On est une petite structure, on n’a pas encore les moyens.
C’est pour que l’entreprise survive et puisse réinvestir.
Oui mais tu contribues à [belle mission sociétale].
Fondateur: Je ne me paye pas plus, voire pas du tout.
On ne fait pas encore de bénéfices, on verra plus tard.
On préfère embaucher plus avec ce même budget.
On est tous dans le même bateau, on fait tous des efforts
Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça.
Je crois que c’est un de mes apprentissages des années 2011 – 2015, mais ça c’est confirmé plusieurs fois ensuite.
On peut dire ce qu’on veut ou travailler avec les meilleures personnes du monde, le salarié reste un prestataire. Il vend son temps, ses compétences et sa force de travail en échange d’une rémunération.
On peut le faire dans un cadre appréciable, avec des collègues sympa, sur des missions intéressantes et/ou dans un objectif éthique, mais tant que l’entreprise reste une structure capitalistique, le salarié reste un prestataire.
Impliquez-vous dans vos missions mais n’oubliez pas le contexte : On n’est pas tous dans le même bateau. Il y a d’un côté les actionnaires et de l’autre les salariés.
Le non-dit c’est le capital
Plus que les éventuels dividendes, le non-dit c’est le capital, la valeur de l’entreprise et ses possessions. Tout ce qui est réalisé contribue en réalité d’abord à ce capital, et il n’appartient qu’aux actionnaires.
Tous les sacrifices sur le temps de travail, les conditions de travail ou la rémunération, vous ne les faites pas pour le collectif. Vous les faites au bénéfice des actionnaires et uniquement au leur.
Histoires vécues
J’ai vu une structure quasi communautaire, basée sur le travail des bénévoles et militants, être revendue ensuite plusieurs millions. Je ne pense pas que c’était le projet des propriétaires mais on leur a fait une offre qu’ils n’ont pas refusée.
J’ai vu une structure qui cherchait à modérer les salaires à fin d’obtenir de meilleures conditions pour la levée de fond prévue. « Meilleures conditions » c’est neutre et ça semble positif. En réalité ça veut dire « moindre dissolution pour les actionnaires existants ». Il s’agit donc de modérer les salaires pour démultiplier la valeur des actionnaires.
J’ai vu une structure dont la culture était en opposition totale à un des gros concurrents du secteur. On se moquait, on montrait en quoi on faisait l’exact opposé, on créait la culture et la communication là dessus. Et puis un jour la structure a été revendue… à ce même gros concurrent du secteur.
J’ai vu une structure faire un plan de départs volontaires sans vraie compensation. Le plan de départ était justifié face à la situation. L’enjeu a en partie été d’éviter un plan social formel coûteux pour l’entreprise mais qui aurait amené une vraie compensation aux personnes licenciées. On parle en milliers ou dizaines de milliers d’euros par personne.
On accepte pour le projet mais au final ce sont les actionnaires qui tirent leur épingle du jeu en voyant leur capital subsister.
J’ai vu une structure avoir des salaires modérés parce qu’on participe à un projet social positif, une vraie mission. Une autre le faire parce qu’il y a de l’open source. Une troisième parce que le projet démarre et qu’il faut tout monter avant d’avoir les revenus.
Tout était vrai mais… Les deux premières en ont surtout profité pour recruter plus à moindre frais, et n’ont fait aucun détail quand il a fallu plus tard diviser par deux le nombre de salariés. La troisième n’a pas changé de politique une fois les beaux jours venus.
Je suis certain que j’oublie des histoires. Elles sont toutes réelles. Je me retiens juste de mettre les noms parce que les fondateurs et dirigeants étaient le plus souvent de bonne foi avec de bonnes intentions (vraiment). L’histoire reste toutefois celle là. Parfois j’ai honte parce que j’étais impliqué et que j’ai fermé ma gueule plus que je n’aurais dû.
Faire un don
Ces histoires se répètent et ça finit toujours ainsi, sans exception.
Je ne peux même pas forcément le reprocher aux actionnaires.
Pourquoi refuser de vendre ? Pourquoi tirer un trait sur des millions qui vont faciliter la vie de la famille, des enfants, des proches dans le besoin, et assurer une fin de vie agréable. Les salariés n’ont rien à perdre, on change juste de propriétaire.
Il reste qu’au final chaque sacrifice consenti par le salarié est un don à l’entreprise, ou plutôt un don aux actionnaires. Rien de plus, rien de moins. Vous êtes libre de les faire mais ne perdez pas de vue ce que ça veut dire.
Pour les métiers IT ça chiffre facilement en milliers ou dizaines de milliers d’euros par salarié, parfois plus que le salaire qu’on vous donne. On parle mauvais matériel ou utilisation de matériel personnel, horaires rallongés durablement, bureaux inadaptés ou mal placés, openspace pour économiser l’espace, salaires modérés ou réduits, accords de départ sans compensation adéquate, congés payés en dessous des usages, etc.
Se comporter en professionnels
Il ne s’agit pas forcément d’entrer en opposition. Continuez à vous impliquer dans vos missions. N’oubliez juste pas que vous êtes des professionnels : Vous vendez votre temps, vos compétences et votre force de travail en échange d’une rémunération.
Évidemment ça peut être vu différemment si vous travaillez pour le public ou pour une association (je parle d’association au niveau des statuts, pas d’une entreprise privée avec une mission sociale).
Personnellement ça continue toutefois à me gêner, parce que sous-payer les personnes travaillant au bénéfice collectif fait perdurer un modèle social complètement idiot. Si vous voulez donner à la cause, vous en avez déjà la possibilité sans qu’on ne vous force la main en tant que salarié.
C’est aussi différent si vous êtes vous-même les actionnaires principaux. C’est le cas si vous êtes co-fondateurs, ou si vous montez une SCOP.
Ne vous laissez cependant pas leurrer par des participations minoritaires via des BSPCE. Sauf à avoir un plan très généreux et à en être dès le début de l’aventure, ça n’est rien de plus qu’une rémunération annexe très aléatoire. Les conditions d’exercice sont rarement en votre faveur, surtout dans les périodes où justement on vous demande des sacrifices.
La seule vraie raison pour faire un don à vos actionnaires c’est… si vous n’avez pas le choix, parce que vous ne retrouveriez pas facilement un emploi satisfaisant ailleurs.
Si vous avez le choix (et si vous êtes dans l’IT, vous l’avez), vous n’avez pas à faire un don à vos actionnaires. Chaque effort de votre part en temps ou en conditions de travail doit être compensé en rémunération ou sous forme de capital dans la société. Chaque effort de rémunération doit être compensé en temps ou en conditions de travail.
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