J’ai bien conscience que cette nouvelle orientation professionnelle pourrait se concilier avec une position de disponibilité, qui m’assurerait, au moins pendant huit ans, de pouvoir retrouver mes fonctions à la Cour des comptes à tout moment.
Mais j’aborde mes activités à venir dans un état d’esprit marqué par un engagement total, comme cela a d’ailleurs toujours été le cas dans les précédentes étapes de ma carrière administrative et politique, et la force de cet engagement me semble incompatible avec le choix du confort, de la précaution et de la minimisation du risque dont un maintien en disponibilité serait, à mes yeux, synonyme.
C’est son choix, et parce qu’il ne m’impacte en rien – retenez-le bien, c’est le point principal du billet – je n’ai rien à y redire.
Ce d’autant moins qu’après avoir été ministre, plutôt bien appréciée par le milieu entrepreneurial, elle n’a pas besoin de la sécurité de la mise en disponibilité pour pantoufler si d’aventure elle le souhaitait, que ce soit dans du semi-public ou dans du privé.
La prise de risque est toute relative. Si elle voulait un avenir politique, elle a même peut-être pris le chemin le moins risqué.
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Ce choix est le sien. Je n’ai rien à lui reprocher.
Non, ce qui me gêne ce sont ceux qui s’en félicitent, que ce soit à cause de la fable entrepreneuriale de la prise de risque ou à cause du climat de défiance vis à vis des politiques et de la haute fonction publique.
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La fable entrepreneuriale c’est celle qui valorise la prise de risque et l’inconfort extrême de l’entrepreneur, comme un chevalier qui va combattre un dragon pour l’honneur et la gloire.
On raconte de belles histoires en y recréant une noblesse, celle qui a pris des risques et vécu l’inconfort pour créer la valeur de demain, les emplois, la prochaine révolution. Il y a eux et les autres, dans ces derniers les pires étant les salariés, les syndicalistes et les fonctionnaires.
La belle romance permet de valoriser soi et ceux de son rang, puis de barrer la route à toute critique sur les travers négatifs des activités.
La fable s’entretient et certains finissent par y croire, par voir de la valeur dans la prise de risque et l’inconfort, comme une médaille et un aboutissement.
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Foutaises que tout cela. Savoir prendre des risques est important. Les prendre effectivement est souvent nécessaire. Savoir les éviter est la plus grande qualité.
Si on peut obtenir les mêmes effets positifs sans passer par la prise de risque, le faire quand même est juste du masochisme. À la limite chacun ses plaisirs, mais c’est aussi jouer à la roulette avec les finances des investisseurs, avec les vies de famille des collaborateurs, avec l’équilibre des sociétés prestataires et partenaires.
Ces risques, cet inconfort, ne sont que des outils, des leviers, et plutôt de ceux à manier avec précaution. Quand certains les voient comme l’objet même de l’activité entrepreneuriale, je ne peux me retenir de repenser à la maxime « quand le sage pointe la lune, l’imbécile regarde le doigt ».
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Si un jour l’aventure de Fleur Pellerin la pose dans une situation réellement difficile pour son avenir, qu’il lui faut faire des choix, quelle est donc la situation qui lui permettra de continuer à s’investir à fond plutôt que de commencer à réfléchir à la voie de secours ? Est-ce de savoir qu’elle a un filet de sécurité quoi qu’il se passe ? ou est-ce de savoir que si elle ne fait rien et que ça se passe mal elle va vraiment avoir de graves problèmes ?
Un jour les gens comprendront que le confort et la sécurité permettent de travailler avec les gens à leur plein potentiel. Le stress et le risque ne sont là qu’à défaut de savoir ou de pouvoir le faire. Ça revient à travailler contre les gens qu’on met dans une telle situation. Quand c’est de soi-même dont on parle et que c’est volontaire, il faut consulter.
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Ce sont ceux qui se réjouissent par défiance qui me gênent le plus. Ils fêtent ça comme une victoire, comme une justice reprise sur les élus et les fonctionnaires, comme un besoin pour remettre élus et hauts fonctionnaires dans la réalité, voire comme ça de moins à payer en tant que contribuable.
C’est très simple. Que son aventure réussisse ou non, soit Fleur Pellerin reste dans le privé, soit elle revient à son poste dans le public. La dernière alternative n’est possible qu’avec la mise en disponibilité à laquelle elle vient de renoncer.
Si elle reste dans le privé, à part le plaisir sadique de la savoir dans la panade si elle se plante, il n’y a strictement rien à gagner à cette démission. Rien. Pas un kopeck. Et je ne prends personnellement jamais de plaisir à contempler le malheur des autres.
Si elle revenait dans le public on aurait par contre une haute fonctionnaire avec une expérience significative récente dans le privé, à l’heure où on fustige la déconnexion des élites publiques avec ce qui s’y passe.
Est-ce donc cette dernière éventualité qui serait si grave ? Il faudrait un peu de cohérence dans le discours. D’autant qu’à défaut c’est quelqu’un sans cette expérience dans le privé qui officiera à sa place.
Même financièrement, une reprise de disponibilité se fait à l’ancienne rémunération, sans augmentation due à l’expérience et l’ancienneté passées dans le privé. Bref, tout à y gagner.
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On peut discourir autant qu’on veut sur l’injustice de la mise à disponibilité des fonctionnaires, mais il n’y a rien à se réjouir du cas individuel.
Même collectivement, ce système est clairement à l’avantage des contribuables. Il permet d’encourager les fonctionnaires à explorer et se faire d’autres expériences. Il permet ensuite potentiellement à la fonction publique d’en profiter, sans rien débourser.
Le pire c’est de voir que ceux qui discréditent ce système sont les mêmes qui critiquent la déconnexion entre privé et public. Il va falloir choisir…
Non, ce qui serait intelligent serait d’au contraire encourager tous les grands groupes à mettre en place un système similaire. C’est impossible à tenir pour des petites structures mais, dès qu’on parle de milliers ou dizaines de milliers d’employés, la société a la masse pour assumer ces départs et retours sans mettre en péril l’activité.
Il y a certes les congés sabbatiques mais il faut annoncer une durée fixe à l’avance, et cette durée est forcément inférieure à l’année. C’est vraiment adapté à des congés. Difficile d’aller se lancer dans une réelle aventure professionnelle avec ce cadre.
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