Bonjour,

Voici quelques éléments de réponses relatifs à ce post que je trouve d’une grande qualité, même si je ne suis pas toujours d’accord avec vous…

*Vulnérabilité aux votes tactiques*

Cette notion de vulnérabilité aux votes tactiques a été élaborée dans le contexte d’un système de vote qui a vocation à rechercher une vérité. C’est le cas d’un jury d’un concours de patinage ou d’une cours de justice. Pour le patinage, des critères objectifs ont été définis et on considère que les membres du jury partagent ces critères d’évaluation et doivent tendre vers un même résultat, à savoir vers cette vérité du « meilleur ».

Historiquement, les systèmes électoraux sont partis des mêmes postulats : l’élection démocratique doit aboutir à une vérité, celle de sélectionner LE « meilleur candidat », considérant que le peuple détient LA « vérité ». Si cette vision absolutiste pouvait se justifier à l’époque dans un contexte ou le système démocratique était en opposition directe avec des systèmes de droits divins, je crois qu’il est aujourd’hui temps de dépasser cette vision.

Dans nos démocraties modernes, le peuple ne détient pas la vérité (contrairement à un jury) mais détient simplement la légitimité de choisir sa destinée.

Avec la démocratie ainsi définie, l’objectif d’un système d’élection démocratique est alors d’opérer *la meilleur synthèse des volontés* diverses et contradictoires des électeurs.

Mais que signifie exactement « vote tactique » ? Pour aborder cette notion il faut d’abord définir celle de « vote sincère » : «Un vote sincère consiste à donner à chaque candidat une valeur le plus objectivement possible, indépendamment des autres candidats en lice.» De là, on peut définir le vote tactique : «Un vote tactique consiste à s’écarter d’un vote sincère en fonction de stratégies électorales pour contrer ou favoriser certains candidats.»

Que signifie alors la notion de vulnérabilité aux votes tactiques dans le contexte d’une élection démocratique ? Plus grand chose car la notion même de votre sincère est en grande partie inappropriée. Les critères relatifs à la sincérité perdent leur pertinence car si un jugement (du « meilleur ») peut-être qualifié de sincère ou d’insincère il est nettement plus délicat d’évoquer la sincérité d’une volonté (la volonté est la chose à mesurer dans une élection démocratique).

Vous dites « si […] on se rend compte que les rejets sont en fait des votes militants non sincères ,[…] tout l’argumentaire du vote de valeur qui tombe en lambeaux ». Que ce soit un vote de rejet ou un vote militant, dans les deux cas, le vote est parfaitement sincère. Le militant sera effectivement effondré si son poulain ne l’emporte pas, il ne fait qu’exprimer sa plus pure volonté, conformément à l’esprit démocratique. Ces votes ne sont pas des votes tactiques, ce sont peut-être des votes du cœur ou des tripes plus que de la raison, mais un système démocratique n’a pas à s’immiscer dans les raisons personnelles du vote d’un électeur.

(vous pourrez trouver des éléments complémentaire sur cet aspect à l’entrée de ce forum : https://groups.google.com/forum/#!msg/votedevaleur/UYgk4BH0Fac/l7JgGkmiQNwJ)

*Sensibilité aux manipulations d’opinion*

Je vous rejoins sur ce point. C’est le seul aspect relatif à la vulnérabilité aux votes tactiques qui s’applique effectivement aux système électoraux démocratiques.

Mais ce problème existe avec tous les systèmes de votes.

La différence très importante, c’est que la pression des sondages va pousser l’électeur à exagérer les valeurs dans le cas du VdV, alors qu’avec la majorité des autres systèmes cette pression peut pousser l’électeur à voter de façon totalement contradictoire avec ses opinions. Outre l’éternel « vote utile », voici un exemple encore plus insupportable : en 2007, les militants de Sarkozy étaient incités à voter pour Royal (leur plus important rival) au 1er tour pour repousser le risque que Bayrou soit au 2ème tour (les sondages affirmaient que Sarkozy n’avait aucun risque au 1er tour et que Bayrou l’emportait face à Sarkozy au 2ème tour, contrairement à Royal).

Me sentir poussé par les sondages à exagérer mes opinions avec le VdV ou m’amener à voter pour un candidat au quel je m’oppose avec un autre système, je crois que le Vote de Valeur l’emporte largement sur ce point.

*Le risque du nombre de candidats*

Je vous rejoins totalement sur ce point. Si le Vote de Valeur devait un jour être mis en place, il sera indispensable de trouver des mécanismes de pré-sélection des candidats, comme il existe aujourd’hui le mécanisme des 500 signatures.

*Secret du vote*

Sur ce point je pense que vous poussez le bouchon un peu trop loin ;)
Pour qu’un observateur parvienne à mémoriser les 10 ou 12 valeurs (si il y a 10 ou 12 candidats) sur un bulletin en mouvement en train d’être segmenté en l’espace de quelques secondes (en sachant qu’il va en voir passer des centaines) me semble bien peu réaliste… Je suis convaincu qu’on trouvera une solution technique si il ne reste plus que ce problème :)

*Simplicité*

Enfin, concernant la simplicité, seules les expériences vous donneront raison ou tort. Pour le moment, l’expérience de 2007 a conclus à une très bonne acceptation et assimilation du système par les électeurs. L’expérience en ligne du Vote de Valeur ne sera pas particulièrement significative (biais des moyens informatiques et du panel non représentatif). Par contre, les trois expériences menées par plusieurs équipes de recherches françaises dans des bureaux de vote qui ont eu lieu à l’occasion de ce 1er tour nous donnera de nouveaux résultats importants sur ce point (voir https://www.gate.cnrs.fr/spip.php?rubrique94).

Au plaisir de vous lire,
Sylvain