Je sais que les articles Mediapart sont payants, mais vous devriez vraiment vous abonner. Cette fois ci on parle des contrôles de police au faciès, sous un angle intéressant, pas uniquement pour s’en plaindre.
On nous raconte l’expérience espagnole, où la police remet désormais une fiche à chaque personne contrôlée. Dessus on trouve l’identité du contrôlé, l’identification du policier, mais aussi la raison du contrôle. Le Royaume Uni a d’ailleurs des documents similaires.
Rue89 a aussi publié un article sur les contrôles au faciès, montrant bien l’ampleur du problème. On y parle d’ailleurs du même type de solution, mais du point de vue de la rue et du milieu associatif.
Contrôle au faciès, une réalité
Le contrôle au faciès est une réalité. On l’a prouvé par étude en France, et l’expérience espagnole leur a permis de voir qu’un marocain avait presque dix fois plus de chances de se faire contrôler qu’un espagnol. Savoir et se rendre compte c’est l’essentiel pour ensuite corriger.
Pour couper court à ceux qui pensent que les pré-jugés sont justifiés et qu’il vaut mieux contrôler un nord-africain qu’un européen parce qu’il est plus souvent coupable, voilà la statistique espagnole : le marocain était contrôlé 9,7 fois plus mais le taux d’infraction relevé suite au contrôle était 2,4 fois plus faible.
Le biais est connu : À partir de pré-jugés souvent inconscients on contrôle plus tel comportement, tel aspect extérieur, telle couleur de peau. Plus on intensifie les contrôles sur une minorité, plus on trouve de choses, c’est mathématique. Plus on trouve de choses, plus on intensifie les contrôles et on justifie, cette fois ci consciemment, de se concentrer sur certaines minorités. Pourtant une fois les chiffres objectifs établis, le taux d’infraction par contrôle n’est pas plus élevé (et si on intensifie les contrôles, il devient même forcément plus faible que la moyenne).
Mais surtout, en introduisant un jugement arbitraire sur l’aspect extérieur ou l’appartenance à une origine sociale, une origine géographique, une ethnie particulière, on renforce le sentiment de persécution et on casse le peu de respect ou de confiance qu’il pourrait y avoir. Le policier devient un ennemi.
Le document espagnol
Trois effets immédiats : 1– le contrôlé connait la raison de son contrôle, ce qui parait tout de suite moins arbitraire, 2– le policier doit expliquer son contrôle et aura tendance à ne pas le faire uniquement au faciès, 3– désormais il y aura des traces et on ne se basera pas que sur un ressenti s’il y a lieu de se plaindre (ce qui est bénéfique et contre les faux ressentis des contrôlés et contre les faux ressentis des contrôleurs).
Les résultats sont positifs en Espagne. La police a pu voir que ses contrôles étaient effectivement problématiques, et les biais ont diminué avec le temps (même s’ils existent toujours). Les marocains qui avaient 9,6 plus de chances de se faire contrôler, avec pourtant une efficacité moindre, n’en ont plus maintenant que 3,4 fois plus de chances. C’est imparfait mais déjà nettement mieux.
Mais surtout c’est le nombre total de contrôles qui a baissé, puisque le policier a devoir désormais de justifier le contrôle. Le nombre a été divisé par plus de trois. En se concentrant sur de réels éléments au lieu de contrôles au pré-jugés, le nombre d’infractions constatés lors des contrôles a lui bondi de 6 à 17%. On contrôle moins, avec moins de racisme, et avec de meilleurs résultats.
Réaction française
Là où je pleure sur nos institutions c’est avec la réaction des français à l’exposé espagnol :
On apprend par l’article que la réaction des policiers français a été globalement un fort intérêt pour le fichier des contrôles et son utilisation en base de données centralisée pour savoir qui était avec qui, où et quand. Non seulement ils passent totalement à côté du message, mais en plus arrivent à pervertir l’outil pour en faire une gigantesque base de recoupements de surveillance et de contrôle.
Seconde réaction : Ça va poser problème avec les chiffres de résultat qu’on leur impose. Je ne sais mieux vous citer une brève de l’article :
Si on nous demande de faire de l’infraction à la législation sur les étrangers, on est obligé de se tourner vers des gens appartenant aux minorités. Même s’il n’y a pas de directives franches, on fonctionne clairement sur des critères ethniques. Les jeunes policiers de mon service ont tendance à faire se déshabiller des Réunionnais, juste du fait de leur couleur et alors qu’ils sont français ! Le dialogue est vraiment rompu avec les blacks et les beurs, car ils ont l’impression qu’on fait une fixation sur eux, alors que nous ne faisons plutôt une fixation que sur une politique.
Là où ça devient grave c’est que c’est conscient et accepté. Ils font quelque chose d’illégal, en sachant que leur action raciste (désolé, c’est le mot) a des conséquences sociales et sur les minorités, mais ils l’acceptent. Là pour moi il y a un réel problème. La police rejette la responsabilité sur la politique mais l’exécution vient bien d’eux, les modalités aussi. Il serait temps qu’ils se réveillent et qu’ils sont autant coupables que celui qui vole pour son grand frère « parce qu’on lui a demandé ». Ils sont sensés protéger et représenter l’ordre, et à la place sont la source d’un racisme et d’une oppression institutionnalisée, qui tourne à l’humiliation.
La suite n’est pas mieux et on voit qu’il n’y a aucune remise en cause : L’un dit que c’est impossible de remplir ça avec ses 60 contrôles d’identité quotidiens, sans justement comprendre que le nombre excessif de contrôles faisait partie du problème.
Je doute qu’on voit arriver ce formulaire chez nous. Nous aurions trop peur de voir ce qui en sortirait. Surtout que visiblement le problème est visiblement conscient et assumé.
À titre de rappel : Les contrôles en France ne sont légalement pas faits au hasard. Ils doivent être le fruits de soupçons justifiés, ou d’une opération limitée dans le temps et dans l’espace, commandée par le préfet. On doit avoir une bonne raison pour faire un contrôle d’identité, sinon ça devient un pouvoir arbitraire.
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