Catégorie : Surveillance

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    Par le hasard de la sous-trai­tance de sous-trai­tance, j’ai été amené un jour à inter­ve­nir sur le site Web d’un très grand groupe privé, pour mettre en place leur système de publi­ca­tion.[…]

    Un matin, le client a bruta­le­ment rompu le contrat avec le pres­ta­taire qui travaillait sur le site, sans préavis ni la moindre expli­ca­tion. Je n’ai jamais vu un projet se finir aussi abrup­te­ment.[…]

    Quelques années plus tard, j’ai croisé un ancien collègue côtoyé sur ce projet, et eu le fin mot de l’his­toire. Quelqu’un, chez le client, s’était rensei­gné sur mon compte, avait décou­vert que j’étais un infâme gauchiste, et avait provoqué la rupture du contrat pour écar­ter la menace que je repré­sen­tais à leurs yeux.[…]

    Je n’avais pas de casier, pas de présence en ligne, rien qui aurait pu permettre de décou­vrir léga­le­ment la teneur de mon acti­visme. Quelqu’un, au sein d’une entre­prise privée, a pu avoir accès à des infor­ma­tions. Quelqu’un, au sein des « services » qui déte­naient ces rensei­gne­ments, les a lais­sées fuiter. […]

    Cette histoire n’a rien d’ex­cep­tion­nel, j’ai eu connais­sance d’autres témoi­gnages de même teneur, comme celui d’un came­ra­man membre de la LCR, pas vrai­ment une orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire, qui, a peine embau­ché par une antenne locale de FR3, a été « dénoncé » à son rédac­teur en chef par les RG locaux […]

    — Esquisses

    À titre de rappel, le projet de loi sur le rensei­gne­ment ne concerne pas que la lutte contre le terro­risme mais aussi les inté­rêts écono­miques et scien­ti­fiques (donc dès que ça concerne une grosse entre­prise), les enga­ge­ments inter­na­tio­naux ou euro­péens (donc si vous mili­tez pour ou contre un élément sur lequel la France a signé un jour une conven­tion), ou les violences liées à l’ordre public (et fran­che­ment là dedans vient quasi­ment toute mani­fes­ta­tion ou acti­visme un peu fort)… pas que les faits avérés, mais la préven­tion de faits poten­tiels : Pas besoin d’avoir fait quoi que ce soit.

  • Reli­sons la notice

    [Je] lis les mêmes argu­ments, varia­tions autour du thème “la sécu­rité est la première des liber­tés” et “point de liberté sans sécu­rité”. Mon poil de juriste, que j’ai dru hormis sur le crâne, se hérisse aussi­tôt. Et je m’en vais faire mien cet apoph­tegme bien connu des infor­ma­ti­ciens : RTFM, qui peut se traduire par “Diantre, et si nous reli­sions la notice ?”

    […]

    La réponse est à l’ar­ticle 2 [de la décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen] : Le but de toute asso­cia­tion poli­tique (dans le sens d’État, et non de parti poli­tique comme cela pour­rait être compris aujourd’­hui) est la conser­va­tion des droits natu­rels et impres­crip­tibles de l’Homme. Voilà le but et l’objet de l’Etat : proté­ger nos liber­tés. Avouez que ça ne semble plus aller de soi.

    Deuxième ques­tion : quels sont ces droits ? Ils sont énumé­rés juste après : Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résis­tance à l’op­pres­sion.

    […]

    clari­fions un point essen­tiel tout de suite : la sûreté n’est pas la sécu­rité que nous promettent nos élus pour peu que nous renon­cions à toute garan­tie de notre vie privée. La sûreté qui préoc­cu­pait les révo­lu­tion­naires de 1789 n’est pas la certi­tude de vivre toute sa vie indemne de tout mal, pensée absurde dans la France de 1789, mais, et c’est là la pensée révo­lu­tion­naire : la protec­tion de l’in­di­vidu face à la puis­sance de l’État, que ce soit un roi ou tout autre diri­geant.

    […]

    Ainsi, ceux qui disent que la sécu­rité est la première des liber­tés se trompent et prennent le problème à l’en­vers. La sécu­rité est bien sûr essen­tielle, mais car elle four­nit le cadre d’une appli­ca­tion sereine et entière des droits de l’homme. L’in­voquer pour limi­ter ces droits est donc une trahi­son et une forfai­ture.

    — Jour­nal d’un avocat

    À lire en entier, parce que le style de Maître Eolas est toujours un plai­sir, mais aussi comprendre d’où on vient, combien la dérive actuelle est dange­reuse, tota­le­ment contraire à l’es­prit fonda­teur de notre État.

  • Proté­ger dans le respect des liber­tés – argu­men­taire

    Projet de loi renseignement - Protéger dans le respect des libertésLe PS vient de publier son argu­men­taire marke­ting pour le soutien au projet de loi rensei­gne­ment. Déco­dage.

    La loi renseignement, annoncée par François Hollande en juillet 2014 n’est pas une loi de circonstance, mais l’aboutissement d’une réflexion approfondie à la suite du rapport des parlementaires J.J. Urvoas et P. Verchère en 2013. Les attentats de janvier 2015 ont accéléré le calendrier en raison de l’urgence pour notre pays de se doter de moyens modernes et efficaces pour prévenir notamment les actes de terrorisme. L’engagement international de la France en fait plus que jamais une cible.Le fait que les atten­tats de janvier 2015 n’au­raient proba­ble­ment pas été empê­chés avec la surveillance que nous prévoyons ici ne semble inter­pe­ler personne.

    En réalité le rapport de 2013 a déjà mené à la loi de program­ma­tion mili­taire de fin 2013, avec déjà des dispo­si­tions large­ment limite vis à vis des liber­tés publiques et parti­cu­liè­re­ment de la liberté d’ex­pres­sion.

    Il s’agit juste ici de profi­ter de l’in­di­gna­tion pour faire passer d’autres dispo­si­tions que l’opi­nion poli­tique n’ac­cep­te­rait jamais à froid. Il y a donc effec­ti­ve­ment urgence, mais pas celle qu’on croit.

    RENFORCER L’ACTION DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT - La France est l’une des dernières démocraties à ne pas avoir de cadre juridique pour structurer les activités de ses services de renseignements. Ce vide fragilise potentiellement les libertés individuelles en même temps que les agents de ces services dans leur action quotidienneIl n’y avait aucun « vide », juste des lois que les services de rensei­gne­ment ne respec­taient pas, en toute impu­nité. On avouera que c’est nette­ment diffé­rent. On peut dire que ça fragi­li­sait l’ac­ti­vité des agents, de la même manière que l’in­ter­dic­tion du vol fragi­lise l’ac­ti­vité des voleurs.

    En tout état de cause, cela ne fragi­li­sait en rien les liber­tés indi­vi­duelles, qui elles étaient juste­ment plei­ne­ment proté­gées. C’est juste­ment ce qui va chan­ger.

    1/Les limites du droit actuel. La seule législation encadrant certaines activités de renseignement est la loi de juillet 1991, pour les seules écoutes téléphoniques. Elle a été adoptée bien avant l’essor de l’Internet et de la téléphonie mobile, ce qui rend aujourd’hui, les possibilités d’action des services très limitées.Donc, repre­nons : On nous dit qu’il y a un vide qu’il est urgent de remplir, avant de nous dire qu’en fait non il y a bien un cadre exis­tant au moins depuis 1991 mais limité car ne prévoyant pas la télé­pho­nie mobile, et ce malgré l’en­cart qui rappelle le cadre de 2013 qui auto­rise l’ac­cès à toutes les données tech­niques de connexion et à la géolo­ca­li­sa­tion en temps réel des télé­phones portables.

    Vous le voyez qu’on essaye de nous enfu­mer là ? Trois para­graphes qui se suivent, qui contre­disent chacun l’ar­gu­ment précé­dent.

    Le problème n’est pas de fixer un cadre. Il n’est pas non plus celui de la télé­pho­nie mobile. Le problème c’est d’au­to­ri­ser ce qui était expli­ci­te­ment illé­gal, donc aller instal­ler des outils d’ana­lyse de masse direc­te­ment chez les opéra­teurs.

    Les services pourront toujours mettre en œuvre des interceptions de sécurité et solliciter des données de connexion. Des algorithmes pourront être installés sur les réseaux des opérateurs et fournisseurs d’accès afin de détecter l’organisation de projets terroristes. Certaines techniques aujourd’hui exclusivement employées par la police judiciaire à des fins répressives pourront être utilisées dans un but préventif (balisage de véhicules, prises de sons et d’images dans des lieux privés, captation des données informatiques) sous le contrôle du juge administratif. L’administration pénitentiaire sera également dotée de ces moyens de surveillance pour l’accomplissement de ces missions en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.Il y a 10 ans, on aurait parlé de pédo­por­no­gra­phie pour faire peur. Aujourd’­hui c’est de terro­risme. Donc, on parle de terro­risme, oui, mais aussi (entre autres) :

    Des inté­rêts essen­tiels de la poli­tique étran­gère et de l’exé­cu­tion des enga­ge­ments euro­péens et inter­na­tio­naux de la France

    Dit autre­ment, si l’exé­cu­tif français s’en­gage dans un traité inter­na­tio­nal ou euro­péen, elle peut surveiller tout ce qui risque de le mettre en échec. Nucléaire, copy­right, écono­mie… pas vrai­ment de limite.

    Les inté­rêts écono­miques et scien­ti­fiques essen­tiels de la France

    On parle d’es­pion­nage écono­mique et scien­ti­fique de base, mais aussi plus géné­ra­le­ment de tout ce qui peut entra­ver ce que l’exé­cu­tif consi­dère comme l’in­té­rêt de la France à ce niveau. Tiens, une orga­ni­sa­tion écolo­gique qui milite contre la poli­tique nucléaire, que la France a toujours consi­déré comme au coeur de son inté­rêt natio­nal écono­mique et scien­ti­fique… Plus vrai­ment du terro­risme là.

    La préven­tion de la crimi­na­lité et de la délinquance orga­ni­sées

    Pas vrai­ment du terro­risme là. La préven­tion de la délinquance, fut-elle orga­ni­sée, ça peut toucher quasi­ment tout le monde (éven­tuel­le­ment par erreur).

    La préven­tion des violences collec­tives de nature à porter grave­ment atteinte à la paix publique

    Celui là est le plus joli, car il permet de cibler l’es­sen­tiel des acti­vi­tés syndi­cales liées à des mani­fes­ta­tions.

    Atten­tion ! Tous ces motifs ne concernent pas des faits avérés mais de la préven­tion. Il n’y a donc pas besoin d’avoir été l’au­teur de violences collec­tives, de délinquance orga­ni­sée, ou d’in­té­rêts écono­miques.

    On parle de préven­tion, c’est à dire qu’il suffit que l’exé­cu­tif pense – arbi­trai­re­ment – que la surveillance en ques­tion puisse peut être l’ai­der à savoir quelque chose qui permet­tra de préve­nir un problème. Si vous croyez que ça ne vous concerne pas, reli­sez la phrase précé­dente.

    3/Un contrôle parlementaire. Les services sont des administrations. Et comme pour toutes les autres, il est de la responsabilité du Premier ministre d’en répondre devant le Parlement et de manière régulière devant la Délégation parlementaire au renseignement qui voit croître les informations portées à sa connaissance.

    Quand on parle du Premier Ministre qui en répond devant le parle­ment, ça veut dire que ça repose sur la possi­bi­lité pour le parle­ment de voter une motion de censure afin de renver­ser le Premier Ministre de sa propre majo­rité. Étant donné le fonc­tion­ne­ment de la Vème répu­blique, c’est super rassu­rant comme garde-fou, non ?

    Sachant que dans le cas extrê­me­ment impro­bable où ça arrive, ça n’ar­rête aucune action entre­prise dans le cadre de la présente loi, ça permet juste la nomi­na­tion d’un nouveau Premier Ministre.

    Vous le sentez bien le garde-fou pour vos liber­tés ?

    Ah, la commis­sion de contrôle. Une des moti­va­tions de ce projet de loi est plus ou moins offi­ciel­le­ment que les services de rensei­gne­ment exécutent déjà une partie de ces actions, de façon tout à fait illé­gale, et qu’il faut leur donner un cadre légal (en gros : léga­li­ser leurs actions illé­gales).

    Ils sont déjà surveillés par la commis­sion de contrôle avec des magis­trats et des parle­men­taires. Le rappor­teur du projet de loi en ques­tion fait juste­ment partie de la commis­sion actuelle qui ne trouve visi­ble­ment rien à y redire et n’a pas empê­ché ces dérives. C’est dire combien le verrou contre les abus est au centre des préoc­cu­pa­tions…

    Ça y est, vous vous sentez proté­gés ?

    Oh, et on vous a dit que le président de la commis­sion de contrôle actuelle s’est exprimé dans la presse pour dire que ce nouveau texte affai­bli­rait le contrôle sur l’ac­ti­vité de rensei­gne­ment ? Elle rassure cette commis­sion de contrôle, hein ?

    Là on est limite dans la farce. Donc vous aurez un droit de recours devant le Conseil d’État si vous êtes la cible de surveillances.

    Oh, bien sûr pour ça il faudra savoir puis prou­ver que vous êtes la cible d’une surveillance, qui par nature ne sera jamais publique. Autant dire que c’est de pure forme. Tout au plus ça peut servir à un cas tous les trois ans, et unique­ment après que le dommage ait eu lieu.

    Le reste est à l’ave­nant, avec un tableau de pure mauvaise foi à la fin.

    Alors, rassuré par le docu­ment du PS ?

  • Why meta­data matters

    Mais ce ne sont que des méta­don­nées…

  • Une affaire d’es­pion­nage fait tomber le gouver­ne­ment

    La cheffe du gouver­ne­ment péru­vien Ana Jara a été renver­sée après des révé­la­tions sur l’es­pion­nage de parle­men­taires, jour­na­listes, hommes d’af­faires par les services de rensei­gne­ment.

    — 24 heures

    Nous allons voter ces jours ci une loi qui donne des outils jamais vus à notre service de rensei­gne­ment, avec un contrôle quasi­ment inexis­tant.

    À l’ex­té­rieur les exemples se multi­plient pour montrer combien il est évident que ce sera non seule­ment inef­fi­cace mais aussi extrê­me­ment dange­reux.

    Avez-vous confiance dans votre service de rensei­gne­ment ? dans les élus et admi­nis­tra­tions qui le dirigent ? Sur quelles garan­ties est basée cette confiance sachant qu’ils opèrent actuel­le­ment illé­ga­le­ment ?

    Ce sont autant d’ou­tils que nous donnons pour les élus de demain, sans savoir qui ils seront, ni nous rendre capables de les contrô­ler ou de les limi­ter. Il n’y a aucune raison objec­tive pour croire que ces dérives ne pour­ront pas avoir lieu chez nous, ou que les contrôles prévus les limi­te­ront en quoi que ce soit. Aucune.

    Nous sommes fous.