Catégorie : Lois et parlements

  • Saper l’Etat de droit au motif de le défendre

    [La CNDH recom­mande aux pouvoirs publics] de ne pas prendre, au nom de la lutte contre le terro­risme, n’im­porte quelle mesure jugée par eux appro­priée, dès lors qu’elle condui­rait à fragi­li­ser voire saper l’Etat de droit au motif de le défendre

    On ne saurait mieux dire. Mais aujourd’­hui où certains ont fait du terme « droit de l’Homme » un terme dépré­cia­tif voire une insulte, je doute que nos dépu­tés entendent le message.

  • Immu­nité – vote à main levée

    Certains méca­nismes insti­tu­tion­nels peuvent sembler lourds ou exagé­rés, mais ils sont là pour garan­tir nos liber­tés et notre démo­cra­tie en des jours plus sombres.

    Malgré tout le mal que je pense de la non-levée de l’im­mu­nité de Serge Dassault, la dernière chose qu’il faudrait c’est lever le secret du vote du bureau du Sénat ou reti­rer globa­le­ment l’im­mu­nité des séna­teurs.

    Votes à bulle­tins secrets

    L’im­mu­nité doit proté­ger des pres­sions, et là c’est ce qu’on vit. Cela m’in­cite encore plus à m’op­po­ser au vote à main levée – Cathe­rine Procac­cia.

    N’ou­blions pas que nous parlons ici de corrup­tion et même de meurtre pour faire taire les alertes. Malgré tout nous sommes aujourd’­hui dans un contexte rela­ti­ve­ment calme. Le jour où nous aurons à juger un problème de plus grand ampleur encore, où les séna­teurs auront poten­tiel­le­ment peur pour leur vie, n’ai­me­rions-nous pas qu’ils puissent voter à bulle­tins secrets ? J’irai même plus loin à deman­der que la répar­ti­tion des votes elle-même soit confi­den­tielle dans le bureau.

    Si aujourd’­hui nous insti­tuons un vote à main levée par trans­pa­rence, nous y perdons sur le long terme. Juger de nos procé­dures à l’aune des jours où tout est calme est de bien mauvais conseil.

    La trans­pa­rence de la part des élus n’est en soi pas illé­gi­time, mais dans ce cas il faut leur permettre d’avoir de la force, et donc ici de voter en assem­blée plénière (et sans votes de groupe). Il est bien plus diffi­cile de faire taire person­nel­le­ment par la menace physique 348 séna­teurs qu’une poignée de gens dans un bureau.

    Immu­nité

    L’im­mu­nité part du même prin­cipe. Elle garan­tit la repré­sen­ta­tion du peuple contre l’ar­bi­traire poli­cier ou judi­ciaire. Aujourd’­hui c’est un non-risque et nous devrions lever les immu­ni­tés assez faci­le­ment sur simple demande raison­na­ble­ment justi­fiée – ce qui malheu­reu­se­ment n’a pas été fait.

    Demain il est possible que ce soit la seule alter­na­tive pour éviter que des dépu­tés de l’op­po­si­tion soient d’un coup mis en garde à vue oppor­tu­né­ment avant un vote impor­tant, ou que coller des procès longs soient une manière de faire pres­sion sur un repré­sen­tant pour l’ex­clure ou le discré­di­ter.

    Pensez à l’Égypte et à tous ces pays qui ont fait leur révo­lu­tion récem­ment, à ceux qui voient leurs dépu­tés empri­son­nés. Ce n’est pas une ques­tion pure­ment rhéto­rique, cela arrive dans d’autres pays et il s’agit d’un méca­nisme pour limi­ter les problèmes si un jour notre pays est moins calme qu’aujourd’­hui.

    Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Même si cela nous coûte aujourd’­hui, donne parfois un peu d’injus­tice ou quelques déra­pages, voire des scan­dales comme celui de Serge Dassault, ils ne sont que tempo­raires et bien moins grave que ce que nous risquons à reti­rer cette immu­nité.

    Et alors ?

    Tout n’est pas beau dans le meilleur des mondes. Le système fonc­tionne si nos repré­sen­tants agissent avec honnê­teté, sérieux et droi­ture.

    Je n’ose­rai pas deman­der qu’ils laissent l’as­pect parti­san de côté, mais c’est toujours Cathe­rine Procac­cia qui nous montre qu’il y a problème de ce côté là :

    Cela m’in­cite encore plus à m’op­po­ser au vote à main levée, car on ne regar­dera plus le dossier mais si c’est quelqu’un de droite ou de gauche qu’on protège.

    Le secret du vote est un compro­mis vis à vis des exigences d’un repré­sen­tant du peuple de façon à le sécu­ri­ser contre les pres­sions insur­mon­tables. Ici on est juste en train de dire soit que le jeu des partis est une pres­sion insur­mon­table pour la démo­cra­tie – ce qui en soit est sacré­ment grave si c’est vrai, et méri­te­rait qu’on les dissolve rapi­de­ment – soit que les dépu­tés préfèrent agir par inté­rêt poli­tique person­nel  avant toute autre consi­dé­ra­tion même face à des problé­ma­tiques qui impliquent corrup­tions massives et meurtres – ce qui est fina­le­ment tout aussi grave et méri­te­rait qu’on change immé­dia­te­ment l’in­té­gra­lité des dépu­tés et séna­teurs.

    La remarque de Cathe­rine Procac­cia est d’au­tant moins perti­nente qu’à une ou deux excep­tions près, il est presque acquis que le vote s’est bien joué dans une oppo­si­tion droite – gauche quand bien même le sujet ne s’y prêtait pas du tout et malgré le secret du vote.

    Donc voilà notre problème : Nos repré­sen­tants ont oublié leur rôle et leur charge, et se croient dans un jeu télé­visé où l’objec­tif est de gagner person­nel­le­ment puis par équipe.

    Solu­tions ?

    Reti­rer leur immu­nité ou leur impo­ser une trans­pa­rence des votes fera légè­re­ment recu­ler certains symp­tômes mais ne règlera en rien le problème de fond.

    Une première solu­tion serait de refondre certains systèmes qui donnent une trop forte prime au parti gagnant, et plus globa­le­ment aux très grands partis. Plus de partis implique plus de sensi­bi­li­tés diffé­rentes, plus d’op­tions pour à la fois suivre son opinion et suivre son groupe.

    Mais surtout limi­ter les mandats devient sacré­ment urgent, autant dans le cumul que dans la durée. Nous avons fait un premier pas, il est essen­tiel d’al­ler encore plus loin. Il faut reti­rer des inci­ta­tions à voter en groupe et dans un inté­rêt person­nel de réélec­tion toujours gran­dis­sant.

    Il y a d’autres mesures, comme regar­der de plus près les conflits d’in­té­rêts, surveiller les renvois d’as­cen­seur pour les nomi­na­tions, limi­ter les para­chu­tages lors des candi­da­tures aux élec­tions, et plus globa­le­ment reti­rer un maxi­mum de possi­bi­li­tés de s’as­su­rer une carrière au détri­ment de l’in­té­rêt natio­nal.

    Ce sera un combat perma­nent et jamais gagné, mais nous avons déjà des choses évidentes par lesquelles commen­cer. À commen­cer peut être déjà par arrê­ter d’élire tous ceux qui se contentent de voter en fonc­tion du critère majo­rité / oppo­si­tion et pas en fonc­tion du contenu des textes.

  • Sénat : agenda du 20 janvier sur la géolo­ca­li­sa­tion

    Réfé­rences :

    Sur la solu­tion rete­nue

    L’étude d’im­pact justi­fie le besoin de ne pas avoir un avis préa­lable d’un juge mais rien dans cette même étude ne justi­fie une auto­ri­sa­tion pleine et sans contrôle sur 15 jours.

    Une telle auto­ri­sa­tion ne répond d’ailleurs pas au motif même du projet de loi qui est que la géolo­ca­li­sa­tion temps réel « consti­tue une ingé­rence dans la vie privée dont la gravité néces­site qu’elle soit exécu­tée sous le contrôle d’un juge » (sauf à consi­dé­rer qu’une géolo­ca­li­sa­tion temps réel d’un dispo­si­tif autre que télé­phone portable est une ingé­rence plus faible que sur un télé­phone portable).

    Une présomp­tion d’au­to­ri­sa­tion à faire vali­der dans les 48h par le JLD peut tout à fait être mise en place. Elle permet­tra au procu­reur d’agir immé­dia­te­ment sans être contraint tout en permet­tant la garan­tie d’une vali­da­tion par un juge tiers.

    C’est cette option qui néces­si­te­rait d’être mise en place, et c’est d’ailleurs celle rete­nue dans l’Art. 230–35.

    Sur le péri­mètre de l’au­to­ri­sa­tion de 15 jours

    Le texte tel quel permet au procu­reur de pister tour à tour plusieurs objets sur une période de 15 jours pour au final pister une personne sur une période bien plus longue, ce sans contrôle d’un juge ni recours.

    Il est essen­tiel que la durée de 15 jours s’ap­plique à la fina­lité de la géolo­ca­li­sa­tion, et pas à l’objet géolo­ca­lisé.

    Sur l’amen­de­ment COM-2

    Le vote posi­tif à l’amen­de­ment COM-2 est essen­tiel. Les dispo­si­tifs tech­niques peuvent être éteints ou allu­més poten­tiel­le­ment à volonté. Sans cet amen­de­ment il serait alors possible de contour­ner la durée de 15 jours en ne faisant des requêtes que sur demande.

    Il faudrait même aller plus loin et ajou­ter que la date de début de l’opé­ra­tion de géolo­ca­li­sa­tion ne peut être consi­dé­rée comme posté­rieure à la mise en place du dispo­si­tif destiné à l’enquête en cours ou à son acti­va­tion s’il s’agit d’une possi­bi­lité pré-exis­tante à l’enquête.

    Si un dispo­si­tif néces­site une mise en place sur une durée de plus de quinze jours, nous ne sommes plus dans des urgences et besoins de réac­ti­vité qui néces­sitent de travailler sans en réfé­rer au JLD

    Sur l’amen­de­ment COM-3

    Le déroulé d’un procès un domaine de compé­tence qui m’est étran­ger mais je trouve risqué l’amen­de­ment COM-3. Si l’ab­sence des premières mesures est justi­fié, l’ab­sence de descrip­tion du moyen tech­nique utilisé ou de sa posi­tion est de nature à permettre des erreurs judi­ciaires. Elle ne permet en effet pas au défen­seur de véri­fier ou démon­trées de poten­tielles erreurs de posi­tion (moyen tech­nique non adapté ou non fiable sur ce cas précis) ou d’in­ter­pré­ta­tion (objet ciblé qui a pu à un moment se trou­ver séparé du dispo­si­tif de mesure, etc.).

    J’ai bien vu la modi­fi­ca­tion à l’Art. 230–43 mais les posi­tions conti­nue­ront à faire poids dans la procé­dure alors qu’elles sont poten­tiel­le­ment erro­nées et non contes­tables. J’y vois un problème et un risque majeur.

    Sur l’au­to­rité judi­ciaire

    L’étude ne fait éton­nam­ment pas réfé­rence à l’ar­rêt « Medve­dyev 1 » de la CEDH, qui pour­tant est tout à fait perti­nent ici. Ce dernier remet en cause la perti­nence de consi­dé­rer le parquet français comme une auto­rité judi­ciaire (au sens de la CDH) indé­pen­dante et légi­time à auto­ri­ser des mesures priva­tives de liber­tés. Le fait que la consti­tu­tion le consi­dère comme tel (ce qui est expli­cité dans l’étude d’im­pact) ne prime pas sur la CEDH.