Si vous voulez un exemple de pourquoi je n’adhère pas à ce mouvement des pigeons entrepreneurs, voici un autre exemple. « Pourquoi les pigeons ont raison de protester » est un article nettement au-dessus des autres. C’est un des rares qui se veut factuel et chiffré au lieu de ne jouer qu’avec de vagues estimations et avec l’émotion.
Avant de commencer on voit tout de suite qu’on parle des petits entrepreneurs, les courbes sont logarithmiques : On multiplie par 10 à chaque graduation en abscisse pour arriver jusqu’à 100 millions de plus values (oui, vous avez bien lu). Forcément, avec une telle échelle les courbes semblent monter très vite et plafonner assez haut.
Alors le 60% c’était bien du flan ?
On commence par un joli graphique éclairant avec une courbe qui touche les 60 %. Pas loin on nous dit qu’en fait non, la CSG est déductible et on fait une nouvelle courbe qui elle ne s’approche pas du tout des 60 %. Mais alors, c’était bien du flan ?
Oui, mais ça ne choque personne de continuer à appuyer l’idée des 60 %. Même l’auteur commence par là, et continuera à donner la courbe des 60 % dans tous les graphiques, parce que c’est bien plus scandaleux et que ça fait un joli chiffre rond à communiquer dans la presse (même s’il est faux).
Ah, mais en fait il y a les lissages
Mais bien sûr ensuite on nous parle des lissages et des abattements. On se demande bien pourquoi il a fallu que le début de l’article nous parle des 60 % au début, et continue à insister dessus. Donc voilà, il y a plein de courbes, suivant le nombre d’années de garde.
Vous noterez la bonne fois d’avoir laissé la courbe des 60 % tout en haut, quand bien même on sait désormais qu’elle ne s’applique à personne, pas même en théorie.
Donc voilà, si on garde ses actions au moins 6 ans, la courbe commence à être relativement plate à 42 % quand on atteint 10 millions de plus values en une fois. C’est à comparer aux 35,5 % avant la réforme et aux 60 % qui sont avancés comme fer de lance de mouvement de contestation. Et oui, je n’ai pas fait d’erreur, je parle bien de 10 millions : Jusqu’à environ 800 000 euros la nouvelle imposition est plus faible que la précédente et il faut dépasser les 1 million pour que l’augmentation d’imposition dépasse les 3 ou 4 points (scandaleux dans notre contexte de remboursement de la dette, n’est-ce pas ?).
Ah mais il faut garder ses actions quelques années
L’auteur parle de complexité française. On peut le voir ainsi mais je n’ai pas l’impression qu’il soit vraiment scandaleux d’avoir une incitation uniquement si on ne revend pas à très court terme. Les entrepreneurs et investisseurs le font eux-même : Les BSPCE et autres actions gratuites sont généralement débloquées progressivement après X années (délai de carence et vesting). Étonnant que ce que les investisseurs imposent aux salariés et dirigeants, soit d’un coup considéré comme exagérément complexe quand l’État leur en applique une version moins contrainte.
Garder 6 ans ses actions d’une société qu’on créé (en tant qu’entrepreneur ou investisseur) semble hors de portée de l’auteur de l’article. 12 ans lui semble totalement irréaliste. Je ne sais pas dans quel monde il vit mais dans le mien ça ne semble pas incohérent.
Tiens, il manque des éléments
Aller, comme je suis bon prince, je vais ajouter des abattements supplémentaires : Ces courbes sont calculées pour un célibataire sans enfants. Le foyer français moyen est plus proche de deux adultes avec un ou deux enfants, les courbes vont bien baisser (ce qu’elles ne faisaient pas avec la fiscalité précédente). Au minimum ça va permettre d’augmenter le montant à partir duquel la plus-value devient significativement plus imposée que la fiscalité précédente.
Oh, et ça ne concerne ni les plus-values réinvesties ni celles dégagées lors du départ à la retraite.
Pour ça il faut que la société survive
L’argument qui tue est sur la courbe de gauche : C’est idiot de tabler sur une rétention de 12 ans alors qu’une majorité de sociétés ne vivent pas jusque là. Tentez d’oublier que la moitié des articles justifiaient l’imposition forfaitaire au nom de la création d’emploi, là nous allons nous occuper de sauvegarder la plus-value de sociétés non pérennes (les autres des durées de rétention de 6 à 12 ans ne posent pas problème).
Si c’est revendre la société rapidement quelques millions après 1 à 4 ans juste avant qu’elle ne meure, le pigeon là ce n’est pas l’entrepreneur mais celui qui achète la société. Grand bien vous fasse si vous réalisez une telle opération mais je ne vois aucune justification pour prétendre à un taux d’imposition réduit et à des abattements.
Même économiquement, un taux réduit pour une société qui n’était qu’un vent marketing destiné à la revente avant de mourir, ça ne tient pas. Quitte à choisir je préfère que l’État utilise ses finances pour aider à faire vivre les entreprises plutôt qu’à favoriser les gains de revente de ceux qui s’échappent au bon moment.
Alors oui, il y a un risque, mais c’est bien aussi ce qui justifie de telles rémunérations et de tels abattements. On peut gagner beaucoup, mais avec de grands risques de perdre. S’il s’agit de gagner beaucoup et vite avant que le risque d’échec ne se réalise, il va falloir qu’on reparle.
Oublions la comparaison entre états
J’ai unilatéralement sauté la première comparaison avec les taxes des autres pays. Je suis tout à fait incapable de savoir si ce qui y est dit est vrai, ou si l’auteur oublie quelque chose de fondamental (genre oublie que la plus-value n’est pas taxée en soi mais intégrée à l’impôt sur le revenu standard). Je n’ai aussi aucune envie de vérifier voir si les pays choisis le sont en écartant les exemples gênants pour la démonstration.
Enfin, l’auteur a peut être raison ou pas sur le statut social des autres pays, cela ne change rien à ce que nous estimons juste de faire en France. Nos modèles sociaux sont différents, et si nous pouvions nous permettre l’endettement des États Unis (100% du PIB au niveau fédéral, additionné à une faillite des États au point que la Californie a une notation plus faible que la Grèce et fait ses paiements avec des reconnaissances de dette, additionné encore à des grandes villes qui font faillite dans certains états) nous n’aurions même pas imaginé remettre en cause le taux d’imposition réduit sur les plus-values. Même pour les pays avec un modèle social similaire, nous sommes parfois beaucoup plus elevés sur certains points, parfois beaucoup plus bas. Dans tous les cas pour comparer l’imposition il faudrait comparer l’ensemble des prestations et des infrastructures, autant dire mission impossible.
Nous trouverons toujours des pays où l’imposition est moins forte, sauf à s’aligner sur le moins disant dans tous les domaines – environnement social, aides, prestations et infrastructures comprises, – nous n’y changerons rien.
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