[Commen­taire] Le contrat

Pour cela je voudrais que l’on mette en place un système qui semble fonc­tion­ner dans à peu près tous les corps de métiers : le contrat. […]

C’est pourquoi je propose que pour être élu, un candi­dat doit présen­ter un contrat listant ses promesses. […] Si le contrat est rompu, comme pour tout contrat, une suite pénale sera donc envi­sa­gée. C’est aussi simple que cela.

— Blog de Delta­kosh

Nous n’avons pas de mandat impé­ra­tif dans les insti­tu­tions françaises, unique­ment des mandats repré­sen­ta­tifs… et pour de très bonnes raisons.

Imagi­nons donc plusieurs cas. Je fais une promesse de dimi­nuer les impôts. Je suis élu pour quatre ans à l’As­sem­blée natio­nale :

1-  Le contexte change : Je suis franc, honnête, je n’ai pas changé de valeurs ou de direc­tion mais le contexte écono­mique et social a changé entre mon élec­tion et la mise en œuvre du projet. Bais­ser les impôts serait désor­mais une folie, ne pas le faire me rendrait coupable devant mon enga­ge­ment. Que faire ?

2– On me confronte au tout ou rien : Le gouver­ne­ment propose les lois, je les amende et je les vote. Le gouver­ne­ment ont proposé et fait arri­ver une baisse des impôts mais le texte contient aussi d’autres dispo­si­tions inac­cep­tables, et peut-être même des baisses bien trop impor­tantes. J’ai proposé des amen­de­ments mais ils n’ont pas remporté la majo­rité suffi­sante. Même si je conti­nue à être pour une baisse des impôts, voter ce texte précis serait dange­reux. Que faire ?

3– D’autres prio­ri­tés inat­ten­dues : Nous travaillons sur un projet mais l’ac­tua­lité s’im­pose à nous. Il y aura eu de vrais problèmes à régler côté agri­cul­ture, une vague de terro­risme, le gouver­ne­ment aura changé deux fois. Le projet n’a pas pu abou­tir dans les délais malgré toute la bonne volonté. Oh, nous aurions pu le faire arri­ver mais ça aurait été au détri­ment de l’in­té­rêt géné­ral, et ça aurait été un texte bâclé poten­tiel­le­ment pire que la situa­tion actuelle. Que faire ?

4– Je ne décide pas seul : Je travaille, j’amende, je vote. Je ne suis pas seul à déci­der au parle­ment. La majo­rité en décide autre­ment et nous aurons une hausse des impôts. Comment me tenir respon­sable ?

5– Compro­mis et équi­libres : J’ai aussi fait la promesse d’aug­men­ter le budget de la justice, drama­tique­ment en besoin. Les deux sont réali­sable conjoin­te­ment mais je ne travaille pas seul. Pour faire arri­ver les projets il faut faire des compro­mis. Je peux soit conti­nuer comme prévu avec le risque de finir en mino­rité sur les deux textes, soit faire un compro­mis afin de garan­tir le succès à au moins un des deux textes. Que faire ?

6– Pas en contrôle : Entre temps le Président a été élu, avec une autre majo­rité, ou au moins le gouver­ne­ment nommé n’a plus les mêmes prio­ri­tés. Le gouver­ne­ment contrôle l’es­sen­tiel de l’agenda parle­men­taire et les niches à l’ini­tia­tive du parle­ments sont trop réduites pour faire arri­ver tout ce qui était envi­sagé.

7– Nouveaux éléments : Pour faire notre travail sérieu­se­ment nous avons mené des études préa­lables. Le contexte écono­mique et social n’a pas réel­le­ment changé mais nous avons décou­vert des effets néga­tifs signi­fi­ca­tifs impré­vus. Mieux vaudrait ne pas mettre en œuvre ce qui était prévu. Que faire ?

8– Meilleure solu­tion : Pour faire notre travail sérieu­se­ment nous avons mené des études préa­lables. Le contexte écono­mique et social n’a pas réel­le­ment changé mais nous avons décou­vert une solu­tion pour redon­ner du pouvoir d’achat aux français sans faire bais­ser les recettes fiscales de l’État pour autant. C’est encore mieux que prévu mais ce n’était pas notre enga­ge­ment. Que faire ?

9– Trahir l’es­prit, respec­ter l’écrit : Je vois l’échéance arri­ver. J’ai été de bonne volonté mais nous n’avons pas fait signi­fi­ca­ti­ve­ment bais­ser les impôts. Heureu­se­ment j’ai la solu­tion : bais­ser les impôts et à la place augmen­ter les taxes et coti­sa­tions indi­rectes. Ce serait sabor­der le pays mais moi ça m’évi­te­rait tout risque. Que faire ?

9– Mesu­rer et évaluer : Je vois l’échéance arri­ver. Nous avons fait ce que nous pensions le mieux en rapport avec nos enga­ge­ments mais il y a vingt statis­tiques diffé­rentes. Suivant comment on lit et quelle statis­tique on regarde, on va pouvoir dire que les impôts ont augmenté ou qu’ils ont dimi­nué. Que faire ?

Bonne chance.

* * *

Il y a certai­ne­ment 50 autres cas. Le truc c’est de se rappe­ler que nos élus ne maitrisent pas grand chose. Quand ils avancent sans tenir compte de tout le reste, ils réalisent souvent le pire, même si ça colle avec des enga­ge­ments élec­to­raux.

Si j’ai besoin de prendre un repré­sen­tant, c’est juste­ment parce que je lui donne une direc­tion mais qu’en­suite il devra prendre une déci­sion en fonc­tion d’un contexte, de consul­ta­tions, d’ex­per­tises, de rapports, de docu­men­ta­tions, d’un travail que je n’ai pas fait, et d’autres élus. Même si je sais où j’ai­me­rais aller à priori, lui dicter la déci­sion avant que tout ça soit fait ou connu serait tota­le­ment imbé­cile.

Plus simple­ment, si j’étais capable de déci­der lors du vote, pourquoi aurais-je besoin d’un repré­sen­tant pour prendre la déci­sion ? Il suffi­rait de regar­der les votes lors de l’élec­tion et de publier direc­te­ment au jour­nal offi­ciel. Nous aurions une démo­cra­tie directe. Pourquoi pas, mais élire un repré­sen­tant pour lui dire que de toutes façons sa conduite est dictée, ça n’a stric­te­ment aucun inté­rêt à mon avis. Pire, ça peut amener les mêmes effets néga­tifs que n’im­porte quel contrat d’objec­tif.

Les groupes de réflexion sur la démo­cra­tie explorent même l’exact opposé. On tire l’as­sem­blée au sort, on ne choi­sit même plus l’élu, donc hors de ques­tion de lui donner un contrat sur quoi et comment voter.

* * *

Le lecteur atten­tif remarquera qu’il en va de même pour les contrats. Il est rare qu’on réalise un contrat sur plus de 2 ans sans prévoir de clauses de sorties ou une capa­cité d’adap­ta­tion. Le cas échéant, si les deux parties travaillent dans le même sens, il est possible de faire des avenants, de réorien­ter le contrat en fonc­tion de ce qu’on trouve. Dans tous les cas les contrats qui se réalisent dans des envi­ron­ne­ments peu contrô­lés ou dont les détails ne sont pas connus sont souvent des enga­ge­ments de moyen et pas des enga­ge­ments de résul­tat.

Le lecteur atten­tif remarquera aussi que l’élu se rapproche beau­coup plus d’un employé qui est là pour parti­ci­per à la direc­tion de la collec­ti­vité que d’un pres­ta­taire à qui on demande un service avec enga­ge­ment de résul­tat. Au plus on peut le voir comme un consul­tant.

Étran­ge­ment je n’ai jamais entendu dire qu’un conseil d’ad­mi­nis­tra­tion ait demandé un tel contrat au président qu’il nomme. Il en va de même pour les consul­tants qu’on embauche. Il y a parfois des primes de réus­site et on ne renou­velle pas celui qui ne donne pas satis­fac­tion, mais jamais on n’a imagi­ner le rendre respon­sable devant la justice de ne pas être arrivé à tenir des objec­tifs.

Je dis étran­ge­ment parce que vous pensez bien que si ça avait le moindre sens, ça fait long­temps que les donneurs d’ordre divers et variés auraient cher­ché à obte­nir ces garan­ties. Non, ils ont simple­ment compris qu’em­bau­cher quelqu’un pour prendre des déci­sions impliquait forcé­ment de lui lais­ser une capa­cité d’ap­pré­cia­tion et d’adap­ta­tion.

* * *

Quoi alors ? Et bien juste­ment, utili­sons ce qui existe dans le milieu des entre­prises pour ces cas là. Donnons droit à l’ins­tance supé­rieure de renver­ser une déci­sion, de révoquer celui qui ne donne pas satis­fac­tion. Mieux, défi­nis­sons le cadre de l’en­ga­ge­ment : impo­sons une vali­da­tion lors des déci­sions stra­té­giques de grande impor­tance.

Pour le milieu des entre­prises il s’agit des conseils d’ad­mi­nis­tra­tion et autres conseils de surveillance, en session ordi­naire ou extra-ordi­naire.

Pour l’État ça pour­rait être un méca­nisme de réfé­ren­dum pour révoquer le parle­ment ou pour vali­der certaines déci­sions (entre autres celles touchant à la consti­tu­tion, mais pas forcé­ment unique­ment).

Là je dis oui.


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