Je lis le billet d’Authueil qui illustre très bien mon problème avec Emmanuel Macron. On nous vend du disruptif, du renouveau, mais je n’ai toujours qu’un superbe emballage marketing. Je suis désolé, ce n’est pas ce que j’en attends, même si ça fonctionne.
Sur la méthode, Macron détonne également. Un excellent article de Médiapart (payant) explique très bien que « En marche » est dirigée par un staff qui sort d’HEC, et qu’il est dirigé comme une start-up, avec des méthodes commerciales et de management qui sont familières à ceux qui bossent en entreprise, mais totalement étrangères au monde politique. Le choix des thématiques et des messages, comme le positionnement centriste « ni droite ni gauche », ne doivent rien au hasard, et il y a du y avoir de bonnes études de marché au préalable. Emmanuel Macron est lancé comme un nouveau produit, avec toutes les techniques marketing qui vont bien pour ça. C’est, pour l’instant, redoutablement efficace, et cela donne un sérieux coup de vieux aux appareils politiques traditionnels.
Moi j’aimerais bien qu’on choisisse notre représentant national sur la politique qu’on souhaite appliquer et pas simplement sur l’efficacité de son équipe de communication. Oui, je sais, je suis vieux jeu.
Authueil parle aussi du programme. Comme tous ses partisans, il pointe vers un site tiers pour se faire une idée du programme. Le simple fait de devoir aller pour ça sur un site tiers qui n’engage pas le candidat alors que l’équipe de communication est jugée excellente par tout le monde, ça devrait faire réfléchir. Sur ce site on y trouve des citations très longues qu’il faut interpréter sur chaque sujet.
Si j’osais, je dirais que ça ressemble à un évangile. Quel que soit la thèse qu’on défend, on pourra s’y retrouver. C’est presque magique. Mais du coup, pour affirmer quelle est réellement la position du candidat ou ce qu’il va faire…
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Vous ne me croyez pas ? J’ai pris l’exemple de la laïcité, sujet clivant en ce moment s’il en est. La moitié du texte décrit le présent ou le passé de façon neutre. C’est « le diagnostic ».
Je me concentre donc sur les prises de position dans la partie « action ». J’insiste, j’ai sauté la partie « diagnostic ». Ici vous trouverez verbatim toute la partie « action » et uniquement la partie « action ». Vous voulez de l’action ? il faudra repasser :
Il considère qu’il faut « préserver comme un trésor la conception libérale de laïcité qui a permis que dans ce pays, chacun ait le droit de croire ou de ne pas croire, l’expression se lisant d’ailleurs dans les deux sens. »
Je vous mets au défi de trouver un candidat significatif qui ne soit pas d’accord avec ça.
Ainsi, selon cette conception libérale, « en France, aucune religion n’est un problème. »
Emmanuel Macron fait néanmoins une distinction majeure entre les religions et les comportements se plaçant sous le signe du religieux : « Ce qui est un problème […] ce sont certains comportements, placés sous le signe du religieux, quand ils sont imposés à la personne qui les pratique. […] Car si la liberté de conscience est totale, l’intransigeance quant au respect des lois de la République, elle, est absolue. […] En France, il y a des choses qui ne sont pas négociables. On ne négocie pas les principes élémentaires de la civilité. On ne négocie pas l’égalité entre les hommes et les femmes. On ne négocie pas la liberté. »
Toutes les religions sont acceptables, mais pas forcément tous les comportements au titre de ces religions. Vous pouvez l’interpréter pour dire tout et son contraire.
Je soutiens la vision multiculturelle ? ça fonctionne. Je soutiens la vision qui défend la France d’extrémistes islamiques ? ça fonctionne. Je soutiens la vision des mulsulmans, y compris radicaux non violents, qui se sentent brimés ? ça fonctionne. Je peux même soutenir une vision largement raciste qui se défend de vouloir bannir la religion musulmane mais qui veut en interdire toute manifestation sous prétexte de civilité ou égalité.
Bref, E. Macron est pour le respect des lois, l’égalité, la civilité et la liberté. Quel candidat ne l’est pas ? Aucune action.
Emmanuel Macron se réfère à la loi de 1905 qui n’interdit pas les manifestations religieuses dans l’espace public tant qu’il n’apparait pas de trouble à l’ordre public. Il fustige à ce titre les débats autour de l’expression du religieux dans l’espace public : « l’Etat est laïc, pas la société. »
Selon lui, « le laïcisme qui se développe aujourd’hui, à gauche et à droite, est une conception étriquée et dévoyée de la laïcité qui dénote à la fois une insécurité culturelle profonde et une incompréhension historique de la France. »
Là il y a un début de prise de position. Malheureusement il n’est pas encore suffisamment clair et tranché. Je rappelle que toutes les lois et toutes les actions faites au nom de la laïcité se font surtout au nom de l’ordre public. On retire le voile complet ? au nom de l’ordre public. Le Burkini ? au nom de l’ordre public (et de l’hygiène). La fin des prières sur les trottoirs faute de place place à la Mosquée ? au nom de l’ordre public.
Bref, même si les soutiens d’une laïcité combative tiqueront un peu, tout le monde pourra y trouvera son compte. Toujours aucune action.
Si Emmanuel Macron refuse une « conception étriquée et dévoyée de la laïcité », il ne prétend pas cependant que toutes les situations soient simples. « Ne soyons pas naïfs : certaines tendances d’un islam particulièrement rétrograde sont à l’œuvre dans notre société pour venir en quelque sorte ‘tester’ les limites de la laïcité, pour monter en épingle des comportements isolés ou minoritaires. »
Ouf. Comme le paragraphe précédent était outrageusement modéré, voilà qui va renforcer n’importe quelle position radicale. Comme on ne parle que de « certaines tendances » sans rien nommer, les modérés seront bien d’accord aussi.
On vient de réconcilier tout le monde en ne prenant… aucune position.
Concernant par exemple le débat sur le « burkini », il considère que « le port de ce vêtement de plage, inventé il y a quelques années par une styliste australienne, n’a absolument rien de cultuel. Il n’est ni une tradition, ni une pratique religieuse. C’est donc bien à tort qu’on a voulu l’encadrer sous l’angle d’un principe de laïcité mal compris. En revanche, l’État impose des règles de vie en société comprenant le respect intransigeant de certaines valeurs : l’égalité entre les hommes et les femmes, la civilité, l’ordre public… »
Vision multiculturelle : « il a dit qu’on a eu tort de vouloir l’encadrer sous l’angle de la laïcité ».
Vision radicale : « il a dit qu’il fallait être intransigeant sur l’égalité et l’ordre public » (on se demandera d’ailleurs ce que viennent faire l’ordre public ou la civilité sur un maillot de bain couvrant).
Mais finalement, pensait-il que c’était une bonne chose ou non d’interdire le Burkini ? Pensait-il que les mairies étaient libres de prendre des arrêtés ou non ?
Toujours magique, aucune prise de position mais des paroles qui peuvent être lues dans les deux sens opposés. Aucune action.
Pour Emmanuel Macron, bien que le cœur même de la laïcité exige une neutralité de l’Etat, le devoir de permettre à chacun d’exercer dignement sa religion doit être réaffirmé : « Laissons les Français musulmans prendre leurs responsabilités en toute transparence. Aidons-les en sortant aussi de nos réflexes historiques, de nos défiances. Aidons-les en coupant les ponts à des organisations parfois occultes, à des modes de financement inacceptables, à des comportements tout autant inacceptables. »
Vision multiculturelle : neutralité, permettre à chacun, aidons-les
Vision radicale : (à condition qu’)ils coupent les ponts avec des organisations, changent leurs financement, arrêtent les comportement que nous trouvons inacceptables
Bref, toujours lisible dans les deux sens, et aucune action claire.
L’organisation de l’islam en France et le combat contre une forme radicale de l’islam ne passent pas pour Emmanuel Macron par de nouveaux textes ou de nouvelles lois, mais par l’application de celles existantes : « Nous devons mener ensemble […] un combat contre l’islam radical, un islam qui veut interférer dans certains quartiers sur la chose publique, et qui se pense comme prévalant sur la République et ses lois ». « Je suis pour cette bienveillance exigeante, je suis pour la laïcité de 1905, mais, dans le même temps, nous avons, sur le terrain, des combattants de cette laïcité, des combattants des droits des femmes, des combattants des règles de la République. »
Là il y a une prise de position : pas de nouvelle loi.
Dans le même temps on insiste sur une meilleure application des existantes comme la solution, ça peut tout de même coller avec les radicaux qui en demandent plus.
On voit bien le « bienveillance exigeante » et le « dans le même temps » qui font bien attention à montrer les deux côtés sous un angle acceptable pour tout le monde sans avancer une quelconque action ou position clivante.
Emmanuel Macron plaide pour une mobilité accrue des jeunes habitants des quartiers populaires grâce à un meilleur accès aux transports, à la culture, aux études, à l’emploi. « Dans ces quartiers, nous avons laissé les artisans d’un islam radical faire leur œuvre, faire leur miel de la frustration de nos jeunes, de la frustration des Français. Voilà pourquoi […] nous devons réinvestir nos quartiers pour redonner aux habitants des opportunités et de la mobilité ». « Notre mission, elle sera difficile, elle prendra du temps, elle sera exigeante avec toutes et tous. Ce sera de faire que les Français de confession musulmane soient toujours plus fiers d’être Français que fiers d’être musulmans. »
blablablabla. Il y a bien une position mais liée à l’urbanisme, et absolument consensuelle. Je suis tout à fait d’accord que ça peut être une piste pour réduire ce qui a mené au symptôme « problème religieux » mais ça s’arrête là. On redonne un coup de nationalisme à la fin pour équilibrer.
Marine Le Pen et François Fillon n’auraient peut-être pas avancé les transports et la culture mais en retirant ces deux mots je vous mets au défi d’exclure que ça aurait pu venir de leur discours. Vouloir des transports et de la culture pour permettre aux français de réinvestir les quartiers, ça reste largement acceptable donc ça ne choquera pas même avec ces deux mots (surtout que les radicaux les plus durs considèrent que ne pas se couvrir ou que le style de musique font partie de la culture à imposer à ceux qui auraient un avis différent).
Bien entendu, très à gauche, mettre du transport, de la culture et de l’éducation pour désenclaver les quartiers, tout le monde sera d’accord. Bien évidemment aussi qu’il faut mettre fin au chômage des quartiers difficiles. Mélanchon, Jadot ou Hamon auraient eux aussi pu prononcer ce paragraphe.
Bon, on fait comment ? On fait quoi en pratique ? On coupe les allocs pour inciter au travail ou on met en place des CV anonymes et du testing anti-discrimination ? Oui je caricature les deux positions opposées mais pour ce qui est de l’action… on ne saura pas.
Au nom de sa conception d’une laïcité de liberté plutôt que d’interdit, Emmanuel Macron se prononce contre l’interdiction du voile à l’université car, à la différence de l’école où les individus sont mineurs, « l’université est le lieu des consciences éclairées et adultes. »
Selon Emmanuel Macron, l’interdiction du voile à l’université serait contre-productive : « Ce qui trouble, c’est le risque que cette jeune femme voilée ait subi une pression maximum, qu’elle ait été contrainte. Il n’empêche : interdire le voile à l’université, c’est paradoxalement interdire à cette jeune femme d’avoir ce qui serait peut-être la seule expérience qui lui permettrait de sortir de sa communauté, d’accéder à un universel, au savoir, à des expériences qui pourraient l’émanciper. En lui refusant cet accès, on renforcerait le communautarisme puisqu’elle serait renvoyée à son quartier, à sa situation, à son confinement social. En ce sens, les laïcistes favorisent le communautarisme dans les quartiers car ils recréent du clivage. Ils favorisent une identité qui se construit contre la République au prétexte que cette république exclurait. »
Donc E. Macron est contre l’interdiction du voile à l’université. Valls avait tenté de renforcer sa posture d’homme ferme face aux dérives avec une déclaration là dessus et l’UMP avait fait de même deux ans avant. Je pense que le FN ne serait pas totalement contre non plus.
Bref on aura eu UNE vraie position claire au dernier paragraphe sur les cinq pages de texte. C’est d’ailleurs la seule phrase en gras sur toute la partie laïcité.
Bon, en même temps, depuis, le Conseil d’État a pris officiellement position pour dire que ça ne passerait jamais le Conseil Constitutionnel. Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) comme l’Observatoire de la laïcité sont eux explicitement contre. Le ballon d’essai de Valls a montré que même la population était plutôt contre aussi, au point de se faire recadrer immédiatement par Hollande (et s’il y a une chose à laquelle on dit que E. Macron tient beaucoup, ce sont bien les études d’opinion).
Bref, une prise de position qui aurait été clivante dans le passé mais qui n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Il n’y a plus que quelques trolls comme E. Ciotti pour avancer dans cette voie (et probablement plus pour faire la une que pour réellement le faire voter). Pas d’action.
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C’est tout. La partie action manque tellement d’action que que je vous épargne la partie diagnostic.
Moi j’y lis une vision multiculturelle à l’opposé du combat des radicaux pro-laïcité, mais la présence systématique de contre-poids à chaque phrase permettra à tout le monde de croire que ça va dans son sens. Je suis convaincu que, du FN au PG, tout le monde pourrait se sentir relativement en phase avec les paragraphes cités.
Entre temps, mis à part la non-interdiction du voile à l’université qu’aucun politique sérieux n’aurait désormais jugé réaliste, on n’a que de vagues déclarations générales sans aucune action derrière.
Ce que je retiens : E. Macron accueille toutes les religions mais pas les mauvais comportements. Il est pour l’égalité, la liberté, la civilité et l’ordre public. Il est bienveillant mais exigeant. Il est pour intervenir dans les quartiers terreau de comportements radicaux mais ne dit pas encore comment. Comment être contre ?
Si ça se trouve il est même pour la paix dans le monde. C’est dire s’il est bien comme candidat. Sauf… qu’on n’est pas à un concours de beauté des années 1990.
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On me dit que c’est un bosseur, qu’il est sérieux, ouvert, qu’il veut faire enfin bouger les choses. Ça a plutôt l’air vrai dans ce qu’on a pu voir mais… est-ce suffisant ?
Je n’adhère pas à cette vision technocratique où l’élu doit être un expert et bon gestionnaire, où l’action remplace la vision. On tue la politique, le choix du peuple souverain sur son futur et la gestion de son État.
À force on finit par oublier que derrière il y a des choix, des choix qui sont tout à fait arbitraires, qui tiennent à des modèles de société. Ce sont ces choix qui doivent nous guider. Si on cherche juste à optimiser et à gérer, on risque de se retrouver avec un modèle de société qu’on n’a pas choisi.
Comment est-ce que je fais avec E. Macron et sa campagne ? Ça fonctionne très bien parce qu’il arrive à trouver de beaux mots qui vont à tout le monde, parce qu’il a une image de réformateur actif et sérieux, mais quel est son modèle de société ? est-ce le mien ? est-ce le votre ? Je n’en sais rien et c’est gênant.
Les grands discours de deux heures avec des phrases parfois sans queue ni tête arbitrées par les études d’opinion et des experts en communication devant un public télécommandé… ça fonctionne peut être mais j’attends autre chose. J’aimerais bien qu’on se mette à discuter politique et modèle de société. Oui, je suis vieux jeu. Je l’ai déjà dit plus haut.
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