Contrôle au faciès

Quand on parle de contrôle au faciès, il y a toujours quelqu’un pour dire que tout ça n’est pas très factuel, que les récits sont partiaux et que je suis surtout l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.

Sauf que non, pas tout à fait.

La réalité c’est que je n’ai pas souve­nir d’avoir vécu un seul contrôle d’iden­tité. Pas un seul. C’est peut-être déjà arrivé, mais dans ce cas ça a été suffi­sam­ment rapide, poli et basique pour ne lais­ser aucune trace. On ne m’a jamais fait de palpa­tion de sécu­rité, de fouille, jamais emmené au commis­sa­riat, etc.

J’ai même passé une fron­tière France -> Suisse avec une décla­ra­tion « j’ai oublié ma carte d’iden­tité chez moi », oui (mais j’ima­gine que ça ne passe­rait plus aujourd’­hui). C’est dire…

Les seuls contrôles dont j’ai souve­nir ce sont les contrôles aux fron­tières (à l’aé­ro­port ou les équipes de douane proches de Genève), trois contrôles routiers (deux où ils arrê­taient tout le monde sans excep­tion et un où j’ai visi­ble­ment grillé un feu rouge sans m’en rendre compte et où on m’a juste dit « atten­tion, ce n’est pas bien »), ou les contrôles de billets lors des trans­ports en commun (je les compte parce qu’ils sont parfois accom­pa­gnés par les forces de l’ordre mais ces derniers ne m’ont jamais demandé quoi que ce soit à cette occa­sion).

Le seul contrôle poussé et un peu agres­sif (arrêté, déplacé dans une pièce, voiture et personne fouillés, démonté mon télé­phone), à la fron­tière de Genève, était dans un groupe d’amis moins blancs que moi.

Aucun contrôle d’iden­tité. Cette même histoire est assez fréquente chez mes amis en situa­tion simi­laire: j’ai 37 ans, homme, cis-genre, blanc, centre ville aux heures de début et fin de jour­née de travail, CSP+ style plutôt « vête­ments de bureau » que sport­wear.

À l’in­verse, tous les amis s’ha­billant plus sport ou ayant une peau moins blanche que moi et à qui j’ai posé la ques­tion se sont fait contrô­lés dans l’an­née passée. Je n’ai pas demandé à tout le monde, mais je n’ai eu aucune excep­tion. Aucune.

* * *

Statis­tique­ment l’échan­tillon ne vaut peut-être rien, mais j’ai­me­rai quand même qu’on m’ex­plique.

Qu’on m’ex­plique pourquoi lors des contrôles on me dit « pas vous » alors que les autres sont stop­pés parfois agres­si­ve­ment, parfois palpa­tion et vidage de poche main contre le mur comme dans les séries améri­caines. La seule diffé­rence quasi systé­ma­tique est la couleur de peau ou la présence d’un swea­ter à capuche.

Qu’on m’ex­plique pourquoi j’ai vu des amis chan­ger de chemin par lassi­tude d’être contrô­lés en voyant une patrouille, alors que ça ne me serait même jamais venu à l’es­prit. La seule diffé­rence notable que j’y ai vu est qu’ils sont basa­nés.

Qu’on m’ex­plique pourquoi quand je demande des infor­ma­tions à un poli­cier en opéra­tions j’ai une réponse polie alors que la même personne derrière moi se fait parfois refou­ler à la limite de l’in­sulte. Là aussi, même si ce n’est que du ressenti, je n’y vois qu’une diffé­rence de faciès.

Tout ça je l’ai vécu. On ne parle pas de on-dits.

* * *

Je ne vois que ce qu’il se passe autour de moi, en centre ville bien propre aux heures de tran­sit des employés de bureau. Les récits tiers sont bien moins super­fi­ciels que ce que j’ai vu de mes yeux.

Je trouve ça un peu facile de parler de partia­lité, que tous ces jeunes et non-blancs n’ont en fait rien à repro­cher, qu’ils se font des idées voire sont de mauvaise foi. C’est rassu­rant, tranquilli­sant, mais quand même diffi­cile à croire. D’au­tant plus diffi­cile que quand les polices anglaises et espa­gnoles ont réel­le­ment travaillé la ques­tion, elles ont vu qu’elles avaient effec­ti­ve­ment des pratiques illé­gi­times.

Il faut croire que nous avons la police parfaite mais juste beau­coup de para­noïaques et d’hy­po­con­driaques du contrôle dans la popu­la­tion.

Même en suppo­sant cette police parfaite, je ne vois pas ce que ça change. Que la popu­la­tion ait un ressenti de contrôle au faciès est un problème en soi, peu importe que les faits soient avérés ou pas. La réalité des faits est presque une ques­tion secon­daire : Le problème suffi­sant pour mettre en place tous les outils de contrôle et d’as­su­rance néces­saires, suffi­sant pour faire comme si. Au pire ça permet­tra de faire taire ces fausses victimes et d’éli­mi­ner le mauvais ressenti.

Bon, bien évidem­ment on risque aussi de se rendre compte que le problème est réel. Visi­ble­ment nos poli­tiques ne sont pas prêts à prendre ce risque.

Il faut dire qu’on parle de récé­pissé pour les contrôles d’iden­ti­tés alors qu’on n’est même pas capables de faire respec­ter l’obli­ga­tion d’af­fi­chage du numéro RIO sur les poli­ciers en uniforme. Ça n’aide pas à crédi­bi­li­ser ceux qui luttent contre le récé­pissé.

* * *

Le récé­pissé en cas de contrôle d’iden­tité ce n’est pas la mesure parfaite, et je crains que certains poli­ciers refusent la déli­vrance du papier de la même façon qu’ils refusent de donner leur RIO.

Pour autant c’est une mesure rela­ti­ve­ment simple, appli­cable, qui renverse la confiance et permet de redon­ner quelque chose dans les mains de ceux qui se disent et qui se sentent victimes. Mieux, c’est une mesure qui a fait ses preuves ailleurs.

Et si on arrê­tait de se regar­der le nombril ?


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Commentaires

Une réponse à “Contrôle au faciès”

  1. Avatar de Boris (@borisschapira)

    Alors que moi j’ai été contrôlé à plusieurs reprises… quand j’avais les cheveux longs. J’ai entendu les mots hippies, drogue… et puis un jour, pour une toute autre raison, j’ai coupé mes cheveux. Comme toi, je n’ai jamais été contrôlé depuis. Ça fait plus de dix ans.

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