Comme d’autres, j’ai profité avec largesse d’offres promotionnelles de livres numériques. Nous voilà avec dix, vingt ou trente livres dont parfois une majorité resteront intouchés, délaissés sur leur support de stockage.
En lisant et écoutant autour de moi je perçois agacement, moqueries, dédain et mépris pour ces faux lecteurs qui stockent au lieu de lire, voire pour ces offres qui permettent aux faux lecteurs de s’adonner à leur gloutonnerie au lieu de profiter de la littérature de façon respectable, livre après livre, en en lisant chaque ligne.
Mais pourquoi donc s’attacher à dénombrer et parler des livres que je n’ai pas lus ?
Je le comprends d’autant moins que des livres que je ne lis pas il en sort presque 6 000 par mois rien qu’en France. Par rapport aux 5 970 autres de ce mois là, au moins ai-je contribué, même symboliquement, à l’auteur et à l’éditeur des trente que je stocke sur mon disque. C’est à peu près la seule différence que je vois, et elle est plutôt positive.
Et si nous parlions plutôt des livres que j’ai lu, des auteurs que j’ai découvert, des histoires qui m’ont transporté, des pensées que j’ai partagé ou des réflexions qui ont émergé dans mon esprit suite à ces lectures ?
De tous ceux que j’ai ouïe critiquer l’hérésie des lecteurs qui achètent plus de livres qu’ils n’en lisent, aucun n’a tenté d’engager la conversation sur les livres effectivement lus, seulement sur ceux qui ne l’ont pas été. Si j’osais, le réel problème est plutôt là. Doit-on restreindre la littérature à un décompte des boîtes de petits pois stockées inutilement dans le cellier ?
Suites à ce billet :
- Ne plus compter les livres non lus (ce billet)
- Découvrir, cet enrichissement culturel
- Le livre cet objet rare
- D’une économie de la rareté à une économie de l’abondance
- Inéluctable économie de l’abondance
- Penser l’économie de l’abondance
3 réponses à “1 – Ne plus compter les livres non lus”
Honnêtement, même si je suis d’accord avec ton raisonnement, il me semble que tu omets une facette du problème importante actuellement : l’achat compulsif cautionne le consumérisme à outrance.
Chacun est libre d’acheter des choses qu’il n’utilisera pas, ou peu, nous sommes d’accord.
D’ailleurs, ce que tu décris pour les livres est valable pour la musique, les jeux vidéos, l’alimentation (ah, le pack de dix pots de Nutella de 1 Kg en promo… j’achète, ça serait très con de ne pas en profiter, même si en prenant la peine de réfléchir deux minutes, je SAIS que je ne les mangerais pas tous) ou tout autre article de consommation consommable facilement à bas coût ou à coût réduit ponctuellement.
C’est d’ailleurs le principe même de la promotion marketing de déclencher l’acte d’achat en le présentant comme « une bonne affaire » monétaire alors même qu’en pratique, ce n’est pas forcément le cas.
Je pense même que cela fait appel à un phénomène psychologique identique à celui à l’œuvre dans le cadre du piratage : c’est là, c’est facile, ça ne coûte rien ou très peu, donc ça serait bête de passer à côté de l’occasion, même si fondamentalement, j’en ai rien à carrer de ce que je m’apprête à acheter ou à pirater (c’est comme cela que certain pirates se retrouve avec des Go de musique qui représente des vies entières d’écoute, par exemple).
L’aspect quantitatif et social au sens « c’est moi qui ai la plus grosse » ou « tu as vu la super affaire que je viens de faire » doit également jouer.
Mais je m’éloigne du débat, et pour y revenir, je suis bien d’accord que c’est ton problème si tu as décidé de consommer d’un point de vue monétaire et de ne pas aller au bout du processus en consommant intellectuellement ou physiquement ce que tu as acheté et que personne ne devrait y trouver à redire de ce point de vue.
Et je suis d’accord également avec le fait que cela ne devrait pas servir d’échelle de valeur pour te juger.
Sauf qu’en terme « écologique » (je mets des guillemets car ce terme me semble galvaudé actuellement), le compte n’y est pas.
Indépendamment de la nature de l’achat, en achetant, tu as consommé des ressources « pour rien », et pour être fabriqué, ce que tu as acheté a également consommé des ressources « pour rien ».
Et même s’il n’est pas consommé, ton produit consommera des ressources à la fin de sa vie lors de son recyclage (ok, dans le cas du numérique, ce n’est pas forcément vrai, mais les 9 pots de Nutella dont la date de péremption seront dépassés devront eux être recyclés).
Et son coût de recyclage sera de plus certainement plus important car tu n’auras pas dégradé le produit « naturellement » en le consommant, donc au lieu d’en recycler peut être 20%, il faudra en recycler 100%.
De plus, ton acte d’achat encourage le système, alors que si tu avais résisté à la tentation, la demande aurait été moindre, donc la production aurait été ajusté en conséquence (horreur, je parle de décroissance dans une société basée sur la croissance à outrance…) donc des ressources auraient été économisée et surtout auraient ainsi pu être utilisées pour une demande plus « nécessaire ».
En clair, je ne trouve pas ce type d’achat compulsif « responsable » vis à vis de la Planète, même si j’ai bien compris que ce n’était pas le propos de ton billet qui vise plus à dénoncer une échelle de valeur complètement erronée.
Je parle bien de numérique et uniquement de numérique.
Sinon le « pour rien » n’est pas non plus tout à fait vrai ici. Le fait d’avoir ces trente livres c’est ce qui me permet ensuite de choisir un livre suivant mon humeur dans un parcours de train. La présélection est déjà faite, et la bibliothèque m’offre des possibles. La démarche est très différente de celle d’un choix fixé et limité à ce qui est « utile ». C’est d’autant plus vrai pour du culturel (alors qu’en comparant avec de l’alimentaire tu renforces le côté « utile »)
Ce billet renvoie beaucoup aux « droits imprescriptibles du lecteurs » édictés par Daniel Pennac dans « Comme un roman » http://emmanuel.clement.free.fr/blog/index.php/post/2012/09/15/Comme-un-roman