourd’­hui, trois articles de presse me font très peur.

    Auto­ri­ta­risme, mili­ta­ri­sa­tion, répres­sion, protec­tion d’un nous État + police contre un eux mani­fes­tants et étran­gers, au risque de dépas­ser allè­gre­ment les droits fonda­men­taux.

    Et pour­tant, nous n’avons pas un gouver­ne­ment d’ex­trême droite. Personne ici ne le quali­fie­rait comme tel.

    Bref, quelque chose manque encore dans mes clas­si­fi­ca­tions, ou alors nous refu­sons de voir ce qui est en face de nous.

    Certains parlent d’ex­trême centre. Si la clas­si­fi­ca­tion d’ex­trême n’est pas liée au posi­tion­ne­ment sur l’axe droite – gauche, ce n’est peut être pas une mauvaise déno­mi­na­tion.

  • Petit mémo pour juger des peines

    Des ques­tions à se poser

    Est-ce que la peine et ses consé­quences (emploi, famille, etc.)…

    … permet au prévenu d’in­té­grer le fait qu’il a outre­passé la loi et la gravité de ses actes ? (*)

    … dissuade effi­ca­ce­ment d’une réité­ra­tion ?

    … permet la réin­ser­tion du prévenu ?

    … risque de faire croire aux tiers que la loi est sans consé­quences ou que ces consé­quences sont accep­tables au point de l’ou­tre­pas­ser ?

    (* celle là est diffi­cile, trop faible il n’y aura pas prise de conscience profonde mais une peine trop forte peut être aussi peu effi­cace, au point d’être perçue comme injuste on risque aussi de bloquer le proces­sus — ou alors il faut aller encore plus loin pour réus­sir à passer la période de rejet/contes­ta­tion)

    Et d’autres à ne pas se poser

    Est-ce que la peine et ses consé­quences (emploi, famille, etc.)…

    … est la même que celle du voisin pour des mêmes faits ? Parce que les consé­quences, la person­na­lité, le contexte, la conscience, l’in­ten­tion, la proba­bi­lité de réin­ser­tion, la person­na­lité, tout ça est forcé­ment toujours diffé­rent.

    … est cohé­rente vis-a-vis de celle du voisin pour des faits qui sont à priori moins graves ? Parce que juste­ment la peine est déter­mi­née en fonc­tion de beau­coup plus que les faits ou la peine maxi­male.

    … est plus lourde que le préju­dice créé ? Parce que la prison ou l’amende ne réparent pas le préju­dice, l’objec­tif n’est pas le même et qu’on a mis fin au oeil pour oeil dent pour dent.

    Et bien entendu

    Tout dépend du dossier, des débats, des person­na­li­tés, pas des résu­més dans la presse.

  • Dégres­si­vité

    Je m’agace de cette dégres­si­vité des indem­ni­tés chômage pour les hauts reve­nus. Tout ça n’est que déma­go­gie, pour donner l’im­pres­sion de mettre aussi à contri­bu­tion les plus riches.

    En réalité, si on vise bien les plus hauts reve­nus — pas les grands patrons hein… on parle des cadres clas­siques — on parle de mettre à contri­bu­tion ceux qui sont en rade, au chômage, pas ceux qui s’en sortent ou qui ont de l’ai­sance de patri­moine.

    On parle d’un palier à 4 500 € bruts mensuels, soit 3 540 € nets. L’in­dem­ni­sa­tion chômage est à 57% soit 2 435 € bruts, 2 155 € nets. Si on applique une réduc­tion de 30 % on tombe à 1 500 €. Ce n’est pas rien mais on imagine assez aisé­ment des loyers fami­liaux à Paris qui sont de cet ordre de gran­deur, et donc des charges fixes plus impor­tantes que ça. Ça va poser problème, peut-être à des familles qui ne sont pas les plus pauvres mais ça va poser problème.

    Bref, on va péna­li­ser ceux qui ont un acci­dent de vie pour favo­ri­ser le pouvoir d’achat de ceux qui n’en ont pas. On a beau parler des hauts reve­nus, cette logique me gêne toujours.

    Si vrai­ment on veut faire de la redis­tri­bu­tion sociale — ce qui déjà est un chan­ge­ment de para­digme par rapport au prin­cipe de l’assu­rance chômage — on pouvait avoir une coti­sa­tion progres­sive avec les reve­nus. Ça aurait pris sur ceux qui le peuvent plutôt que sur ceux qui sont en carafe. Ça serait peut-être juste moins bien passé auprès de l’élec­to­rat de la majo­rité, taper sur les chômeurs est moins risqué.


    La grande ques­tion c’est toujours pourquoi ?

    Pour les inci­ter à reprendre un travail

    C’est la justi­fi­ca­tion offi­cielle mais c’est de la fumis­te­rie. On peut imagi­ner que certains seraient tentés de souf­fler quelques mois après un licen­cie­ment mais la dégres­si­vité n’ap­pa­rait qu’a­près six mois. Ce n’est donc pas ça qui est visé.

    Non seule­ment il y a moins de cadres au chômage mais, si on ne compte pas les séniors, ils le sont aussi moins long­temps que la moyenne.

    Ceux que ça va toucher c’est ceux dans des situa­tions spéci­fiques : hors zone urbaine dans un dépar­te­ment qui ne recrute que peu, avec une quali­fi­ca­tion ou un rôle qui fait que les postes sont rares et qu’il faut attendre qu’un se libère, et ceux détruits par le licen­cie­ment qui ont besoin d’un peu de temps pour se recons­truire.

    Si on parle de cadres en plein emploi, prendre un an de chômage volon­taire c’est tuer sa carrière. Je ne vois personne faire ça volon­tai­re­ment, indé­pen­dam­ment du finan­cier. Les études sur la dégres­si­vité montrent d’ailleurs que ça n’au­rait une influence qu’à la marge.

    En fait la dernière chose qu’on veut socia­le­ment c’est que ces cadres prennent en urgence un emploi sous-quali­fié pour éviter la dégres­si­vité. Ils pren­draient cet emploi à une personne moins quali­fiée qui lui aura bien plus de mal à trou­ver du chômage. En paral­lèle le cadre aura plus de mal à prendre le temps de faire sa vraie recherche d’em­ploi par la suite, et l’en­tre­prise devra réem­bau­cher quelqu’un d’autre dès que le cadre aura trouvé un travail en adéqua­tion avec sa quali­fi­ca­tion. C’est perdant pour tout le monde, que ce soit humai­ne­ment ou écono­mique­ment.

    Parce que c’est le plein emploi pour les cadres

    C’est quoi le plein emploi ? Je vais faire concret : 4% de chômeurs c’est 1 personne sur 25. Sur une classe de collège de 35 élèves dont un quart est dans une famille mono­pa­ren­tale, ça fait 2 à 3 parents qui galèrent au chômage, et là on ne parle que des caté­go­ries A, pas de tous ceux qui cherchent un emploi ou sont en situa­tion diffi­cile

    1 sur 25 au chômage, 3 parents par classe. Ça remet un peu en pers­pec­tive la notion de « plein emploi » qu’on y attache, non ?

    Il se trouve qu’une société en plein emploi aura toujours un % de chômeur non nul, parce qu’il faut gérer les tran­si­tions. Main­te­nant ça ne veut pas dire qu’un % faible corres­pond à du plein emploi. Ça ne dit rien de la faci­lité de ce % à retrou­ver un emploi. Ça peut être facile (beau­coup de monde qui tourne vite) ou très diffi­cile (peu de monde qui ne tourne pas vite du tout).

    Regar­der au travers des moyennes est toujours une arnaque. Ça dit qu’en moyenne, la caté­go­rie ciblée est à 4% de chômage mais ce n’est certai­ne­ment pas homo­gène. Il peut y avoir certaines caté­go­ries de postes ou d’em­plois qui sont à 2% et d’autres qui sont à 10% de chômage. On va appliquer la dégres­si­vité indis­tinc­te­ment.

    Si l’ou­vrier spécia­lisé en auto­mo­bile qui voit son usine fermer aura du mal à retrou­ver un emploi parce qu’il n’y avait qu’une seule usine auto­mo­bile dans la région, ça sera pareil pour le cadre spécia­lisé en auto­mo­bile. Les deux devront cher­cher, se former. La rota­tion des postes pour le cadre sera proba­ble­ment d’au­tant plus faible.

    Consi­dé­rer que parce que les plus hauts reve­nus n’ont que 4% de chômage, s’ils y restent c’est forcé­ment de leur faute, c’est juste une escroque­rie.

    Parce que les hauts reve­nus coûtes cher au chômage, ça fera des écono­mies

    En fait non, ou peu. Les cadres sont rentables. Vu qu’ils sont moins au chômage et moins long­temps, ils cotisent plus qu’ils ne coûtent. Ce sont eux qui financent le chômage des non-cadres. Sachant que le chômage est une assu­rance et pas une aide sociale redis­tri­bu­tive, c’est assez diffi­cile de consi­dé­rer qu’il faudrait bais­ser leurs pres­ta­tions à eux unique­ment.

    On parle de 250 millions. C’est à la fois énorme en valeur abso­lue et peu signi­fi­ca­tif dans le contexte. On parle de 3,5 milliards d’éco­no­mie. 14 fois plus. L’enjeu d’éco­no­mie n’était pas là… sauf s’il s’agit d’ini­tier un mouve­ment pour ensuite appliquer la dégres­si­vité des allo­ca­tions plus large­ment.


    Pourquoi alors ?

    Pour dire qu’on s’at­taque aussi au plus riches, parce que sans ça les autres chan­ge­ments défa­vo­rables à tous les chômeurs et parti­cu­liè­re­ment aux plus précaires feraient l’ac­tua­lité.

    Pour le faire sans pour autant rompre la logique de culpa­bi­li­sa­tion de ceux qui sont hors parcours, sans reti­rer la notion de « pouvoir d’achat de ceux qui réus­sissent », cette magni­fique idéo­lo­gique qui tue le modèle social de redis­tri­bu­tion.

    Il ne s’agit pas de pleu­rer sur ceux qui gagnent le plus et de jouer Les misé­rables. Il s’agit juste de dire que si on peut faire les faire parti­ci­per à hauteur de leurs possi­bi­li­tés, si ce n’est pas un problème que ces coti­sa­tions financent majo­ri­tai­re­ment d’autres besoins que les leurs propres, ça implique quand même que dans le rare cas ou eux aussi ont un acci­dent de vie, ils aient les mêmes droits assu­ran­tiels que les autres.

    Ensuite je fais des calculs, je parle à froid, ration­nel­le­ment. La réalité c’est qu’au chômage en situa­tion psycho­lo­gique diffi­cile, le ration­nel ne compte pas toujours. Cette dégres­si­vité sélec­tive peut être sacré­ment destruc­trice, parce que la psyché humaine ne dépend pas de la dernière fiche de salaire avant de passer au chômage, tout simple­ment.


    Alors quoi ?

    Alors on peut faire payer les entre­prises qui abusent trop du système. Il y a une amorce avec le bonus/malus des emplois précaires et je m’en réjouis.

    On éven­tuel­le­ment au moins discu­ter de coti­sa­tions progres­sives avec les reve­nus, même si ça fait déjà sortir de la logique assu­ran­tielle.

    On peut aussi imagi­ner un délai de carence dépen­dant des reve­nus. Je n’aime pas le prin­cipe mais il est clair que celui qui a des hauts reve­nus a moins rapi­de­ment besoin de soutien que celui qui a des bas reve­nus. Si la situa­tion dure, les indem­ni­tés pleines et entières seront par contre indis­pen­sables.

    Ma dernière propo­si­tion est l’exact contraire de ce que fait le gouver­ne­ment en ce moment. Ce n’est pas un hasard, c’est savoir si on est dans l’idéo­lo­gie de culpa­bi­li­sa­tion (si tu es au chômage c’est de ta faute parce que tu ne cherches pas un emploi assez fort) ou dans l’aide (si ça devient critique, on sera là pour que tu ne coules pas plus bas). La droite appelle ça respon­sa­bi­li­sa­tion et assis­ta­nat. Ques­tion de voca­bu­laire mais je préfère ne pas oublier que le troi­sième terme de notre devise est frater­nité.

  • « Conforme à un ensemble de critères sociaux et envi­ron­ne­men­taux »

    Je fais le tour des propo­si­tions des diffé­rents groupes pour les Euro­péennes.

    Je filtre en ne rete­nant que ce qui concerne vrai­ment l’Eu­rope. Je rage chaque fois élec­tion en voyant combien même les partis qui se disent pro-euro­péens font majo­ri­tai­re­ment campagne sur des sujets natio­naux.


    J’ai à mon grand éton­ne­ment trouvé pas mal de choses inté­res­santes côté PCF. J’ai aussi trouvé une réplique magni­fique de leur candi­dat :

    — « Vous l’uti­li­sez Face­book, vous utili­sez Google […] Vous pour­riez ne pas colla­bo­rer avec ces géants
    — « Regar­dez, des tas d’édi­to­ria­listes du Figaro qui dénoncent le fonc­tion­ne­ment de la sécu­rité sociale, utilisent la sécu­rité sociale donc si vous voulez qu’on joue à ce petit jeu là […]

    PCF sur twit­ter, extrait de LCP

    La propo­si­tion qui m’in­té­resse est pour une fois de la France Insou­mise.

    « Tout produit péné­trant dans le marché commun est conforme à un ensemble de critères sociaux et envi­ron­ne­men­taux.

    La France Insou­mise, sur Twit­ter

    Ça n’a l’air de rien mais si je devais soute­nir deux pistes de travail sur l’Eu­rope, elle ferait partie des deux (l’autre serait une refonte démo­cra­tique dans les insti­tu­tions).

    Aujourd’­hui on parle de salaire mini­mum en Europe et on parle d’in­ten­tion écolo­gique, mais ça reste d’im­pact quasi­ment nul. Toute avan­cée se heur­tera forcé­ment au mur de la concur­rence mondiale.

    Dans cette vision on a l’im­pres­sion que le social et l’éco­lo­gie se font forcé­ment au détri­ment de notre inté­rêt. Malheu­reu­se­ment, s’il y a une chose que la gouver­nance euro­péenne actuelle ne semble pas prête à faire, c’est bien handi­ca­per notre posi­tion­ne­ment écono­mique.


    Si je dois voir une vraie solu­tion, c’est forcé­ment en impo­sant que toute la planète respecte les mêmes règles.

    Ça semble impos­sible mais il n’y a aucune raison sérieuse.

    On impose déjà à tous les produits et services vendus en Europe de respec­ter certaines règles, géné­ra­le­ment écono­miques et de sécu­rité. Ces règles prennent parfois en compte les impacts des produits après leur vente (sécu­rité, toxi­cité dans le temps, recy­clage, etc.).

    On ne peut pas refu­ser l’en­trée des produits construits dans des pays avec des normes sociales et écolo­giques basses. Par contre je ne vois rien qui empê­che­rait de règle­men­ter les ventes en Europe en fonc­tion de normes écolo­giques et sociales des produits — peu importe leur prove­nance — soit en consi­dé­rant une inter­dic­tion des produits et services ne respec­tant pas un mini­mum, soit avec une taxe progres­sive sur ce critère.

    Le vrai enjeu c’est de consi­dé­rer toute la vie du produit, depuis l’ex­trac­tion des matières premières jusqu’à sa vie de déchets. On ne compte donc pas que ce qui est réalisé sur le sol euro­péen mais tout ce qui concourt à la vente ou son achat sur notre sol, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment.

    Bref, on pour­rait, avec un peu de volonté.

    On peut commen­cer par des normes exces­si­ve­ment basses, qui fina­le­ment sont respec­tées quasi­ment partout en Europe. On évite­rait donc trop de débat interne.

    Voilà d’un coup que les normes écolo­giques et sociales des pays euro­péens devien­draient un avan­tage écono­mique sur leur marché (nous les respec­tons déjà, nous rédui­sons l’avan­tage concur­ren­tiel de réali­ser les mêmes biens et services sans prendre en compte les impacts écolo­giques et sociaux de façon délo­ca­lise).

    Ça favo­ri­se­raient en même temps la montée sociale et écolo­gique des autres pays au lieu de favo­ri­ser leur exploi­ta­tion (ça coute encore proba­ble­ment moins cher de produire ailleurs dans le monde, mais ça leur impose quand même d’éle­ver leurs pratiques s’ils veulent parti­ci­per, géné­rant une concur­rence vers le haut).

    Charge à nous ensuite de monter ces normes au fur et à mesure, année après année.


    De quoi je parle ?

    • Le nombre de kilo­mètre parcouru sur toute la vie du produit, matières premières incluses
    • Le carbone généré
    • Un revenu mini­mum absolu, rela­tif au prix des denrées et services primaires locaux, ou rela­tif au revenu moyen, pour tous les sala­riés et pres­ta­taires concer­nés, directs et indi­rects
    • Pour les mêmes travailleurs, des garan­ties sur l’ac­cès aux soins, les filets de sécu­rité, la non discri­mi­na­tion, la liberté syndi­cale, etc.
    • L’im­pact écolo­gique de produc­tion en terme de rejets toxiques, de trai­te­ment, de protec­tion des milieux natu­rels
    • L’im­pact écolo­gique en terme de recy­clage
    • La durée de vie moyenne du produit ou la période garan­tie
    • La répa­ra­bi­lité du produit

    Ce ne sont que des grands sujets, c’est forcé­ment très flou juste pour exemple, mais si nous arri­vons à même imagi­ner avan­cer sur un socle vrai­ment mini­mum-mini­mum qui se conver­tisse en loi euro­péenne sur tous les produits et services vendus en Europe, ça serait énorme.


    En pratique chacun auto-certi­fie ses propres actions et se charge de deman­der les mêmes certi­fi­ca­tions de la part de tous ses four­nis­seurs, qui eux-même devront faire de même pour s’auto-certi­fier.

    Évidem­ment il y aura plein de faux dans la chaine. Je ne demande même pas d’obli­ga­tion de résul­tat, juste d’obli­ga­tion de moyens et d’at­ten­tion.

    À chacun de mettre en œuvre des mesures raison­nables et crédibles pour s’as­su­rer de la véra­cité et de la vrai­sem­blance des garan­ties de ses four­nis­seurs, et être respon­sable en cas de problème mani­feste, de problème connu, ou de manque de contrôle en cas de défaillance à répé­ti­tion.

    C’est peu, mais c’est juste énorme par rapport à l’(in)exis­tant et ça ouvre la voie à des pour­suites en justice pour les maillons euro­péens qui ne jouent pas assez le jeu sur le contrôle et les garan­ties sur toute leur chaîne amont.


    Suis-je tota­le­ment à l’ouest ? Ça me parait à la fois faisable tech­nique­ment, respec­tueux des trai­tés inter­na­tio­naux pour­tant très libé­raux, béné­fique à notre écono­mie, et béné­fique à notre situa­tion sociale et écolo­gique comme à celle des pays qui sont aujourd’­hui nos poubelles à ce point de vue.

    J’ai pu louper plein de choses, y compris de l’évident, mais du coup je veux bien vos lumières.

  • Démo­cra­tie — Accep­ter de ne pas la vouloir

    Il est accep­table de souhai­ter ne pas toujours suivre la volonté du peuple. Ce peut-être que la popu­la­tion ne comprend pas, qu’elle n’a pas l’ex­per­tise, qu’il est impos­sible de toujours deman­der son avis au peuple sur chaque déci­sion, qu’il y aura toujours une majo­rité de mécon­tents quelle que soit la déci­sion prise, que les avis sont trop divers pour trou­ver un consen­sus… Choi­sis­sez vos raisons ou ajou­tez les vôtres. L’exemple qui revient le plus est l’abo­li­tion de la peine de mort à une date où le peuple aurait proba­ble­ment voté contre.

    Bref, ceci est un choix poli­tique et philo­so­phique tout à fait défen­dable. C’est même partiel­le­ment le choix de nos régimes repré­sen­ta­tifs occi­den­taux. Lors de la révo­lu­tion française démo­cra­tie était presque un gros mot, au même titre que déma­go­gie aujourd’­hui.

    Par contre, si vous assu­mez ce choix de ne pas toujours suivre le peuple en tout point et en tout moment, accep­tez d’en­tendre que les déci­sions qui en découlent ne sont pas démo­cra­tiques, que le régime qui le permet n’est pas plei­ne­ment démo­cra­tique.

    Peut-être qu’une démo­cra­tie pure et abso­lue n’est pas réaliste, ou même pas souhai­table. Ce n’est pas horrible. Il faut juste l’as­su­mer, et savoir mettre les mots dessus. Ça permet de prendre du recul pour savoir quoi amélio­rer, ou pour déci­der de la direc­tion à prendre.

  • Démo­cra­tie — Quelques pensées

    Je place là quelques notes de discus­sions récentes et moins récentes.


    Démo­cra­tie : Régime poli­tique, système de gouver­ne­ment dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’en­semble des citoyens

    Défi­ni­tion via le CNRTL

    Choix arbi­traire de défi­ni­tion, expli­cité ailleurs, mais je n’ai pas vu de source d’au­to­rité avec un sens vrai­ment diffé­rent.

    Reprendre le sens des mots est essen­tiel si on veut avoir le moindre recul.


    Si on réduit la démo­cra­tie à la volonté du peuple, on n’au­rait pas mis fin à la peine de mort

    On l’a fait. C’était une bonne chose. Ça n’en fait pas pour autant une déci­sion démo­cra­tique (à l’époque) pour autant si une part majo­ri­taire de la popu­la­tion était contre.

    Une bonne déci­sion n’est pas forcé­ment démo­cra­tique. Une déci­sion démo­cra­tique n’est pas forcé­ment bonne.

    Il faut juste accep­ter de faire descendre le concept de démo­cra­tie de son piédes­tal. Oui dans une pure démo­cra­tie on aurait proba­ble­ment mis plus de temps à arrê­ter la peine de mort en France.

    Peut-être que la réponse est que nous ne voulons pas d’une démo­cra­tie parfaite, tout simple­ment.


    Si on réduit la démo­cra­tie à la volonté du peuple, ça peut donner l’Al­le­magne Nazie, l’an­ti­sé­mi­sitme, [etc].

    Je n’ai pas l’ex­per­tise sur cette époque pour prétendre savoir quelle est la part de volonté du peuple et quelle est la part de prise de pouvoir.

    Pour autant oui. Le concept de démo­cra­tie n’est aucu­ne­ment lié à un quel­conque sujet éthique ou moral. Que le peuple ait le pouvoir implique qu’il puisse tout à fait déci­der des pires horreurs, de répres­sions et régres­sions sans précé­dent. Il peut aussi toute­fois déci­der de bien­veillance, de respect des liber­tés, de progres­sion sociale et de bonheur collec­tif.

    C’est d’ailleurs proba­ble­ment vrai quel que soit le régime, démo­cra­tie ou pas. La poli­tique c’est déci­der ce qu’on fait du pouvoir qu’on a.


    Atten­tion à ne pas confondre démo­cra­tie et dicta­ture de la majo­rité

    Dans toutes les défi­ni­tions que j’ai trouvé, on parle de pouvoir au peuple sans défi­nir comment on déter­mine cette volonté dans un peuple qui n’a pas qu’une seule opinion.

    Dans notre vision élec­tive, on traduit ça par une majo­rité de 50% + 1 mais ce n’est pas limi­ta­tif. On pour­rait très bien imagi­ner une majo­rité aux 2/3, ou même un consen­sus qui n’im­plique pas d’ac­cord mais juste une absence de rejet.

    Non la démo­cra­tie n’est pas la dicta­ture de la majo­rité dans sa défi­ni­tion. Savoir comment mettre en place un système démo­cra­tique concret qui ne puisse pas tour­ner en dicta­ture de la majo­rité est une vraie ques­tion inté­res­sante et je n’ai pas la réponse.

    Je note toute­fois deux points :

    1– Notre système actuel, bien qu’ayant fait des compro­mis, ne nous garan­tit rien non plus contre la dicta­ture de la majo­rité. Pire, notre système permet la dicta­ture de la plus grande mino­rité, ce qui est encore moins glorieux.

    2– S’il est diffi­cile de savoir où s’ar­rête la démo­cra­tie et où commence la dicta­ture de la majo­rité, il est toute­fois simple de dire que s’il n’y a pas d’as­sen­ti­ment d’au moins la majo­rité, les déci­sions prises ne peuvent être quali­fiées de démo­cra­tique. Dit autre­ment : L’as­sen­ti­ment de la majo­rité n’est pas forcé­ment suffi­sant mais il est clai­re­ment néces­saire.


    Il y a eu vote démo­cra­tique

    Le vote est un outil, la démo­cra­tie est un régime poli­tique. Le vote peut nous aider à créer un système de gouver­nance qui nous mènera à un régime démo­cra­tique (ou à un régime qui cherche à l’être), mais il n’y est ni néces­saire ni suffi­sant.

    Démons­tra­tion par l’ab­surde : Il est tout à fait possible d’ima­gi­ner une monar­chie élec­tive, avec un roi ayant les pleins pouvoirs jusqu’à sa mort, et une élec­tion à sa mort pour dési­gner un nouveau roi. Ce ne serait pas une démo­cra­tie (le peuple n’au­rait pas le pouvoir) mais il y aurait bien élec­tion.

    La démons­tra­tion n’est d’ailleurs pas si absurde que ça parce que si nos systèmes de gouver­nance se limi­taient à élire des repré­sen­tants, nous serions effec­ti­ve­ment dans une suite de petites dicta­tures élec­tives le temps d’un mandat. Ce qui nous fait avan­cer un peu vers la notion de démo­cra­tie c’est la sépa­ra­tion des pouvoirs, les contre-pouvoirs, la consti­tu­tion et tout ce qui permet au peuple de garder le contrôle d’une façon ou d’une autre sur les gens qu’il a élu.

    Malheu­reu­se­ment consti­tu­tion et contre-pouvoirs ne sont là aussi que des outils, pas suffi­sants en eux-mêmes (surtout si la consti­tu­tion peut-être chan­gée par une assem­blée sans en réfé­rer au peuple et si les contre-pouvoirs sont eux-mêmes action­nables unique­ment par les repré­sen­tants).


    Nous avons une consti­tu­tion, des élec­tions, les droits de l’Homme, des insti­tu­tions, n’est-ce pas ce qui fait de nous une démo­cra­tie ?

    Outre les réponses sur la consti­tu­tion et les élec­tions qui ne sont que des outils et pas consti­tu­tifs d’un régime parti­cu­lier, et la ques­tion des droits de l’Homme qui repré­sentent plus une ques­tion de morale qu’une ques­tion de régime poli­tique, l’en­semble décrit une orga­ni­sa­tion où le pouvoir est partagé, règle­menté.

    La défi­ni­tion d’un telle orga­ni­sa­tion c’est la répu­blique. Répu­blique et démo­cra­tie tendent à se rejoindre dans nos esprits mais ils n’ont pas à l’être. La répu­blique quali­fie sa struc­ture, la démo­cra­tie quali­fie sa fina­lité et qui a le contrôle dans la struc­ture.


    Ne confon­dons pas démo­cra­tie et déma­go­gie

    Cette phrase me gêne parce qu’elle est trop souvent employée pour dire « ne suivons pas la volonté du peuple ».

    Déma­go­gie :

    A. Exer­cice du pouvoir par des factions popu­laires ou par leurs meneurs, avec les abus qui en résultent; système de gouver­ne­ment corres­pon­dant.

    B. Recherche de la faveur du peuple pour obte­nir ses suffrages et le domi­ner.

    Défi­ni­tion via le CNRTL

    Dans le A, la déma­go­gie est typique­ment une prise de pouvoir par un groupe restreint. C’est le contraire de « suivre la volonté du peuple » et ça corres­pond bien plus à la capa­cité d’une personne ou d’un groupe à se faire élire pour exer­cer le pouvoir à son profit.

    Dans le B il y a effec­ti­ve­ment une recherche de popu­la­rité et donc d’ac­cé­der aux volonté du peuple mais elle est de façade ou tempo­raire pour y appliquer ensuite une domi­na­tion.

    Dans aucun des cas le fait de lais­ser le peuple déci­der n’est de la déma­go­gie. Ça c’est de la démo­cra­tie.

    Par contre, se faire élire par des promesses pour ensuite exer­cer le pouvoir à son profit, ça c’est bien la défi­ni­tion en B, quand bien même ça sera via une élec­tion à la base.

  • Démo­cra­tie — Reprendre le sens des mots.

    À brouiller les termes on empêche de prendre du recul sur ce qu’on fait et où on va. Reti­rons les fantasmes, les construc­tions mentales et amal­games. Repre­nons le sens des termes.

    Je vous propose de prendre comme base la défi­ni­tion du TLFi, claire et simple :

    Démo­cra­tie : Régime poli­tique, système de gouver­ne­ment dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple, par l’en­semble des citoyens

    Défi­ni­tion via le CNRTL

    Le choix du TLFi est forcé­ment très arbi­traire mais la défi­ni­tion corres­pond parfai­te­ment à son étymo­lo­gie (« dêmos » le peuple et « kratein » comman­der) ainsi qu’à celle de la huitième édition du diction­naire de l’Aca­dé­mie française qui parle de « forme de gouver­ne­ment où le peuple exerce la souve­rai­neté ».

    La neuvième édition rédi­gée dans les années 1980 y expli­cite « direc­te­ment ou indi­rec­te­ment » et ajoute « théo­rique­ment ou réel­le­ment ». Ce dernier ajout me gêne un peu en ce qu’il peut être inter­prété comme vali­dant des dispo­si­tifs qui ne sont démo­cra­tiques que dans la volonté affi­chée mais pas dans les faits, mais on reste dans tous les cas sur la même notion de base.

    Je n’ai pas trouvé de sources sérieuses avec une une défi­ni­tion signi­fi­ca­ti­ve­ment diffé­rente. On peut discu­ter d’autres défi­ni­tions mais en ce cas je vous deman­de­rai d’en sour­cer l’ori­gine et la légi­ti­mité.

  • Le pouvoir de l’argent

    Le cari­ta­tif est un danger pour la démo­cra­tie.

    Oui, j’aime bien les phrases choc. C’est forcé­ment un peu plus complexe que ça mais le fond y est.

    Les dons de grandes fortunes aux resto du cœur et aux monu­ments natio­naux me laissent un arrière goût amer. Oh, je suis heureux qu’ils soient là mais on parle de palier aux manques de l’État, d’agir à sa place dans ses rôles. On parle de le faire par des gens dont on a tendance ces derniers temps à réduire leur fisca­lité et celle de leurs entre­prises.

    Ce qu’ils donnent, c’est ce qui n’est pas collecté via l’im­pôt ou les coti­sa­tions par ailleurs. On peut dire que les dons palient au manque de budget de l’État. On peut aussi dire que ces dons sont juste­ment ce qui manque au budget de l’État pour assu­rer plus direc­te­ment les mêmes missions. Le cari­ta­tif et les manques de l’État sont liés, dans les deux sens.

    Au final on peut même dire que le moyen d’ac­tion importe peu mais il s’agit d’un modèle de société, et son choix n’est pas neutre. En privi­lé­giant le cari­ta­tif sur l’im­pôt, on permet au dona­teur de choi­sir l’af­fec­ta­tion des sommes sans passer par les struc­tures démo­cra­tiques prévues pour. On est en train de dire que ceux qui ont l’argent doivent avoir un pouvoir de déci­sion plus grand que les autres dans les choix budgé­taires collec­tifs. Pas neutre, vrai­ment.

    Est-ce qu’il faut recons­truire Notre Dame ? Peut-être, peut-être pas, mais étant un bâti­ment public ce devrait être un choix collec­tif. En choi­sis­sant moins d’im­pôts et plus de cari­ta­tif, on prive la collec­ti­vité de la capa­cité de faire un tel choix, de privi­lé­gier la réfec­tion d’écoles ou de tribu­naux en ruine plutôt qu’un monu­ment touris­tique. C’est celui qui a l’argent qui décide, et ça pose un vrai problème démo­cra­tique.


    Le pire c’est quand non seule­ment on donne un tel pouvoir mais qu’on le renforce. Celui qui donne aura des exoné­ra­tions d’im­pôts. Les resto du cœur se plaignent de moindres dona­tion depuis la dispa­ri­tion de l’ISF et des inci­ta­tions fiscales affé­rentes.

    Inci­ter à donner parait une bonne idée, le fameux gagnant-gagnant. En réalité ça revient à leur donner encore plus de pouvoir. Ça revient à leur permettre de piocher dans les impôts qu’ils auraient du payer – c’est à dire dans le budget public – pour déci­der où cela sera utilisé.

    Bien entendu seuls ceux qui ont suffi­sam­ment d’argent peuvent faire ce choix. Les voilà avec un pouvoir déci­sion­naire plus fort que les autres. On est sorti du « une personne une voix ».


    Oui, chacun fait ce qu’il veut de son argent. Choi­sir de dimi­nuer les impôts et faire appel au cari­ta­tif pour des actions publiques est toute­fois un choix poli­tique. Aller jusqu’à offrir des réduc­tions d’im­pôts pour encou­ra­ger de finan­cer en dons ce qu’on ne collecte pas comme impôts l’est aussi.

    Aucune des deux formes n’est neutre poli­tique­ment ou démo­cra­tique­ment, et encore moins quand les dons sont promis par les plus riches peu après la mise en place d’une poli­tique fiscale qui leur est très favo­rable.