Il y a toujours quelqu’un pour découvrir qu’il existe d’autres procédés de vote que nos votes à scrutin majoritaire. Parfois ça fait buzz aux élections, mais ne nous leurrons pas : Il n’y a rien de neuf, et rien de miraculeux.
Le pseudo-miracle de cette présidentielle serait le vote par valeur. Il s’agit de voter pour chaque candidat, indépendamment, par exemple entre –2 (surtout pas) et +2 (génial). Ce système a pour moi trois avantages majeurs :
- Il répond à l’émiettement des voix, qui effectivement est le problème majeur du mode d’élection de notre président. Trois candidats avec des idées proches mais qui ont une majorité s’ils sont groupés ne risquent pas de faire gagner un concurrent. C’est vrai que ce seul défaut à notre élection actuel mérite qu’on réfléchisse aux alternatives.
- Il prend en compte non seulement d’adhérence mais aussi le rejet. Surtout pour une présidentielle, l’important est le consensus. Je préfère celui qui n’a la préférence de personne mais que tout le monde accepterait avec plaisir, à celui qui est le préféré de la majorité mais qui provoque un très franche rejet de tous les autres (toute ressemblance avec des faits passés ne serait pas totalement le fruit du hasard).
- Il permet aux électeurs de s’exprimer plus en détail. Peu importe si cela a un effet différent au final, ça reste une bonne chose pour la légitimité de l’élection et la paix sociale.
Vulnérabilité aux votes tactiques
Malheureusement pour ses promoteurs, il n’est pas parfait. S’il répond à l’émiettement des voix, il reste très sensible aux votes tactiques. En cas de résultat serré, un militant aurait intérêt à noter un rejet imaginaire des principaux concurrents.
Ce sujet est complètement écarté par le site de promotion du vote par valeur. Il y est même considéré que le vote militant doit être préservé parce que celui qui a le plus de militants doit avoir une avance. Cette idée me semble contradictoire non seulement avec le principe de démocratie (un militant ne doit pas avoir plus de poids qu’un autre) mais aussi avec le fondement même du vote par valeur. Dans les mêmes pages on affirme que la prise en compte du rejet est une forme de protection de la cohésion sociale (et je suis d’accord), que plusieurs critères de sélection du mode de scrutin sont écartés pour pouvoir donner de l’utilité au rejet. Si de l’autre côté on se rend compte que les rejets sont en fait des votes militants non sincères, ce sont deux de mes trois avantages ci-dessus qui sont à jeter, et tout l’argumentaire du vote de valeur qui tombe en lambeaux.
Mais plus gênant encore : Le vote tactique est un danger d’autant plus grand que toutes les communautés ou populations n’ont pas la même propension à les utiliser. Les populations les plus à même à utiliser un vote tactique auront un poids bien plus important. Ainsi, les mieux éduqués et mieux informés auront un avantage par rapport aux populations qui voteront naïvement. De même, les radicaux et extrémistes auront un avantages par rapport à ceux qui s’astreignent à être modérés ou objectifs dans leur vision. Ce biais est loin d’être neutre, et risque de fausser tout le résultat.
Sensibilité aux manipulations d’opinion
La vulnérabilité aux votes tactiques est d’autant moins à écarter, qu’elle prend tout son sens dans les manipulations d’opinion : Imaginons les candidats A, B et C. Votre préférence va nettement à A, puis à B et à C, dans cet ordre.
- Les médias vous disent que A et B sont au coude à coude, C plus loin derrière : La tactique sera donc d’assurer la victoire en votant +2 pour votre candidat A et –2 pour son concurrent B.
- Les média vous disent que B et C sont au coude à coude : La tactique sera d’éviter le pire et de voter un +2 à B et un –2 à C.
Dans le premier cas, si les médias avaient raison, vous venez, en simulant un rejet, de faire élire A alors que B aurait peut être été un meilleur candidat pour la nation.
Mais surtout vous avez peut être été manipulé. En vous faisant passer de l’un à l’autre on modifie votre voix et on peut tout à fait contrôler l’élection de B. Certes, c’est un risque qui existe déjà sur le mode d’élection actuel avec l’émiettement des voix, mais qui reste bien visible à tous pour l’instant et qui sera bien plus caché et difficile à combattre dans un vote de valeur.
Le risque du nombre de candidats
L’émiettement des voix est un des facteurs limitants pour le nombre de candidats actuels. Ne nous laissons pas leurrer par les pleurs du FN qui simule chaque année une difficulté pour obtenir 500 signatures. Si des petits candidats réussissent à chaque fois à se qualifier avec des scores de moins de 1 %, c’est que la candidature est raisonnablement simple.
S’il n’y a pas de risques à multiplier les candidats, nous en aurons plus. Les maires donneront aussi plus facilement leurs signatures. Même pour les grands partis, pourquoi ne pas présenter 5 ou 10 candidats ? quels risques ?
Avoir même 25 candidats serait difficile à gérer, mais on en risque plutôt 50 si on en fait rien. Il y a forcément des solutions à ces problèmes, mais aucune ne sera parfaite, toutes auront des effets largement discutables et induiront des biais. Je me refuse à évaluer le vote par valeur si on ne me propose pas en même temps des solutions à ce problème qu’il créé.
Secret du vote
Si nous avons même 15 candidats, le nombre de combinaisons possibles dépasse de plusieurs milliers de fois le nombre de votants dans un seul bureau de vote. Pour peu qu’un vote soit « étrange », il devient facilement unique. Il devient donc réaliste de donner des instructions de vote à des tiers et de pouvoir vérifier si elles ont été respectées. Le secret du vote est donc à risque.
Pour palier ce risque la seule solution envisagée est de séparer le vote en plusieurs bulletins, un par candidat. Le site de promotion du vote par valeur propose de séparer le bulletin après vidage de l’urne, mais c’est déjà trop tard si on veut éviter une relecture par des tiers : Cette séparation doit être faite par l’électeur lui-même.
Quinze candidats, c’est quinze votes, quinze enveloppes, quinze urnes, ne pas se tromper d’enveloppe et d’urne, identifier l’électeur à chaque étape, puis vider les quinze urnes pour faire quinze dépouillements qui chacun seront un peu plus long que l’actuel pour faire le compte final.
Je passe le fait qu’il faut cocher des cases et que pour garder un anonymat on propose un poinçon. Ceux qui ont suivi les débats sur l’élection de Georges W. Bush aux États Unis doivent se rappeler que cette solution est justement celle qui a provoqué tant de débats lors des dépouillements là bas.
Simplicité
Certains ont du mal à l’imaginer, mais le vote actuel est déjà à considérer comme difficile. Certains ne comprennent pas le rôle de l’enveloppe, certains n’entrent pas dans l’isoloir, certains mettent plusieurs bulletins, d’autres ne prennent qu’un seul bulletin avant de se rendre dans l’isoloir, on en voit reposer les bulletins non utilisés sur la table… j’en passe et des meilleures. Là dessus il faut penser que certains reconnaissent le bulletin parce qu’ils ne savent pas lire, et je vous laisse imaginer la difficulté d’un vote secret pour un non voyant.
Imaginons ensuite qu’il ne faut pas que choisir, il va falloir cocher ou poinçonner. Combien cocheront deux cases ou entre les cases parce que c’est « entre 1 et 2 » ? Combien ne comprendront pas le fonctionnement ? Comment aider ceux qui voient mal ou lisent mal ?
Le résultat très clair des États Unis, c’est que les cartons plein de votes, c’est n’est franchement pas simple.
Même en dehors du vote lui même, un procédé de vote complexe c’est la source d’innombrables débats sur la légitimité de tel ou tel candidat qui aura eu moins de votes positifs mais aussi moins de votes négatifs, alors que tel autre n’a finalement eu des rejets que parce qu’il y a eu un appel à vote militant… Le scrutin actuel est hautement criticable, mais au moins le résultat laisse peu de place au débat.
Alors oui, on répond à l’émiettement des candidats, mais on est encore trop loin d’une bonne solution pour que le changement vaille le coup à mon avis. C’est d’autant plus vrai que les défauts du vote par valeur sont bien moins évidents, et donc bien moins transparents.
Laisser un commentaire