Emails, chif­fre­ment et vie privée

Image avec une personne (à queue de cheval), qui envoie un email à travers le réseau jusqu'à son serveur, qui envoie à travers le réseau jusqu'à mon serveur, qui envoie à travers le réseau jusqu'à une autre personne (à chapeau)
Alice veut envoyer un email à Bob.

Que peut-on sécu­ri­ser là dedans ? On va essayer d’y voir clair.

Le schéma stan­dard n’est pas très glorieux

Les trans­fert entre Alice, Bob et leur serveur sont quasi­ment toujours sécu­ri­sés aujourd’­hui. À l’en­voi c’est SMTP pour un client email, et HTTP pour un webmail. À la récep­tion c’est IMAP ou POP pour un client email, et HTTP pour un webmail.

La commu­ni­ca­tion entre les serveurs est géné­ra­le­ment sécu­ri­sée mais les proto­coles ne garan­tissent pas qu’elle le soit toujours.

Les emails tran­sitent par contre en clair sur les deux serveurs. Si Alice et Bob laissent leurs messages sur le serveur, l’his­to­rique y est aussi en clair.

Envoi : Jaune
Serveur d'envoi et historique : Rouge
Liaison entre les deux serveurs : Jaune
Serveur de réception et historique : Rouge
Réception : Vert

La vision histo­rique, GPG et S/MIME

La solu­tion histo­rique qui ne demande aucun chan­ge­ment majeur sur toute la chaîne c’est d’uti­li­ser GPG ou S/MIME.

Alice chiffre l’email avant de l’en­voyer et Bob le déchiffre au moment où il le reçoit. Le réseau et les serveurs ne voient que le contenu chif­fré, illi­sible.

Le compro­mis c’est celui de la lettre postale. Les tiers n’ont pas accès au contenu mais savent encore qui a écrit à qui, quand et depuis où. Même le sujet de l’email est en clair (et ça en dit parfois beau­coup).

Si vous écri­vez à un avocat, à un jour­na­liste, à un hôpi­tal, à une person­na­lité ou à qui que ce soit d’in­té­rêt, on conti­nuera à le savoir. Ça peut révé­ler presque autant de chose que le contenu lui-même.

Chaîne d'envoi à réception : Bleu-vert

Cette vision est aujourd’­hui consi­dé­rée comme peu perti­nente, même par ses défen­seurs de l’époque. Elle est complexe à mettre en œuvre, repose sur des échanges de clés qui ne sont pas si évidents, et n’offre pas assez de confi­den­tia­lité. Ça reste toute­fois « l’état de l’art » sur l’échange d’email.

Il y a un effort avec Auto­crypt pour auto­ma­ti­ser PGP de manière oppor­tu­niste mais ça a son lot de complexité et de compro­mis de sécu­rité.

Agir de son côté

La solu­tion histo­rique repose sur le chif­fre­ment par l’ex­pé­di­teur. Si l’email n’est pas chif­fré à la base, on se retrouve dans le système stan­dard. En pratique peu le font, soit parce qu’ils ne savent pas, soit parce que c’est compliqué, soit parce que ce n’est pas proposé par leurs outils.

Dans toute la suite on va donc se concen­trer un seul côté, faute de pouvoir faire chan­ger nos inter­lo­cu­teurs.

Réception : Rouge
Archives : Rouge
Traitement : Rouge
Communication : Vert

Tiers de confiance

Les emails en entrée seront toujours en clair. La seule chose qu’on peut faire c’est cher­cher un pres­ta­taire de confiance et s’as­su­rer que personne d’autre que lui n’a accès au serveur.

Le pres­ta­taire de confiance c’est à vous de le choi­sir. Ça peut être une ques­tion d’in­ter­dire le profi­lage, l’ex­ploi­ta­tion statis­tique des données ou la publi­cité ciblée. Ça peut ausi être une ques­tion d’em­pê­cher les fuites ou l’in­tru­sion d’États.

Sur le premier point les petits pres­ta­taires sont souvent exem­plaires. Sur le second point il est plus facile d’avoir confiance dans un petit acteur qu’on connait bien, mais sa sécu­rité et sa résis­tance aux pres­sions seront peut-être plus faibles.

Dans tous les cas, cet acteur sera soumis aux lois et aux auto­ri­tés de son pays ainsi qu’à celui du pays qui héberge ses serveurs, pour ce qu’il y a de bien comme pour ce qu’il y a de mauvais.

Réception : Jaune
Archives : Rouge
Traitement : Rouge
Communication : Vert

Le choix pour nous, euro­péens, c’est souvent de savoir si on accepte que notre serveur soit ou pas soumis aux lois de surveillance des USA. La soumis­sions aux USA inter­vient dès que l’en­tité qui nous héberge a une présence légale ou maté­rielle dans ce pays, ce qui malheu­reu­se­ment est le plus souvent le cas pour les acteurs inter­na­tio­naux.

Réception : Orange
Archives : Rouge
Traitement : Rouge
Communication : Vert

Chif­fre­ment du stockage

Certains services vous diront que les emails sont stockés chif­frés. C’est un chif­fre­ment unique­ment au stockage.

Le serveur conti­nue à avoir les clés, donc la capa­cité de lire les emails. C’est mieux que rien, mais ça ne couvre qu’une petite partie du problème.

Réception : Jaune
Archives : Orange
Traitement : Rouge
Communication : Vert

Chif­fre­ment à la volée

Tant que les emails restent lisibles sur le serveur, ça peut fuiter.

Pour sécu­ri­ser les archives, Mail­den — proba­ble­ment via Dove­cot — chiffre immé­dia­te­ment l’email dès qu’il est reçu, à partir de la clé publique du desti­na­taire. L’his­to­rique est sécu­risé.

Lors que l’uti­li­sa­teur se connecte avec son client email habi­tuel, le mot de passe reçu sert aussi à accé­der à la clé de déchif­fre­ment le temps de retour­ner les emails. Clé privée, mot de passe et conte­nus en clair sont effa­cés une fois la connexion termi­née.

L’his­to­rique est protégé mais le serveur a quand même briè­ve­ment accès à tous les emails à chaque fois qu’on se connecte.

Réception : Jaune
Archives : Vert
Traitement : Orange
Communication : Vert

Déchif­fre­ment côté client

On peut faire la même chose mais avec le déchif­fre­ment côté client, comme dans le scéna­rio GPG décrit tout au début.

Les emails sont chif­frés dès qu’ils sont reçus, et trans­mis chif­frés au client. C’est le client qui s’oc­cu­pera de les déchif­frer.

Atten­tion, les méta­don­nées sont toujours en clair dans les archives. Ce qui est chif­fré est plus en sécu­rité qu’a­vec Mail­den, mais il y a moins de choses chif­frées (les méta­don­nées en clair peuvent révé­ler beau­coup).

Réception : Jaune
Archives : Bleu
Traitement : Bleu
Communication : Vert

Proton Mail fait ça, en utili­sant GPG en interne et des clients emails spéci­fique pour inter­agir avec les serveurs. De ce que je comprends, toute­fois, le service pour­rait être soumis aux lois US. Si c’est confirmé, ça les rend pour moi beau­coup moins « de confiance ».

Réception : Orange
Archives : Bleu
Traitement : Bleu
Communication : Vert

Chif­fre­ment de l’en­ve­loppe

Tuta va plus loin. Ils se sont distan­ciés de GPG et chiffrent tout l’email, enve­loppe incluse.

En échange la recherche dans les emails se fait forcé­ment côté client (le serveur n’a plus accès aux méta­don­nées néces­saires), ce qui peut être handi­ca­pant pour fouiller dans de grandes archives.

Il n’y a pas non plus à ma connais­sance de solu­tion pour gérer une sauve­garde auto­ma­tique régu­lière de l’ar­chive email.

Réception : Jaune
Archives : Vert
Traitement : Vert
Communication : Vert

Ok, je dois utili­ser Tuta alors ?

C’est très loin d’être évident.

Tuta impose d’uti­li­ser ses propres logi­ciels pour accé­der aux emails. Impos­sible d’uti­li­ser les outils habi­tuels via POP ou IMAP. Il y a aussi des restric­tions d’usage sur la recherche dans les archives. Le tout se fait aussi avec un abon­ne­ment non négli­geable.

Si vous êtes sensibles aux ques­tions de vie privée, par convic­tion plus que par besoin, allez-y. Jetez toute­fois un œil aux compro­mis comme celui de Mail­den, qui permet d’uti­li­ser les proto­coles et outils stan­dards.

La réalité c’est que pour à peu près tout le monde, tout ça apporte des contraintes à l’usage ou au prix pour un gain très virtuel. Aucun humain ne va lire vos emails, et il y a peu de chances que le contenu ne fuite en public, simple­ment parce que ça n’in­té­resse personne.

Tout au plus, vue la tour­nure que prennent les États-Unis, si vous appar­te­nez à une mino­rité, ça ne coûte pas grand chose de rapa­trier vos données en terri­toire euro­péen par sécu­rité plutôt que les lais­ser chez Google, Apple ou Micro­soft. Si l’Eu­rope prend le même chemin dans le futur, il sera temps de passer à Proton ou Tuta à ce moment là.

Si vous êtes quelqu’un en vue, Proton ou Tuta peuvent avoir du sens, mais presque plus parce que ces héber­geurs ont la sécu­rité en tête que parce que les emails y sont chif­frés. Gmail ferait tout autant l’af­faire pour les mêmes raisons.

Si vous êtes réel­le­ment en danger en cas de fuite de vos emails, Tuta est peut-être ce qui ressemble le plus à une solu­tion mais le mieux est de ne simple­ment pas utili­ser l’email. Ce sera toujours impar­fait parce que ce n’est pas prévu pour être confi­den­tiel à la base. Il y a aujourd’­hui d’autres solu­tions plus perti­nentes.


Simple et effi­cace

Dans tout ça il y a quand même une solu­tion qui n’a pas été abor­dée et qui mérite d’être souli­gnée : Récu­pé­rer ses emails très régu­liè­re­ment et ne pas lais­ser ses archives en ligne.

Parfois le plus simple est encore le plus effi­cace. Tant qu’il n’y a pas besoin d’ac­cé­der aux archives en ligne ou depuis le smart­phone, ça fait très bien l’af­faire.

Réception : Jaune
Communication : Vert
Archives locales : Vert

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