117 milliards d’eu­ros

— La fortune de Bernard Arnault est esti­mée à 117 milliards. Vous vous rendez compte de combien ça fait ? Ça permet de redis­tri­buer […] euros à […] pendant […] ans !

— Ça n’est pas compa­rable ! Ça ne permet pas de manger. On ne mange pas des actions !

Diable ! Bien sûr que ça se compare. C’est même tout le prin­cipe de la monnaie.

Non on ne mange pas les actions, pas plus qu’on ne mange les billets et les pièces (enfin pas moi). On est juste en train de défi­nir une valeur d’échange commune qui permet­tra ensuite d’ob­te­nir de la bouffe (ou autre chose).

C’est un peu comme la fameuse compa­rai­son de 1 kg de plomb à 1 kg de plumes. Certes ça fait beau­coup de plumes, mais on peut bien compa­rer les deux et ça pèse bien autant.

Ici c’est la même chose. La monnaie c’est la mesure pivot. Si on a pour 117 milliards d’eu­ros d’ac­tions, ça « vaut » par défi­ni­tion autant que 117 milliards d’eu­ros de petits pois ou 117 milliards d’eu­ros en rési­dences secon­daires. C’est exac­te­ment ce que ça veut dire.

Tant qu’il y a à la fois des gens qui veulent vos actions et des gens qui veulent se sépa­rer de bouffe, réfri­gé­ra­teurs, machines à laver & co, l’éco­no­mie permet d’échan­ger tout ça.

— Ce sont des titres, pas des espèces ! Ça n’a rien à voir !

Je crois que c’est la réponse la plus WTF qu’on m’ait faite.

Nous payons avec des titres tous les jours, pour ache­ter le pain à la boulan­ge­rie ou nos légumes au marché.

Ça fait long­temps que la mani­pu­la­tion d’es­pèces n’est plus le seul moyen de paie­ment. Aujourd’­hui on utilise massi­ve­ment des CB, encore un peu des chèques, mais aussi des tickets restau­rants, des bons d’achat, des cartes prépayées, etc.

Tout ça est lié à des comptes en banques, qui eux même ne sont pas des gros coffres avec la même valeur en billets et en pièces.

Et d’ailleurs, même quand on paye avec des billets et des pièces, ce n’est plus la valeur du papier ou du métal qui compte, mais ce qu’il y a écrit dessus. Oui, on a bien un titre, qui peut être échangé ailleurs contre autre chose.

Refu­ser de consi­dé­rer la valeur des titres dans notre société moderne, c’est vrai­ment un argu­ment insensé. On peut éven­tuel­le­ment appliquer une décote liée l’ab­sence de liqui­dité mais on parle là unique­ment d’un coef­fi­cient sur la valeur qu’on attri­bue au patri­moine, ça ne remet nulle­ment en ques­tion le prin­cipe.

— On ne peut pas ache­ter du pain et du fromage avec !

Non, on ne peut pas, ou pas faci­le­ment. L’époque du troc est termi­née depuis long­temps.

Par contre on peut vendre une action à quelqu’un qui veut l’ache­ter, et ache­ter du pain et du fromage avec ce qu’on a eu en échange. La monnaie et l’éco­no­mie moderne c’est exac­te­ment ça.

Est-ce qu’on peut vendre 117 milliards d’eu­ros d’ac­tions ? Le volume d’échange trimes­triel est bien au-delà de 30 000 milliards d’eu­ros. Ça passe inaperçu.

Est-ce qu’on peut vendre les 117 milliards d’eu­ros d’ac­tions LVMH de Bernard Arnault ? En consi­dé­rant que tout est en actions LVMH, ce qui est proba­ble­ment faux, ça repré­sente la 50% de la société. En une fois ça parait impos­sible.

Il s’échange toute­fois 60 milliards d’eu­ros d’ac­tions LVHM chaque année. Mettons qu’on peut augmen­ter les échanges de 5% sans provoquer une panique, on peut tout solder en 40 ans. Évidem­ment on peut aller plus vite si on accepte d’avoir une influence notable sur les cours (certai­ne­ment à la baisse).

Main­te­nant, si on veut s’ache­ter du pain et du fromage, on peut aussi se conten­ter des divi­dendes. De 2012 à 2018 LVMH a distri­bué des divi­dendes chaque année, pour une somme repré­sen­tant quelque chose comme 3,5% de la valeur moyenne de l’ac­tion sur l’an­née (je n’ai pas le chiffre exact, j’ai un ordre de gran­deur moyen calculé au jugé à partir de courbes).

Sur 117 milliards ça fait 4 milliards par an, en espèces sonnantes et trébu­chantes cette fois ci. Un sacré plateau de fromages.

— Mais c’est vola­tile, ça peut ne rien valoir demain !

Les inves­tis­seurs n’étant pas fous, ils tiennent compte de ça dans la valo­ri­sa­tion qui fonde leurs inten­tions d’achat et vente, donc dans le cours de bourse. Bref, c’est déjà inté­gré dans le calcul (en même temps que les espoirs de gains, parce qu’en ce moment LVMH semble plutôt au contraire croitre vite).

Mais, surtout, allez dire ça aux fonc­tion­naires qui voient leur point d’in­dice gelé. Ils vous explique­ront que même les euros n’ont pas une valeur si constante que ça en vue d’une conver­sion en pains et fromages.

Allez aussi voir les Espa­gnols, qui vous explique­ront la varia­tion de la valeur de leur maison. Allez voir les Chypriotes, qui ont vu une ponc­tion massive sur tous leurs comptes en banque pour éviter la faillite de ces dernières. Tiens, parlez aussi aux grecs (d’un peu tout).

Bref, oui, les valeurs asso­ciées aux choses changent avec le temps. La bourse est plus vola­tile que certains autres biens ou services mais ce n’est pas comme si le reste était stable. Les proba­bi­li­tés sont diffé­rentes mais les espoirs aussi. Comme nous disions, la valo­ri­sa­tion tient déjà compte de tout cela.

Et bon, on parle de vendre, donc les risques futurs concernent surtout les ache­teurs, pas le vendeur. Si vrai­ment ça ne valait rien, je suppose que de toutes façons Bernard Arnault n’au­rait pas de quoi se plaindre si on l’en spoliait ;-)


Note : Bien entendu qu’on ne propose concrè­te­ment pas de spolier Bernard Arnaud et liqui­der arbi­trai­re­ment son patri­moine de 117 milliards d’eu­ros là comme ça de but en blanc. La cita­tion géné­rique d’ori­gine permet de prendre conscience de ce que repré­sentent les nombres, puis discu­ter de répar­ti­tion et accu­mu­la­tion des richesses, de mérite indi­vi­duel, et du modèle de société que nous voulons.


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