Google s’at­taque à l’uni­ver­sa­lité des droits ! (et ils ont raison)

Pour l’ap­pli­ca­tion de cette déci­sion, la Commis­sion natio­nale de l’in­for­ma­tique et des liber­tés (Cnil) a demandé à Google de faire les déré­fé­ren­ce­ments pour l’en­semble des recherches possibles pour les inter­nautes. En effet, toute personne peut faire une recherche partout dans le monde en utili­sant n’im­porte quel nom de domaine (google.fr aussi bien que google.de ou google.com…). Or Google ne veut déré­fé­ren­cer que pour les requêtes venant des moteurs dits « euro­péens » (.fr, .de, .it, .nl…).

[…]

Personne, pas même Google, ne peut reven­diquer d’être hors la loi tant que celle-ci ne contre­vient pas aux prin­cipes fonda­men­taux des droits de l’Homme.

La Cnil a raison d’exi­ger que le défé­ren­ce­ment soit global lorsqu’il est en confor­mité avec la déci­sion de la CJUE. Il convient de ne pas céder à Google.

Et pour une fois, je suis en fort désac­cord avec la posi­tion de la LdH.

Il n’y a que trois possi­bi­li­tés :

  1. Bloquer ces résul­tats et conte­nus partout, pour tout le monde
  2. Bloquer ces résul­tats et conte­nus pour les accès depuis l’Eu­rope
  3. Bloquer ces résul­tats et conte­nus pour les sites euro­péens et/ou desti­nés aux euro­péens

La première solu­tion, souhai­tée par la LdH, me semble extrê­me­ment dange­reuse. Elle implique que des déci­sions légales ou règle­men­taires en France et en Europe doivent s’ap­pliquer inter­na­tio­na­le­ment. Le pendant évident c’est que les déci­sions états-uniennes, tuni­siennes, chinoises et péru­viennes s’ap­plique­ront aussi en France.

Le souhai­tons-nous vrai­ment ? moi non. Il y a plein de choses auto­ri­sées chez nous qui seraient inter­dites ailleurs. Des liber­tés auxquelles je tiens.

C’est d’ailleurs tota­le­ment irréa­liste. Comment conci­lier ce qui est expli­ci­te­ment un droit chez certains et une inter­dic­tion chez d’autres ?

Se conten­ter de parler des Droits de l’Homme n’éclaire pas mieux. Outre le fait que chaque conti­nent a sa propre décli­nai­son, avec plusieurs versions, ces textes ne sont que des décla­ra­tions géné­rales à partir desquelles il faut créer un équi­libre.

Le droit à l’ou­bli doit-il primer sur le droit d’ex­pres­sion et le droit à l’in­for­ma­tion ? Comment ? Ne devrait-on pas juste bloquer les résul­tats sur une recherche à partir du nom mais pas à partir d’une recherche sur les faits eux-mêmes ?

Je suis certains que diffé­rentes cultures et diffé­rents pays répon­dront diffé­rem­ment, et pour­tant tous en pleine confor­mité avec les droits de l’Homme.

Peut-on diffu­ser de la culture qui est tombé dans le domaine public chez l’un et encore sous droit d’au­teur chez l’autre ? Peut-on parler cryp­to­gra­phie avan­cée ? Quelle est la limite entre la liberté d’ex­pres­sion, la paro­die et le respect de la dignité humaine ? Quelle est la limite entre le droit à l’in­for­ma­tion, la liberté de la presse, et le respect de la présomp­tion d’in­no­cence ou la diffa­ma­tion ? Quelle est la limite au niveau de la porno­gra­phie ? Peut-on bloquer des sites sur déci­sion admi­nis­tra­tive ou non judi­ciaire quand il s’agit de poten­tiel terro­risme ou pédo­phi­lie ? A-t-on le droit de publier des infor­ma­tions qui seraient sous secret d’État dans un pays tiers pour des raisons de sécu­rité ou d’ordre public ?

Sérieu­se­ment, toutes ces posi­tions sont plei­ne­ment respec­tueuses des droits de l’Homme, et aucune n’ap­pelle à un arbi­trage univer­sel. La réponse de l’un casse­rait tota­le­ment l’équi­libre social de l’autre, et aucune réponse n’est objec­ti­ve­ment meilleure ou même moins dange­reuse. Pire : Faire primer la réponse de l’un pour­rait être attaquable chez l’autre juste­ment au titre des droits de l’Homme, et inver­se­ment.

Il reste la possi­bi­lité d’être prag­ma­tique, de respec­ter la souve­rai­neté de chacun. La troi­sième est la solu­tion chinoise. Elle est complexe à mettre en œuvre et serait tota­le­ment inap­pli­cable de toutes façons. Google peut encore avoir une présence un peu partout (et encore, pas partout, comment feront les autres pays ?) mais comment contraindre le New York Times ? Les chinois ont isolé leur réseau et érigé une barrière filtrante à l’en­trée. Ce serait diffi­cile en France, et je ne le souhaite pas du tout.

Bref, reste la solu­tion inter­mé­diaire. Elle est utili­sée par Google depuis long­temps, et n’est en rien spéci­fique au droit à l’ou­bli. Yahoo! avait aussi tran­ché ainsi dans les années 2000 quand des objets nazis s’étaient retrou­vés sur leur site d’en­chères. Il faut dire que c’est le seul choix vrai­ment raison­nable pour des sites qui traversent autant de pays et qui ne veulent pas retreindre les acti­vi­tés auto­ri­sées à une peau de chagrin.

C’est impar­fait, contour­nable, mais fina­le­ment le plus prag­ma­tique, et peut-être même souhai­table : Les étran­gers conti­nue­ront à voir ce que vous souhai­tez oublier, mais en même temps si c’est légal chez eux, au nom de quoi les contrain­drions-nous ? Il sera encore possible pour vos compa­triotes d’ac­cé­der à l’in­for­ma­tion en la recher­chant volon­tai­re­ment sur un site étran­ger. Fina­le­ment ça permet de gérer l’ac­cès à l’his­toire et la liberté d’être informé, tout en gardant une certaine opacité et une capa­cité à oublier pour tous les jours. Les collègues, les voisins, les incon­nus, eux n’au­ront plus un vieux passé à oublier devant les yeux, ce qui est bien l’objec­tif.


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Commentaires

Une réponse à “Google s’at­taque à l’uni­ver­sa­lité des droits ! (et ils ont raison)”

  1. Avatar de Thibaud Dauce

    J’ai toujours trouvé cela un peu bête de demander à Google de supprimer des liens. Google ce n’est pas Internet et il n’est pas responsable de ce qu’on y trouve.

    Si une personne est en désaccord avec ce qu’il se dit sur lui sur un site web, il ne faut pas demander à Google de déréférencer la page, il faut demander au site de supprimer la page. Si ce site est hébergé à l’étranger il suffit de faire exactement comme si un délinquant était à l’étranger, collaborer avec les autorités locales en fonction des réglementations des deux pays. Oui c’est plus compliqué que de s’attaquer à un acteur unique mais pour moi c’est la seule méthode qui respecte les lois de chaque pays et où l’on ne se pose pas toutes ces questions.

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