Bon, une nouvelle école. Quelques réactions :
J’apprécie l’ouverture sans trop faire attention à l’âge. Les formations privées sont trop souvent attachées au cursus avec l’obligation d’enchaîner sans s’arrêter sous peine de devoir passer dans les formations continues spécifiques pour.
J’apprécie aussi l’honnêteté de faire une vraie sélection, sur l’été pour laisser les élèves avoir une porte de sortie avec la fac. Le fait de croire dans une formation de développeur et pas que dans des chefs de projets / ingénieurs, ça me fait aussi plaisir : Il faut recrédibiliser ces postes si on veut avoir des gens compétents.
Technicien expert, C++
On y forme des techniciens, dans la pure lignée Epita / Epitech. Que ce soit un ancien Epitech qui reprenne la chose n’est pas anodin. Ce n’est ni un plus ni un moins, juste différent de beaucoup de formations actuelles. Je continue à voir une vraie différence entre ceux qui sont formés avec une orientation « ingénieur » et ceux qui sont formés avec une orientation « technicien expert ».
Une école de plus avec de réels techniciens informatiques très pointus, ok, pourquoi pas, voyons plus loin.
On ne cède pas à la mode. Tout s’apprend par C++ dès la première année. C’est la langue obligée qui sert de base pour le reste si je lis bien le programme. Je dirais que ça ne fait pas de mal, que les développeurs bas niveau sont trop peu nombreux, mais je questionne la pertinence de voir le modèle objet par le prisme de C++.
Peu de web
Par la suite il y a de nombreuses sections pour C# et les technologies Microsoft, quelques sections Java, mais pour le reste on repassera : 3 crédits pour apprendre toutes les technologies web (Javascript, PHP, HTML, XML, etc.) et 3 autres pour apprendre en même temps les frameworks web et le e-commerce (Rails, Zend, Ruby, le e-commerce, les cms, les IHM web, et même l’ergonomie web), ça fait franchement chiche, même pour un simple survol Si j’étais méchant je dirai qu’on comprend mieux le pourquoi des interfaces de Free.
Peut être est-ce parce que c’est mon domaine et que j’y attache de l’importance, mais le web me semble l’objet technologique majeur de ces dernières années. Bref, pour moi c’est étrange d’y consacrer si peu. Je ne vois pas les gens apprendre Javascript, PHP, HTML5, Zend Framework, Ruby et Rails comme ça d’un coup.
Quelques points datés
Je continue à tiquer sur GANTT, UML, Merise, ITIL. Je peux le comprendre dans certaines formations. J’ai plus de mal dans une nouvelle formation de zéro, et surtout dans celle là qui est très orientée pratique / technique / développement.
À l’inverse, pour une formation axée sur le projet et la mise en pratique, parler de méthodes agiles en dernière année ça me semble un peu du gâchis.
Point global sur le programme
Bon, mais finalement tout ce qui précède reste assez cohérent. On forme des techniciens experts, plutôt bas niveau, dont le haut du panier saura probablement intervenir partout avec aisance et compétence.
Tout juste le programme laisse-t-il apparaître beaucoup de noms de technologies et j’aurais aimé y voir plus d’algorithmie ou de théorie, mais il est tout à fait possible que ce soit abordé à l’occasion des projets.
Je ne vais pas dire que c’est ce que j’aurais choisi en créant une formation, mais ça ne me semble pas mériter toutes les critiques que j’ai vues.
Enrobage marketing
Non, moi ce qui me fait prendre de la distance c’est l’enrobage. Ça pue le mauvais marketing au point que ça en est négatif. J’ai l’impression de retrouver l’EPITA en 97 : tutoiement, on met en avant la création de virus, une épreuve de sélection « ultime et redoutable » (qui élimine 2/3 à 3/4 des candidats, donc bien moins que la plupart des concours ou processus de sélection, dans l’éducatif ou non), le but est plus d’en mettre plein les yeux que d’apparaître sérieux.
On retrouve aussi cet enrobage dans le super marketing « pas de diplôme, l’important ce sont les compétences ». Sauf que le diplôme en France c’est essentiellement un certificat indiquant que tu as suivi une certaine formation. Au lieu d’indiquer « diplôme de master à xxxx » les élèves indiqueront « suivi formation complète à xxx ». S’ils ne le font pas c’est mauvais signe pour la réputation de la formation en question.
Pas de diplôme
Au final ça ne changera donc rien. Ou plutôt si, ça rendra impossible certains emplois publics ou difficile certaines embauches à l’étranger, ça sera irréaliste d’enchaîner sur d’autres études supérieures comme la recherche ou un MBA en gestion/commerce pour la double compétence, et ça empêchera les échanges par équivalence de diplôme/compétence en Europe.
Je note d’ailleurs que le parcours du DG[*] avec un MBA à HEC ne peut probablement pas être fait dans cette nouvelle école (sauf à reprendre de zéro la prépa HEC) justement à cause du manque de diplôme. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Tout ça pour quoi, un effet de manche marketing ?
En fait là aussi ça me fait beaucoup penser à l’EPITA qui à l’époque se défendait de trouver un intérêt à avoir un diplôme reconnu par la CTI mais qui tentait régulièrement de la demande (et se fera rejeter jusqu’en 2007).
Je me dis que l’absence de diplôme en sortie est probablement dû à l’absence de pré-requis du bac en entrée (ça empêche probablement de faire reconnaître le niveau ensuite par l’État) mais ça aurait été plus honnête de l’exprimer ainsi.
[*] D’ailleurs, c’est moi ou il y a un couac ? Dans son profil Linkedin le DG en question est ingénieur EPITA depuis 92 alors que cette dernière ne délivre de diplôme reconnu que depuis 2007. Même chose pour la précision du master EPITECH 2005 alors que l’école n’est habilitée que depuis 2007. Pire, parce que là il indique une formation entre 1999 et 2005 alors qu’il a fondé l’école et en était le DG à ce moment là (ça me parait un peu incompatible avec l’idée d’en sortir diplômé pour moi). On voit qu’effectivement tout n’est pas clair côté diplômes, et ça n’inspire pas confiance (Je me souviens un peu trop de l’ambiguité entretenue concernant le titre ingénieur à l’EPITA avant qu’ils n’obtiennent l’habilitation).
Formation
Je retrouve encore EPITA dans l’idée qu’ils forment des architectes techniques, des chefs de projets et des experts. J’ai bien parlé de technicien expert plus haut, mais c’est plus pour faire la différence avec nombre de formations de techniciens basiques. Il reste que faire miroiter qu’être architecte ou expert en sortie d’école c’est tromper les élèves. À mon époque certains EPITA croyaient valoir deux fois le salaire d’embauche moyen tellement on leur montait la tête à ce niveau (je parle d’EPITA mais ce n’étaient pas les seuls).
Et là où je bip c’est quand je vois parler d’école peer-to-peer. Outre le mot clef marketing pour les élèves en manque, ça me rappelle ce que j’ai vu dans d’autres organismes de formation où ce sont les élèves qui donnent les cours aux autres élèves. Ça peut fonctionner, mais ça a aussi de graves manques. C’est aussi juste infaisable au départ.
Si on ajoute que monter une promo de 1000 élèves en une seule année est quasiment infaisable en arrivant à une bonne qualité de formation, j’ai tendance à croire que les cinq premières promo passeront à la trappe et qu’on s’en moque.
Epita / Epitech / 42
Au final voilà juste une EPITA / EPITECH de plus, fondée par la même personne, avec la même orientation de technicien expert, la même philosophie vis à vis des diplôme (affirmer que c’est inutile jusqu’à enfin réussir à avoir l’habilitation), le même danger sur la formation en partie assurée par les élèves. Faire des écoles en série ne m’inspire pas tant confiance que ça. La formation n’est cependant pas aussi critiquable que ne le laissent entendre quelques geeks.
Côté résultat, comme les EPITA / EPITECH, il peut en sortir du mauvais comme du bon. Et comme dans les deux autres, il en sortira probablement quelques-uns de très bons, comme une masse qui n’est pas exceptionnelle pour autant. Bref, comme partout : La valeur des gens dépend plus des gens que de la formation.
Vus le système, la promo immense et le côté marketing un peu forcé, je conseille tout de même au moins de ne pas faire partie des premières promos qui risquent de payer les pots cassés.
7 réponses à “42 pour une seule école ? ça fait 41 de trop”
À signaler, un autre « fork gratuit » d’Epitech : http://www.zupdeco.org/webacademie/
Ici encore, l’idée est belle et ambitieuse, mais je ne peux m’empêcher de tiquer sur « [une formation] labellisée EPITECH, une référence sur le marché« . Je vois mal les élèves Epitech, qui ont payé 35K€ pour 5 années de formation, apprécier être placés au même niveau que des étudiants non-bacheliers ayant suivi une formation d’intégrateur/dev web. J’ai peur que le mélange des genres puisse être défavorable à tout le monde.
Il reste que c’est une bonne nouvelle d’avoir une école de plus qui forme des gens qui savent coder. Quand Niel dit que le privé fait le boulot que l’Éducation National n’a pas fait, il a pas tort.
J’ai eu la chance d’intégrer une petite école d’ingénieur qui apprenait à coder dès la 1ère année et ce pendant 5 ans, jusqu’à ce que la CTI impose (pour garder le diplôme) d’avoir une prépa de 2 ans et demi en science classique avant une spécialisation réelle en informatique; Au prétexte, à l’époque (2002-2003 je crois), que de toute façon, le développement plus tard se ferait en Inde ou ailleurs, et qu’il fallait former des gens pour gérer les projets plutôt. On voit le résultat aujourd’hui, un marché de l’emploi tendu qui constitue un vrai frein à la croissance du secteur…
En même temps tu as choisi une filière d’ingénierie longue. Je suis assez d’accord avec le fait qu’apprendre à coder d’y est pas forcément la meilleure option. Ce n’est pas ce qu’on attend généralement d’une formation ingénieur. J’ai l’habitude de séparer le « apprendre à comprendre et savoir faire » du « apprendre à faire ». Au mieux elle se destine surtout à l’informatique et bourre de math au départ, apprend beaucoup de théorie ensuite. La syntaxe même du langage et les bibliothèques standard, c’est moins l’objectif.
Ca n’empêche pas qu’il manque d’écoles pour développeurs, mais ce sont plutôt des formations courtes en trois ans, comme celle ci d’ailleurs. En voir arriver des pas mal serait effectivement une bonne chose.
Par contre là aussi je bloque quand je vois l’idée qu’il fait le boulot de l’ÉN. Je sais que le bashing du public est à la mode mais il est amusant que ce sont souvent les mêmes qui tentent de dire que tout doit être dévolu au privé et que le public ne doit pas faire concurrence, et qui se plaignent que le public n’assume pas son rôle. Alors voilà, le rôle principal de l’enseignement public français c’est d’assurer la connaissance. C’est ainsi qu’est organisée la fac initialement. Ca a évolué avec le chômage et l’envie des politiques de professionnalisé tout ça mais si tu as envie d’avoir une formation spécifique à une activité professionnelle particulière, tu peux l’avoir en privé. Bref, Niel ne fait pas le rôle du public, il fait son rôle.
> On voit le résultat aujourd’hui, un marché de l’emploi tendu qui constitue un vrai frein à la croissance du secteur…
Plus que le marché tendu (vu le nombre d’informaticiens ou ingénieurs au chomage), je parlerai d’un mauvais placement social du développeur et de la non-valorisation du développement comme choix de carrière. J’en veux beaucoup aux SSII pour les deux problèmes, bien plus qu’aux écoles et formations.
Pour la référence à l’EN, ce que je voulais dire c’est que j’ai jamais compris pourquoi il n’y a pas eu la volonté par l’État de construire à un moment une vraie industrie du numérique, avec effectivement différent types d’écoles (apprendre à comprendre vs apprendre à faire comme tu dis). Les deux sont nécessaires, mais le discours à l’époque c’était que les chinois feront pour nous (je caricature). C’est en cela où je trouve que oui le privé (là avec 42 mais avant avec EPITA/EPITECH) a comblé quelque chose que l’EN n’a pas fait.
@olivier : « une bonne nouvelle d’avoir une école de plus qui forme des gens qui savent coder. »
Cela reste à démontrer pour l’instant. :) Et le programme PDF est trop succint pour savoir ce qui est offert. Comme par définition, il n’y a pas encore d’anciens pour permettre d’évaluer, nous sommes en pleine illusion.
Ce que j’aimerais voir d’une école qui forme les gens à coder. La première année, les personnes sélectionnées après un mois d’introduction aux différents métiers informatiques passent deux mois dans une entreprise à découvrir les réalités du terrain, puis reviennent en cours pour passer à de l’apprentissage.
Un bon codeur n’est pas seulement un bon technicien, c’est aussi une personne qui va travailler au sein d’une équipe. Je suis aussi d’accord avec Eric que de ne pas connaître les détails des parseurs, réseaux, protocoles, etc. est un gros manque. Je ne pense qu’un seul cours pour le Web permettent cela. Il y a également tout ce qui est question de performances et notamment d’informatique « sociale » c’est à dire que le code que l’on développe se retrouve confronter à des dynamiques non contrôlées. Voir l’histoire des parseurs HTML, de la couche HTTP, etc où il est important de comprendre ce qu’est le mustUnderstand où correction d’erreurs à la volée.
J’aimerais aussi que le codeur-apprenant puisse faire un tour du monde dans différents domaines de l’informatique et différents pays. Les contraintes mobile-réseau en Afrique ne sont pas les mêmes en Afrique qu’au Japon.
Mais ce qui me dérange beaucoup c’est le message militaro-testotérone de l’école.
Sur le discours militaro-testotérone : d’accord. Ce serait une révolution d’intégrer un cursus qui ne soit pas réservé aux mecs.
Je crois aussi que les premières promos pourront demander des cours « à la carte » plus que suivre le programme. Ils pourront co-inventer le cursus.