Sérieusement, autant le mouvement des pigeons pouvait en convaincre certains, autant j’ai l’impression que certains font tout pour se prendre des claques.
« Nous, dirigeants des plus grandes entreprises… », explication de texte
« Nous, dirigeants des plus grandes entreprises privées françaises, proposons au gouvernement un pacte pour relancer la croissance et l’emploi. Il traduit notre ambition pour la France et est conçu dans un esprit de dialogue. La France affiche un déficit sans précédent de son commerce extérieur, de ses paiements courants, de ses finances publiques et de ses comptes sociaux. Les marges de nos entreprises sont historiquement basses. Le chômage sape la cohésion sociale et exclut notre jeunesse. La France doit se transformer en profondeur. Il est urgent d’agir maintenant et collectivement. Nous préconisons une réponse globale adossée à des mesures simples et concrètes.
Traduction : La marge c’est des brouzoufs. On veut plus de brouzoufs, donc plus de marge.
On le verra par la suite, il n’est même pas fait semblant de bénéficier à la collectivité. On parle bien de marge, de coût, de bénéfice, rien d’autre.
1) Avec une dépense publique record de 56% du PIB, nous sommes arrivés au bout de ce qui est supportable. L’État doit réaliser 60 milliards d’euros d’économies (3 points de PIB) au cours des cinq prochaines années.
2) Pour les entreprises, il faut baisser le coût du travail d’au moins 30 milliards d’euros sur deux ans, en réduisant les cotisations sociales qui pèsent sur les salaires moyens (2 smic et plus). Un transfert financé pour moitié par un relèvement de la TVA de 19,6% à 21% (la moyenne européenne) et l’autre moitié par une baisse des dépenses publiques.
3) Il faut garantir aux entreprises un environnement fiscal favorable et stable en baissant notamment l’impôt sur les sociétés pour le ramener au niveau de nos voisins européens.
Traduction : Faudrait baisser nos impôts et nos coûts, ça ferait plus de brouzoufs.
Pour information le budget de l’état après reversion aux collectivités et à la Communauté Européenne est d’environ 200 milliards. On demande « juste » de faire baisser ce budget d’un petit 30%, en cinq ans. C’est un peu comme si on retirait l’impôt sur le revenu (qui fait justement 60 milliards d’euros). Le « en 5 ans » est ambiguë sur le fait qu’il faut arriver à faire cette économie au bout des cinq ans ou lissée sur cinq ans. Même divisée par 5, ça reste une somme énorme.
On veut aussi retirer 30 milliards sur les cotisations sociales pour moitié sur la baisse des dépenses. En français la baisse des dépenses liées aux cotisations sociales c’est la baisse des prestations sociales. Donc aujourd’hui avec tous ces gens dans le besoin suite à la situation économique, on veut baisser les prestations sociales et réussir à baisser de 30% le budget de l’état en même temps (et comme le coût de fonctionnement ne risque pas de baisser de beaucoup, c’est sur les prestations qu’on va tout retirer). N’oubliez pas non plus que les prestations bénéficient surtout aux plus bas salaires alors que comme le dit très bien l’article de base, la baisse profitera uniquement à ceux qui sont au dessus du salaire moyen. Riche plus riches, pauvres plus pauvres, rien de neuf.
Le must c’est ce troisième point. En France l’impôt sur les sociétés est de 35% environ, – exceptionnellement pour 2012, 5 points de plus pour les entreprises avec un CA de plus de 250 millions (sachant que ce sont aussi celles qui savent très bien bénéficier des dispositifs et qu’elles sont rarement au niveau d’impôt théorique). Donc, dans ce pays foncièrement communiste qu’est les États Unis d’Amérique, l’impôt sur les sociétés est entre 15% et 40% (vu qu’on parle des 12 plus grands patrons, on parle du 40%). Le problème n’est pas le montant, c’est que ce sera toujours trop et qu’on veut toujours s’aligner sur le moins disant.
1) À côté des contrats de génération que nous soutenons, nous voulons promouvoir une « plate-forme pour l’emploi des jeunes ». Elle favorisera les emplois d’insertion, des actions d’embauche inter-entreprises, la mise en réseau de nos centres de formation et le développement de l’apprentissage.
2) Il est vital d’instaurer un dialogue social ouvert très en amont pour permettre aux entreprises de s’adapter aux aléas de la conjoncture. C’est l’objet de la négociation sur la sécurisation de l’emploi que nous soutenons.
Traduction : On aimerait bien en plus que l’état subventionne en partie nos travailleurs et nous permette de les licencier plus facilement en fin de subvention, ça laisserait plus de brouzoufs pour nous.
Franchement il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer qu’en France le problème de l’emploi c’est le manque de formation des jeunes. On pourrait même arguer du contraire en fait. Si les jeunes ne sont pas embauchés, c’est à ces grands patrons que revient le problème, pas à l’État. Ici ce qu’on cherche ce sont des emplois aidés, des alternants pas chers, des stagiaires.
Le must est encore le dernier point. Négocier la sécurisation de l’emploi c’est surtout négocier sa non-sécurisation. Il est évident qu’aucun de ces patron n’imagine renforcer encore plus la sécurisation des CDI. Il s’agit bien de l’inverse et de pouvoir licencier facilement en mauvaise conjoncture (après avoir vidé les caisses des filets sociaux si vous avez bien lu au dessus). Ce n’est pas forcément idiot isolément, mais au milieu du reste du manifeste ça devient juste une façon de se concentrer sur sa marge. L’intro était très claire, c’est de la marge des patrons qu’on va parler.
1) Pour donner à notre pays toutes ses chances, il faut préserver le crédit d’impôt recherche.
2) Garantir une offre de capitaux large et dense pour financer les projets à travers des leviers comme la Banque publique d’investissement (BPI), les investisseurs privés et les ressources du fonds d’amorçage du commissariat général à l’investissement.
3) Continuer à nous rapprocher du monde de la recherche publique dans le cadre des pôles de compétitivité.
4) Concentrer les moyens sur une quinzaine de secteurs d’avenir comme la santé, les sciences du vivant ou les technologies de l’efficacité énergétique.
Traduction : Continuez à nous subventionner en brouzoufs.
Ben oui, il faut réduire de 60 milliards le budget de l’État, mais surtout il faut continuer à faire des exonérations d’impôts (surtout ne pas tenter d’expliquer que les niveaux de subvention et d’imposition sont liés, et que l’un ne va pas sans l’autre, que les états avec moins de pression fiscales font aussi moins d’aides). Mieux, il faut financer ces entreprises privées et continuer de créer des structures propres à récupérer les fonds publics.
1) Il faut se donner les moyens d’explorer et d’exploiter nos ressources nationales comme les gaz de schiste.
2) Rester pragmatique dans la mise en œuvre de la transition énergétique, qu’il s’agisse de réduire nos émissions de CO2 ou notre exposition à la production d’électricité d’origine nucléaire.
3) Développer des réponses technologiques à tous ces défis où nos entreprises ont acquis un vrai savoir-faire.
Traduction : Laissez nous faire des brouzoufs sans règle et règlementation.
Non, pas besoin d’explication, si ce n’est supprimer les règles bénéficiaires à la collectivité pour permettre aux grandes entreprises privées de mieux faire fortune.
Notre code de gouvernance Afep-Medef est déjà l’un des plus stricts au monde mais nous sommes prêts à le modifier en :
1) soumettant les rémunérations des dirigeants à un vote consultatif des actionnaires lors de l’assemblée générale annuelle ;
2) créant un haut comité du gouvernement d’entreprise habilité à intervenir auprès des conseils d’administration ;
3) limitant à deux le nombre de mandats d’administrateurs pour les dirigeants mandataires sociaux.
Traduction : On fait semblant d’être soumis pour faire plaisir à la foule, vous pourriez nous laisser faire des brouzoufs en échange.
Lève la main celui qui croit que ces « initiatives les plus strictes du monde » permettent de régler quoi que ce soit ou même de limiter les dérives.
Bref, on a 98 très grands patrons qui font ce qu’il faut pour avoir plus de marges. Pour augmenter cette marge ils préconisent de réduire les prestations sociales, réduire d’un tiers le budget de l’État et donc les infrastructures collectives, réduire la sécurisation des parcours. En échange ils ont des votes consultatifs pour leurs augmentations, dont on sait que depuis elles sont plus que raisonnables, et un haut comité (chouette).
Politis y voit une lutte des classes et sans partager leurs vues, pour la première fois, je me demande si nous n’en sommes pas là.
En fait même si on partage leurs idées, je n’imagine pas une seconde qu’une communication de ce type là revienne à autre chose que de se tirer une balle dans le pieds du point de vue de leur image grand public. Alors ça peut vouloir dire deux choses : 1– ils sont idiots et mal conseillés 2– ça fonctionne et nos politiques tombent dans le panneau suffisamment largement pour que ça compense le fait de se mettre à dos toute la population. Le 1 est purement académique, pour arriver où ils sont, ces patrons ne peuvent pas être totalement idiots. Le corolaire du 2 fait assez peur parce qu’il implique que la voix du peuple et ce que pense le peuple n’a quasiment aucune influence sur nos politique et encore moins sur la politique que mènent ces derniers. #joie.
7 réponses à “« Nous, dirigeants des plus grandes entreprises… »”
Merci,
j’ai bien rigolé en lisant ta « traduction » de l’article. Ça doit être des réminiscence de l’époque « fière et décompléxée »… Baissé le coup de travail pour qu’on continue d’alimenter les actionnaires-rentiers. On vit une époque formidable !
L’aplomb qu’il faut pour demander que l’État à la fois baisse son budget ET finance les emplois des grandes entreprises !
Désolé de sortir un peu du sujet, mais ce que je trouve incroyable dans ce débat sur la compétitivité, c’est qu’il semble absolument tabou de parler de baisse du budget de l’État… Je ne sais pas d’ailleurs où tu as lu dans le texte que baisse des dépenses publiques impliquait nécessairement baisse des prestations sociales.
Ça me sidère encore que cette année le budget de l’État reste stable en valeur absolu (voire augmente même légèrement). On ne me fera pas croire qu’il est impossible de réduire significativement la voilure, d’autant plus que c’est justement quand on a jamais vraiment fait le ménage que les premières économies sont les plus faciles. N’y a-t-il pas du ménage à faire toutes les agences d’État ? Ne peut-on vraiment optimiser notre mille-feuille administratif (encore que c’est autant un problème de courage politique que de volonté des français…) ?
Les efforts demandés à tous seraient mieux acceptés si l’État en faisait réellement aussi.
Non non, tu ne sors pas vraiment du sujet, par contre je ne comprends pas. Ca fait 10 ans que le sujet central de toute la politique c’est la réduction du budget de l’État et de la dette. On en est même arrivé à aborder des mesures purement arbitraires comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et à des mesures purement symboliques comme la suppression de la garden party de l’Élysée. Une candidate avait même proposer de supprimer le défilé du 14 juillet rapport à son coût.
Non seulement ce n’est pas tabou mais c’est bien un sujet central depuis des années. Dire qu’on n’a pas commencé à faire le ménage c’est quand même ne pas regarder très fort. Il y a certainement encore du boulot, et il faut le faire, mais c’est en cours.
Maintenant gagner quelques milliards c’est difficile mine de rien. Vu que tu as dirigé une boite tu sais ce que c’est : les dépenses de fonctionnement sont les moins facile à diminuer. Malheureusement le budget de l’État c’est pour bonne partie désormais des dépenses de fonctionnement et pas d’investissement. Si on fait tant de « partenariat public-privé » c’est justement que nous ne sommes pas capables de dégager quoi que ce soit pour faire de l’investissement.
On réduit quand même, mais ça amène à des situations pas faciles et des services qui n’ont pas le budget nécessaire pour fonctionner. L’hôpital fonctionne avec des bouts de chandelles et pour l’anecdote il y a peu quand j’ai emmené mon fils on m’a dit « ah oui, des thermomètres comme ça on aimerait bien, les nôtres ne fonctionnent pas bien mais on n’a pas le budget pour les bons ». On parle de thermomètres, dans un service d’urgence d’un hôpital. Autre exemple, je me rappelle les textes publiés par des greffiers il y a quelques années lors de la grogne des magistrats, on en avait un qui disait qu’ils n’avaient plus de chauffage (en janvier), des codes de procédures plus à jour, parce qu’ils avaient déjà consommé le budget de l’année N+2.
Le budget de l’État diminue. C’est un combat qui n’est pas gagné, qui doit continuer, mais qui est long, difficile. Il y a plein de gaspillages à éliminer, plein d’économies à faire sur certaines organisations, mais ce ne fera pas 60 milliards comme ça. Imaginer retirer un tiers du budget en cinq ans c’est juste irréaliste, désolé.
Notes d’ailleurs que le déficit annuel est d’environ 100 milliards. Avec tout le foin autour de la dette, tu penses bien que s’il était si simple que ça d’économiser 60 milliards, ça aurait commencé il y a longtemps.
« Les efforts demandés à tous seraient mieux acceptés si l’État en faisait réellement aussi. »
L’État c’est tout le monde, c’est toi comme moi. Ce n’est pas un grand monstre qui nous est étranger. Quand l’État fait moins de dépenses, c’est nous qui faisons moins de dépenses.
Sur la comparaison avec la gestion d’une entreprise, je trouve justement que c’est le contraire, et assez paradoxal. C’est bien plus facile dans une entreprise de réduire les dépenses, ou tout du moins dans faire plus avec l’existant, que d’augmenter le chiffre d’affaires. J’ai l’impression que pour un état, c’est l’inverse : réduire les dépenses semble très difficile, alors qu’ajouter des recettes avec les taxes se fait presque en claquant des doigts.
Dire qu’il y a eu des efforts alors qu’en valeur il n’y a pas de baisse, j’ai du mal à appréhender le concept quand même :) Enfin je n’ai pas étudié le budget suffisamment en détail pour mesurer quels postes ont augmenté et ont compensé les efforts.
Après oui je suis bien d’accord, pour que l’État fasse moins de dépenses il faut que nous acceptions un effort sur les services aussi. Cela me fait penser à l’article du Monde sur la Finlande qui réduit son nombre de communes*. Je regrette qu’on ne puisse avoir ce genre de débat sereinement en France pour optimiser significativement le coût de l’administratif sans trop perdre sur les services.
* http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/10/27/la-finlande-reduit-le-nombre-de-ses-communes_1782019_3214.html
Sur la seconde partie « Je ne sais pas d’ailleurs où tu as lu dans le texte que baisse des dépenses publiques impliquait nécessairement baisse des prestations sociales. »
Ils parlent de réduire de 30 milliards les cotisations sociales, dont moitié par une baisse des dépenses. Ces cotisations sont dans l’ensemble des caisses qui ne gagnent pas d’argent (la plupart en perdent). On peut là aussi imaginer gagner sur les coûts de structure mais dans l’ensemble ça veut bien forcément dire baisser les prestations.
Là aussi, faire 15 milliards d’économies structure en claquant des doigts c’est difficile de faire semblant d’y croire. Pour rappel, la situation au pôle emploi c’est http://n.survol.fr/n/chomage-pole-emploi-au-bord-de-limplosion avec des tentatives de suicide autant des assurés que des employés tellement la situation est intenable : Si l’employé est productif à 100% il a 6 minutes montre en main pour faire chaque point mensuel avec l’assuré, dans lequel il doit écouter, conseiller, orienter. Avec ces 6 minutes il n’a le temps de rien faire d’autre, pas même une réunion d’équipe trimestrielle ou une formation.
Alors oui il y a des économies à faire, mais quand on demande 15 milliards en deux ans, ce qu’on demande c’est bien une baisse des prestations.
[…] Navigation des articles ← Précédent […]