On vous dira que les indemnités de licenciement sont identiques. C’est vrai mais ça ne dit que la moitié de l’histoire. La réalité est toute autre.
Le licenciement économique est très protecteur en France. Si on vous le propose et que vous avez au moins un an d’ancienneté, ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle en soi mais ça l’est par rapport aux alternatives. Si on ne vous le propose pas et qu’il y a un motif économique, vous avez probablement intérêt à lever vous-même la question, voire à l’exiger.
Quelques points de différence avec un licenciement classique (ruptures conventionnelles incluses) :
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Indemnité de licenciement | standard | standard |
Indemnité négociée | possible | possible |
Durée d’attente | 4 à 5 semaines pas de préavis | 21 jours (hors préparation employeur) pas de préavis |
Délai de carence | 7 jours à 6 mois | aucun |
Indemnisation chômage | 57% | 75% |
Prime de reclassement | non | jusqu’à 5 mois de salaire |
TL;DR:
- Si tu as plus d’un an d’ancienneté et que tu penses mettre entre 1 et 24 mois pour commencer un nouvel emploi ou un projet de création d’entreprise, il est très probable que le licenciement économique soit bien plus avantageux pour toi.
- Dans le cas contraire il y a un calcul à faire. Il est possible que l’intérêt d’un licenciement économique soit faible ou nul, mais il reste peu probable que le solde financier soit négatif.
Pour toute la suite je pendrais un exemple de développeur logiciel, cadre convention collective syntec dans une petite entreprise avec un salaire brut de 48 k€ annuels et 4 ans d’ancienneté. Il lui reste environ moitié de congés non pris au compteur (4 RTT + 12 CP). Il commencera un poste dans les 4 mois.
NDLA 1 :Aucun des calculs ne se prétend exact, ils sont uniquement là pour illustrer le scénario en donnant un ordre de grandeur. Faites-moi signe si vous voyez des erreurs ou des oublis.
NDLA 2 : Je ne suis pas expert du sujet et ce n’est pas mon métier. Je ne prétends pas à plus que donner une information et vous inciter à vous renseigner plus avant si ça vous semble important pour vous. Faites-moi cependant signe si vous voyez des erreurs ou des oublis.s
Indemnités de licenciement
L’employeur vous mettra en avant l’indemnité de licenciement. Elle est effectivement identique dans les deux cas, et assez réduite :
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Théorique | ⅓ de mois de salaire si > 2 ans d’ancienneté | ⅓ de mois de salaire si > 2 ans d’ancienneté |
Exemple | 5 300 € (bruts) | 5 300 € (bruts) |
Dans les deux cas vous êtes libres de négocier une indemnité supérieure avec votre employeur.
Le supplément, l’indemnité extra-légale, sera cependant convertie les délais de carence du Pole Emploi. Vous n’avez donc intérêt à en négocier une que si vous pensez réembaucher avant la fin des délais de carence du Pole Emploi.
Durée d’attente
Dans les deux cas, vous n’effectuerez pas le préavis de 3 mois prévu au contrat. Les durées d’attente correspondent aux temps de réflexion ou de validation des procédures.
Pour la rupture conventionnelle, il y a un délai de rétractation de deux semaines, plus un délai de validation de la direccte de deux semaines, plus un ou deux jours au milieu. Comptez 5 semaines. Ajoutez-y un premier entretien formel avant de pouvoir contractualiser l’offre. Si c’est l’employeur qui vous le propose il faudra aussi compter quelques jours pour que vous réfléchissiez, donc 1 mois et demi au total.
Pour le licenciement économique vous avez 21 jours de délai entre la notification et le licenciement lui-même, plus la préparation en amont côté employeur.
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Théorique | 4 semaines + entretien préalable | 21 jours + préparation employeur (0 à plusieurs mois) |
Exemple | 1 mois et demi | 1 mois du point de vue salarié + 2 semaines à 1 mois de préparation côté employeur |
La préparation côté employeur est variable suivant qu’il s’agit d’une procédure individuelle ou collective, suivant la taille de l’entreprise, et suivant la bonne volonté des instances représentatives le cas échéant.
Un licenciement économique individuel dans une petite entreprise ne demande pas un délai de préparation vraiment significatif par rapport à une rupture conventionnelle (même si souvent l’employeur en fera une montagne pour vous en dissuader, et parfois en y croyant lui-même). Au final l’un ou l’autre sont assez similaires sur le délai.
Un licenciement économique collectif dans une grande entreprise peut effectivement prendre plusieurs mois (mais si vous lisez mon billet pour savoir quoi négocier, vous n’êtes probablement pas dans ce cas).
Délai de carence
On entre dans la partie « Pole Emploi » et c’est là que se logent les différences.
Sur une rupture conventionnelle vous avez déjà un délai de 7 jours francs, puis un différé d’indemnisation correspondant au nombre de congés non pris payés par votre employeur à votre départ. Ce sont autant de jours qui ne vous seront pas indemnisés par l’employeur (23 jours dans notre exemple, soit ¾ de mois d’indemnités chômage).
Si vous avez négocié une indemnité de licenciement extra-légale, elle génèrera un différé d’indemnisation supplémentaire elle-aussi, suivant une formule assez peu avantageuse pour les gens bien payés. Vous n’y aurez rien gagné (sauf à trouver un nouveau job avant la fin de ce différé d’indemnisation).
Sur un licenciement économique vous êtes indemnisé dès le premier jour, sans carence ni différé. Simple et efficace. Les éventuels congés payés vont directement sur votre compte en banque.
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Théorique | 7 jours + solde de CP et RTT | Aucun |
Exemple | 23 jours de non indemnisation | 23 jours d’indemnisation (~ 2 250 €) |
Si vous ne pensez pas commencer immédiatement un nouveau poste dans le mois, vous venez déjà de perdre littéralement plusieurs milliers d’euros en acceptant la rupture conventionnelle.
Indemnisation chômage
Là c’est plus simple. L’indemnisation brute est de 57% du salaire brut de référence dans le cas de la rupture collective. Dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle (ce à quoi vous avez le droit dans le cadre d’un licenciement économique et plus d’un an d’ancienneté), la première année est indemnisée à 75% au lieu de 57%. 18 points ce n’est pas rien.
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Théorique | 57% du salaire de réf. | 75% du salaire de réf. |
Exemple (3 mois) | ~ 6 800 € | ~ 9 000 € |
Pour l’exemple, je compte 3 mois après les 23 jours du sous-titre précédent. On vient d’augmenter la différence entre les deux scénarios de plusieurs milliers d’euros supplémentaires.
Outre le financier, le contrat de sécurisation professionnelle ouvert par le licenciement économique vous fera probablement aussi accéder plus facilement à des formations. Il risque aussi de vous donner un encadrement plus serré, on aime ou on n’aime pas.
Prime de reclassement
C’est la grande oubliée. Dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle, si vous reprenez un travail durable ou un projet de création d’entreprise dans la première année, vous pouvez demander une prime de reclassement.
Il s’agit d’une prime qui correspond à la moitié des indemnisations restant à pourvoir au titre de la première année. Si vous trouvez un poste dans les 4 mois, on vous offre 3 mois d’indemnisation en prime (la moitié de 12 mois – 4 mois).
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Théorique | (rien) | La moitié de l’indemnisation restante des 12 premiers mois |
Exemple | 0 | 9 000 € |
Théoriquement vous pouvez demander à la place une compensation de la différence entre votre nouveau salaire et votre ancien salaire. Faites le calcul mais la prime de reclassement est probablement plus intéressante.
Note : Le conseiller Pole Emploi ne vous parlera pas forcément, ou alors en ne vous proposant que la compensation de différence de salaire. S’il vous en parle il ne vous le rappellera pas forcément quand ce sera le moment, ou ne vous donnera les papiers que si vous les exigez explicitement vous-même. Pensez-y, d’autant que vous n’avez qu’un mois à compter de votre embauche pour faire la demande.
Un petit calcul
Dans mon exemple, la différence entre les deux scénarios est d’environ 13 500 € (bruts). Le vrai calcul dépendra de votre solde de congés payés et de la date à laquelle vous pensez retrouver un emploi ou initier un projet de création d’entreprise.
Rupture co. | Licenciement éco. | |
Indemnité de licenciement | 5 300 € | 5 300 € |
23 premiers jours de chômage | 0 € | 2 250 € |
3 mois suivants de chômage | 6 800 € | 9 000 € |
Reprise après 3 mois et 23 jours | 0 € | 9 000 € |
Total | 12 100 € | 25 550 € |
Différence | 13 450 € |
Il ne s’agit pas de rentrer systématiquement en confrontation avec l’employeur ni de chercher à le faire plonger alors qu’il est potentiellement déjà en situation difficile. Il ne s’agit pas non plus d’ignorer ce que ça veut dire pour le salarié, parce que c’est plus que significatif.
Maintenant voilà, vous avez un ordre de grandeur de la différence entre une rupture conventionnelle et un licenciement économique.
Exigez le licenciement économique
Si vous acceptez la rupture conventionnelle dans une situation où un licenciement économique serait théoriquement possible, c’est comme si vous faisiez un don de plusieurs milliers d’euros à votre employeur. Dans notre exemple on parle de 13 500 € (bruts) quand même.
Est-ce vraiment légitime ? Est-ce vraiment ce que vous souhaitez faire ?
Sinon exigez le licenciement économique, même si on ne vous le propose pas d’emblée, même si on vous dit que ce sera long et compliqué (parfois l’employeur le croit vraiment, parfois à tort), même si ça l’est vraiment (dans le cas d’une entreprise de plusieurs centaines de salariés avec des instances représentatives qui veulent bloquer).
Souvenez-vous que votre employeur, lui, ne vous aurait pas fait don de 13 500 € dans une situation similaire. Il le montre d’ailleurs très clairement s’il cherche à éviter le licenciement économique.
Et si on me propose une plus grosse indemnité ?
« Faites le calcul » mais n’oubliez pas qu’une indemnité extra-légale augmente d’autant le différé d’indemnisation. Ça n’a d’intérêt que si vous comptez retrouver un emploi avant la fin du différé d’indemnisation. Dans le cas contraire c’est surtout Pole Emploi qui profitera de l’indemnité, pas vous.
Une alternative, ça se faisait beaucoup pour les cadres avant l’existence des ruptures conventionnelles, c’est de faire un licenciement pour faute simple tout en sachant qu’il n’est pas motivé, et de faire un accord transactionnel dans la foulée pour compenser le licenciement irrégulier. Les sommes en jeu sont hors cotisations et hors différé d’indemnisation.
Cela dit il faut qu’on vous propose une grosse sur-prime pour que ce soit intéressant face à un licenciement économique. C’est peu probablement le cas (si ça coûte plus de 3 mois de salaire, l’employeur a aussi bien fait de faire ce licenciement économique, comme c’est détaillé plus bas).
Le coût pour l’employeur
Ne nous le cachons pas, ce n’est pas équivalent non plus pour l’employeur. Il y a un coût de préparation et un coût d’exécution.
La préparation pour une petite entreprise ça veut peut-être dire payer 1 000 € de conseil juridique pour bien confirmer et appliquer la procédure.
Pour une entreprise de plusieurs centaines de salariés qui fait une procédure collective, il y a un coût interne d’occupation des ressources RH et légales ainsi que le coût humain d’une négociation avec les instances représentatives. C’est difficilement mesurables mais c’est important.
Ensuite c’est en partie l’employeur qui finance le contrat de sécurisation professionnelle proposé par le Pole Emploi. Au lieu de vous payer à exécuter votre préavis, l’employeur verse le même montant au Pole Emploi (3 mois de salaire brut dans notre exemple).
Ce n’est pas l’exact équivalent mais, pour faire court, si l’ex salarié gagne plus, c’est que l’employeur paye plus, avec un ordre de grandeur similaire.
Mais la boite risque de couler !
Est-ce vraiment le cas ? uniquement à cause des 3 mois de salaire qu’elle versera en plus à Pole Emploi ?
Possible, mais aussi peu probable malgré tout ce qu’on vous dira (nous sommes en période de covid, c’est encore moins probable en ce moment vue la facilité à avoir des aides sous forme de prêt pour justement éviter les dépôts de bilan). L’entreprise est-elle vraiment à ça du dépôt de bilan ? de « situation acceptable » à « on met la clef sous la porte » ?
Et si c’est le cas (soyez-en vraiment certains, ne vous contentez pas des dires de l’employeur, même si vous avez confiance en lui), êtes-vous prêts à faire un don de 10 à 15 000 euros pour que lui éviter ça ? Est-ce votre rôle plutôt que celui des actionnaires de la société ?
Et si vraiment la boite est à ça près, et que vous avez les moyens de donner cet argent nécessaire, et que vous seul pouvez le faire (pfiou, vous cumulez quand même, hein ?) : Est-ce que vous ne devriez pas ensuite en détenir une partie, soit pour récupérer des bénéfices quand elle en fera dans le futur, soit pour revendre ces parts plus tard quand la faillite sera évitée, soit pour, au pire, ne rien en faire mais avoir un droit de regard sur le futur ?
Bref, faites un licenciement économique puis donnez ensuite, si vous le souhaitez, la somme que vous voulez à l’entreprise, sous forme de prêt ou d’achat de capital. C’est quand même plus honnête et plus clair pour tout le monde.
La seule règle à retenir
Ne signez pas de rupture conventionnelle ou d’accord sans avoir fait vos comptes et avoir tous les éléments. Ne signez pas tant que vous n’êtes pas certain de vouloir le faire, avec tous les éléments en tête.
Prenez votre temps, prenez des conseils de tiers, démarchez un syndicat ou un représentant du personnel si besoin.
Quelle que soit l’urgence qu’on vous donne, vous ne devriez pas faire un gros cadeau à votre employeur sous la pression. Si vous le faites, faites le en conscience, volontairement, à tête reposée. Demandez du temps si vous en avez besoin.
Tant pis si vous vous êtes à moitié engagé avant de lire tout ça, ne signez pas juste parce que vous avez donné un accord oral auprès de quelqu’un qui ne vous a pas donné toutes les clefs de compréhension.
Même si vous avez signé, vous avez encore 15 jours de délai de rétractation. Utilisez-les, ils sont faits pour ça. Ce n’est pas une trahison : c’est l’utilisation légitime d’un temps de réflexion prévu à la procédure. L’employeur n’aurait, lui, aucun remord à utiliser un temps prévu pour, comme il le fait (à raison) quand il met fin à une période d’essai.
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