Choisir comment facturer un service est une chose complexe et vous avez intérêt à y réfléchir deux fois. Trois ou quatre serait même une bonne idée.
Au restaurant on paye le plat
Imaginons que vous lanciez un restaurant. Vous pouvez faire comme tout le monde et facturer les mets à la carte. Pourtant ce qui vous coûte cher c’est aussi le restaurant lui-même, le service et le couvert. En facturant au plat vous répartissez tous ces coûts annexes sur chaque plat. C’est ce qui fait qu’un simple plat semble toujours couter cher quand il est pris indépendamment.
Pour peu que votre cuisine soit une réussite c’est la place qui deviendra votre ressource la plus limitée. Le couple de jeunes qui prend juste une salade et fait des mamours pendant longtemps deviendra votre bête noire. S’ils partagent une salade ou un dessert, c’est la misère : Vous économisez le coût de quelques feuilles de salade mais en échange vous n’en facturez qu’une et ils bloqueront la table en vous empêchant de faire un second ou un troisième service avec des gens qui prendront deux bons gros plats.
Il faut dire que c’est un peu de votre faute : En répartissant les coûts ainsi ceux qui prennent entrée – plat – dessert payent une partie des coûts annexes de ceux qui ne prennent qu’une salade. Vous devenez attractif pour ce qui est votre pire clientèle et peu intéressant pour ceux qui vous rapportent le plus. Pas très malin.
Sur Internet on paye l’accès au réseau interne
Cette problématique se retrouve bien évidemment dans notre petit monde de Internet :
Votre fournisseur d’accès Internet paye deux choses : Un coût à peu près fixe pour vous connecter à son réseau, et un coût dépendant des usages (ou de leur augmentation) pour connecter son propre réseau à tous les sites que vous visitez.
Nos FAI français ont choisit le modèle inverse des restaurateurs français : Ils proposent des forfaits, faisant donc payer principalement l’accès à leur réseau interne. Les autres coûts sont réintégrés sur ce forfait en faisant une moyenne des usages prévus.
Comme un gros utilisateur continue à coûter plus cher qu’un autre, on entre dans la quatrième dimension : Votre FAI a donc intérêt à ce que vous utilisiez le moins possible ce pour quoi vous faites appel à lui : accéder à Internet.
Le modèle de facturation va à l’encontre des intérêts du fournisseur de service. Il n’est pertinent que pour des raisons marketing.
La stratégie du pourrissement
Le résultat premier c’est que forcément les FAI sont plus intéressés à offrir des services additionnels (TV, VOD, lecteurs bluray et autres bonus liés aux « box ») qu’à corriger vos problèmes d’accès ou vous offrir de bons accès Internet. Regardez la communication : On vous parle plus de téléphone, télévision, et box que d’accès Internet. Vous savez désormais pourquoi. Si vous cherchez une explication à une majorité de vos problèmes ou de leur non résolution, vous l’avez aussi maintenant. Ce n’est pas qu’ils ne s’en (pré)occupent pas, c’est juste que leurs priorités sont ailleurs.
Le résultat second c’est que nos FAI qui doivent quand même faire face aux usages grandissants. L’ennemi apparaît vite : Les éditeurs de site web ont un modèle économique opposé à celui des FAI. Ces méchants éditeurs ont intérêt et encourage à utiliser de plus en plus le réseau (et ça ce n’est pas bon pour nos FAI qui facturent au forfait). Il faut les faire payer, soit par une taxe (ça parle à quelqu’un la « taxe Google » ?) soit par la force dans les quelques projets que les deux ont en commun (hébergement des serveurs de cache, liens de peering, etc.)
Au lieu de partenariats gagnants-gagnants, le modèle de nos FAI impose de gérer une relation d’ennemis avec les éditeurs et de faire de l’utilisateur la cinquième roue du carrosse. Maintenant vous pouvez relire le billet de Korben, ou vous souvenir des fameuses « QoS » mises en place sur certains ports par vos FAI. Si bien entendu la situation est plus complexe et plus complète que ce que vous avez lu ici ou chez lui, cela vous donne déjà une bonne base d’analyse.
Facturer au volume
Note: Je vois que les commentaires se fixent sur cette section. Je voulais poser un problème, je me suis aventuré un peu sur une solution. Peut-être n’aurais-je pas du le faire avant d’avoir une réflexion plus complète, peut être aurais-je du faire un billet dédié séparé. Je ne sais pas. Ne vous focalisez pas sur la question de la facturation au volume. Le coeur de mon propos est plus d’expliquer le problème, pas d’affirmer avoir « la » solution. Gardez-le juste à l’esprit dans vos réactions.
Côté Internet on dépeint une facturation au volume consommé comme la pire des évolutions possibles. Pourtant cela résoudrait pas mal de problématiques :
- Les éditeurs de sites web seraient désormais des partenaires, puisqu’ils encouragent l’usage du service
- Les éditeurs auraient une pression des utilisateurs pour ne pas encombrer inutilement le réseau, puisque cela leur couterait plus cher
- On peut proposer un accès minimal peu cher car les petits utilisateurs ne payent pas pour les gros
- Les offres de contenu légales deviendraient de fait (un peu) plus attirantes vu que le téléchargement Internet ne serait plus gratuit
- On favoriserait enfin l’émergence de plateformes décentralisées (les services locaux au FAI ou au pays coûtent peu par rapport aux sites distants)
Bien entendu si certains finissent par payer moins cher, d’autres paieront plus cher mais n’est-ce pas légitime au final ?
Les craintes viennent d’anciens modèles économiques qui fonctionnaient au quota, avec éventuellement une facturation du hors forfait à des tarifs disproportionnés, mais ce n’est pas du tout un passage obligé. Ce que change la facturation au volume c’est la façon de facturer, pas forcément le montant de la facture moyenne.
De toutes façons on y viendra. Malgré la mauvaise volonté de nos FAI les usages augmentent régulièrement. Il y a un moment où le différentiel entre les petits usagers et les gros ne sera plus tenable. Plus tôt on y passera plus tôt on aura enfin un réseau que tout le monde aura intérêt à gérer et à améliorer au lieu de traîner les pieds.
Réfléchir à sa facturation
Ces questions ne sont pas retreintes aux restaurants et aux fournisseurs d’accès Internet. Si l’actualité est un bon prétexte pour aborder le sujet, c’est à propos de plusieurs projets en élaboration que j’ai eu cette discussion récemment :
Faites attention à ce que vous facturez. Votre facturation doit inciter vos clients et vos partenaires à augmenter leur usage de vos services et établir une évolution gagnant-gagnant.
Deux signes négatifs qui ne trompent pas :
- Si vous aviez un bouton magique qui améliorerait votre service, vous n’auriez pas intérêt à appuyer dessus
- Vous attirez principalement les clients qui vous intéressent le moins, et inversement.
Les restaurants n’ont qu’un seul de ces signes négatifs. Les FAI français cumulent malheureusement les deux et ça finira forcément par éclater.
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