Catégorie : Droit

  • Même pour les mépri­sables

    Le respect des droits de chacun vaut même pour les personnes détes­tables

    Pas que d’eux, évidem­ment, mais aussi d’eux. Parce que les maux ne s’an­nulent pas, ils s’ad­di­tionnent, mais aussi parce que si on s’au­to­rise à ne pas respec­ter les droits du voisin en jugeant qu’il ne le mérite pas, je m’ex­pose à ce qu’on ne respecte pas les miens le jour où quelqu’un jugera que je ne le mérite pas.

    Ne pas dire « oui mais de toutes façons c’est un salaud » est ce qui diffé­ren­cie l’État de droit de la vengeance arbi­traire et du lynchage public.

  • Donnée acces­sible dans l’es­pace public

    Une donnée acces­sible dans l’es­pace public n’est pas une donnée libre d’uti­li­sa­tion

    Il y a le droit d’au­teur, le droit des bases de données, les règles d’uti­li­sa­tion des données person­nelles, le cas spéci­fique des infor­ma­tions appar­te­nant à l’État, et proba­ble­ment bien d’autres choses.

    La licéité de l’in­for­ma­tion ou de certains usages de l’in­for­ma­tion n’en­traine pas celle d’un autre usage de cette même infor­ma­tion

    C’est parti­cu­liè­re­ment vrai pour tout ce qui est données person­nelles, où chaque trai­te­ment et chaque fina­lité est indé­pen­dante des autres.

    C’est vrai aussi de manière géné­rale : Que la donnée soit utili­sable dans certains cas n’im­plique pas que tout ce que vous en ferez sera forcé­ment légi­time, ni mora­le­ment ni léga­le­ment.

  • On instaure litté­ra­le­ment un crime de pensée

    « Aux seules fin de préve­nir la commis­sion d’actes de terro­risme, toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son compor­te­ment consti­tue une menace d’une parti­cu­lière gravité pour la sécu­rité et l’ordre publics et qui soit entre en rela­tion de manière habi­tuelle avec des personnes ou des orga­ni­sa­tions inci­tant, faci­li­tant ou parti­ci­pant à des actes de terro­risme, soit soutient, diffuse ou adhère à des thèses inci­tant à la commis­sion d’actes de terro­risme ou faisant l’apo­lo­gie de tels actes peut se voir pres­crire par le ministre de l’in­té­rieur les obli­ga­tions prévues au présent chapitre. »

    La phrase est pleine d’al­ter­na­tives alors je vais clari­fier : Il suffit d’adhé­rer à des thèses parlant posi­ti­ve­ment d’actes de terro­risme. Adhé­rer à des thèses. Pas besoin d’actes ni d’in­ten­tion future, pas même d’apo­lo­gie publique.

    On instaure litté­ra­le­ment un crime de pensée.

    Je ne sais pas si tout le monde se rend compte qu’on est en train de fran­chir grave­ment la ligne jaune.

    Les petits malins diront qu’il faut en plus qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le compor­te­ment consti­tue une menace d’une parti­cu­lière gravité. Cela dit on a vu avec les assi­gna­tions à rési­dence passées que les juges étaient assez ouvert à l’ar­bi­traire total de la formule « des raisons sérieuses de penser ». D’au­tant que quelqu’un qui adhère à des thèses qui peuvent inci­ter à la commis­sion d’actes de terro­risme, ça laisse forcé­ment des raisons sérieuses de penser, vous ne trou­vez pas ? C’est même la raison d’être de cet article.

    À force de vouloir arrê­ter le crime avant qu’il ne devienne réalité, on crimi­na­lise le risque, l’opi­nion et la proxi­mité rela­tion­nelle. Tout ça me fait peur, parce qu’une fois cette ligne fran­chie, je ne vois pas où on va s’ar­rê­ter.

  • [Lecture] Prendre les conseils d’un avocat n’est pas un crime

    le procu­reur géné­ral près de la Cour d’Ap­pel de Paris écrit « Enfin la décou­verte en perqui­si­tion chez X d’un docu­ment d’un syndi­cat d’avo­cat inti­tulé : manis­fes­tants–e-s : droits et conseils en cas d’in­ter­pel­la­tion vient corro­bo­rer la volonté mani­feste de parti­ci­per à des actions violentes en cours de mani­fes­ta­tion puisqu’il prend des éléments sur la conduite à tenir en cas d’in­ter­pel­la­tion  ».

    Ainsi le SAF est accusé d’en­cou­ra­ger la violence au seul motif de faire connaître leurs droits aux mani­fes­tants par la produc­tion d’un docu­ment inti­tulé « info juri­diques » et conte­nant des infor­ma­tions exclu­si­ve­ment juri­diques.

    Commu­niqué du SAF, syndi­cat des avocats de France

    On en est là. Être informé de ses droits devient un élément à charge. C’est bien connu, en mani­fes­ta­tion seuls les (futurs) délinquants violents ont besoin de connaitre leurs droits…

    Riez, mais quand l’État avan­cera « il a consulté la loi via Legi­france » comme élément à charge de culpa­bi­lité, il sera bien diffi­cile de reve­nir en arrière. Je ne sais pas pourquoi je parle au futur, parce que ce qui s’est passé revient quasi­ment à ça en fait.

    Ça arrive aujourd’­hui, en France, et ça ne me fait pas rire du tout parce que ça s’ins­crit dans un envi­ron­ne­ment qui glisse hors de la démo­cra­tie et de l’État de droit, douce­ment mais surement. À rappro­cher du billet d’hier (et d’autres qui vont suivre).

    Je ne discute même pas sur le fait que les mani­fes­tants en ques­tion soient coupables ou non, c’est juste hors sujet ici. Le fait de s’in­for­mer de ses droits ne doit jamais être un élément à charge dans un État de droit, c’est juste l’évi­dence même.

    Le seul fait qu’une telle idée ait pu germer dans l’es­prit d’un magis­trat de la Répu­blique démontre le fossé exis­tant entre les citoyens et ceux qui sont  censés faire respec­ter la loi.

    Ainsi connaître ses droits est présumé un acte subver­sif

    On en est là

  • [Lecture] Fouilles lors d’un contrôle d’iden­tité : exigence d’in­dices objec­tifs

    Je me suis long­temps posé la ques­tion de la léga­lité des fouilles. Je n’ai jamais lu de texte clair à ce sujet. Visi­ble­ment on était dans l’usage diffi­cile ou impos­sible à remettre en cause mais sans base légale.

    Tout au plus certains sites proposent de décla­rer quelque chose comme « je n’y consens pas, je ne prête pas mon concours, mais je ne me rebelle pas au cas où vous le faites vous-même en ayant le droit de vous passer de mon consen­te­ment ».

     « la palpa­tion de sécu­rité opérée sur une personne faisant l’objet d’un contrôle d’iden­tité n’au­to­rise pas l’of­fi­cier de police judi­ciaire à procé­der, sans l’as­sen­ti­ment de l’in­té­ressé, à la fouille de sa sacoche, dès lors que cette palpa­tion n’a pas préa­la­ble­ment révélé l’exis­tence d’un indice de la commis­sion d’une infrac­tion flagrante ».

    — Cour de cassa­tion, chambre crimi­nelle, via Dalloz

    Bien évidem­ment, vous vous essayiez de lais­ser les poli­cier vous fouiller sans donner votre accord ou que vous refu­siez en citant la juris­pru­dence, vous risquez surtout d’éner­ver les forces de police et qu’ils consi­dèrent ça comme rébel­lion.

    Il reste, qu’en ces temps où la loi et les usages donnent tous les droits à l’État et la police, cette préci­sion est plus qu’ap­pré­ciable.

    Dalloz conti­nue en rappe­lant que ça ne vaut pas en cas de flagrance, ni si la palpa­tion laisse effec­ti­ve­ment penser à infrac­tion.

  • [Lecture] L’état d’ur­gence, une atteinte aux liber­tés

    Lu sur le web :

    C’est cela l’état d’ur­gence : être en règle avec la loi ne suffit pas, il faut en plus que le minis­tère de l’in­té­rieur ne vous consi­dère pas comme une menace pour l’ordre public

    […]

    Dans l’échelle de la protec­tion des liber­tés, il y a donc trois degrés : – respec­ter la loi – ne pas être une menace pour l’ordre public – ne pas donner des raisons de penser que l’on peut être une menace pour l’ordre public.

    chez Gilles Devers, via Clochix

    Nous avons dérivé, loin. Dans tout ce qui est inter­venu récem­ment, et qui ne semble pas prêt de s’ar­rê­ter, l’ar­bi­traire devient la règle.

    Quand on dit que l’État de droit se meurt, ce n’est pas tant que l’État est hors la loi, mais que le droit n’est plus l’éta­lon pour juger. L’im­por­tant devient le juge­ment arbi­traire de l’État.

  • Anti-Israel Acti­vism Crimi­na­li­zed in the Land of Char­lie Hebdo and “Free Speech“

    Un groupe appe­lant au boycott des produits d’Is­raël vient d’être défi­ni­ti­ve­ment condamné. L’ap­pel au boycott est en soi inter­dit mais là ils l’ont été sur le critère de discri­mi­na­tion/racisme (le boycott est en fonc­tion de l’ori­gine géogra­phique, ce qui est inter­dit).

    Je ne saurais juger si ce groupe avait unique­ment une visée poli­tique ou s’il y avait aussi une conso­nance nette­ment discri­mi­na­toire anti­sé­mite. Glenn Green­wald réagit dans The Inter­cept. Le discours sur la liberté d’ex­pres­sion est un peu à côté de la plaque à mon humble avis : La France et les États-Unis ont des équi­libres diffé­rents à ce niveau. Je me garde bien de consi­dé­rer que l’un ou l’autre a « raison ». J’en doute. Partir sur ce débat me parait futile.

    Par contre, un tweet précis tape là où ça fait mal :

    Ça cari­ca­ture, mais il y a quand même un fond que je ne me sens pas de consi­dé­rer comme faux, et ça me gêne forte­ment.

    Je ne suis même pas certain que ce soit (ici) le problème d’un pénible amal­game (volon­taire ou non) entre critique d’Is­raël et anti-sémi­tisme. Un appel au boycott des USA aurait aussi poten­tiel­le­ment été condamné, mais pas un appel au boycott de la Corée du nord. Dans un État de droit basé sur des liber­tés, cette diffé­rence me gêne. Je ne sais pas mettre les bons mots dessus, je ne sais pas où placer la ligne rouge, mais il y a un truc qui fonc­tionne mal et qui ne me rend pas fier.

    et parce que ce sujet est déli­cat, je préfère préve­nir : tout commen­taire que je consi­dè­re­rai comme agres­sif sera d’of­fice retiré, quel que soit le fond du discours ; de la même façon, toute discus­sion sur la situa­tion en Pales­tine ou les actions d’Is­raël serait tota­le­ment hors sujet dans le cadre de ce billet, et serait reti­rée de la même façon.