Je suis gêné aux entournures à chaque fois que j’entends parler de la suppression d’une partie des cotisations salariales (les fameuses « charges ») au profit de la CSG.
Fondamentalement c’est une bonne chose. C’est la prise en compte que notre société n’est plus celle de 1945. Non seulement on considère désormais la santé et la protection sociale comme des droits qui ne sont pas conditionnés par un emploi, mais la proportion d’actifs en emploi dans la population baisse de façon continue et définitive.
Le couplage emploi ↔ couverture sociale disparaissant – encore une fois, c’est une bonne chose – il est logique que son financement change en conséquence. Ne pas le faire serait risquer que l’universalisation de la couverture sociale finisse par exploser un jour.
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L’équilibre n’est cependant pas forcément simple à trouver. Avec les cotisations sociales on finance autant les frais de santé que les indemnités de perte de salaire. Il en va de même avec les retraites où on finance les minimum vieillesse comme les parties au delà qui sont en fonction des cotisations personnelles.
Si on voulait être académique, il faudrait laisser séparer ce qui dépend de la situation personnelle et ce qui relève d’un régime général. Une partie devrait rester sous contrôle des salariés, l’autre devrait être globalisée.
C’est faisable mais je n’ai pas lu de travaux en ce sens et ça me gêne beaucoup. Là on passe d’une situation illégitime à une autre.
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Quand les fondements sont bancals, il y a de quoi se méfier. Le changement n’est pas neutre et il faut le relier à l’idéologie libérale de l’exécutif de ces dix dernières années : Diminuer la dépense publique et déléguer au privé une part croissante des couvertures sociales.
L’idée de rendre obligatoire les mutuelles pour les salariés tient du génie à ce niveau. Ça passe pour une mesure sociale alors qu’il s’agit de fixer qu’une partie de la couverture indispensable est à gérer par le privé. C’est d’autant plus pernicieux que ça ne se voit pas immédiatement, et que c’est la mutuelle qui passera pour le méchant de service quand elle augmentera ses tarifs.
Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que le transfert des cotisations salariales vers la CSG n’est dès aujourd’hui pas prévu à budget constant. La différence se chiffre en milliards d’euros. Rien que ça. L’hôpital étant déjà en sous-financement gigantesque, il faudra bien compenser ça par des augmentation de couverture par le privé.
Le gouvernement vient d’ailleurs d’annoncer une augmentation de plus de 10% du forfait hospitalier, augmentation qui sera assumée par les mutuelles privées et pas par la sécurité sociale publique. Facile maintenant que les mutuelles sont généralisées. Coïncidence ? difficile d’y croire. Les mutuelles ont bien entendu annoncé qu’elles auront à augmenter leurs cotisations à l’avenir.
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Malheureusement le transfert du financement des cotisations salariales vers la CSG nous retire aussi un levier pour éviter ça. Les cotisations sont gérées de manière paritaire entre les organisations salariales et employeurs. La CSG est au mains de l’État. Le transfert est une bonne chose, le changement de contrôle est légitime pour la même raison, mais il ne se fait pas à un moment de l’histoire très favorable pour un service public universel.
Si la politique de l’État continue dans la direction de ces dernières années – et ça semble plutôt s’accélérer avec l’exécutif actuel – il y a des chances que le financement par la CSG baisse, au moins par rapport aux recettes et aux besoins, et que la part du privé augmente en conséquence.
De plus, la CSG étant impôt fixe et non-progressif et les mutuelles étant au contraire un système assurantiel basé sur les risques individuels, nous allons de plus tout droit vers une augmentation des inégalités et une individualisation de la santé. Ce n’est pas mon aspiration et ça va coûter bien plus cher : La sécurité sociale ayant des frais de fonctionnement pas loin de quatre fois plus faibles que ceux des mutuelles.
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On peut essayer de lutter contre tout cela mais j’ai peur que les syndicats salariés jettent aussi le bébé avec l’eau du bain, qu’ils cherchent à garder le contrôle sur la sécurité sociale, oubliant que ça ne concerne plus que les salariés.
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