Catégorie : Démocratie et institutions

  • La fin, les moyens, et la démo­cra­tie

    J’ai attendu un peu avant d’écrire ce billet sinon il risquait d’être inau­dible.

    Je sors mal à l’aise des moyens de lutte contre le vote d’ex­trême droite autour de moi. Des argu­ments liti­gieux contre la candi­date d’ex­trême droite, des trom­pe­ries pour espé­rer vicier le vote de ses élec­teurs, et des appels à ne pas corri­ger les critiques liti­gieuses envers elle, ou à ne pas poin­ter les problèmes chez son oppo­sant.

    La fin justi­fie-t-elle les moyens ?

    On ne peut pas sauver la démo­cra­tie en viciant l’élec­tion. Cher­cher à ce que certains élec­teurs votent de façon erro­née ou sur la base de mauvaises infor­ma­tions c’est forcé­ment cher­cher à sortir de la légi­ti­mité démo­cra­tique.

    Est-on prêt à usur­per le pouvoir, rompre à avec la démo­cra­tie, si ça permet d’évi­ter le fascisme ?

    Je laisse chacun répondre à cette ques­tion, tant qu’on ne se voile pas la face.

    Ce qui est certain pour moi c’est que dans ce cas on devrait au moins s’abs­te­nir de dire qu’on veut sauver ou défendre la démo­cra­tie. Dans ce cas on devrait au moins s’abs­te­nir de dire que ceux qu’on combat sont un danger pour la démo­cra­tie, la consti­tu­tion ou l’État de droit, parce qu’on ne ferait pas mieux de ce point de vue.

    Mon malaise vient de là : Les mêmes qui prétendent défendre la démo­cra­tie semblent accep­ter d’en sortir eux-mêmes, parce qu’eux ont raison et que les autres risquent d’être majo­ri­taires à avoir tort.

  • Comp­ta­bi­li­ser le vote blanc… mais pas plus

    Encore une péti­tion pour la comp­ta­bi­li­sa­tion du vote blanc. Je ne comprends toujours pas. L’idée de départ est sédui­sante mais dès qu’on fouille…

    Il faudrait comp­ta­bi­li­ser le vote blanc !

    Il l’est. Au dépouille­ment chacun pourra le consta­ter. On décompte aussi préci­sé­ment les votes blancs que les autres votes, avec un compte séparé, public, publié, au vote près.

    Ok, mais comme il n’y a pas de bulle­tin blanc, on ne peut pas voter blanc !

    On peut mettre son propre papier blanc, mais surtout on peut mettre une enve­loppe vide. Une enve­loppe vide est un vote blanc, compté comme tel. Sur les ordi­na­teurs de vote (il en reste malheu­reu­se­ment), le vote blanc fait expli­ci­te­ment partie des choix propo­sés.

    Ok, ils sont comp­ta­bi­li­sés, on peut voter blanc, mais à la TV ils présentent des pour­cen­tages sans les votes blancs !

    Oui, souvent, quoi qu’on voit passer de plus en plus de repré­sen­ta­tions pour mesu­rer l’abs­ten­tion. Le vote blanc est géné­ra­le­ment moins inté­res­sant car assez faible. S’il était de 10 % la TV en parle­rait certai­ne­ment plus.

    Les chiffres sont publics, au vote près. Il est possible à chacun de faire une repré­sen­ta­tion incluant les blancs, ou l’abs­ten­tion, ou ce qu’on veut. J’en ai d’ailleurs vu plusieurs passer.

    Toujours est-il que les chaines de TV sont libres et font bien les analyses avec les répar­ti­tions qu’elles souhaitent. Le problème n’est là ni dans le vote blanc ni dans sa comp­ta­bi­li­sa­tion.

    Oui mais il ne fait pas partie des suffrages expri­més !

    Il est dans les suffrages, comp­ta­bi­lisé. La notion de « suffrage exprimé » est juste une caté­go­ri­sa­tion arbi­traire qui veut dire « suffrages sans les blancs et les nuls ». Dire que ça n’in­clut pas les blancs, c’est une tauto­lo­gie. C’est un peu comme si on se plai­gnait que quelqu’un n’in­clut pas le PCF dans la répar­ti­tion des suffrages de droite.

    Mais du coup il ne sert à rien dans l’élec­tion !

    Oui. C’est même son rôle : Permettre à quelqu’un de ne pas s’ex­pri­mer (mais quand même aller voter, parce qu’on garan­tit le secret de ce choix de vote).

    Si on veut s’ex­pri­mer, il y a des bulle­tins avec des choses expri­mées dessus (pas forcé­ment ce qu’on veut, mais ça c’est discuté plus bas)

    Sauf qu’il exprime quelque chose, il devrait empê­cher l’élec­tion si [le blanc est majo­ri­taire] !

    Ah ? Mais si un élec­teur vote blanc, pourquoi imagi­ner qu’il exprime forcé­ment une volonté de recom­men­cer l’élec­tion ?

    Certains votent blanc par rejet du système lui-même, d’autres par rejet des choix propo­sés, d’autres parce qu’ils ne savent pas se déci­der, d’autres parce qu’ils n’ont pas d’avis, d’autres parce qu’ils ont un avis mais que plusieurs candi­dats leur vont, d’autres parce qu’ils ont une pres­sion sociale pour aller au bureau de vote mais n’ont pas envie de s’ex­pri­mer pour autant, d’au­tres…

    Prêter une inten­tion unique et spéci­fique au vote blanc c’est le prendre pour un bulle­tin avec quelque chose de précis écrit dessus. Ce n’est pas le cas.

    À dire vrai, si quelque chose devait relan­cer l’élec­tion, ce serait plutôt le décompte des votes nuls, soit parce qu’une majo­rité d’er­reurs de vote dénote un problème avec l’élec­tion, soit si on avait une majo­rité de votes expri­mant effec­ti­ve­ment quelque chose de commun même si ce n’est pas dans les choix propo­sés.

    Il faut juste une élec­tion avec de nouveaux candi­dats, ceux là n’ont pas su créer une adhé­sion.

    Outre le problème expli­cité dans le bloc précé­dent : Avec qui ? Qu’est-ce qui fait penser que ces nouveaux candi­dats auront plus d’adhé­sion ?

    Les candi­dats de l’élec­tion sont ceux qui ont gagné les primaires, ou ont eu le soutien de groupes de grande taille, ou sont sortis comme les plus propices dans les sondages dans leur base élec­to­rales. Ce sont objec­ti­ve­ment les meilleurs possibles pour porter les diffé­rentes voix. Pas les seuls, mais objec­ti­ve­ment parmi les meilleurs. Recom­men­cer avec d’autres c’est recom­men­cer avec ceux qui n’at­tei­gnaient même pas ces jalons, qui sont objec­ti­ve­ment moins bons à rempor­ter l’élec­tion et obte­nir l’adhé­sion. Selon toutes proba­bi­li­tés, ils auraient eu des scores encore plus faibles. Ne parlons même pas des élec­teurs qui vote­ront blanc la seconde fois parce qu’ils préfé­raient les candi­dats du premier vote, ou parce qu’ils sont contre l’idée de recom­men­cer l’élec­tion.

    Au bout d’un moment il y aura peut-être rési­gna­tion des élec­teurs à ne pas faire de rejet et à accep­ter un candi­dat, mais si c’est à la seconde ou à la troi­sième élec­tion, le candi­dat de ce moment là sera-t-il vrai­ment meilleur que celui qu’on aurait eu au premier tour et qui avait assez de soutien et d’adhé­sion pour se présen­ter à ce moment là ? Proba­ble­ment pas.

    Mais on ne peut pas accep­ter l’élec­tion d’un candi­dat majo­ri­tai­re­ment rejeté !

    Alors déjà on ne peut pas dire qu’il est majo­ri­tai­re­ment rejeté. Le blanc est loin d’être signi­fi­ca­tif aujourd’­hui, et même s’il l’était on ne sait toujours pas quelle propor­tion de ces blancs exprime un rejet. Juste­ment parce que ces votes sont… blancs.

    Ensuite c’est vicié, surtout sur une élec­tion à deux tours. On trou­vera toujours une coali­tion majo­ri­taire pour empê­cher le favori de gagner. Ça ne veut pas dire que cette coali­tion dégage un avis majo­ri­taire pour quoi que ce soit.

    Oui mais si on ne veut rien dans les choix propo­sés ?

    Comme il y a des opinions très diverses dans la popu­la­tion, tout le monde ne peut pas être en phase avec le choix final et c’est normal.

    La péti­tion actuelle en est une bonne illus­tra­tion. Elle tente de fédé­rer sur le mode « les résul­tats du second tour ne nous conviennent pas ». Soit, mais quand il y a 12 candi­dats au premier tour et 2 au second tour, c’est normal qu’une bonne partie des élec­teurs auraient préféré autre chose. Ça n’est pas une justi­fi­ca­tion pour bloquer le système.

    Si on est mino­ri­taire, alors on prend son mal en patience, et on donne sa voix à celui qui se reproche le plus de ses opinions, même s’il en est très loin (ça sera toujours mieux que quelqu’un qui est encore plus loin). Vous pouvez aussi ne pas voter ou voter blanc, si pour vous le résul­tat ne change rien.

    Si on appar­tient à un courant majo­ri­taire ou qui peut l’être, alors… on présente un candi­dat et on le fait arri­ver au second tour. Si c’est vrai­ment un courant majo­ri­taire, alors pourquoi ne pas le faire ? Les dates d’élec­tion sont connues à l’avance, il y a tout le temps de s’y prépa­rer.

    On aurait pu gagner si on avait été au second tour mais on n’a pas su s’unir…

    Le problème n’est alors pas le vote blanc et le recom­men­ce­ment de l’élec­tion mais le fonc­tion­ne­ment du scru­tin. Il y a de vraies initia­tives pour corri­ger le problème de la disper­sion des voix et du vote utile, dont la propo­si­tion d’uti­li­ser un scru­tin par vote majo­ri­taire.

    Et si on veut vrai­ment tout chan­ger, renver­ser la caste au pouvoir ?

    Réfor­miste ou révo­lu­tion­naire ?

    Réfor­miste, vous vous fédé­rez et faites élire votre candi­dat qui chan­gera tout, via les méca­nismes prévus pour chan­ger le système lui-même.

    Révo­lu­tion­naire, ben il faudra faire la révo­lu­tion, d’une façon ou d’une autre. Faire un vote blanc, recom­men­cer l’élec­tion puis quand même élire le premier à la seconde itéra­tion de l’élec­tion, ça ne va pas trop faire un révo­lu­tion.


    Et même avec tout ça, même si on comp­tait le vote blanc dans les suffrages expri­més, avec une propriété élimi­na­toire s’il arri­vait en tête, avec un blanc qui peine à atteindre 2 ou 5% aujourd’­hui, il est très discu­table d’ima­gi­ner qu’on ait réel­le­ment une majo­rité d’élec­teurs qui voudraient recom­men­cer avec d’autres candi­dats incon­nus, et qui préfé­re­raient ces nouveaux candi­dats. Rien ne le démontre aujourd’­hui, pas même un sondage. L’exemple de la Colom­bie, qui a ce vote blanc élimi­na­toire, ne pousse pas en ce sens.

    Il faut peut-être juste accep­ter qu’on se trouve dans la mino­rité, et jouer le jeu de la démo­cra­tie même quand les déci­sions prises ne sont pas les notres.

  • À quoi ressemblent vos feuilles de dépouille­ment

    Si vous avez déjà parti­cipé au dépouille­ment (*), vous avez proba­ble­ment eu dans les mains une feuille pour vous aider à faire les comptes de chaque vote.

    Hier soir j’ai décou­vert que ces feuilles ne sont pas norma­li­sées et qu’elles sont diffé­rentes partout.

    Je suis donc curieux. À quoi ressemble la votre ? En avez-vous une photo ? et sinon, pour­riez-vous la prendre en photo lors du dépouille­ment du second tour dans deux semaines ?


    Trois exemples d’hier mais visi­ble­ment ce ne sont pas les seuls :


    (*) Si vous n’avez jamais fait de dépouille­ment, propo­sez-vous dans deux semaines. Il suffit d’en parler au bureau de vote. Il n’y a aucun autre pré-requis admi­nis­tra­tif que d’être élec­teur de la commune.

    Comme c’est un second tour avec juste deux noms, ce sera assez rapide et ça vous permet­tra de voir comment fonc­tionne notre proces­sus démo­cra­tique, et pourquoi on ne peut pas rempla­cer le papier par l’élec­tro­nique sans dégra­der beau­coup le système.

    C’est vrai­ment quelque chose à faire au moins une fois. Consi­dé­rez ça comme un devoir démo­cra­tique.

  • Absten­tion et vote élec­tro­nique

    Je pour­rais me conten­ter de poin­ter que, là où il y a vote élec­tro­nique (les quelques bureaux avec encore des machines locales, ou les français de l’étran­ger), il n’y a pas de taux de parti­ci­pa­tion signi­fi­ca­ti­ve­ment plus forte.

    Je vais quand même ajou­ter une évidence.

    Il y a des excep­tions mais la plupart des français de métro­pole sont 10 minutes de leur bureau de vote, 15 maxi­mum, bureau dans lequel ils reste­ront proba­ble­ment moins de 10 minutes.

    Si ces personnes ne sont pas prêtes à inves­tir en 2× 30 minutes par an pour déter­mi­ner l’ave­nir du pays et de leurs collec­ti­vi­tés, le problème n’est pas dans la présence ou l’ab­sence d’une app de vote sur leur smart­phone.

    Mépri­ser les autres en les trai­tant impli­ci­te­ment de flem­mards n’y chan­gera rien.

    Vu le désa­li­gne­ment entre le corps poli­tique et les citoyens, la propor­tion de non-adhé­sion avec les déci­sions prises, le senti­ment d’im­puis­sance et d’ab­sence de contrôle sur ces déci­sions, le manque de diver­sité dans l’offre poli­tique et de repré­sen­ta­tion de cette diver­sité au niveau des instances élues, le nombre de personnes qui se sentent tota­le­ment lâchées voire exclues par l’ad­mi­nis­tra­tion, la verti­ca­lité du fonc­tion­ne­ment réel du pouvoir en Fran­ce… croire que la ques­tion vient du vote élec­tro­nique est surtout très satis­fai­sant pour ne pas se remettre en cause.

    Et si plutôt on mettait en œuvre un vrai chan­tier démo­cra­tique ? Et si on s’as­su­rait d’uti­li­ser autre chose que des scru­tins majo­ri­taires à deux tours pour notre repré­sen­ta­tion ?

    Je vous vois venir, à me dire que ce n’est pas ça qui est vrai­ment le problème, tant que les gens ne s’in­té­ressent pas à la poli­tique.

    On a eu ces dernières années un enga­ge­ment majeur de la popu­la­tion au niveau poli­tique. On a eu tout le mouve­ment des gilets jaunes dont la propo­si­tion phare était le réfé­ren­dum d’ini­tia­tive citoyenne pour avoir une parti­ci­pa­tion directe dans la vie poli­tique. On a eu des mouve­ments sociaux qui portaient de vrais messages poli­tiques sur les retraites ou les liber­tés. On a eu des péti­tions qui ont enfin passé les quorums néces­saires pour impo­ser des inscrip­tions à l’ordre du jour parle­men­taire.

    Croire que l’abs­ten­tion relève du désin­té­rêt de la vie publique et des ques­tions poli­tique c’est se mettre le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

    Le fond c’est au contraire que la poli­tique ne les laisse pas s’y impliquer autre­ment que comme on leur dit, en glis­sant une fois de temps en temps un chèque en blanc pour des partis dont ils ne veulent majo­ri­tai­re­ment pas (ce n’est pas une opinion, ce sont les chiffres réels des élec­tions), en votant pour l’un afin surtout de reje­ter l’autre. Faire ce chèque en blanc par inter­net risque de ne pas chan­ger fonda­men­ta­le­ment le problème.

  • Oui mais l’Es­to­nie…

    L’Es­to­nie utilise massi­ve­ment le vote élec­tro­nique pour ses élec­tions. C’est un peu vu comme le joker dès qu’on parle de vote élec­tro­nique et de ses diffi­cul­tés. « L’Es­to­nie y arrive bien », en oubliant que c’est quasi­ment le seul pays avec la Corée du sud à avan­cer sérieu­se­ment sur cette voie, les autres ayant fait machine arrière, ou sont au mieux restés sur un status quo défec­tueux.

    L’Es­to­nie propose en effet le vote élec­tro­nique en paral­lèle du bulle­tin papier depuis 2005. L’élec­teur choisi ce qu’il utilise, sachant qu’un vote papier annule le vote élec­tro­nique corres­pon­dant. Le contexte est parti­cu­liè­re­ment favo­rable puisque l’ac­cès à Inter­net y est consi­déré comme un droit social. Aux dernières élec­tions c’est quasi­ment la moitié des votants qui utilisent la procé­dure par Inter­net.

    Encou­ra­geant mais c’est une histoire qui n’a pas été toute rose.

    En 2011 Paavo Pihel­gas a prouvé qu’il était possible de chan­ger le vote d’un élec­teur sans que celui-ci ne le remarque. La véri­fia­bi­lité du vote par l’élec­teur n’existe que depuis 2013. Elle est de plus limi­tée dans le temps et ne garan­tit pas la prise en compte dans le résul­tat. Elle sert juste à véri­fier que le logi­ciel utilisé par le votant n’a pas envoyé un vote diffé­rent de celui souhaité.

    Le logi­ciel serveur n’était pas ouvert avant 2013. Le logi­ciel client ne l’est toujours pas aujourd’­hui, par choix.

    Une équipe d’ex­perts inter­na­tio­nale a montré en 2014 des défaillances abon­dantes dans les proces­sus, des vulné­ra­bi­li­tés graves, un modèle de sécu­rité obso­lète, un manque de trans­pa­rence et des attaques possibles de grande enver­gure pour modi­fier l’élec­tion à la fois côté client et côté serveur.

    Le système prétend avoir une véri­fia­bi­lité de bout en bout depuis 2017 mais une équipe de cher­cheurs inter­na­tio­naux a contesté cette affir­ma­tion depuis.

    Plus globa­le­ment, la commis­sion d’ob­ser­va­tion élec­to­rale a émis des inquié­tudes avec des points à corri­ger régu­liè­re­ment (2007, 2011, 2013, 2015). C’est toujours un débat public en 2019 jusqu’au ministre des nouvelles tech­no­lo­gies.

    Pour termi­ner par une vraie note posi­tive : Le système semble faire l’objet d’un débat public construc­tif perma­nent, et évolue en réponse. Rien que ça est une réus­site sociale comme on en a peu chez nous. Ça mérite d’être souli­gné.

    Et tech­nique­ment ?

    Ils utilisent la crypto de leur carte à puce qui leur sert de carte d’iden­tité et d’à peu près tout, y compris pour des prêts bancaires.

    Leur vote a une double enve­loppe. L’en­ve­loppe externe, chif­frée, est signée pour iden­ti­fier l’élec­teur. Elle contient elle-même le vote chif­fré. Les serveurs de vote ont la première clef (iden­ti­fier le votant) mais pas la seconde. Les signa­tures sont reti­rées des votes avant l’étape de dépouille­ment, assu­rant une isola­tion théo­rique entre les iden­ti­tés et les votes.

    Depuis 2017 le dépouille­ment utilise les proprié­tés homo­morphes du chif­fre­ment comme le fait Helios, mais ils conti­nuent aussi de déchif­frer les votes pour les comp­ter en plus à l’an­cienne en paral­lèle.

    L’État esto­nien est maître du système

    Le logi­ciel client n’est même pas open source. Même si ça ne garan­tit pas tout, on n’a pas le mini­mum. C’est impor­tant parce que le système permet plusieurs votes du même élec­teur, seul le dernier étant pris en compte. C’est vu comme une défense contre la contrainte (si tu es contraint, tu peux revo­ter derrière). Un second mali­cieux vote peut très bien être envoyé après celui de l’élec­teur, à son insu, et rempla­cer l’ori­gi­nal.

    La sépa­ra­tion entre les iden­ti­tés et les votes est théo­rique. Une fois le vote envoyé il faut faire confiance au serveur pour respec­ter le code source public et effec­ti­ve­ment reti­rer les iden­ti­tés avant les dépouille­ments (et contrai­re­ment à Elios, ils déchiffrent les votes eux-mêmes). Rien ne le garan­tit.

    La clef de déchif­fre­ment des votes eux-mêmes n’est pas parta­gée entre diffé­rents acteurs aux inté­rêts diver­gents et est donc parti­cu­liè­re­ment sensible aux malver­sa­tions (encore plus que ce qui est décrit pour Helios).

    Enfin, il n’y a aucune véri­fia­bi­lité publique. Si on parle de chif­fre­ment homo­mor­phique comme Helios, l’urne n’est pas publique et seules les auto­ri­tés en place et personnes dési­gnées par elles ont le droit de procé­der à une véri­fi­ca­tion du dépouille­ment.

    Le proces­sus est parfait tant que tout le monde est de bonne foi et se fait confiance mais…

    En pratique, les auto­ri­tés esto­niennes ont la capa­cité d’igno­rer des votes, d’en rempla­cer, ou de cher­cher qui a voté quoi.

    Il ne faut comp­ter que sur leur promesse de ne pas le faire.

    Sachant que le gouver­ne­ment, en coali­tion avec l’ex­trême droite, est tombé en début d’an­née pour des scan­dales de corrup­tion, on peut consi­dé­rer que les choix esto­niens ne sont pas sans risques.


    Afin de modé­rer toute­fois, et pour reprendre une conclu­sion simi­laire à celle de l’ar­ticle sur Helios. Un système répond à des besoins et un contexte spéci­fiques.

    Je ne juge pas leurs choix, ne connais­sant ni leur histoire ni leurs enjeux spéci­fiques. Je tiens aussi beau­coup à l’au­to­dé­ter­mi­na­tion démo­cra­tique et je n’ai pas à leur impo­ser un choix que je trouve meilleur.

    Je ne prétends pas non plus que tous les pays avec du papier font mieux. Je peux par contre affir­mer le système papier français est bien plus sûr que l’éven­tuelle trans­po­si­tion du système élec­tro­nique esto­nien en France, et que ce dernier est très loin de me faire rêver.

  • Parlons un peu Helios

    Helios fait à ma connais­sance partie des systèmes les plus avan­cés pour du vote élec­tro­nique. On l’avait mentionné briè­ve­ment ici il y a deux ans dans les discus­sions au sujet du vote élec­tro­nique mais je ne crois pas qu’il y ait eu de révo­lu­tion depuis. Bele­nios semble appor­ter des réponses à quelques objec­tions ci-dessous mais je n’ai pas encore inté­gré tout ça. J’ai vu aussi Civi­tas qui semble répondre à d’autres point, mais je n’ai pas encore étudié ce dernier non plus. Ce qui semble toute­fois certain, c’est que le système parfait n’existe toute­fois pas.

    Helios garan­tit à la fois le secret et la véri­fia­bi­lité

    Je crois que c’est ce qui m’a le plus retourné l’es­prit la première fois. On se base sur de la cryp­to­gra­phie. On envoie dans l’urne un vote chif­fré.

    La crypto permet de créer une preuve de vali­dité, c’est à dire prou­ver que notre vote chif­fré contient bien une valeur auto­ri­sée, sans pour autant révé­ler la valeur du dit vote. On ajoute cette preuve de vali­dité (véri­fiable par chacun) à l’urne avec son vote.

    La liste des votes chif­frés est elle-même publique. On peut véri­fier que son vote est pris en compte sans modi­fi­ca­tion, et véri­fier qu’on n’a pas ajouté de votes (au prix d’une divul­ga­tion des listes d’émar­ge­ment).

    Au dépouille­ment on utilise les proprié­tés homo­morphes du chif­fre­ment. En gros ça permet de faire des calculs à partir des données chif­frées sans les déchif­frer. C’est juste que le résul­tat est chif­fré lui aussi.

    Là on déchiffre ce résul­tat (et unique­ment le résul­tat) et on créé une preuve cryp­to­gra­phique que ce qu’on annonce corres­pond bien au résul­tat chif­fré. Les votes n’ont été révé­lés à personne et la clef de chif­fre­ment n’a jamais été publique.

    Magique non ?

    Ok, donc on sait faire,
    où est le loup ?

    Il n’y a pas de loup. C’est vrai­ment génial, on peut faire des trucs de dingues en crypto. C’est juste que la problé­ma­tique plus large que celle décrite.

    In our opinion, none of the exis­ting voting schemes achieve the same level of secu­rity guaran­tees than tradi­tio­nal on-site paper voting (as it is orga­ni­zed in France for example).

    FAQ de Bele­nios

    En premier lieu, tout repose sur une clef cryp­to­gra­phique. Il faut faire confiance à qui génère et détient cette clef. Il faut aussi faire confiance au maté­riel et au logi­ciel qui génèrent et mani­pulent cette clef. Il faut aussi faire confiance la sécu­rité du stockage de cette clef. Si cette confiance est mal placée, ce sont les votes de tout le monde, nomi­na­ti­ve­ment, qui sont désor­mais connus.

    Les systèmes proposent de répar­tir la clef chez plusieurs tiers de confiance après géné­ra­tion. C’est bien, mais ça ne répond fina­le­ment qu’à une toute petite partie du problème.

    Ouch !

    C’est vrai aussi pour le votant. Il réalise son vote sur un ordi­na­teur qui réalise les opéra­tions cryp­to­gra­phiques. Il lui faudra faire confiance dans le maté­riel et le logi­ciel utili­sés. La sécu­rité du maté­riel person­nel est une douce illu­sion. La sécu­rité d’un maté­riel géré par l’État (qui impose donc de se dépla­cer en local) pose au mini­mum une ques­tion de confiance (en l’État, ses pres­ta­taires) mais aussi de sécu­rité (sa sécu­rité et celle des autres pres­ta­taires, vis à vis d’autres États, ce qui est loin d’être si évident que ça). Si cette confiance est mal placée, le vote peut être divul­gué, ou peut-être même que le vote enre­gis­tré dans l’urne ne corres­pon­dra pas à ce que l’élec­teur a réel­le­ment choisi.

    Aie !

    Si on parle de vote à distance – qui est quand même un des avan­tages attendu du vote élec­tro­nique – on ajoute aussi la possi­bi­lité de contrainte ou d’achat de vote. Ça existe déjà sur nos urnes trans­pa­rentes, mais à une échelle qui ne peut pas être massive. La contrainte est diffi­cile sans procu­ra­tion et on ne peut avoir qu’une procu­ra­tion par personne. Il y a eu des histoires d’achat de vote mais fina­le­ment chacun reste libre dans l’iso­loir.

    En fait le système Helios faci­lite l’achat ou la contrainte parce qu’un tiers peut impo­ser au votant de four­nir un élément qui lui permet­tra de déchif­frer le vote dans l’urne publique. Bref, on a un outil qui permet poten­tiel­le­ment de la contrainte de vote massive.

    Ouille !

    Enfin, même une fois dépassé tout ça, l’élec­teur doit quand même faire confiance globa­le­ment dans tout le système. Le système d’urne trans­pa­rente peut être compris et véri­fié par chacun, jusqu’à mon fils de 9 ans. La cryp­to­gra­phie ne l’est pas. Les élec­teurs ne peuvent que confir­mer que le logi­ciel qu’ils ont entre les mains donne le même résul­tat que celui annoncé, et doivent faire confiance à ce logi­ciel.

    Même si le logi­ciel était réim­plé­menté par des personnes de confiance, seule une toute petite mino­rité a la connais­sance pour comprendre et véri­fier le méca­nisme cryp­to­gra­phique théo­rique pour s’as­su­rer qu’il est fiable.

    Honnê­te­ment, je suis dans la tech­nique infor­ma­tique, proche des milieux sensibles à la vie privée et à la crypto, mais je ne crois pas connaître quelqu’un qui saurait prou­ver mathé­ma­tique­ment avec un bon niveau de confiance la soli­dité des algo­rithmes en jeu.

    Quand on voit la défiance vis à vis des vaccins ou même sur la forme de la terre, autant dire qu’on court à la catas­trophe si on croit que « faites confiance aux experts » est une bonne réponse.

    Ache­vez-moi.

    Même après tout ça, la recherche avance. Je ne vais pas parler de casser la crypto d’aujourd’­hui avec des ordi­na­teurs quan­tiques. C’est un domaine que je ne connais pas du tout. On a par contre un assez bon histo­rique pour iden­ti­fier le risque sérieux que ce qu’on chiffre aujourd’­hui soit déchif­frable dans 10, 20 ou 30 ans.

    20 ans ça parait long mais je ne sais pas ce que sera notre pays, qui sera au pouvoir et ce qu’ils pour­raient en faire. Si demain on a un pouvoir auto­ri­taire, savoir qu’aujourd’­hui j’ai voté X ou Y pour­rait me coûter ma vie. La France était en guerre avec tortures et crimes contre l’hu­ma­nité sur son sol il y a encore 60 ans.

    Gloups.

    Même plus modé­ré­ment, je ne veux pas que mon voisin sache pour qui j’ai voté il y a 20 ans. C’est ma tranquillité qui est en jeu. Je ne veux pas que je ne sais quelle entre­prise de marke­ting l’uti­lise pour du profi­lage. Le secret du vote m’est essen­tiel.

    Mais alors,
    faut-il tout jeter ?

    Certai­ne­ment pas !

    On peut encore inven­ter des choses, même si pour l’ins­tant on a l’im­pres­sion que la boite noire qu’est l’élec­tro­nique laisse peu de place aux objec­tions levées plus haut. Le problème n’est pas théo­rique, il est pratique, à cause de la complexité en jeu.

    Ça dépend de ce qu’on vise.

    On sait désor­mais que le maté­riel peut être compro­mis à la source, avant même d’être utilisé, soit par le construc­teur, soit par un acteur étatique tiers. C’est jouable pour influen­cer une élec­tion natio­nale. C’est plus ridi­cule pour l’élec­tion des parents d’élèves de l’école primaire de Trifouilli-les-oies.

    Ça dépend aussi des risques et de ce qu’on remplace.

    On vote par exemple à distance pour les français de l’étran­ger. C’est un compro­mis faute de meilleure solu­tion et parce que les risques sont limi­tés. Ces votes sont suffi­sam­ment faibles dans l’en­semble natio­nal pour que proba­ble­ment ce risque ne soit pas déter­mi­nant. On donne d’ailleurs souvent les résul­tats avant que certaines zones non métro­po­li­taines n’aient fini de voter ou d’être comp­ta­bi­li­sées. C’est dire…

    La Suisse le consi­dère d’ailleurs de façon inté­res­sante. Les garan­ties deman­dées pour un système ne sont pas les mêmes suivant qu’il peut concer­ner moins de 30%, entre 30 et 50%, ou plus de 50% des votants.

    Ce pour­rait être aussi une solu­tion sur un pays avec des corrup­tions locales telles que les risques de mani­pu­la­tions d’urnes seraient plus impor­tants que celles de mani­pu­la­tions infor­ma­tiques, ou pour un pays en désor­ga­ni­sa­tion géné­rale sur le terrain suite à une catas­trophe, ou que sais-je encore.

    C’est un équi­libre des risques et des béné­fices, en fonc­tion des alter­na­tives. Aujourd’­hui il s’avère juste qu’on a en France une alter­na­tive sûre, simple, effi­cace, d’un coût accep­table, et compré­hen­sible par tous. La barrière à l’en­trée est donc très haute, et le vote élec­tro­nique ne la passe pas, pas tel qu’on sait le conce­voir aujourd’­hui.


    Note : On parle de sujet complexes (c’est d’ailleurs un des problèmes). Si je me trompe, ou s’il existe des parades à mes objec­tions, ou si vous avez des données complé­men­taires, vous êtes plus que bien­venu à commen­ter et ajou­ter à l’in­for­ma­tion.
    Je corri­ge­rai mon propre texte le cas échéant.
    Je vous demande juste d’être construc­tif et de me donner les liens vers les infor­ma­tions détaillées pour que je puisse les consul­ter.

  • Para­doxe de Simp­son

    Rien de plus louche qu’un redé­cou­page élec­to­ral fait en sous-marin, surtout quand il s’ac­com­pagne d’un chan­ge­ment de fonc­tion­ne­ment du scru­tin.

    Vous pouvez être certains qu’il y a une exploi­ta­tion inten­sive du para­doxe de Simp­son.

    Le para­doxe de Simp­son c’est profi­ter d’un décou­page des échan­tillons pour détour­ner le résul­tat d’un vote.

    Un petit exemple graphique vaut mille discours. On part donc d’un terri­toire avec 37 votants, 16 bleus et 19 rouges, répar­tis sans dispro­por­tion exces­sive.

    Forcé­ment, sur une élec­tion on se dit que les rouges vont gagner, non ?

    Avec une élec­tion pure­ment propor­tion­nelle sur tout le terri­toire, ce serait le cas. Imagi­nons qu’on veuille dési­gner une assem­blée de plusieurs élus. Pour qu’elle repré­sente à la fois les élec­teurs et les régions des élec­teurs, on choi­sit de décou­per le terri­toire en 3 régions et d’élire un repré­sen­tant par région.

    Imagi­nez que c’est un parti­san des bleus qui fasse le décou­page. Que croyez-vous qu’il puisse arri­ver ?

    Oui, 2 régions aux bleus, une région aux rouge.

    Si l’as­sem­blée fonc­tionne elle-même à la propor­tion­nelle, les bleus ont le pouvoir de tout déci­der seuls alors qu’ils sont théo­rique­ment mino­ri­taire.

    Déran­geant n’est-ce pas ? Et pour­tant, ce mode d’élec­tion ne vous rappelle-t-il rien ?

    Un autre arran­ge­ment aurait pu attri­buer la tota­lité des repré­sen­tants aux rouges, lais­sant les bleus sans aucun repré­sen­tant.

    La seule diffé­rence tient à qui fait le décou­page.

    Ne croyez pas que les exemples soient gros­siers et tirés par les cheveux. Nos circons­crip­tions élec­to­rales sont bien plus tordues que mes simples lignes droites, et leur compo­si­tion bien moins homo­gène que mon exemple.

    Un système à deux tours ouvre encore plus de possi­bi­li­tés de mani­pu­la­tion. Si ça vous amuse vous pouvez mettre des rouges clairs et rouges foncés, des bleus clairs et bleus foncés pour repré­sen­ter les divi­sions au sein de chaque couleur. Clairs et foncés vote­ront chacun pour eux au premier tour mais se rassem­ble­ront au second tour.

    Au final c’est juste un jeu savant à base d’énormes grilles de chiffres mais qui peut se biai­ser bien plus forte­ment que mon simple exemple ne le laisse croire.

    Évidem­ment chaque redé­cou­page sera publique­ment motivé par des ques­tions démo­gra­phiques, des ques­tions de repré­sen­ta­tion de terri­toire, des équi­libre ville/campagne, etc. En réalité les critères, leur pondé­ra­tion et la façon dont on les prend en compte reste­ront guidé par nos tableaux de chiffres et le para­doxe de Simp­son.

    Au mieux on peut avoir des accords entre les plus grandes forces en présence en fonc­tion de leur propre poids dans le bras de fer du moment et de leurs espoirs pour le futur.


    TL;DR: Le décou­page élec­to­ral ne fait que révé­ler le choix de celui qui découpe. Le système majo­ri­taire à deux tours ne fait que lui faci­li­ter le travail.

  • Une dicta­ture ?

    Dans la suite je ne réduis pas ce terme à un modèle de type Corée du nord. Pour réflé­chir je reviens à la source, et aux défi­ni­tions de diction­naire :

    Régime poli­tique dans lequel le pouvoir est entre les mains d’un seul homme ou d’un groupe restreint qui en use de manière discré­tion­naire

    TLFi, via le CNRTL

    La France sépare ses pouvoirs. En cela personne ne détient le pouvoir au sens de pouvoir absolu.

    Pour autant, nous n’en sommes pas si loin à cause de délé­ga­tion à plusieurs niveaux.

    Niveau 1 : Au sein de chaque circons­crip­tion, le candi­dat gagnant a en géné­ral 30 à 40% des votes au premier tour. Ces 40% de votants sont ceux qui auront le pouvoir, à eux seuls.

    Niveau 2 : Ces dépu­tés votent à la majo­rité au sein de l’As­sem­blée natio­nale. La majo­rité ne tient pas forcé­ment à grand chose. Mettons qu’elle repré­sente 60% de l’as­sem­blée, le pouvoir est donc au main de 60% des 40% des votants.

    Niveau 3 : Tous les dépu­tés ne votent pas à chaque fois. L’as­sem­blée est rare­ment remplie. Nous avons en réalité une mino­rité des 60% des 40% des votants qui décide réel­le­ment.

    Ce sont des accords tacites en amont mais ça fonc­tionne aussi parce qu’il y a des votes par groupes. La disci­pline y est forte. Mettons le cas idéal où le groupe fonc­tionne lui-même à la majo­rité, la déci­sion revient à la majo­rité de 60% de 40% des votants.

    Niveau 4 : La réalité est plus complexe. Le groupe est en réalité très dirigé par le parti et le gouver­ne­ment. Avec la coor­di­na­tion des élec­tions prési­den­tielles et légis­la­tives, le président est faci­le­ment celui qui contrôle l’exé­cu­tif, le parti, et plus ou moins indi­rec­te­ment qui décide de ce que doit voter le groupe majo­ri­taire.

    Dès lors, une personne ou un groupe restreint de personnes dirige la majo­rité de 60% de 40% des votants. Ce même groupe dirige aussi tout l’exé­cu­tif.


    On ne contrôle pas le judi­ciaire, mais peut-on dire tout de même que le pouvoir est entre les mains d’un groupe restreint ?

    Reste le qui en use de manière discré­tion­naire. Nous avons une consti­tu­tion. Ce n’est pas rien, je ne l’ou­blie pas, mais ça laisse encore une marge de manœuvre très très large.

    Est-ce que ça corres­pond assez pour parler de dicta­ture ? (*)

    Je ne sais pas, mais on s’en approche proba­ble­ment assez pour éviter de trop faire les malins et se conten­ter de dire « nous ne sommes pas la Corée du nord » (ce qui est vrai)

  • Tout faire à l’en­vers

    Plus je regarde dans les couches sociales hautes, plus j’y trouve de la détes­ta­tion de la démo­cra­tie en mode « oui bien sûr, mais pas là ».

    « Le sujet est trop sérieux », ou trop complexe, demande trop de temps, trop de connais­sances, d’avoir une vision ou une réflexion pous­sée.

    Peu importe le sujet, tous tombent dans cette case, excepté ce qui est à la fois simpliste et sans impor­tance.


    Parce qu’il le faut, parce qu’ils se sentent obli­gés d’être « pour la démo­cra­tie » au moins en théo­rie et sur le papier, ils veulent bien consen­tir à un vote de repré­sen­tant tous les cinq ans.

    Même là, c’est unique­ment à grand renfort de mépris pour tous ces idiots qui votent mal, trop à droite ou trop à gauche, même si ensemble ces mauvais votants sont majo­ri­taires.

    Heureu­se­ment donc qu’on ne laisse pas à ces mécréants les moyens de réel­le­ment déci­der de quoi que ce soit…


    Si ça râle trop, on orga­nise des consul­ta­tions publiques, des débats. On fait des discours et des expli­ca­tions péda­go­giques.

    Surtout, rien qui ne permette de parta­ger un peu la prise de déci­sion elle-même. Là c’est trop sérieux.

    Dès que certains forcent le passage, mani­fes­ta­tions, presse enga­gée ou mili­tan­tisme, alors on écrase.

    On leur permet déjà de parler dans le vent et de voter une fois tous les cinq ans. S’ils n’y trouvent pas leur compte, qu’ils comparent donc à la Chine et à la Corée, ils verront !


    Pour moi être atta­ché à la démo­cra­tie c’est juger la légi­ti­mité d’une déci­sion à l’aune de la volonté du peuple – par sa majo­rité, par son consen­sus, ou tout autre proces­sus qui ne laisse pas une mino­rité déci­der – et pas en évaluant le bien-fondé objec­tif de cette déci­sion.

    Vouloir une struc­ture qui met en avant le bien-fondé des déci­sions est tentant, mais c’est oublier qui est juge de ce bien-fondé et sur quels critères.

    Le diable c’est que les critères et leur impor­tance sont diffé­rents pour chacun. Le choix de ces critères et du modèle de société n’a aucune « meilleure solu­tion » objec­tive. Personne n’a raison sur ce point car c’est juste un choix.

    La poli­tique c’est ça. Le reste c’est de la gestion et de l’in­ten­dance.


    Quand une personne proche du pouvoir vous dit qu’on a objec­ti­ve­ment pris la meilleure déci­sion, il parle de gestion.

    Quand on vous parle de gestion, on vous masque les critères d’éva­lua­tion de cette bonne gestion et des déci­sions qui en découlent. Le choix de ces critères d’éva­lua­tion, des valeurs qui les soutiennent, est lui tota­le­ment arbi­traire et n’a rien d’objec­tif.

    C’est là que le pouvoir se trouve, là qu’il est dérobé.


    C’est pour ça que réser­ver le pouvoir à ceux qui ont l’ex­per­tise, le temps ou l’in­tel­lect est une arnaque.

    Ils peuvent prendre les meilleures déci­sions de gestion et d’in­ten­dance, mais ce faisant ils prennent surtout à notre place les vrais choix poli­tiques en amont, ceux là même qui devraient être pris en commun.

    Ces gouver­ne­ments d’élites, élus gestion­naires et démo­cra­ties d’ex­perts ou de savants me font peur parce que ça revient à tuer la démo­cra­tie pour n’en garder que l’image.

    Nous sommes déjà sur le chemin, à nous de ne pas conti­nuer, de ne pas nous lais­ser prendre par le mirage.


    Les experts, les gestion­naires, les savants, les élites sont impor­tants. Ils sont là pour infor­mer, pour réflé­chir et analy­ser, pour propo­ser des solu­tions.

    Le choix, la déci­sion, l’ar­bi­trage de ce qu’on souhaite ou pas, il doit être dans les mains de tous, y compris et surtout ceux qui n’ap­par­tiennent pas aux caté­go­ries sus-citées, ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’in­fluen­cer le cap.

    Aujourd’­hui nos élus promeuvent l’in­verse, en opérant des consul­ta­tions et des débats publics, mais en réser­vant la déci­sion à une élite qui elle même se base sur les experts qu’elle aura choisi.

    Nous faisons tout à l’en­vers, ne nous éton­nons pas que cela ne fonc­tionne pas.

  • Petite revue de presse pour faire peur

    Ou pour prendre conscience et cher­cher comment (ré)agir. Édition du 3 juillet 2019.

    Je ne sais pas vous mais je commence à ne plus rigo­ler du tout.

    On parle là de droits fonda­men­taux, et de problèmes qui ne sont plus des petits déra­pages indi­vi­duels.

    On parle de problèmes struc­tu­rels sur toute la chaîne de la repré­sen­ta­tion publique, du poli­cier sur le terrain jusqu’au préfet et au ministre.

    On parle de ce qui ne peut plus être autre chose que l’ex­pres­sion de direc­tives et d’une volonté. Même le simple lais­ser faire conscient n’est plus crédible.