Je lis Tristan, et par là un billet essentiel d’Anthony, que malheureusement j’avais manqué en janvier.
Savoir, tout savoir, puis décider
Il me faut un savoir quasi-encyclopédique sur le domaine pour me sentir à l’aise au moment de faire un choix.
Oh combien je m’y retrouve. Au risque de renforcer le petit côté autiste, je dirai que ce fut encore pire pour moi. Pour un achat je construis des tableaux de dix kilomètres en comparant tous les produits du marché sur toutes les boutiques, et même un peu plus, et finis – parfois – par me décider au bout de longs mois. Je ne sais pas lequel de nous deux avec Anthony est le moins impulsif, mais je ne dois pas me laisser tant distancer que ça.
Les bases du choix
Mais là c’est encore simple finalement, parce qu’on peut trouver des critères objectifs, des recommandations, des expériences. Et quand le sujet est purement subjectif alors ? Fut un temps mes connaissances rigolaient (peut être un peu jaune) sur mon incapacité à faire des choix simples comme « quel parfum souhaites-tu ? ». Parce qu’entre la glace à la fraise et la glace à la vanille il n’y a pas vraiment de *raison* de prendre l’un ou l’autre, du coup j’étais incapable de dire quoi que ce soit, ou même de prendre une alternative au hasard. Ce n’est pas tant que j’hésite sur le choix, c’est que le choix n’a souvent pour moi aucun sens si je n’ai pas de critère objectif et de « pourquoi » ; je ne le conçois même pas dans mon esprit.
Heureusement j’évolue. Ça a été un grand travail sur moi-même, et ça l’est encore un peu parfois, avec quelques stratégies d’évitement (« vanille » la glace, il y en a toujours et ça m’évite de faire un choix arbitraire qui n’a aucun sens pour moi). Heureusement en contexte professionnel ce travail sur moi-même je l’ai fait avec encore plus de force, au point qu’il a été au moins en partie transformé en qualité : attention au détail et volonté d’étudier les problématiques profondément.
Avancer, sauter dans l’inconnu
Mais tout n’est finalement pas vraiment une question de savoir faire un choix. C’est un besoin de tout savoir, tout comprendre. Un baptême de plongée, je soupçonne ma femme d’avoir été surprise de me voir être capable d’utiliser le détendeur sans faire trop de simagrées sans pour autant savoir en détail comment ça fonctionne. Côté technique informatique c’est une malédiction qui prend un temps monstrueux.
Bien entendu ça se travaille, mais en grandissant on réalise jour après jour l’étendue de tout ce qu’on ne connait pas, qui grandit bien plus vite que l’étendue de nos propres connaissances.
Apprendre c’est se rendre compte de l’importance de notre ignorance. Parfois il y a de quoi se sentir un peu perdu.
Tout ça pour dire
Si j’ai appris une chose, c’est qu’avancer est le plus difficile. Même quand je suis (très) critique sur des initiatives, je ne perds pas de vue que la grande force c’est d’avoir essayé, d’avoir avancé dans l’inconnu, et que ça c’est plus important que tout. C’est une qualité rare, c’est celle que nous tentons chaque jour de mettre en exergue en startup.
Avancez, sans mettre la charrue avant les boeufs, sans oublier qui vous êtes et ce en quoi vous croyez, mais avancez, c’est ça l’important.
Et cette gêne qui nous impose de tout savoir et tout contrôler, qui nous incite à refuser l’imperfection, faisons-en une force. C’est la même force qui nous pousse à toujours vouloir mieux, et à nous dépasser nous-même. C’est une capacité d’investir pour comprendre et savoir avancer dans la bonne direction au lieu d’avancer bêtement n’importe comment. Ne reniez pas ce trait de votre personnalité, cultivez-le, guidez-le : Le tout est d’avancer.
L’étape suivante c’est savoir déconnecter, profiter de la vie sans toujours avoir dans un coin l’ensemble de tout ce qu’on estime imparfait ou incomplet. C’est là dessus que se situe mon prochain combat.
13 réponses à “La paralysie du tout parfait”
Tout pareil, point par point ; et il se trouve que mon fils ainé semble être sur la même voie avec ce que le pédo-psychiatre appelle une « intelligence défensive ». Cela consiste pour mon fils à vouloir appréhender tout ce qu’il peut / avoir la maitrise sur tout ce qu’il peut afin de se rassurer.
A posteriori, je me dis que cela est aussi valable pour moi ; après, il se trouve que j’ai réussi à transformer cette inquiétude en curiosité (maladive dans une certaine mesure) et qui me sert au quotidien pour avancer sur certains sujets (et me freiner sur d’autres car en effet, il me faut tout savoir sur un sujet pour prendre une décision). Sans cette curiosité, je ne ferais clairement pas le boulot que je fais à ce jour et elle me permet aussi aller de l’avant plutôt que de me replier sur moi.
Reste que c’est un challenge de tous les jours ^^
Le problème est également que « le mieux est l’ennemi du bien ». Et il faut, progressivement, y arriver.
Lorsqu’on cherche à tout savoir, à tout comprendre, et qu’on travail dans le même domaine (par exemple) on souhaite alors que tout soit parfait. On souhaite que les bonnes techniques soient utilisées au bon moment. On souhaite que ce soit fait de telle ou telle manière parce que c’est mieux ou c’est la façon de faire. Mais c’est aussi, si mal utilisé, une véritable source d’échec. Car on a tôt fait de tomber dans l’incapacité chronique à se satisfaire du ça marche (simplement).
A l’opposé on a « first do it, then do it right, then do it better ». Facile à dire, pas facile à faire (pour moi en tout cas, même si les choses s’améliorent avec le temps).
Et dans ce cas, cette phrase deviendrait plutôt : Avancez, quitte à vous tromper, si c’est le cas corrigez, mais avancez, c’est ça l’important.
Il faut justement arriver à avancer, à se metter dans une situation en effet inconfortable, en danger. Et finalement c’est aussi là qu’on apprend à faire avec, plutôt que de tout faire pour éviter l’inconfort, au risque de ne rien faire (ou alors très tardivement).
Tu n’es pas le seul à me faire la réflexion sur cette phrase. Mon « sans vous tromper de sens » n’était surtout pas un « sans vous tromper ». Le « quitte à vous tromper » est primordial, j’adhère totalement. Il faut essayer, et essayer veut dire accepter de se tromper.
L’idée était plus, comme je répond à Karl plus bas, de ne pas oublier ses principes directeurs et ce en quoi on croit.
(et du coup j’ai changé mon texte d’origine avec une meilleure formulation pour ce que j’avais en tête)
Le problème aussi est que notre société (française ?) est allergique à l’échec ; donc le discours du « fail fast, fail often » passe mal et/ou ne s’incarne pas dans le réel. Cela ne permet donc pas de relacher cette pression « naturelle » que l’on se met. Quand bien même, on est prêt soit même à rentrer dans cette logique et aller de l’avant, la société/culture peut nous rattraper.
Tu dis
C’est intéressant car ce n’est pas tout à fait comme cela que je raisonne pour mes propres actions. Si je devais formuler en une phrase comme tu l’as fait, ce serait plutôt :
Avancez en évitant les futurs proches avec une évidence de danger, le cône des possibles en face de moi est immense et il n’y a pas de bon chemin.
Typiquement le chemin, c’est ce qui est derrière. Et ce n’est pas une ligne droite. Cela veut dire aussi que tu en reviens à optimiser pour la flexibilité de ton prochain pas si tu n’es pas certain de ce qu’il sera. Un peu comme la marche sur les chemins de caillous, ou la planche à voile avec le vent imprévisible, etc.
Il y a plein de chemins, et si on attend d’avoir un cap précis on ne fait rien. Mais j’en vois parfois qui avancent avant de savoir ce qu’ils veulent faire, pourquoi, ou leurs valeurs. C’est ça que je veux dire par avancer dans le bon sens.
Pour moi, je ne veux pas me lancer dans quelque chose qui serait nocif pour la société dans laquelle je vis. C’est un des principes qui me guide. L’oublier serait avancer dans le mauvais sens. Après ça me laisse encore un angle très large pour avancer et prendre les chemins qui s’offrent à moi.
Très beau témoignage.
En somme, il faut également savoir faire confiance à son instinct (flair, intuition, etc …) et prendre également les choses (et les moments) comme elles viennent.
Je suis totalement d’accord avec le fond de la pensée mais je ne peux pas m’empêcher de faire le parallèle avec le domaine artistique ! J’ai beau travailler des heures et des heures des figures une par une (« savoir et tout savoir »), reproduire du mieux que je peux la chorégraphie d’une autre, quand vient l’heure d’improviser moi même une danse, c’est tout de suite plus délicat. J’ai beau connaître les différents points de vue narratifs existants, les principes de base d’un plan, … quand vient l’heure d’écrire une histoire de plus de 2 pages, il n’y a plus personne.
Il faut donc accepter de sauter dans l’inconnu en sachant pertinemment que des choses seront imparfaites. Mais c’est aussi (et surtout) comme ça qu’on avance et qu’on progresse.
Accepter de ne pas savoir, c’est finalement accepter la vie, ce qui ne va pas de soi.
C’est également accepter le fait qu’on soit aussi guidés par des envies même si notre métier d’humain devrait être de savoir les débusquer pour ce qu’elles sont (ce qui ne veut pas dire les refuser, cf. la glace à la vanille ou à la fraise). Alain l’avait très bien dit.
http://jcgarnier.com/2012/01/08/ne-pas-savoir/
Sujet proche : Être geek, chez David https://larlet.fr/david/blog/2013/etre-geek/
Et j’avoue avoir une opinion opposée sur au moins un terme : Le côté geek est pour moi justement le côté irrépressible et irrationnel. Nous allons trop loin, et quand bien même ce peut être tourné en avantage, je ne le vois pas comme rationnel.
Qui juge le trop loin ?
Si ça te met mal à l’aise effectivement on peut l’envisager comme une pathologie.
Si ça met mal à l’aise les autres/proches c’est différent, c’est peut-être juste inhabituel (?)
> mais avancez, c’est ça l’important
Ce qui peut aussi être « ne rien/pas faire ». Décoreller le verbe agir du verbe faire.