Auteur/autrice : Éric

  • Proté­ger dans le respect des liber­tés – argu­men­taire

    Projet de loi renseignement - Protéger dans le respect des libertésLe PS vient de publier son argu­men­taire marke­ting pour le soutien au projet de loi rensei­gne­ment. Déco­dage.

    La loi renseignement, annoncée par François Hollande en juillet 2014 n’est pas une loi de circonstance, mais l’aboutissement d’une réflexion approfondie à la suite du rapport des parlementaires J.J. Urvoas et P. Verchère en 2013. Les attentats de janvier 2015 ont accéléré le calendrier en raison de l’urgence pour notre pays de se doter de moyens modernes et efficaces pour prévenir notamment les actes de terrorisme. L’engagement international de la France en fait plus que jamais une cible.Le fait que les atten­tats de janvier 2015 n’au­raient proba­ble­ment pas été empê­chés avec la surveillance que nous prévoyons ici ne semble inter­pe­ler personne.

    En réalité le rapport de 2013 a déjà mené à la loi de program­ma­tion mili­taire de fin 2013, avec déjà des dispo­si­tions large­ment limite vis à vis des liber­tés publiques et parti­cu­liè­re­ment de la liberté d’ex­pres­sion.

    Il s’agit juste ici de profi­ter de l’in­di­gna­tion pour faire passer d’autres dispo­si­tions que l’opi­nion poli­tique n’ac­cep­te­rait jamais à froid. Il y a donc effec­ti­ve­ment urgence, mais pas celle qu’on croit.

    RENFORCER L’ACTION DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT - La France est l’une des dernières démocraties à ne pas avoir de cadre juridique pour structurer les activités de ses services de renseignements. Ce vide fragilise potentiellement les libertés individuelles en même temps que les agents de ces services dans leur action quotidienneIl n’y avait aucun « vide », juste des lois que les services de rensei­gne­ment ne respec­taient pas, en toute impu­nité. On avouera que c’est nette­ment diffé­rent. On peut dire que ça fragi­li­sait l’ac­ti­vité des agents, de la même manière que l’in­ter­dic­tion du vol fragi­lise l’ac­ti­vité des voleurs.

    En tout état de cause, cela ne fragi­li­sait en rien les liber­tés indi­vi­duelles, qui elles étaient juste­ment plei­ne­ment proté­gées. C’est juste­ment ce qui va chan­ger.

    1/Les limites du droit actuel. La seule législation encadrant certaines activités de renseignement est la loi de juillet 1991, pour les seules écoutes téléphoniques. Elle a été adoptée bien avant l’essor de l’Internet et de la téléphonie mobile, ce qui rend aujourd’hui, les possibilités d’action des services très limitées.Donc, repre­nons : On nous dit qu’il y a un vide qu’il est urgent de remplir, avant de nous dire qu’en fait non il y a bien un cadre exis­tant au moins depuis 1991 mais limité car ne prévoyant pas la télé­pho­nie mobile, et ce malgré l’en­cart qui rappelle le cadre de 2013 qui auto­rise l’ac­cès à toutes les données tech­niques de connexion et à la géolo­ca­li­sa­tion en temps réel des télé­phones portables.

    Vous le voyez qu’on essaye de nous enfu­mer là ? Trois para­graphes qui se suivent, qui contre­disent chacun l’ar­gu­ment précé­dent.

    Le problème n’est pas de fixer un cadre. Il n’est pas non plus celui de la télé­pho­nie mobile. Le problème c’est d’au­to­ri­ser ce qui était expli­ci­te­ment illé­gal, donc aller instal­ler des outils d’ana­lyse de masse direc­te­ment chez les opéra­teurs.

    Les services pourront toujours mettre en œuvre des interceptions de sécurité et solliciter des données de connexion. Des algorithmes pourront être installés sur les réseaux des opérateurs et fournisseurs d’accès afin de détecter l’organisation de projets terroristes. Certaines techniques aujourd’hui exclusivement employées par la police judiciaire à des fins répressives pourront être utilisées dans un but préventif (balisage de véhicules, prises de sons et d’images dans des lieux privés, captation des données informatiques) sous le contrôle du juge administratif. L’administration pénitentiaire sera également dotée de ces moyens de surveillance pour l’accomplissement de ces missions en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.Il y a 10 ans, on aurait parlé de pédo­por­no­gra­phie pour faire peur. Aujourd’­hui c’est de terro­risme. Donc, on parle de terro­risme, oui, mais aussi (entre autres) :

    Des inté­rêts essen­tiels de la poli­tique étran­gère et de l’exé­cu­tion des enga­ge­ments euro­péens et inter­na­tio­naux de la France

    Dit autre­ment, si l’exé­cu­tif français s’en­gage dans un traité inter­na­tio­nal ou euro­péen, elle peut surveiller tout ce qui risque de le mettre en échec. Nucléaire, copy­right, écono­mie… pas vrai­ment de limite.

    Les inté­rêts écono­miques et scien­ti­fiques essen­tiels de la France

    On parle d’es­pion­nage écono­mique et scien­ti­fique de base, mais aussi plus géné­ra­le­ment de tout ce qui peut entra­ver ce que l’exé­cu­tif consi­dère comme l’in­té­rêt de la France à ce niveau. Tiens, une orga­ni­sa­tion écolo­gique qui milite contre la poli­tique nucléaire, que la France a toujours consi­déré comme au coeur de son inté­rêt natio­nal écono­mique et scien­ti­fique… Plus vrai­ment du terro­risme là.

    La préven­tion de la crimi­na­lité et de la délinquance orga­ni­sées

    Pas vrai­ment du terro­risme là. La préven­tion de la délinquance, fut-elle orga­ni­sée, ça peut toucher quasi­ment tout le monde (éven­tuel­le­ment par erreur).

    La préven­tion des violences collec­tives de nature à porter grave­ment atteinte à la paix publique

    Celui là est le plus joli, car il permet de cibler l’es­sen­tiel des acti­vi­tés syndi­cales liées à des mani­fes­ta­tions.

    Atten­tion ! Tous ces motifs ne concernent pas des faits avérés mais de la préven­tion. Il n’y a donc pas besoin d’avoir été l’au­teur de violences collec­tives, de délinquance orga­ni­sée, ou d’in­té­rêts écono­miques.

    On parle de préven­tion, c’est à dire qu’il suffit que l’exé­cu­tif pense – arbi­trai­re­ment – que la surveillance en ques­tion puisse peut être l’ai­der à savoir quelque chose qui permet­tra de préve­nir un problème. Si vous croyez que ça ne vous concerne pas, reli­sez la phrase précé­dente.

    3/Un contrôle parlementaire. Les services sont des administrations. Et comme pour toutes les autres, il est de la responsabilité du Premier ministre d’en répondre devant le Parlement et de manière régulière devant la Délégation parlementaire au renseignement qui voit croître les informations portées à sa connaissance.

    Quand on parle du Premier Ministre qui en répond devant le parle­ment, ça veut dire que ça repose sur la possi­bi­lité pour le parle­ment de voter une motion de censure afin de renver­ser le Premier Ministre de sa propre majo­rité. Étant donné le fonc­tion­ne­ment de la Vème répu­blique, c’est super rassu­rant comme garde-fou, non ?

    Sachant que dans le cas extrê­me­ment impro­bable où ça arrive, ça n’ar­rête aucune action entre­prise dans le cadre de la présente loi, ça permet juste la nomi­na­tion d’un nouveau Premier Ministre.

    Vous le sentez bien le garde-fou pour vos liber­tés ?

    Ah, la commis­sion de contrôle. Une des moti­va­tions de ce projet de loi est plus ou moins offi­ciel­le­ment que les services de rensei­gne­ment exécutent déjà une partie de ces actions, de façon tout à fait illé­gale, et qu’il faut leur donner un cadre légal (en gros : léga­li­ser leurs actions illé­gales).

    Ils sont déjà surveillés par la commis­sion de contrôle avec des magis­trats et des parle­men­taires. Le rappor­teur du projet de loi en ques­tion fait juste­ment partie de la commis­sion actuelle qui ne trouve visi­ble­ment rien à y redire et n’a pas empê­ché ces dérives. C’est dire combien le verrou contre les abus est au centre des préoc­cu­pa­tions…

    Ça y est, vous vous sentez proté­gés ?

    Oh, et on vous a dit que le président de la commis­sion de contrôle actuelle s’est exprimé dans la presse pour dire que ce nouveau texte affai­bli­rait le contrôle sur l’ac­ti­vité de rensei­gne­ment ? Elle rassure cette commis­sion de contrôle, hein ?

    Là on est limite dans la farce. Donc vous aurez un droit de recours devant le Conseil d’État si vous êtes la cible de surveillances.

    Oh, bien sûr pour ça il faudra savoir puis prou­ver que vous êtes la cible d’une surveillance, qui par nature ne sera jamais publique. Autant dire que c’est de pure forme. Tout au plus ça peut servir à un cas tous les trois ans, et unique­ment après que le dommage ait eu lieu.

    Le reste est à l’ave­nant, avec un tableau de pure mauvaise foi à la fin.

    Alors, rassuré par le docu­ment du PS ?

  • Ener­gie : le rapport caché sur une France 100% renou­ve­lable

    Fruit de 14 mois de travail, extrê­me­ment précis et argu­menté, il explique que rien n’em­pêche qu’en France 100 % de l’élec­tri­cité provienne de sources renou­ve­lables en 2050. Il révèle égale­ment, calculs détaillés à l’ap­pui, que ce scéna­rio ne coûte­rait pas beau­coup plus cher aux consom­ma­teurs que le main­tien du nucléaire à 50 % de la produc­tion élec­trique, seuil fixé par François Hollande pour 2025.

    […]

    Au total, ils ont comparé plusieurs scéna­rios : 100 % renou­ve­lables, 95 %, 80 % et 40 %.

    — Media­part (accès payant)

    Bon, Média­part joue sur le sensa­tion­nel dans le titre en parlant de rapport caché pour un rapport qui attend juste une déci­sion poli­tique sur sa synthèse, mais le contenu reste inté­res­sant, et très lié à des déci­sions de stra­té­gie pure­ment poli­tique (au sens noble du terme).

    Pour une fois on parle de bien de prendre en compte les périodes sans vent, sans soleil, et de compa­rer heure à heure sur l’an­née la capa­cité de produc­tion renou­ve­lable et les besoins en éner­gie, éven­tuel­le­ment la capa­cité de stocker le surplus pour le rever­ser dans les périodes de manque.

    Il est en effet plus que temps qu’on mette ça sur la table avec des chiffres étayés, qu’on sache si c’est faisable, comment, et si c’est une direc­tion qu’on souhaite effec­ti­ve­ment prendre. Pour l’ins­tant le lobby nucléaire a la main mise sur toute la poli­tique française, et empêche l’idée même de débat autre qu’i­déo­lo­gique.

    Le rapport (accès libre mais indi­geste, sans l’ana­lyse)

  • [Photo] Quelques pas plus récents

    J’avais publié mes premiers pas. Je ne résiste pas à l’en­vie de parta­ger quelques pas plus récents, en atten­dant le reste.

    Les feed­backs sont non seule­ment bien­ve­nus mais aussi recher­chés.

  • Why meta­data matters

    Mais ce ne sont que des méta­don­nées…

  • Le droit de grève : un ébran­le­ment géné­ral

    Depuis la loi Le Chape­lier en 1792, la grève est formel­le­ment inter­dite. Alors, tant qu’à être hors-la-loi, pourquoi l’être à moitié ? En cette aube indus­trielle, les prolé­taires s’arment aussi­tôt de bâtons, de pioches, de pierres. Les grèves sont alors brusques, brèves, violentes : elles éclatent, comme un éclair de révolte, dans une nuit de rési­gna­tion. Malgré les fusils, malgré l’ar­res­ta­tion des « meneurs », le mouve­ment ouvrier croît. Et huit ans plus tard, en 1852, le procu­reur de Lyon, toujours, lui rend presque hommage, à l’oc­ca­sion d’une grève dans la peluche, à Tarare (Rhône) : les grévistes « s’en­tre­te­naient au moyen de secours envoyés par les caisses ouvrières de Lyon. On a ainsi une nouvelle preuve de l’es­prit de soli­da­rité et de l’ef­fort d’or­ga­ni­sa­tion qui existe chez nos popu­la­tions ouvrières malgré la diffé­rence des indus­tries et sur la base unique d’une commu­nauté d’in­té­rêts de classe

    Petite histoire de la grève et de sa présence en France. Je n’en regrette pas la lecture.

  • Une affaire d’es­pion­nage fait tomber le gouver­ne­ment

    La cheffe du gouver­ne­ment péru­vien Ana Jara a été renver­sée après des révé­la­tions sur l’es­pion­nage de parle­men­taires, jour­na­listes, hommes d’af­faires par les services de rensei­gne­ment.

    — 24 heures

    Nous allons voter ces jours ci une loi qui donne des outils jamais vus à notre service de rensei­gne­ment, avec un contrôle quasi­ment inexis­tant.

    À l’ex­té­rieur les exemples se multi­plient pour montrer combien il est évident que ce sera non seule­ment inef­fi­cace mais aussi extrê­me­ment dange­reux.

    Avez-vous confiance dans votre service de rensei­gne­ment ? dans les élus et admi­nis­tra­tions qui le dirigent ? Sur quelles garan­ties est basée cette confiance sachant qu’ils opèrent actuel­le­ment illé­ga­le­ment ?

    Ce sont autant d’ou­tils que nous donnons pour les élus de demain, sans savoir qui ils seront, ni nous rendre capables de les contrô­ler ou de les limi­ter. Il n’y a aucune raison objec­tive pour croire que ces dérives ne pour­ront pas avoir lieu chez nous, ou que les contrôles prévus les limi­te­ront en quoi que ce soit. Aucune.

    Nous sommes fous.

  • Les FAI devront livrer à l’Etat toutes les infos sur leurs réseaux

    Dans le cadre de ce contrôle, qui pourra avoir lieu une fois par an (ou plus souvent en cas de défaillances), les FAI et héber­geurs concer­nés devront four­nir à l’ANSSI ou au pres­ta­taire privé agréé « notam­ment la docu­men­ta­tion tech­nique des équi­pe­ments et des logi­ciels utili­sés dans ses systèmes ainsi que les codes sources de ces logi­ciels« 

    En clair : En plus des boites noires et des accès directs, il est demandé tous les moyens pour que l’État puisse s’in­tro­duire de force dans les systèmes, en dehors des accès prévus pour ça. Sous couvert d’en véri­fier la sécu­rité, mais même la marmotte ne croit plus à l’em­bal­lage arti­sa­nal du choco­lat dans le papier d’alu. Ayez confian­ce…

    — via Nume­rama

  • The Austra­lian govern­ment can’t safe­guard Putin’s data

    Guar­dian Austra­lia broke the news that the immi­gra­tion depart­ment had inad­ver­tently disclo­sed the perso­nal infor­ma­tion, inclu­ding passport and visa numbers, of 31 world leaders in Austra­lia for the G20. Among the leaders whose details were leaked were Barack Obama, Vladi­mir Putin and Angela Merkel.

    S’ils ne sont pas capables de garder confi­den­tielles ces données là, comment pouvons nous espé­rer qu’ils garde­ront confi­den­tielles les données de tout un chacun, moins critiques et auxquelles plus de monde a accès, sans contrôle ?

    Ce n’est pas une ques­tion théo­rique, puisque les actua­li­tés se téles­copent :

    This is the same depart­ment that posted the disclo­sure of perso­nal details of nearly 10,000 adults and chil­dren, inclu­ding a third of all asylum seekers, a breach that could quite genui­nely have put lives at risk.

    — The Guar­dian

    Nous sommes sur le point, en France, d’au­to­ri­ser la surveillance de masse de tout ce qui est élec­tro­nique (et un peu plus), tout ce qu’on repro­chait hier à la NSA en se scan­da­li­sant. Nous savons déjà que c’est inac­cep­table du point de vue éthique, inef­fi­cace du point de vue pratique, et sacré­ment risqué.

  • La faute à Ève

    Et puis ils ont montré la même scène, avec le gamin noir.
    Et là, vrai­ment, SINCÈREMENT, je vous jure, ça rendait pas pareil. Là mon bide a crié : « Aaaah, oui, là ok, oui ! Là on dirait un voleur ! », avant que j’aie eu le temps de réagir.

    [….]

    C’était la télé, c’était les films, les clichés un peu trop vus mais telle­ment faciles et presque rassu­rants, c’était le discours ambiant, c’était les préju­gés idiots qu’on entend en n’étant pas d’ac­cord au fond en théo­rie mais qu’on entend quand même huit fois, dix fois, quatre-vingt-seize fois par jour et qui filtrent, petit à petit, et qui laissent une humi­dité à peine visible mais qui se trans­forme quand même en moisis­sure.

    […]

    Et j’ai réalisé d’un coup.[ …] j’ai réalisé des années après que c’est pas PARCE QUE les garçons aiment le foot qu’on parle de foot aux garçons, mais peut-être bien l’in­verse.
    J’ai touché du doigt à quel point ce sont les putains de petits cailloux qui font les putains de grandes rivières.

    […]

    J’ai avalé la pilule rouge, sans préavis.
    J’ai revu les livres pour enfants, les cartables roses, les stylos pour filles, les dégui­se­ments d’in­fir­mières et les dégui­se­ments de méde­cins, les espionnes en talons aiguilles de mes séries, les profs qui demandent aux mecs ce qu’ils ont pensé du match, les cases made­moi­selle et madame, et je les ai lus autre­ment.
    J’ai compris, enfin, l’his­toire de ma mère qui, quand je lui avais raconté mon exas­pé­ra­tion du débat du made­moi­selle, m’avait raconté sa concierge qui s’était mise à la regar­der dans les yeux et à lui sourire quand ma mère avait enfin pu troquer son made­moi­selle en madame, quand elle avait enfin cessé de vivre dans le péché.

    Parce que c’est impor­tant, et que je n’ai moi aussi réalisé ça que récem­ment, mais que je sais que je suis très loin de m’en être sorti, que malgré toute la bonne volonté c’est un combat de tous les jours pour s’ex­traire de l’image qu’on se construit incons­ciem­ment pendant des années.

    Vrai­ment à lire, parce que c’est bien expliqué : La faute à Éve, par Jaddo. Nos petits actes ont tous des consé­quences, et nous sommes bien moins imper­méables à tout cela que nous le pensons. Le danger est juste­ment là, dans cette perméa­bi­lité invo­lon­taire et incons­ciente.

  • Au moins, dans un système tota­li­taire, on sait à quoi on a affaire

    L’idée qu’il y a des trajec­toires normales sur Inter­net et d’autres, anor­males. C’est ce qu’on appelle le « nomi­na­lisme dyna­mique » : les indi­vi­dus, à partir du moment où ils savent qu’ils sont clas­si­fiés, même s’ils ne savent pas quels sont les critères de clas­si­fi­ca­tion, vont adap­ter leur compor­te­ment à ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux.

    Et ce n’est pas rien. Les États qui tendent dans le tota­li­taire n’ont pas forcé­ment des millions d’op­po­sants en prison. Ils ont surtout des millions de citoyens qui ont peur, peur de sortir des normes, d’avoir un compor­te­ment analysé comme déviant.

    L’auto-censure est un réel enjeu, autant que la censure elle-même. C’est vers ça que nous mènent la traque des terro­ristes via des algo­rithmes en boite noire, qui analysent tous nos compor­te­ments sur Inter­net. La peur est d’au­tant plus raison­nable quand on voit la démarche impla­cable et aveugle que peut avoir l’anti-terro­risme dans l’af­faire de Tarnac.

    Ça me pose ques­tion sur les droits et liber­tés fonda­men­taux. Parce qu’il me semble qu’ils ne sont pas là pour proté­ger les formes de vie, d’ex­pres­sion, de compor­te­ments, banales, normales, stan­dar­di­sées… Au contraire, ils sont là pour proté­ger les prises de posi­tion qui, sans être jugées illé­gales, sont jugées déviantes, malsaines, voyeu­ris­tes…

    Les droits de l’homme jouent le rôle d’auto-subver­sion de la norme juri­dique par elle-même.

    J’ai un peu peur que ce type de projet de loi érode progres­si­ve­ment, sans qu’on s’en rende compte, cette signi­fi­ca­tion fonda­men­ta­le­ment anti-tota­li­taire des droits et liber­tés fonda­men­taux.

    Parce que ces algo­rithmes ne peuvent faire que poin­ter les compor­te­ments a-normaux (ceux qui n’agissent pas comme tout le monde) ou faire des amala­games (ceux qui agissent comme d’autres suspects).

    Celui qui n’agit que dans la norme majo­ri­taire n’a pas besoin de protec­tion parti­cu­lière, son compor­te­ment n’est pas spécia­le­ment en danger. Ces compor­te­ments anor­maux ou mino­ri­taires sont juste­ment et exac­te­ment ceux que l’État de droit et les droits de l’Homme doivent proté­ger.

    En instau­rant ce filet d’al­go­rithme on nie tota­le­ment notre droit et nos valeurs fonda­men­tales. Rien que ça.

    Et comme dit plus loin dans l’ar­ticle, la présomp­tion sera forte. Pour qu’un juge, un fonc­tion­naire ou un poli­tique ose contre­dire un algo­rithme qu’il ne connait pas et qu’il ne comprend pas, il va lui falloir un sacré courage. S’il se trom­pe… autant dire que la présomp­tion ne sera plus à l’in­no­cence une fois qu’on sort de la case prévue par l’al­go­rithme.

    Je m’ex­plique : on croit avoir accès à des caté­go­ries non-biai­sées, mais on ne se soucie plus du tout des causes. Un algo­rithme qui aide à la déci­sion d’em­bauche, par exemple, pour­rait évin­cer auto­ma­tique­ment des candi­dats venant d’une certaine partie d’une ville, parce que statis­tique­ment, ces gens-là restent moins long­temps embau­chés que les autres… Ça paraît parfai­te­ment objec­tif.

    Sauf qu’il se peut que les raisons pour lesquelles ces indi­vi­dus restent moins long­temps embau­chés tiennent à des préju­gés raciaux de la part des employeurs, et que ces indi­vi­dus sont en majo­rité d’ori­gine nord-afri­caine. Donc il y a une sorte de masquage des réali­tés socio-écono­miques et cultu­relles par le chiffre.

    Là est le danger de toute dicta­ture par les chiffres. Même les humains les plus malins ont du mal à déga­ger la cause de la consé­quence. L’al­go­rithme lui ne le pourra jamais. Il ne regarde que ce qui est. Et à regar­der ce qui est, on peut surtout renfor­cer les injus­tices, les discri­mi­na­tions, les stéréo­types et conti­nuer à brimer les plus faibles. Il y a un vrai danger, bien au delà du débat de la lutte contre le terro­risme.

    Il n’est pas anodin que la plupart des infor­ma­ti­ciens ont peur de ces systèmes, et que seuls ceux qui n’y comprennent goute cherchent à les appliquer.

    À lire en entier sur Rue89, par Xavier de La Porte et Andréa Fradin.