Cet article récent sur un sextagénaire qui a abusé sexuellement par 26 reprise une jeune femme de 21 ans par menace et chantage me donne l’occasion d’un billet que je comptais faire depuis longtemps.
Les discussions sur les peines et condamnations sont souvent trop difficiles à tenir sans aller dans de longues explications. Désormais je pourrai renvoyer ici.
3 ans avec sursis pour des viols répétés, ça semble délirant quand on met ça à côté de délits comme le vol ou des questions de stupéfiants. Les commentaires ne s’y trompent pas et on hurle facilement au laxisme.
Pour moi c’est vite oublier le rôle de notre justice et des condamnations :
Tout d’abord on sépare le civil du pénal. Le premier sert à tenter, tant bien que mal, de réparer le dommage, même s’il est évident que cela ne le fera pas disparaître, surtout ici. L’article ne parle pas de dommages et intérêts. Nous ne savons pas s’il y en a eu, ou même si la victime en a demandé. Si ce n’est pas le cas – la victime souhaite laisser tout ça derrière elle, ou ne juge pas que de l’argent changera quoi que ce soit à ce qui lui est arrivé, ou ne souhaite pas recevoir d’argent de son tortionnaire – le juge ne peut en attribuer.
Vient ensuite le pénal, c’est à dire ce qui est imputé au nom de la société, pour se protéger elle-même. Dans une société apaisée il y a deux raisons principales aux condamnations pénales :
- Prévenir la réitération par la même personne (réhabiliter)
- Prévenir d’autres crimes ou délits par des tiers (menacer)
Ici, le juge a probablement pensé que l’obligation de soins et l’interdiction d’approcher la victime, dans le cas d’une personne si âgée et compte tenu des origines du problème, suffirait probablement à retirer tout risque de réitération. L’article n’en dit certainement pas assez pour avoir un vrai jugement, mais ça ne semble pas délirant à priori d’après ce qui y est raconté.
Pour la prévention des crimes et délits par des tiers, j’ai du mal à croire que cette condamnation particulière, avec son contexte, laisse croire à quiconque que faire la même chose n’est pas ou peu risqué. Le contexte humain joue beaucoup, et celui qui le ferait plus consciemment avec un tel calcul finirait immanquablement avec une peine bien lourde pour prévenir de sa propre réitération.
C’est pour ça que la justice ne fonctionne pas en forfaits crime-peine. Chaque situation est différente, en fonction du crime ou du délit lui-même, mais aussi et surtout en fonction de la personnalité de l’accusé. Commenter la peine uniquement sur la base du résumé du crime, c’est passer totalement à côté du rôle de la justice dans notre société.
Il est intéressant de noter que l’application de ces deux critères ne dépend quasiment pas de la gravité du délit. Un vol de téléphone portable peut justifier une peine bien plus lourde qu’un massacre de dizaines de personnes, et deux co-auteurs à égalité d’un même crime n’auront pas forcément la même peine. Difficile à avaler, mais quand même vrai dans une certaine mesure.
Vous noterez qu’il n’y a pas de notion de punition dans les deux critères exprimés plus haut. N’oubliez jamais : faire du mal au criminel ne diminuera en rien ce qu’a subit la victime ; les maux s’ajoutent mais ne s’annulent jamais. Dit autrement, une peine lourde « parce que c’est mérité » ne sert personne. Ni la victime, ni le criminel, ni la société. C’est encore plus vrai avec la prison dont on sait qu’elle a aussi facilement tendance à créer ou renforcer/enfoncer les criminels qu’à les réhabiliter.
Malheureusement, notre société est plus irraisonnée qu’apaisée, aussi on ajoute malgré nous un troisième critère : donner une impression de justice. C’est globalement contre-productif par rapport aux deux premiers critères, mais il est aussi nécessaire de montrer que la justice agit. Quand bien même ce serait la meilleure solution pour tous, il est difficile de faire accepter à la population qu’un délinquant peut être plus lourdement condamné qu’un criminel.
Nous avons plusieurs solutions : Éduquer pour faire comprendre le rôle et le fonctionnement de la justice, avec ses contradictions apparentes, ou faire de l’affichage en jouant sur l’émotif avec le soit-disant laxisme des juges et l’imaginaire violeur pédophile d’Internet récidiviste (qui en plus copie des mp3).
J’en veux à nos politiques qui ont choisi la solution la plus simple : faire appel au sentiments plutôt qu’à la raison, flatter le sentiment d’injustice. Le problème c’est que c’est un fonctionnement qui s’auto-entretient. Moins la société est apaisée, moins elle peut se contenter des deux premières critères et plus elle nécessite un « sentiment de justice » contre-productif.
Certes, ça peut sembler « juste », mais le plus souvent, entre la victime, le criminel et la société, qui gagne à une peine plus lourde ? à l’inverse, qu’y perdrait-on ? Oui, tout ça demande de réfléchir au lieu de juger avec la notion de « punition » à laquelle on est habitué.
Je ne peux que recommander à tout le monde la lecture de Surveiller et punir. Je remercie mon prof de philo d’école d’ingénieur de m’avoir permis de réfléchir à ce sujet en m’incitant à lire ce livre.
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