Suite à mes réflexions sur le rôle du manager, j’ai lancé un petit jeu.
Je suis plutôt agréablement surpris des résultats du sondage mais j’ai plein de choses à dire sur les réponses qui m’ont été faites.
Je fais des réponses ici parce que ça me permet d’être plus posé et d’avoir plus d’espace que sur Twitter mais aussi parce que ces réponses vont évoluer en fonction des commentaires que vous me ferez.
Tout ceci n’est qu’un immense brouillon : J’espère bien que les discussions ici ou là bas seront assez riches pour me faire changer d’avis sur plusieurs points. Si c’est le cas, les contenus évolueront donc en conséquence.
Continuer la discussion, chercher le consensus
Je commence par mettre de côté tous les appels à discussion et à consensus. Bien évidemment que ma question ne vaut qu’après discussion éclairée et recherche d’un consensus. Parfois il y a quand même des avis divergents.
J’irais même plus loin : Il doit y avoir régulièrement des avis divergents. Quand la recherche du consensus va trop loin, on a juste des gens qui s’auto-censurent et abandonnent. C’est sain et sage de leur part parce que ça permet d’avancer mais ça reste un échec collectif.
Au final c’est celui qui a le pouvoir qui gagne. Ce peut-être le pouvoir hiérarchique, le pouvoir d’influence par le charisme, le pouvoir de nuisance de celui qui ne lâche pas son avis ou qui sera pénible si on ne lui donne pas raison, ou même le pouvoir de celui qui rendra mal à l’aise l’équipe par une position victimaire.
Le pouvoir est un très mauvais indicateur de stratégie. Pourquoi lui donner ce poids ?
Il faut espérer le consensus et le favoriser par des discussions ouvertes où chacun est à l’écoute. Il faut cependant savoir prendre une décision avant que ce consensus ne soit forcé.
L’absence de consensus n’est pas un problème, il est le signe d’une richesse. Le problème est dans l’impossibilité de dégager un choix en l’absence de consensus. Mon scénario présuppose d’ailleurs un consensus de l’équipe. C’est déjà une situation plus que confortable.
Vous avez choisi le consensus à mon petit jeu ? Considérez que vous ne l’avez pas et rejouez.
Déléguer au consultant
J’ai proposé l’option parce que je l’ai vécue dans les grands groupes. J’étais le consultant.
Pour moi c’est la pire des réponses.
On fait intervenir le consultant dans la phase d’étude. Le consultant permet d’apporter des connaissances, des compétences ou des expériences qu’on n’a pas. Il établit une grille d’analyse, pousse de l’information et propose des recommandations. Il devrait s’arrêter là.
Le consultant est le pire acteur pour prendre la décision elle-même une fois l’étude bouclée. Il n’a qu’une vue partielle du contexte, généralement peu de l’historique de la boite, une compréhension biaisé des enjeux, et des motivations propres potentiellement différentes des intérêts internes.
Au final il n’a aucune raison de prendre une meilleure décision que vous (manager et équipe) qui pourrez vous baser aussi sur son expérience et ses recommandations (et les suivre le cas échéant si c’est l’élément le plus important).
Le point majeur est surtout que le consultant n’est engagé en rien par sa recommandation. Ce n’est pas lui qui en assumera les conséquences. Pire, il peut être incité à travailler dans son intérêt (valoriser son travail, ou déclencher de nouvelles prestations) au lieu de travailler à l’intérêt du projet.
Faites intervenir des consultants, prenez en compte leurs recommandations (vraiment, surtout si vous avez embauché quelqu’un de compétent qui a le recul nécessaire, n’écartez pas trop facilement ce qu’il vous dira) mais ne leur déléguez pas la décision.
Les conséquences de l’erreur
Ça dépend, quelles sont les conséquences de l’erreur ?
Je n’avais pas anticipé cette réponse. Elle me gêne énormément et c’est peut-être la plus révélatrice de mon approche des choses.
Parler de conséquences de l’erreur part du préjugé que l’avis d’en face est une erreur, que nous on a raison (peu importe si celui qui parle est dans la position du manager ou de son équipe). Pourquoi ce préjugé ? Il y a deux avis différents. J’ai autant de chances de faire une erreur que d’avoir raison. En fait si ça se trouve aucune des deux solutions n’est une erreur, ou les deux le sont.
J’ai bien évidemment en mémoire tous les cas où je regrette de ne pas avoir imposé ma solution mais il y a un gros biais du survivant. Combien d’autres décisions se seraient révélées aussi catastrophiques si je m’imposais ? Je suis bien incapable de le savoir. En fait même là où j’ai des regrets, si ça se trouve ma solution aurait été encore pire.
Donc oui, parfois j’ai le sentiment que les autres sont dans l’erreur et qu’on va en payer les conséquences de façon très grave. Quand c’est le cas je le dis, j’explique les conséquences que j’entrevois. Ces risques sont pris en compte, parfois les autres demandent des explications. Ça fait partie des éléments sur lesquels chacun va baser sa décision mais ça n’emporte pas décision en soi.
Principe de la prise de décision : Avancer tout ce qu’on pense, donner la mesure de notre conviction. Pour autant, une fois exposée, partagée et prise en compte par tous, cette intime conviction ne doit pas inciter à imposer quoi que ce soit.
N’oublions pas que les personnes en face ont potentiellement aussi ce même sentiment de grosse erreur, mais à l’encontre de ce qu’on pense nous.
Celui qui a l’expérience
On est ici dans un dérivé du cas précédent. Invoquer l’expérience n’est ni plus ni moins un prétexte pour dire que mon intime conviction devrait l’emporter.
Si j’ai plus d’expérience je l’ai mis sur la table, j’ai expliqué et explicité ce que je pouvais, affirmé que mon intuition n’est pas forcément explicable mais se base sur plusieurs années derrière moi. Cela a déjà été pris en compte par les personne en face de moi dans leur analyse. Ce n’est pas suffisant pour m’imposer.
L’historique de l’équipe et du manager
Le manager a-t-il habitude de prendre des bonnes décisions ? L’équipe ?
Peu importe en fait, à partir du moment où cet historique est partagé, connu au moment où la décision est prise. Si l’équipe a l’habitude de se planter et le manager l’habitude d’avoir raison, alors l’équipe prendra probablement d’elle-même l’avis du manager le temps qu’elle progresse. Si ce n’est pas le cas c’est que le fondement du refus est plus fort que ce critère historique.
Comme l’expérience, l’historique n’a de poids sur « qui prend la décision » que s’il n’est pas partagé en amont au moment de chercher le consensus, ou que l’un des deux est fondamentalement incompétent au point de ne pas savoir prendre en compte cet élément dans sa prise de décision (et on parle alors d’un niveau d’incompétence assez grave).
Une fois l’historique partagé, il a fait partie des éléments source de la décision de chacun, et ne doit pas emporter la décision collective pour lui-même
Ceux qui assument les conséquences
J’ai vu cet argument employé pour étayer de choix opposés. On laisse la décision à ceux qui en assument les conséquences. Certains pensent que c’est l’équipe, d’autres que c’est le manager.
Les deux me gênent parce qu’ils présupposent que tout le monde n’est pas de la même bonne volonté et dans le même bateau. Si mes équipes souffrent c’est un problème pour moi. Si je souffre ou si je ne suis plus en capacité de les protéger ou de les aider, c’est un problème pour eux. Si la décision prise ne va pas dans l’intérêt de l’entreprise, c’est un problème pour tous.
Vouloir distinguer une personne qui serait plus responsable ou qui subirait le plus les conséquences, c’est présupposer qu’il y a intérêts divergents et ça me pose problème. C’est vrai si on parle de fondateurs, actionnaires et dirigeants — et c’est pour ça que je les ai explicitement exclu de mon petit jeu — mais c’est plus gênant si on parle de management intermédiaire.
Je ne suis pas bisounours. Je sais bien que dans beaucoup de structures il y a ces intérêts divergents, mais c’est bien un problème d’organisation ou de culture à résoudre. Que des organisations dysfonctionnelles engagent des réponses différentes pour éviter ou compenser des problèmes par ailleurs, c’est certain mais ça m’intéresse moins.
Si le manager emporte les décisions parce qu’il craint de subir les conséquences d’une erreur auprès de son N+1, il y a un problème organisationnel à résoudre bien plus important que de savoir comment sont réalisés les choix.
Dans l’idéal ou dans la réalité ?
C’est la réponse qui m’a fait le plus réfléchir. Parle-je d’un idéal ou de vécu ?
Je n’ai pas la réponse. Le fait qu’il y ait un décalage entre les deux est forcément inconfortable, mais la réalité a aussi ses contraintes.
Je me suis imposé plus que je ne l’aurais aimé par le passé. Peut-être pour compenser d’autres erreurs, peut-être parfois aussi par lâcheté parce que je savais que c’est la conception du management que la direction attendait de moi. Parfois j’ai regretté de ne pas l’avoir fait, mais penser que les conséquences aurait forcément été meilleures ne relève que de la croyance.
Le passé permet d’apprendre, mais je sais aussi que le futur me réservera d’autres cas de conscience et que je ne respecterai pas toujours mes conclusions — parfois a raison à cause d’autres dysfonctions à prendre en compte, peut-être parfois pour de mauvaises raisons. Je n’ai pas dit que c’était facile.
Oui mais alors ?
Je ne donne que ma réponse de principe. J’espère qu’elle transparait suffisamment dans ma position précédente et dans les réponses ci-dessus.
Je me base sur le supposés suivants :
1. Je travaille avec une équipe responsable, compétente, impliquée, qui cherche à bien faire, qui prendra en compte les éléments de business d’organisation et de stratégie que je poserai sur la table de la même façon que je prendrai en compte les éléments pratiques qu’ils remonteront.
J’ai plus souvent rencontré ce cas que le contraire, quoi que les légendes urbaines en disent.
Je conçois que ce ne soit pas toujours le cas, mais vous avez alors d’abord ce problème à régler. Le reste en découle.
2. Une fois que chacun a explicité ses motivations, ses expériences, ses connaissances, que les compétences respectives sont connues de tous, je n’ai pas de raison de considérer que ma synthèse est moins juste que celle des autres, mais pas meilleur non plus, sauf à me considérer fondamentalement plus intelligent que mon équipe.
Avec un tel supposé, si tout le monde a la même implication et que les éléments sources comme les raisonnements de chacun ont été explicitement partagés, autant jouer à pile ou face.
Sauf que j’ai un rôle à mener dans l’organisation.
Je suis là pour faire que l’équipe tourne, autonome, responsable. Mieux : Je suis là pour qu’elle s’améliore, par l’expérience et la prise en responsabilité.
Retirer à l’équipe la capacité de prendre elle-même sa décision irait à l’encontre de cet objectif.
Certes, ça ne dit rien sur le choix pris, s’il est bon ou pas, mais ne pas leur laisser ce choix aura des conséquences sur l’autonomie, l’implication et la prise de responsabilité.
Oui. La décision doit être celle de l’équipe, pas la mienne, quelles que soient mon expérience et ma position hiérarchique.
Il y a plein de bonnes raison pour s’imposer. Parfois il faut le faire, mais en général c’est à cause de dysfonctions à compenser : Des éléments stratégiques qu’on ne peut pas partager, une organisation qui fonctionne mal et à compenser, une culture pas encore en place, des membres de l’équipe qui ne sont pas à leur place. Ça doit rester l’exception et ça doit interroger.
Laisser un commentaire